04 Oct

Utopiales 2018 : un peu de lecture en guise d’échauffement

Le festival international de science-fiction de Nantes revient pour une 19e édition du 31 octobre au 5 novembre avec un menu comme toujours très copieux, et ce dans tous les domaines, du cinéma au jeu vidéo, du spectacle vivant aux sciences, de la musique aux arts plastiques, sans oublier bien sûr la littérature. Histoire de se mettre dans l’ambiance, voici déjà une petite sélection de bandes dessinées…

On commence avec Bolchoi Arena, un album signé Boulet et Aseyn, un Nantais, paru aux éditions Delcourt. Ce premier volet nous embarque assez habilement dans l’univers du monde virtuel. Les premières pages sont à cet égard assez bluffantes, déstabilisantes, le lecteur ne sachant plus très bien sur quel niveau d’imaginaire il se trouve. L’histoire ? Dans un futur proche, internet n’est plus. Mais pas de panique les geeks, le réseau mondial de réalité virtuelle, le Bolchoi, l’a remplacé offrant des possibilités beaucoup plus infinies. Vous rêviez d’explorer l’espace aux commandes de votre propre vaisseau spatial ? Le Bolchoi vous le permet et sans bouger de votre canapé. Marje, jeune étudiante en astrophysique va y goûter et ne jamais s’en remettre. Une histoire bien ficelée, un trait léger, des couleurs pastel et une belle présentation avec jaquette transparente. On embarque ! (Bolchoi Arena, de Boulet et Aseyn. Delcourt. 19,99€)

Attention talent ! Énorme talent. Vincent Perriot, que certains d’entre vous ont peut-être découvert avec Belleville story chez Dargaud ou Taïga rouge chez Dupuis, débarque cette fois avec Negalyod, un somptueux récit de science-fiction de 200 pages qui rappellera sans doute de très bons souvenirs aux amoureux de Gir, aka Moebius, aka Giraud. Une influence assumée dans la forme, un trait fin et précis comme le maître, des couleurs signées Florence Breton, coloriste de Blueberry, Major Fatal ou L’Incal, mais aussi dans le fond avec un récit où la poésie n’a d’égale que la beauté et la grandeur des paysages désertiques qui nous émerveillent à chaque page. « J’avais une sensation d’enfance… », explique l’auteur, « je voulais traduire cette énergie primaire, primate, des chevaux, des grands espaces… Ce rapport à l’enfance, c’est aussi la rapport à l’évasion, je voulais donc faire des grands espaces, moi qui habite en ville ». C’est beau, à couper le souffle, entre futurisme et archaïsme, une architecture inspirée des dogons, des vaisseaux spatiaux qui sont des hybrides de bateaux océaniens. « Je ne voulais pas d’une science fiction trop futuriste ». Une aventure au souffle épique fantastique mettant en images Jarri Tchapalt, un berger du désert qui voit son troupeau de dinosaures décimé par un camion météorologique et bien décidé à se venger. Pour cela, il prend la direction de la ville qu’il n’a jamais approchée. L’auteur évoque un « album de résistance » qui soulève des problématiques écologiques et éthiques liées aux avancées scientifiques et techniques. Un très très bel album. (Negalyod, de Vincent Perriot. Casterman. 25€)

Le duo Stan & Vince est de retour chez Delcourt et ça c’est plutôt une bonne nouvelle. Les auteurs de la quasi-mythique série Vortex, neuf tomes publiés entre 1993 et 2003 chez Delcourt donc, se lancent uà nouveau dans un récit de science-fiction mais cette fois écrit par… Lewis Trondheim himself. Oui oui, le prolifique auteur français, papa entre autres des aventures de Lapinot, des multiples séries Donjon, du Roi Catastrophe mais aussi de Ralph Azham, des Petits riens, de Maggy Garrisson... et on pourrait continuer comme ça longtemps, très longtemps, signe donc ici le scénario de Density. Les deux premiers tomes sont disponibles. Ils racontent l’histoire de Chloé, une jeune femme qui se découvre un super-pouvoir, celui de modifier sa densité corporelle. De quoi se payer de bons trips en apesanteur et accessoirement sauver la Terre d’une invasion extraterrestre. Maman, j’ai peur ! (Density 1 et 2, de Lewis Trondheim, Stan et Vince, Walter. Delcourt 15,50€ le volume)

Et puis merde. Non non, je ne pars par en vrille, c’est simplement le titre de ce 36e volet des aventures de Jeremiah, aventures post-atomiques toujours plus crépusculaires imaginées par l’immense Hermann depuis sa Belgique natale. Et on retrouve Jeremiah et Kurdy dans une mauvaise passe, à pied depuis que leurs deux motos ont grillé dans l’incendie de leur hôtel, à pied et avec la milice aux fesses. Pas de quoi les faire paniquer, nos deux anti-héros parviennent à se faire la belle et se réfugier dans une espèce de paradis vert en plein désert avec, bien évidemment, des gens peu fréquentables et profondément tordus. La laideur du monde dans toute sa splendeur !  (Et puis merde, Jeremiah 36, de Hermann. Dupuis. 12€)

Il suffit parfois de quelques lettres apposées sur une couverture pour avoir la garantie d’un grand moment de lecture. Et lorsque ces quelques lettres forment les noms de Fred Bernard et Benjamin Flao, alors le paradis n’est plus très loin. En tout cas pour nous lecteurs. Car pour le personnage principal de ce récit, Achille Antioche, c’est une toute autre histoire. Pour connaître le paradis, cet amoureux de la belle mécanique va d’abord devoir passer par le purgatoire des pilotes et comprendre les raisons de sa mort. Car oui, avant même la première case du récit, Achille Antioche est mort. Mort dans une voiture qui n’est pas la sienne, une Porsche 911, plongée dans un étang gelé. C’est tout ce qu’on sait à ce stade du récit. Est-ce un accident ? Un meurtre ? Mystère… Essence, album de Fred Bernard et Benjamin Flao, sorti en janvier de cette année, concourt pour le Prix BD 2018 des Utopiales. (Essence, de Fred Bernard et Benjamin Flao. Futuropolis. 27€)

Les deux premiers tomes de Colonisation sont respectivement sortis en janvier et avril 2018, le prochain est annoncé pour janvier 2019. Juste le temps de les lire deux ou trois fois en contemplant le somptueux dessin de l’Italien Vincenzo Cucca. Chaque planche de ce space opera est une petite merveille de finesse et de dynamisme aux ambiances sidérales extraordinaires. Côté scénario, Denis-Pierre Filippi nous convie dans un futur où l’homme a dû quitter la Terre surpeuplée pour coloniser d’autres planètes. Un exode de masse à bord d’une multitude de vaisseaux spatiaux dont certains se sont perdus dans l’immensité de l’espace et sont sujets à des pillages. Colons et extraterrestres rencontrés sur la route s’unissent pour retrouver les nefs perdues. Une série qui nous en met plein la vue ! (Colonisation tomes 1 et 2, de Cucca et Filippi. Glénat. 13,90€ le volume)

Changement radical de style avec ce livre paru aux éditions Rue de Sèvres. Pas de vaisseaux spatiaux ici, encore moins d’extraterrestres, mais un monde, notre monde, qui a fini par se scinder en deux, d’un côté ceux qui comptent et dirigent, les Inspirés, de l’autre, les sans noms qui subissent. Et comme décor à tout ça, un San Francisco qui ne ressemble plus au San Francisco d’aujourd’hui, une ville ravagée par un grand tremblement de terre au XXIe siècle. Dans ce contexte, le  jeune Jonas espère bien quitter son milieu modeste pour rejoindre l’élite. Tout paraît impossible, insurmontable mais la révolte, que dis-je, la révolution Sire, n’est peut-être pas très loin ! (Eden, de Colin et Maurel. Rue de Sèvres. 15€)

On termine avec l’une des séries majeure du catalogue Delcourt en matière de science-fiction, Travis, le fameux camionneur de l’espace. Vingt ans que ça dure, treize albums, quatre cycles. Bon, le Travis d’aujourd’hui n’a plus grand chose de camionneur-livreur mais il a gardé son assurance rapatriement et ça, ce n’est pas tout à fait négligeable par les temps qui courent. On retrouve en effet Travis dans une très mauvaise situation au début de ce nouvel album, retranché dans un bunker encerclé de cyborgs en plein coeur d’un Mexique déchiré par la guerre entre les cartels de narcotrafiquants. Heureusement, son fidèle Pacman lui envoie une tarentule géante de métal en guise de taxi. « Tout ça en moins de 15 minutes ! Moins de temps qu’il ne faut pour te faire livrer une pizza sur Brooklyn mec ! ». Pas question de livrer pour autant une pizza, Travis doit exfiltrer un vieil ordinateur du siècle précédent qui pourrait contenir une « saleté d’I.A. à l’intérieur », une I.A. à l’origine de pas mal de malheurs. De l’action, beaucoup d’action, du suspense, une touche d’humour, des technologies futuristes, un trait affirmé, un découpage dynamique, des personnages aux caractères bien trempés… Un savant cocktail au service du pur divertissement ! (Travis tome 13, de Quet et Duval. Delcourt. 14,50€)

Eric Guillaud

Plus d’infos sur le festival ici