Alors que l’on parle d’une nouvelle adaptation cinématographique qui devrait laver l’affront de celle (ratée) des années 90, l’univers Spawn continue de s’étendre. Ce nouveau spin-off s’étale du XIIe au XVIe siècle et est surtout l’un de ces avatars les plus échevelés. Quinze ans après sa parution originale, il a donc enfin droit à une traduction française classieuse à la hauteur de sa sauvagerie débridée…
Alors d’abord, attention : bien qu’il soit crédité (en premier qui plus est) sur la couverture, a priori, Todd McFarlane n’a pas contribué à cette variation moyenâgeuse de sa plus célèbre créature. Preuve en est qu’en 2018 le personnage de Spawn est devenu si énorme qu’il a désormais échappé à son créateur. Il faut dire que cela fait longtemps que le Canadien a pratiquement laissé tomber le dessin pour devenir un pur gestionnaire de son empire en grande partie bâti justement sur les bénéfices engrangés par sa série star dans les années 90. D’où d’ailleurs quantité de dérivés plus ou moins réussis au cours des années, tous centrés autour de la même trame : celle d’un héros au grand cœur déchu, réclamant vengeance même par delà la mort et finissant par vendre son âme au diable (Faust, es-tu là ?) pour revenir sous la forme d’un démon (le ‘Spawn’ donc) qui, invariablement, finit par découvrir que sa destinée n’est pas totalement entre ses mains…
Enfin traduite en français en deux volumes (le premier était sorti l’année dernière), la série de vingt-huit épisodes parue sur le continent nord-américain entre 1999 et 2001, Spawn – Dark Ages représente en quelque sorte l’apothéose absolue de tous ces à-côtés, en concentrant à la fois toutes les qualités mais aussi tous les défauts.
Alors on l’a souvent dit : Todd McFarlane est un peu le Michael Bay (ou le Luc Besson, histoire de faire plus français) de la BD ‘adulte’ américaine. Ses personnages sont souvent taillés à la serpe, les scénarios souvent assez simplistes et les ressorts dramatiques attendus, voire limite éculés, histoire de pouvoir concentrer toute son énergie sur l’adrénaline pure et la virtuosité visuelle. En ça, Dark Ages est un pur produit McFarlanien : régulièrement, le découpage grandiloquent donne lieu à des cases pleines pages (voire à des doubles !) aux couleurs flamboyantes et pleines de furie et rien n’est épargné aux lecteurs. Initialement ancré dans un XIIe siècle âpre dans une Angleterre où la vie humaine n’a finalement que peu de valeur, elle suit le retour de feu Lord Covenant, jeune noble plein d’idéaux parti faire la croisade au Moyen-Orient où il est mort brûlé et écartelé par les infidèles et ensuite recruté par l’Enfer pour mener, malgré lui, la guerre au Bien sur Terre.
Presque grotesque avec ses muscles hypertrophiés et pourtant franchement flippant avec ses cheveux longs blancs parsemés et surtout ce visage ressemblant plus à un crâne grimaçant qu’à un être humain, le Spawn est plus que jamais un personnage XXL comme McFarlane les aime. Pétri de doutes certes mais avec un fond d’humanité en lui mais avec lequel tout finit toujours dans le sang. Dans le premier tome, Liam McCormack-Sharp, qui signait aussi l’encrage, en avait sublimé la splendeur presque décadente, presque jusqu’à l’outrance. En prenant sa suite, Nat Jones dévoile un style moins personnel et sensuel mais en contrepartie très proche de celui du ‘maître’ et surtout encore plus cruel. Là où McCormack-Sharp et le scénariste Brian Holguin jouaient pas mal avec le symbolisme religieux et la morale, Jones et son compère Steve Niles se révèlent beaucoup plus cruels et sanglants, faisant du Spawn presque une victime et multipliant les combats épiques avec des monstres encore plus baveux et inhumains que lui.
Disons que si la première partie de la saga se rapprochait plus dans l’esprit de l’heroic fantasy d’un Robert E. Howard (créateur de Conan), la seconde (et dernière) se veut, elle, plus digne d’une partie de jeu vidéo de tir à la première personne. Décapitation, tortures à gogo, cannibalisme : c’est gore et assumé. De fait, on ne tient pas forcément là la meilleure porte d’entrée pour les néophytes, vu qu’on plonge de plain-pieds dans la bidoche fumante et les terres ravagées par la Peste. Les auteurs se sont avant tout amusés avec la matrice créée par McFarlane en 1992 pour la plonger dans un monde barbare et brutal où visuellement, rien n’est trop épique ni trop sanglant, quitte à relayer un peu au second plan toute notion de psychologie ou à hâter un peu trop une conclusion qui laisse sur la faim. Mais cela fait quand même deux fois trois cent cinquante pages de fureur et de combats homériques et surtout, un pur concentré de l’esprit Spawn…
Olivier Badin
Spawn – Dark Ages, collectif. Delcourt, en deux volumes. 27,95€