Ces deux histoires-là n’ont à priori pas grand chose en commun si ce n’est le contexte bien évidemment de la deuxième guerre mondiale et le caractère tragique des destins de Francine R et Marcel Grob, deux vies bousculées, volées, par cet acharnement de l’homme à vouloir parfois anéantir toute humanité. Deux histoires vraies, deux témoignages essentiels au coeur de l’horreur…
On commence avec Le Voyage de Marcel Grob, album qui traite d’un sujet assez rarement abordé en bande dessinée, comme au cinéma, les Malgré-nous. Philippe Collin, co-scénariste de l’album, par ailleurs animateur, producteur et auteur pour la radio et la télévision, est un passionné d’histoire et plus précisément d’histoire contemporaine. Il est d’ailleurs titulaire d’une maîtrise dans ce domaine. Autant dire que ce projet lui tenait particulièrement à cœur. Il le porte depuis longtemps, imagine un temps en faire un roman avant de se lancer dans l’aventure d’une bande dessinée avec Sébastien Goethals, co-scénariste et dessinateur.
« je me suis dit que c’était le médium le plus embrassant… », nous a confié Philippe Collin dans une longue interview à retrouver ici, « Je pense qu’un ado de 15 ans peut lire ce roman graphique, que sa mère peut le lire, que son grand père peut le lire. Et ce qui m’intéresse dans l’objet qui est le nôtre en 2018, c’est l’échange entre générations. il n’y a que la BD qui peut promettre ça. »
Le Voyage de Marcel Grob n’est pas un travail universitaire, ni un documentaire mais le récit en grande partie authentique du parcours d’un grand oncle de Philippe Collin.
« Tout ce qui est raconté dans cet album est issu de son livret militaire que j’ai récupéré en 2012 (…) où tout était consigné en long, en large et en travers. Les deux tiers du récit sont authentiques et le tiers restant, romancé. Si Marcel Grob est bien réel, les deux personnages qui l’accompagnent sont issus pour leur part d’un croisement de témoignages ».
Tout commence, ou tout finit serait-on tenté d’écrire, en 2009 lorsque Marcel Grob, 83 ans, est arrêté et déféré devant un juge qui l’interroge sur son passé de SS. Marcel Grob, ou Marzell Grob comme on l’appelait enfant, est un Alsacien qui a ce titre, et comme plusieurs dizaines de milliers d’Alsaciens pendant la guerre, a été incorporé de force dans l’armée allemande, pour sa part dans la Waffen-SS.
Mais ce qui intéresse plus précisément le juge, c’est sa participation au massacre de Marzabotto, petit village d’Italie, le 29 septembre 1944. C’est le massacre de civils le plus meurtrier perpétré par les nazis en Europe. Il aurait fait plus de 1830 victimes. Le massacre d’Oradour-sur-Glane en France en avait fait un peu plus de 600. L’horreur dans les deux cas !
Interrogé par le juge, Marcel Grob raconte donc ce passé trouble depuis son incorporation en juin 1944 jusqu’à la Libération où il échappe de justesse à un peloton d’exécution. Et bien sûr, Grob détaille l’épisode Marzabotto et sa participation au massacre, malgré lui affirme-t-il…
Le Voyage de Marcel Grob appartient à cette catégorie de livres nécessaires participant à la construction d’une mémoire collective qui aurait parfois tendance à effacer certains chapitres comme l’histoire de ces Malgré-nous ou comme l’exode massive de 1940. Un livre nécessaire, passionnant, très bien construit, qui met an avant toute la complexité de cette guerre pour les gens de l’époque mais aussi pour nous encore aujourd’hui.
Chroniques de Francine R. raconte une toute autre trajectoire, à l’opposée même de celle de Marcel Grob, celle d’une ancienne résistante et déportée prénommée Francine, une lointaine cousine cette fois de l’auteur Boris Golzio, cousine dont il a découvert l’existence tardivement.
Boris Golzio rencontre pour la première fois la vieille dame en 1997 et c’est en 2000 qu’il décide d’enregistrer son témoignage, un témoignage brut, pas forcément dans l’ordre chronologique mais très détaillé. Longtemps, l’auteur conserve cette matière avant de se décider à en faire une bande dessinée.
« Ma première intention… », explique-t-il, « était de déposer le témoignage de Francine aux archives du centre mémorial de Ravensbrück, dans sa version brute (…) Mais comme c’était assez fouillis et que je voulais comprendre le récit, je l’ai ensuite mis en ordre chronologique. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il méritait d’être partagé et donné à lire au plus grand nombre ».
Pour le texte, Boris Golzio s’appuie sur la parole de Francine, en respectant son langage, sa façon de parler. Peu de dialogues en conséquence, essentiellement une voix off, celle de la lointaine cousine. Pour le dessin, l’auteur opte pour un trait relativement naïf qu’il explique ainsi : « Ayant dès le départ pris le parti de la naïveté au sens premier du terme, je n’ai pas spécialement réfléchi en ces termes. J’ai pris les choses comme elles venaient et je me suis astreint à éviter tout enrichissement ou tout virtuosité graphique ».
Par les paroles de Francine, par le dessin de Boris Golzio, le lecteur plonge frontalement dans l’horreur la plus absolue, la déportation, la vie dans les camps, notamment dans celui de Ravensbrück où a été déportée Francine, le travail forcé, la faim, la torture, la mort.
Fort heureusement, quelques-uns et quelques-unes sont revenu(e)s de l’horreur et ont offert leur témoignage à l’humanité. Chroniques de Francine R. en est un parmi tant d’autres, essentiel comme tous les autres.
Eric Guillaud
Le voyage de Marcel Grob, de Philippe Collin et Sébastien Goethals. Futuropolis. 24€ (en librairie le 11 octobre)
Chroniques de Francine R., de Boris Golzio. Glénat. 19,50€