11 Fév

Mickey Maltese : quand deux figures emblématiques de la bande dessinée mondiale fusionnent !

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D’un côté, Mickey, poids lourd de l’imaginaire américain, de l’autre Corto Maltese, figure incontournable de la bande dessinée européenne. Deux univers différents, à priori incompatibles, pourtant réunis aujourd’hui sur une même couverture grâce à une adaptation étonnante signée Cavazzano, Enna et Zemolin aux éditions Glénat…

Un catamaran en plein Pacifique, au loin un naufragé attaché sur un radeau… Ces quelques indications suffisent à vous dire que vous avez déjà lu ça quelque part ? Effectivement, c’est en tout point le début de La Ballade de la mer salée, la première aventure de Corto Maltese imaginée dans les années 60 par l’immense Hugo Pratt.

Mais n’y voyez pas là un affreux plagiat ou une banale parodie, il ne s’agit même pas d’un hommage précise l’éditeur, non La Ballade de la souris salée est une relecture de l’aventure maltesienne, une adaptation dans l’univers de Mickey. Une adaptation assez fidèle sur le plan de l’histoire avec en lieu et place des personnages imaginés par Hugo Pratt, ceux de Disney, Mickey en Corto, Pat Hibulaire en Raspoutine ou encore Minnie en Bouche Dorée.

Côté graphisme, rien à redire, Giorgio Cavazzano travaille depuis des lustres pour Disney, tout d’abord comme encreur pour Romano Scarpa, puis en animant ses propres histoires de Donald ou Mickey. Un très bel album au dos toilé rouge et au format qui laisse toute la place au dessin. De quoi s’offrir une belle ballade !

Eric Guillaud

Mickey Maltese, La Ballade de la souris salée, de Cavazzano, Zemolin et Enna. Éditions Glénat. 17€

© Glénat / Enna, Cavazzano & Zemolin

© Glénat / Enna, Cavazzano & Zemolin

 

10 Fév

Courtney Crumrin : les aventures de l’adolescente apprentie sorcière rééditées en intégrale

CouvCCInew-1Désormais, dès qu’on cite les mots ‘enfants’, ‘sorcellerie’ et ‘fantastique merveilleux’, les gens pensent automatiquement Harry Potter, comme si le héros de JK Rowling représentait sans voie de recours l’alpha et l’oméga de ce désormais genre littéraire à part entière. Autant dire que Ted Naifeh (qui signe ici le dessin et le scénario) marchait sur un terrain sacrément miné en créant en 2002 pour une petite boîte indé US le personnage de Courtney Crumrin…

Voici l’histoire d’une petite pré-ado ronchonne avec une barrette en forme de chauve-souris et des parents quasi-invisibles qui semblent limite ignorer son existence et de son emménagement chez son grand-oncle. Un être taciturne qui se révèle être un sorcier qui va petit-à-petit l’initier aux arts interdits. Alors d’accord, ce pitch a priori assez classique pourrait laisser croire que le tout est avant tout à destination d’ados boutonneux qui croient qu’un t-shirt de Marilyn Manson et une paire de Doc Martin font de toi un « gothique ». Sauf que cette série qui a finalement accouché de six albums et quelques spin-offs va bien plus loin que ça.

D’abord grâce au trait de Naifeh, qui rappelle parfois celui du grand Mike Mignola la créateur de ‘Hellboy’ avec lequel il partage un goût certain pour le clair-obscur et une imagerie jouant justement à fonds sur le flou qu’il peut parfois exister entre imagerie enfantine et cauchemar adulte. Si chez lui les enfants ont des têtes, et bien, d’enfants, les monstres sont vraiment effrayants et semblent tout droit sortis d’un film d’horreur.

Mais c’est surtout au niveau du scénario qu’il se détache car comme son héroïne, le lecteur bascule constamment entre le monde dit ‘réel’ et celui caché qui vit une fois le soleil couché. Un monde qui fait, aussi, beaucoup pensé à l’univers de Tim Burton et où les gobelins se promènent en liberté dans la forêt, les enfants kidnappés la nuit à l’insu de leurs parents (et remplacés par des changelings) avant d’être vendus à la criée et où l’homme moderne n’a pas du tout sa place. Un bestiaire hétéroclite mais jamais gnangnan plein de références à la littérature fantastique populaire mais où Courtney Crumrin trône, grande gueule attachante qui ne se laisse jamais vraiment désarçonner. Et puis d’ailleurs, dans ce monde où rien n’est vraiment ce que l’on croit qu’il est, les ‘grandes personnes’ comme on dit sont bien souvent plus cruelles et plus effrayantes que ces monstres pas toujours assoiffés de sang mais avec leur morale et leurs règles bien à eux.

Si la première traduction française était en noir et blanc, cette nouvelle intégrale en trois tomes (avec deux histoires par livre) sort cette fois-ci en couleurs mais adaptées, c’est-à-dire tirant souvent sur le bleu foncé ou le violet et ne trahissant jamais l’ambiance crépusculaire et mystérieuse qui s’en dégage. C’est surtout une belle séance de rattrapage pour cette BD qui n’est pas vraiment à destination des enfants, ni de ceux qui ont peur des choses qui se cachent sous leur lit, vous savez celles qui attendent que vous vous endormiez pour vous manger…

Olivier Badin

Courtney Crumrin de Ted Naifeh, trois tomes, Akileos. 19 euros

© Akileos / Courtney Crumrin de Ted Naifeh

© Akileos / Courtney Crumrin de Ted Naifeh

Collection Aire Libre : 30 ans au service de l’imaginaire

C’est bien évidemment une époque que les moins de 20 ans ne peuvent connaître. Une époque pourtant essentielle, un tournant dans l’histoire du neuvième art, une révolution aux éditions Dupuis. En 1988, naissait la collection Aire Libre, 30 ans de bonheurs graphiques salués par une exposition à Angoulême cette année…

© éric guillaud - exposition 30 ans d'Aire Libre à Angoulême (janvier 2018)

© éric guillaud – exposition 30 ans d’Aire Libre à Angoulême (janvier 2018)

Sur une proposition de Jean Van Hamme qui venait de prendre la direction générale des éditions Dupuis, elle aurait pu s’appeler Air Libre, elle s’appellera finalement  Aire Libre après l’intervention de Philippe Vandooren. Une lettre de différence mais une lettre essentielle, avec cette nouvelle collection, la bande dessinée allait pouvoir explorer de nouveaux territoires. On ne parle pas encore de romans graphiques mais ça y ressemble bougrement, une bande dessinée qui touche autant à la fiction qu’au documentaire, à l’autofiction qu’à l’autobiographie, au drame qu’à la comédie, des one-shots essentiellement, quelques courtes séries aussi.

Le premier album portant la griffe Aire Libre fut un album de Cosey auquel le festival international de la bande dessinée vient le consacrer une très belle exposition. Le Voyage en Italie, publié en 1988 en deux volumes, réédité ultérieurement en monovolume, donne le ton d’une bande dessinée qui s’adresse en priorité aux adultes, une bande dessinée qui ouvre assurément en 30 ans et quelque 200 albums de nouveaux horizons graphiques et narratifs.

Avec Orchidea (1990), Saïgon-Hanoï (1992), Joyeux Noël, May! (1995), ou encore Le Bouddha d’Azur (2005), Cosey s’affirme comme l’un des piliers de la collection mais il ne sera pas le seul bien évidemment. Très vite le rejoignent Tome et Berthet pour le bouleversant Sur la route de Selma, Blain et son Réducteur de vitesse, Lax et Blier avec Amère patrie, Emmanuel Guibert avec Le Photographe, ou encore Cabanes, Davodeau, David B, Nicolas de Crécy, Jean-Claude Denis, Gibrat, Hermann… sans oublier en ce début d’année 2018 Yves Sente et Steve Cuzor avec cette histoire de guerre pas comme les autres, Cinq Branches de coton noir, qui a enthousiasmé le public et la presse dans un même élan et vient confirmer la collection Aire Libre dans son rôle de révélateur de talents pour les 30 prochaines années.

Eric Guillaud

31 Jan

Bleu amer : Des îles, des hommes et la guerre, une histoire de Sylvère Denné et Sophie Ladame

Bleu-amerSuzanne ne sourit plus. Est-ce l’effet de la guerre ? De la morne vie sur les îles Chausey ? Ou de son désamour pour Pierre, son mari ? Non, Suzanne ne sourit plus mais l’arrivée d’un étranger pourrait bien tout changer…

Nous sommes au printemps 1944. L’Allemagne s’attend à un débarquement des forces alliées, plutôt dans le nord de la France. En attendant, elle renforce ses positions un peu partout, un peu partout sauf sur les îles Chausey qu’elle a toujours considérées comme ne présentant aucun intérêt militaire stratégique. De fait, seule une patrouille y effectue régulièrement une visite. De la guerre, les insulaires n’en voient pas grand chose. Certains se sont engagés dans un sens ou dans l’autre, beaucoup ont choisi le quotidien, la pêche des bleus par exemple, comprenez des homards. C’est le travail de Pierre.

Entre lui et sa femme, Suzanne, ça ne va plus guère. Alors il boit et elle perd son sourire. Jusqu’au jour ou Pierre découvre un parachutiste américain gisant sur les rochers. Il le ramène chez lui, Suzanne le soigne. Mais sur l’île, son acte ne fait pas l’unanimité. Les gens ont peur de la réaction des Allemands. Alors la question se pose : faut-il prendre le risque de le cacher ou le livrer aux Allemands ? Faut-il résister ou collaborer ? Protéger sa vie et celle de ses proches ou celle de ces héros venus de loin risquer la leur pour défendre une certaine idée de la liberté ?

Bleu Amer est le premier album BD des Bretons Sylvère Denné et Sophie Ladame. Des dialogues qui vont à l’essentiel, un dessin esquissé façon carnet de voyage sur un papier kraft marron relevé de la seule couleur bleue, et au final des atmosphères intimes qui nous plongent immédiatement dans la vie de ce petit coin de Normandie qui se croyait oublié de la guerre et de ses tourments. Un très très beau bouquin, une très belle histoire, et deux auteurs à surveiller de près.

Eric Guillaud

Bleu amer, de Sylvère Denné et Sophie Ladame. Editions La Boîte à bulles. 19€

© La Boîte à bulles / Donné & Madame

© La Boîte à bulles / Donné & Madame

30 Jan

Tetris – Jouer le jeu, l’histoire d’une création qui a changé la face du monde des jeux vidéos, racontée par l’Américain Box Brown

On a tous joué un jour ou l’autre à Tetris, à en devenir parfois complètement dingos. Le livre de l’Américain Box Brown nous entraîne dans les arcanes de sa création. Enjeux financiers, politiques, batailles juridiques, tractations secrètes, le tout sur fond de guerre froide, Tetris – Jouer le jeu est bien plus qu’une BD documentaire sur l’un des jeux les plus populaires au monde, c’est un drôle de témoignage sur une période récente de notre histoire. Attention, sa lecture pourrait elle-aussi devenir addictive…

© éric guillaud

© éric guillaud – Box Brown

Pour tout vous dire, j’ai croisé l’auteur à Angoulême il y a quelques jours, un gars apparemment jovial prêt à dégainer le pinceau pour dédicacer. J’aurais pu l’interviewer, comme me le suggérait l’attachée de presse des éditions La Pastèque mais je n’avais pas encore lu son album. Alors, je l’ai photographié, sa bonhomie s’y prêtait bien, en me disant que si je chroniquais à l’avenir un de ses bouquins, au moins j’aurais sa trogne à vous montrer.

Et puis en revenant d’Angoulême, forcément épuisé, je tombe sur son livre resté sur mon bureau. Je le lis d’une traite. Son nom ? Tetris – Jouer le jeu. Tetris comme le jeu vidéo car oui c’est bien de lui dont il s’agit ici. Box Brown reprend tout au début, il remonte même à l’époque préhistorique où il a cru déceler le début des jeux dans les peintures rupestres. Tout ça pour vous dire que le gars est un pointu dans le domaine et un mordu, car non seulement il est auteur de BD, éditeur à ses heures, mais aussi joueur invétéré de jeux vidéos. Il l’avoue dans ce livre et remercie au passage sa famille de supporter cette passion qu’on imagine chronophage.

9782897770143Et de nous raconter comment un certain Alekseï Pajitnov, ingénieur informatique de profession, russe de nationalité, a inventé et développé ce jeu au début des années 80 sur son temps libre, avant de le partager avec ses proches puis des moins proches, puis au delà, jusqu’à ce que le verdict tombe : ce jeu rendait totalement addicts tous ceux qui y touchaient. C’était dés lors une certitude, Tertris allait traverser le rideau de fer et conquérir le reste de la planète. Une véritable success-story (plus de 170 millions d’exemplaires vendus) mais une succès-story qui eut aussi sa part d’ombre. Devant une affaire qui s’annonce pour le moins juteuse, les requins montrent leurs dents et les enjeux dépassent vite la volonté initiale et ludique de l’inventeur. 

Faut-il être un mordu des jeux vidéos et notamment de Tetris pour apprécier l’album ? Non, je ne le suis moi-même absolument pas. Le récit de Box Brown est certes minutieux, détaillé, documenté, mais jamais rébarbatif. Ses planches en bichromie et son trait enfantin et épuré apportent un peu de légèreté au propos. Une oeuvre originale !

Eric Guillaud

Tetris – Jouer le jeu, de Box Brown. Editions La Pastèque. 19€

28 Jan

Le Couteau dans l’arbre : La 26e aventure de Jérôme K. Jérôme Bloche

9782800170985Il devait partir pour un week-end en amoureux à Venise avec sa douce et tendre Babette mais il n’ira pas. Ou plus exactement, ils n’iront pas. Alors forcément Babette est un peu furax mais c’est pour la bonne cause. La fille du patron de l’oncle de Jérôme a disparu et il faut bien quelqu’un pour la retrouver…

« Babette, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est qu’on peut se faire rembourser nos réservations en ligne pour Venise ». La suite, on la devine. Il n’est pas fier notre Jérôme mais quand même il ne peut décemment pas jouer au touriste moyen alors qu’une gamine de 11 ans a disparu !

Direction Bergues, charmante bourgade du département du Nord où son oncle, sa tante et sa grand-mère l’accueillent chaleureusement, enfin les accueillent puisque Babette a suivi le mouvement. Mais l’heure n’est pas aux palabres. Il faut retrouver la gamine et l’affaire ne s’annonce pas aussi simple qu’il y paraissait au départ. La fugue pressentie un moment n’en serait pas une…

Bon, vous pouvez me dire ce que vous voulez sur cette série créée par Dodier il y a maintenant 36 ans, mon idée est faite depuis longtemps. Jérôme K. Jérôme Bloche est un personnage unique dans le monde du neuvième art, un être de papier délicieusement attachant, humain, sensible, peut-être un peu lunaire, un détective privé qui n’aime pas les intrigues mais adore les résoudre. Pas de courses poursuites tonitruantes, pas de gros calibres, pas de grosses Chevrolets, pas d’héroïnes aux super-pouvoirs ou à la poitrine surdimensionnée, non, les aventures de notre Jérôme national, son créateur est belge mais bon, sont toujours proches de nous, jamais loins de nos préoccupations, en tout cas à portée de solex, son moyen de transport préféré, même si, pour les besoins du scénario, il a dû cette fois troquer son fameux Solex pour une authentique Motobecane équipée biplace. Le quotidien, toujours le quotidien…

Coté narration et graphisme, c’est du Dodier, du grand Dodier, pas de mauvaises surprises, l’ensemble est cohérent, maîtrisé jusqu’aux couleurs toujours douces malgré le propos parfois un peu plus grave.
Eric Guillaud

Le Couteau dans l’arbre, Jérôme K. Jérôme Bloche (tome 26), de Dodier. Éditions Dupuis. 12€

© Dupuis / Dodier

© Dupuis / Dodier

24 Jan

Le journal de Marianne : Le Nantais Baptiste Chouët au chevet d’une République déprimée

Journal-de-MarianneAttentats, état d’urgence, Brexit, crise des migrants, Trump, montée du FN… oui, il y a de quoi voir la vie en noir depuis quelques temps. Pour Marianne, c’est bien simple, c’est la déprime totale. Sous la plume et le pinceau de Baptiste Chouët, la figure symbolique de la République française accepte de nous confier ses humeurs, ses joies, ses peines, dans un journal intime qui pourrait paradoxalement nous remonter le moral ou en tout cas nous faire remonter les manches…

« Dieu, Mais que Marianne était jolie, Quand elle marchait dans les rues de Paris, En chantant à pleine voix, « Ça ira, ça ira, toute la vie ». Ces quelques vers vous parlent ? Ils sont de Michel Delpech, une chanson en hommage à notre belle Marianne. C’était en 1972 ! Le ton est déjà à la mélancolie, à la nostalgie des « printemps qui brillaient sous son soleil », allusion bien évidemment à mai 1968.

Depuis, Marianne en a vu de toutes les couleurs, de quoi parfois en perdre la tête, de quoi surtout se payer une bonne déprime. Le récit de Baptiste Chouët commence le 21 septembre 2015, le jour de son anniversaire. 223 ans et pas un pékin moyen pour le lui souhaiter. Et comme si tout ça ne suffisait pas, il pleut !

Naître le premier jour de l’automne, ça vous prédestine à la dépression

Coiffée de son bonnet phrygien et très très légèrement vêtue, notre belle Marianne a décidé de nous raconter sa vie ou plus exactement les trois dernières années de sa vie, c’est peu eu égard son grand âge mais il faut bien reconnaître qu’il y en a des choses à dire et des larmes à sécher.

Fini le bon temps où tout le monde se battait pour elle. Marianne fait tellement partie du paysage qu’on l’aurait presque oubliée. Mais elle s’est subitement rappelée à nous en novembre 2015 avec les attentats meurtriers de Paris. Marianne était-elle à nouveau en danger ? Le peuple allait-il devoir battre une nouvelle fois le pavé comme en janvier après l’attentat contre Charlie Hebdo ?

Tu dirais que mon problème c’est que je suis : A/ auto-centrée, B/ Peu sûre de moi, C/ trop narcissique ?

Marianne s’interroge, doute, ne dort plus, pleure, s’énerve… L’actualité se bouscule, les attentats se succèdent, l’Angleterre annonce son départ de l’Europe, les exilés meurent par milliers dans la Méditerranée, le Front National arrive au deuxième tour de l’élection présidentielle…, son journal intime est un chapelet de mauvaises nouvelles qui pourraient nous faire sombrer dans la morosité nous aussi pauvres lecteurs.

Mais c’est finalement le contraire qui se passe. Bien sûr, on peut la critiquer, avoir envie parfois d’en changer ou carrément d’en finir avec elle mais le livre de Baptiste Chouët, son premier, et les confidences de son héroïne Marianne ont pour effet de nous réveiller. Il faut être fier de Marianne, la protéger, lui chanter des chansons, lui fêter son anniversaire tous les jours, lui offrir des fleurs, lui dire qu’on l’aime… parce que concrètement, est-ce qu’on a fait mieux que la République quelque part ? Est-ce qu’on a mieux que Marianne ? Non ? Et puis merde, un buste de Marianne, ça a quand même plus de gueule qu’une statue de Kim Jong-un…

Non mais allô quoi! T’es une République et t’es pas corrompue ? Aaallô!

En conséquence je déclare Le Journal de Marianne livre d’utilité publique. « Dieu, Mais que Marianne était jolie, Quand elle embrasait le cœur de Paris, En criant dessus les toits : Ça ira ! Ça ira ! Toute la vie. »

Eric Guillaud

Le journal de Marianne, de Baptiste Chouët. Éditions Marabout. 17,95€

23 Jan

Cinq Branches de coton noir : entre deuxième guerre mondiale et lutte contre la ségrégation raciale, le parcours de trois soldats noirs raconté de main de maître par Yves Sente et Steve Cuzor

Capture d’écran 2018-01-21 à 16.17.05Et si le tout premier drapeau des États-Unis avait comporté une étoile noire en hommage au peuple afro-américain pour sa participation à la construction de l’Union. C’est à partir de ce postulat, de ce « Et si… » en quelque sorte, que les auteurs Steve Cuzor et Yves Sente ont déroulé l’histoire de Cinq branches de coton noir, un roman graphique extraordinaire qui vient à point nommé marquer les 30 ans de la collection Aire Libre des éditions Dupuis…

Trente ans. Et quelques-unes des plus belles réussites de la bande dessinée franco-belge à son actif ! La collection Aire Libre, c’est Voyage en Italie de Cosey, SOS Bonheur de Van Hamme et Griffo, Le Bar du vieux français de Stassen et Lapière, Le Photographe de Guibert, Lefèvre et Lemercier ou encore Portugal de Pedrosa, c’est beaucoup de one shots et quelques séries courtes qui partagent la même exigence et sont pour la plupart devenus des références.

Avec Cinq Branches de coton noir, les auteurs Steve Cuzor et Yves Sente signent le dernier album en date de la collection mais surtout un récit époustouflant, une fiction qui prend racine dans l’histoire avec un grand H, la guerre d’indépendance des États-Unis d’un côté, la deuxième guerre mondiale de l’autre. Avec des allers-retours entre les deux époques et une même question : pourquoi l’homme noir ne vaudrait pas l’homme blanc ? Une question qui dénonce bien évidemment la ségrégation raciale qui fût active aux États-Unis jusqu’au milieu des années 60 et connait encore aujourd’hui quelques soubresauts nauséabonds. Ça, c’est l’histoire avec un grand H.

© Dupuis / Cuzor et Sente

© Dupuis / Cuzor et Sente

Pour ce qui est de l’histoire avec un petit h, Cinq branches de coton noir propose une fiction mais une fiction de l’ordre du possible, du vraisemblable.

« je me suis documenté pour traiter les scènes situées dans les années 1770… », explique Yves Sente, « J’ai fait en sorte que rien ne puisse être démenti par un historien. Pour le reste, j’ai cherché à tisser des liens entre divers faits avérés. Le rôle d’un scénariste consiste aussi à inventer et à « combler les trous » laissés par la recherche historique ».

Cette fiction commence en mai 1944 en Angleterre dans un camp militaire fantôme, un leurre pour détourner l’attention des forces allemandes. C’est l’opération Fortitude. Ici, les chars alignés par centaines sont aussi légers que l’air et le nombre de soldats est réduit au strict minimum, une poignée de soldats, noirs pour la plupart, non désirables sur le front où se battent les « vrais » Américains, les Blancs.

Parmi ces hommes noirs, Lincoln. Son rêve ? Participer comme tout Américain à la victoire et en devenir un de ses héros. L’occasion lui est finalement donné de rejoindre le front avec deux de ses camarades pour une mission périlleuse : infiltrer les colonnes allemandes et récupérer le tout premier drapeau américain conçu en 1776 par Betsy Ross, à la demande de George Washington, volé sur un champ de bataille par un mercenaire allemand dont le descendant serait aujourd’hui officier dans la Wehrmacht. Outre le fait que ce drapeau serait le premier, il aurait dit-on comporté une étoile noire cousue à l’époque par une servante de Betsy Ross. Tout un symbole !

« Il s’agit d’une pure fiction… », poursuit Yves Sente, « Mais je connaissais l’histoire de Betsy Ross et, à partir de là, mon imagination s’est mise en route. À l’origine d’un scénario, on retrouve toujours la même question : « Et si… ? » Et si le tout premier drapeau américain n’avait pas disparu ? Puisque les Anglais avaient fait appel à des mercenaires d’origine germanique, il pouvait très bien se trouver quelque part en Allemagne… ».

© Dupuis / Cuzor et Sente

© Dupuis / Cuzor et Sente

Au delà du périple des trois soldats noirs américains sur les champs de bataille de l’après débarquement, Cinq Branches de coton noir témoigne avec force de l’obscurantisme, du racisme et de la ségrégation à travers les siècles pour nous interroger au final sur ce monde que nous façonnons chaque jour.

« À travers cet album, j’ai voulu raconter le parcours de trois hommes qui ont envie d’exister. Pour un militaire noir engagé dans l’armée américaine, dans les années 1940, les possibilités d’être un héros étaient réduites. Le plus souvent, il risquait de se retrouver à porter des caisses ou à balayer les latrines… Le racisme est un thème important du récit. Et il est toujours d’actualité, à en juger par les meurtres de Noirs commis par des policiers blancs aux États-Unis. Mais nous n’avons pas voulu délivrer un message : j’espère que l’album se lit d’abord comme une bonne histoire d’aventures ».

Pensé à l’origine en plusieurs volumes, Cinq Branches de coton noir n’en fait finalement qu’un. Une bonne nouvelle pour tous ceux qui n’aiment pas attendre mais un travail énorme qui a nécessité quatre ans de travail aux auteurs et notamment au dessinateur Steve Cuzor. Mais le résultat est là : un scénario intelligent et captivant, un graphisme et des atmosphères incroyablement maîtrisés, des personnages qui ont de la profondeur… C’est absolument magnifique de bout en bout.

Sachez pour finir qu’il existe trois versions de l’album, une version classique à 24€, une édition spéciale au tirage limité à 777 exemplaires avec frontispice numéroté et signé, jaquette originale à 40€ et une édition en noir et blanc au tirage limité à 1000 exemplaires à 49€.

Eric Guillaud

Cinq branches de coton noir, de Steve Cuzor et Yves Sente. Editions Dupuis. 24€

20 Jan

90 minutes : un incroyable match de football arbitré par Yannick Grossetête

90minutesSi je vous dis 90 minutes, vous pensez à quoi ? À un match de football ? Bravo. C’est aussi le titre d’une bande dessinée savoureuse sur le monde du ballon rond signée par un passionné, un vrai, et publiée en ce tout début d’année aux éditions Delcourt…

Il faut l’être passionné pour avoir ce regard aiguisé et dégainer un humour pareil sur l’univers du ballon rond. Yannick Grossetête – on ne rit pas des noms de famille s’il vous plait – est un passionné, un vrai, et même plus que ça puisqu’il est devenu gardien titulaire au FC Saulieu dès l’âge de 11 ans. Sa bio précise même qu’il a été remarqué par Guy Roux – oui absolument – et qu’il a ainsi intégré le centre de formation de l’AJ Auxerre. Ce n’est plus de la passion à ce niveau là, c’est de la dévotion. Bon, l’histoire dit aussi que son penchant pour le pâté en croûte aurait finalement eu raison de son désir de carrière internationale. Ce n’est pas moi qui l’en blâmerait. J’ai toujours eu un faible pour le pâté en croûte et autres petites gourmandises caloriques, beaucoup moins pour le foot.

Mais je m’égare. Même s’il s’agit là d’une reconversion un peu forcée, Yannick Grossetête – on ne rit pas des noms de famille s’il vous plait je vous l’ai déjà dit – signe avec 90 minutes un premier album franchement hilarant mettant en scène des arbitres de touche qui auraient préféré être majorettes, des supporters qui chantent la chenille, des stadiers prêts à confier leurs femmes à n’importe qui le soir des matchs et des footballeurs qui jouent comme des pieds, prennent le ballon à pleines mains, mangent de la raclette à la mi-temps, changent d’équipe en plein match pour rééquilibrer le score… bref du grand n’importe quoi, on se marre à toutes les pages, le dessin participe à la rigolade, je ne dirai pas que l’album est génial de peur que l’auteur s’empresse de prendre la grosse tête (non pardon désolé je n’aurais pas dû!) mais quand même !

Eric Guillaud

90 minutes, de Yannick Grossetête. Editions Delcourt. 15,95€

© Delcourt / Grossetête

© Delcourt / Grossetête

 

19 Jan

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême du 25 au 28 janvier : les 10 bonnes raisons d’y aller

C’est LE rendez-vous de la bande dessinée en France et plus largement en Europe, un festival unique en son genre où se côtoient chaque année des dizaines de milliers de passionnés et de professionnels. Dédicaces, expos, concerts de dessins, rencontres, conférences, projections… le programme est gargantuesque. Qu’y faire, qu’y voir ? On vous donne dix bonnes raisons d’y aller faire un tour. Mais il y en a beaucoup d’autres…

©MaxPPP - Fabien Cottereau

©MaxPPP – Fabien Cottereau – Angoulême 2017

 1 – La ville d’Angoulême et le farci charentais

Ben oui, mine de rien, c’est important le cadre d’une manifestation comme celle-ci. La ville d’Angoulême s’y prête bien, ni trop grande, ni trop petite, de vastes places pour dresser chaque année les fameuses bulles du festival, mais aussi des petites placettes qui ont conservé le charme d’antan, des restos sympas pour se restaurer, une vieille ville avec des ruelles tortueuses, une gare, des hôtels… et une atmosphère paisible, du moins en temps normal. Parce que bien sûr au moment du festival, ça se bouscule un peu beaucoup énormément. Reste que la ville est belle, levez les yeux, admirez l’architecture, profitez-en pour visiter les monuments et manger du melon charentais. Bon ok, ce n’est pas vraiment la saison. Par contre, le farci charentais…

Où ? Angoulême 45° 38′ 56 » nord, 0° 09′ 39 » est

2 – L’expo Cosey

Bernard Cosendai, dit Cosey, est un auteur majeur du neuvième art et un auteur singulier, non pas parce qu’il est suisse et que les auteurs de BD suisses sont finalement relativement peu nombreux (ouuuu la mauvaise langue!)  mais parce qu’il a su développer en cinquante ans d’écriture et de dessin une oeuvre exceptionnelle, belle, réaliste, intimiste, humaniste. 

Élu Grand Prix du Festival d’Angoulême en 2017, le créateur de la série culte Jonathan, auteur par ailleurs d’une bonne quinzaine de one shots plus essentiels les uns que les autres (À la recherche de Peter Pan, Le voyage en Italie, Le Bouddha d’azur…), publiait il y a quelques semaines un nouvel album chez Futuropolis, Calypso, un Cosey un peu différent des autres, en noir et blanc, surprenant, sublime, délicat, et d’ores et déjà incontournable. Nous vous en parlions ici-même.

Avec Cosey, l’aventure est souvent intérieure mais elle embarque tout de même le lecteur pour d’autres horizons, le Tibet bien sûr qui imprègne son oeuvre d’une subtile touche de spiritualité, et les États-Unis qui l’ont fortement influencé dans l’écriture, notamment à travers le cinéma.

La rétrospective qui lui est consacrée cette année à Angoulême nous permettra d’admirer plus d’une centaine d’originaux et de documents exceptionnels.

Où et quand ? Hôtel Saint-Simon du 25 au 28 janvier 2018

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3 – L’expo Titeuf et la masterclass Zep

Encore un Suisse, comme quoi ils sont plus nombreux qu’on le pense, celui-ci s’appelle Zep, le papa du phénomène Titeuf. Des millions d’albums vendus dans 25 langues différentes, une série animée, un long métrage… et un personnage qui fête ses 25 ans.

À cette occasion, le festival lui consacre une rétrospective qui reviendra sur les débuts controversés du personnage et sur l’influence de ce garnement sur la bande dessinée.

Zep sera présent au festival, il y présentera le quinzième album de Titeuf, À fond le slip!, sorti en août dernier. Il proposera surtout une masterclass express en public.

Où et quand ? Exposition sur le parvis de l’Hôtel de ville d’Angoulême du 25 au 28 janvier 2018 – masterclass à l’Espace Franquin le 28 janvier à 10h30

4 – Une dédicace de Spirou

Bon ok, obtenir une dédicace de Spirou sera difficile ! De Tintin aussi. Des Nombrils pareil. Qu’on se le dise, les héros de papier ne dédicacent jamais. Mais leurs auteurs par contre… 2000 d’entre eux et d’entre elles sont annoncés sur le festival prêts à dégainer les pinceaux, vous devriez donc trouver dédicace à votre goût. Il faut simplement être patient, très patient, et surtout pas agoraphobe. Prévoyez de l’eau, un petit en-cas, de la lecture… et des sujets de conversation pour discuter avec votre voisin de file d’attente.

Où et quand ? Un peu partout et un peu tout le temps

5 – Le concert dessiné

Mettre le dessin en musique ou l’inverse, mettre la musique en images, c’est le challenge de cet événement organisé par le FIBD en partenariat avec le festival Jazz à Vienne. Cette année, la scène du théâtre d’Angoulême assistera à la rencontre de deux artistes atypiques, le dessinateur Rubén Pellejero d’un côté et la chanteuse Rokia Traoré de l’autre. Sachez que le concert dessiné sera retransmis en direct sur le site Culturebox ici-même.

Où et quand ? Concert dessiné le 26 janvier à 21h au théâtre d’Angoulême. 30€

6 – Les bulles

Les fameuses bulles du festival abritent les éditeurs sur la place du Champ de Mars. Casterman, Glénat, Delcourt, Dupuis… tous les plus grands éditeurs y tiennent un stand pour accueillir le public, exposer leurs BD et proposer des séances de dédicaces autour de leurs auteurs. Les mangas, le para-BD et la BD alternative ont leur propre espace. Indispensable, munissez-vous d’un plan et vous verrez que c’est toute la ville qui est aux couleurs de la BD avec de multiples espaces d’expositions, de rencontres, d’animations…

Où et quand ? Un peu partout du 25 au 28 janvier

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7 – Le concours de cosplay

Pour la 4e année consécutive, le festival vous propose de participer ou d’assister à un concours de cosplay. C’est quoi un concours de cosplay ? C’est un concours, jusque là c’est assez simple, voué à départager des passionnés donnant vie à des personnages de manga qu’ils affectionnent particulièrement en se maquillant, se déguisant, se coiffant, imitant leur attitude. Les inscriptions pour y participer sont ouvertes jusqu’au vendredi 27 janvier 2017 à 23h59.

Où et quand ? samedi 27 janvier à 17h aux Cinémas CGR

© extrait affiche concours Cosplay - Axel

© extrait affiche concours Cosplay – Axel

8 – Les rencontres internationales, conférences…

Elles sont nombreuses et rythment la vie du festival sur des thématiques variées, l’occasion d’approfondir vos connaissances sur le medium bande dessinée et d’approcher des auteurs d’envergure nationale ou internationale tels que Cosey, Emmanuel Guibert, Hiro Mashima, Gipi, Dave McKean, Naoki Urasawa…

Où et quand ? Un peu partout un peu tout le temps

9 – Les fauves

Composé de 9 Prix dénommés les Fauves d’Angoulême, le Palmarès officiel du Festival international de la bande dessinée récompense des livres publiés en langue française, quel que soit leur pays d’origine, et diffusés dans les librairies des pays francophones entre début décembre et fin novembre de l’année suivante. 

Les lauréats des Fauves d’Angoulême composant le palmarès officiel du Festival seront dévoilés sur la scène du Théâtre d’Angoulême lors de la cérémonie des Fauves, samedi 30 janvier 2016 à 19 h. Soirée très très très attendue et courue par le tout neuvième art, il est bien évidemment très difficile de décrocher une place. Mais rien n’est perdu puisqu’elle est retransmise sur le site internet du festival.

Où et quand ? Samedi 27 janvier au Théâtre d’Angoulême

© Rue de Sèvres / Sfar

© Rue de Sèvres / Sfar

10 – Le bal des Vampires

Attention, attention, les petits et grands morts-vivants seront de sortie dimanche pour le bal de vampires à l’occasion de la résurrection aux éditions Rue de Sèvres du Petit Vampire de Joann Sfar. Atelier costumes le matin, atelier maquillage l’après-midi, bal à l’heure du goûter ! Pensez à réserver.

Où et quand ? Au Magic Mirror dimanche 28 janvier de 15 à 17h

Eric Guillaud

Plus d’infos sur le festival ici