21 Avr

Shazam ou comment un super-héros boy-scout des années 40 revient sur le devant de la scène

Malgré sa très belle couverture un peu sombre signée Alex Ross, la série Shazam est un pur produit de son époque, celle des années 40 où le alors nouveau business des comics était perçu quasiment comme un outil d’éducation vertueux outre-Atlantique. À l’occasion de la sortie de l’adaptation cinéma, retour sur un héros très (trop ?) propre sur lui oublié du public…

La manne des super-héros ne semblant pas vouloir se tarir, pourquoi Hollywood s’en priverait-elle ? Le schtroumpf, c’est que l’on ne peut pas avoir un film des Avengers ou de Batman tous les trimestres donc il faut bien taper dans le bas de l’étagère pour essayer, malgré tout, de récupérer quelques miettes à moindres frais. Et puis l’astuce a eu un succès inespéré avec Black Panther donc pourquoi se gêner ? D’où la surabondance de jadis seconds rôles désormais propulsés au premier rang (Docteur Strange, Aquaman, Miss Marvel etc.) alors qu’il ne le méritait pas vraiment…

Le cas de Shazam est encore plus problématique : non seulement ce héros là est-il complètement inconnu du grand public français mais en plus, il ne colle pas vraiment à l’état d’esprit actuel car on tient là le reliquat d’une époque depuis longtemps révolue dite de ‘l’âge d’or’ des comics américain. Aujourd’hui, le comics est devenu bien souvent adulte, avec les thématiques qui vont avec, sombres et torturées. Shazam apparaît donc presque anachronique avec sa vision du monde très monochrome, où les gentils sont très gentils et les méchants très méchants. C’est là la force de cette anthologie mais aussi sa limite, même si la parution originale de ces quinze épisodes s’étale sur près de quatre vingt ans. À ce propos, ce volume est sous-titré ‘les récits les plus magiques’ et ce n’est pas anecdotique : sur quinze épisodes, un bon tiers datent des années 40 et 50 et d’une certaine façon, le personnage n’est jamais vraiment sorti de ces codes-là.

Une première précision linguistique : avant d’être le nom d’une célèbre application pour téléphone portable, ‘shazam’ est surtout l’équivalent anglo-saxon de ‘abracadabra’, soit le mot que le jeune Billy Batson doit prononcer pour se transformer en Mister Marvel, le véritable nom de notre héros du jour mais qui n’a pas conservé pour la titraille, histoire probablement d’éviter la confusion avec le héros de Marvel portant déjà ce sobriquet un tantinet pompeux il est vrai. Shazam est aussi le nom du sorcier vieux de trois mille ans à la longue barbe digne de Merlin l’Enchanteur qui vit, reclus, dans une caverne et qui a décidé de donner au jeune homme le pouvoir de se transformer à sa guise en super-héros pour, évidemment, défendre la veuve et l’orphelin.

Vous l’avez compris à ce pitch presque enfantin, on est ici bien loin de la violence gratuite et du tragique à tous les étages. Mister Marvel et ses sidekicksMarvel Junior ou Mary Marvel (oui, toute la famille !) sont politiquement très corrects, remplis de bons sentiments et lâchent à peine ‘saperlipopette’ voire ‘flute et reflute !’ lorsque leurs ennemis leur échappent, même s’ils finissent toujours pas gagner bien sûr. Mais avec ses couleurs quasi-pop art avant l’heure, son mélange des genres complètement foutraque par moments (le mythe de l’Atlantide, un message écolo avant l’heure avec ce combat entre Mister Marvel et la Terre elle-même fatiguée d’être maltraitée par l’homme etc.) et son charme suranné, il y a quelque chose d’assez rafraichissant dans tout ça, même si d’un autre temps. Cela dit, pour les fans de la BD US de l’époque, on retrouve quand même quelques figures, dont l’un des scénaristes de Superman et surtout l’un des dessinateurs phares de la saga ‘Flash Gordon’ en la personne de Manuel ‘Mac’ Raboy.

Initialement, Shazam était la série d’une petite maison d’édition concurrente qui décida de jeter l’éponge au milieu des années 50, interrompant ainsi sa parution. Il faudra attendre Janvier 73 et son rachat par DC (Batman, Superman) pour qu’il retrouve le chemin des marchands de journaux, presque inchangé. Sauf qu’entretemps, les comics, eux, ont beaucoup changé et plutôt intelligemment, son nouveau propriétaire a décidé de le recentrer vers un public plus jeune, notamment via une adaptation en dessin animé et c’est encore cette orientation qui prime aujourd’hui, mais sans le charme vintage de sa première version. Une BD de super-héros destiné aux fans mais au final qui plaira surtout donc aux grands enfants aux cheveux gris amateurs de serials de la grande époque.

Olivier Badin

Shazam Anthologie, collectif, Urban Comics/DC, 25 €

@ Urban Comics/DC

20 Avr

L’âge de Pierre : une histoire pas du tout préhistorique signée Davy Mourier et Héloïse Solt

Non, L’âge de Pierre n’est pas un nouvel épisode des aventures de Rahan, Pierre est tout simplement le nom du héros de cette histoire et l’âge, l’une de ses grandes préoccupations, une thématique qui n’a rien de préhistorique…

Vous allez me dire : on ne les compte plus les albums traitant des trentenaires, généralement parisiens, qui n’arrivent pas à quitter le monde de l’adolescence. Et vous avez raison. Mais peu importe le nombre, chaque auteur a sa propre vision de la chose. Et celle de Davy Mourier au scénario et d’Héloïse Solt au dessin est plutôt originale.

Avec un vrai Tanguy pour le coup, un gars qui n’habite plus chez lui, certes, mais qui retourne sous les jupes de sa maman au moindre coup dur, au moindre pet de travers. Et une mère capable d’appeler fiston aux moments les moins opportuns, dans le train par exemple qui le ramène à Paris.

« Je ne sais pas quand je redescends en Ardèche… Je viens d’en partir. Oui, j’ai mangé la tartiflette ».

« Monsieur. Contrôle des billets ». Un peu Tanguy sur les bords mais pas insensible au charme féminin. La contrôleuse SNCF du jour, Manon de son prénom, finira dans son lit le soir même. Comme pas mal de conquêtes de ses conquêtes. Mais de là à s’investir plus d’une nuit, renoncer à sa tranquillité, à sa liberté, pas question. Sauf si…

@ Delcourt / Mourier & Solt

Sauf si un éditeur lui propose de raconter en BD le début de son engagement avec une femme. Oui, Pierre est un auteur de BD. enfin jusqu’ici, il s’est contenté de raconter ses histoires de fesses sur un blog. Cette fois, on lui propose un vrai album en papier avec une vraie histoire.

Mais quelle histoire ? Manon bien sûr. Contre toute attente, il accepte de se mettre en couple avec elle… dans le seul but de mettre son quotidien en images.

Une chose est sûre, ça sent le vécu ! D’ailleurs, l’éditeur ne se prive pas de préciser que toute ressemblance avec la vie de Davy Mourier serait purement volontaire. L’âge de Pierre est une autofiction. À la fois homme de télé, de théâtre et auteur de BD, Davy Mourier développe ici un scénario drôle et intelligent initialement écrit pour un projet de film. Il en fera quand même un court métrage disponible ici…

À noter pour firnir l’excellent travail d’Héloïse Solt qui signe ici son premier album de bande dessinée. Transfuge de l’illustration jeunesse, Héloïse développe en a ramené un trait vivifiant qui colle parfaitement à l’approche à la fois intimiste et léger du récit.

Eric Guillaud

L’âge de Pierre, de Solt et Mourier. Delcourt. 17,95€

17 Avr

Les esclaves oubliés de Tromelin : une nouvelle édition enrichie à l’occasion d’une exposition au Musée de l’Homme à Paris

Publié en 2015 sous le parrainage du Château des Ducs de Bretagne à Nantes qui proposait déjà une réflexion sur cette tragédie de l’histoire, l’album Les esclaves oubliés de Tromelin a récemment été réédité en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturel à Paris qui à son tour présente une exposition…

L’île de Tromelin ne vous dit peut-être pas grand chose. Et c’est normal. Tromelin est un caillou ou plus précisément un banc de sable posé au milieu de l’océan indien à 500 kilomètres de la terre la plus proche.

1700 m du nord au sud, 700 m d’est en ouest, une végétation assez réduite, des oiseaux, des Bernard-L’Hermite par dizaines de milliers et les traces presque imperceptibles mais bien réelles d’une présence humaine ancienne.

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L’interview de l’auteur en 2015

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L’île a en effet été habitée au XVIIIe siècle pendant 15 ans par des esclaves laissés là après le naufrage du navire qui devait les emmener vers un destin tout aussi funeste. 15 ans à tenter de survivre et au bout du compte, huit rescapés, 7 femmes et un enfant de 8 mois sauvés en 1776 après plusieurs tentatives de sauvetage. Une histoire incroyable mais bien réelle que nous raconte avec passion et talent l’auteur de bande dessinée Savoia, déjà connu du grand public pour avoir mis en images le récit autobiographique de la Polonaise Marzena Sowa, Marzi (éd Dupuis).

© Dupuis / Savoia

© Dupuis / Savoia

Et plus que le simple mais déjà conséquent récit de ce naufrage et des quinze années passées sur l’île, Savoia met également en images la mission archéologique qu’il a accompagnée sur l’île de Tromelin en 2008, mission chargée justement de comprendre comment avait pu être la vie de ces naufragés.  Et c’est passionnant de bout en bout, le lecteur suit les découvertes de l’équipe d’archéologues en même temps qu’il vit la lente tragédie silencieuse des esclaves.

Publié initialement en 2015, Les esclaves oubliés de Tromelin fait partie de ces albums essentiels sur l’histoire du monde, un témoignage puissant et intemporel. La preuve avec cette édition enrichie (nouvelle jaquette et chronologie de l’esclavage et de son abolition) publiée à l’occasion de l’exposition présentée au Musée de l’Homme à Paris.

L’exposition est visible jusqu’au 3 juin 2019. Une rencontre avec l’auteur Sylvain Savoia s’y déroulera le Jeudi 23 mai à 15h.

Eric Guillaud

Les esclaves oubliés de Tromelin, de Savoia. Editions Dupuis. 22€

@ Dupuis / Savoia

15 Avr

Le Patient, le nouveau récit de Timothé Le Boucher au scénario savoureusement hitchcockien

Après le très beau et légitime succès rencontré par Ces jours qui disparaissent paru aux éditions Glénat, nombreux sont ceux à attendre de pied ferme le nouvel album de Timothé le Boucher tant il est censé apporter une réponse à une question essentielle : l’auteur aurait-il été victime d’un coup de génie sans lendemain ou est-il capable de récidiver et donc de s’inscrire comme une nouvelle grande signature de la bande dessinée ? Réponse ici et maintenant.

Et la réponse est sans détour. A star is born, dirait-on dans le milieu du cinéma ou de la musique. Un auteur est né dira-t-on plus sereinement et modestement ici. En une poignée d’albums, deux seulement signés chez un grand éditeur, Timothé le Boucher est devenu l’une des nouvelles grandes signatures de la bande dessinée.

Dans Ces Jours qui disparaissent publié en 2017 chez Glénat, l’auteur raconte l’histoire d’un jeune acrobate, Lubin, dont le corps est habité par deux personnalités différentes, l’une prenant peu à peu le dessus sur l’autre. Un récit fantastique dans lequel il est question de dissociation identitaire et de schizophrénie. 

Avec Le Patient, toujours chez Glénat, Timothé Le Boucher nous offre un thriller psychologique littéralement époustouflant, au dessin toujours aussi joliment épuré et au scénario hitchcockien à souhait, comme le suggère la magnifique illustration de couverture.

@ Glénat / Le Boucher

L’histoire ? Celle de Pierre Grimaud, un jeune-homme de 21 ans qui se réveille après 6 ans de coma et découvre que toute sa famille a été massacrée. « Il n’a plus rien dans la vie et doit réapprendre à vivre, se reconstruire, et il va être aidé en cela par une psychologue… », explique Timothé.

La psychologue, c’est Anna Kieffer, spécialisée sur les questions de criminologie et de victimologie. Avec elle, le jeune Pierre parvient à se remémorer peu à peu les circonstances du drame. Il se révèle être aussi  une personnalité attachante qui ne laisse pas Anna insensible. Entre les deux naîtra une relation ambiguë.

Raconter une relation comme celle-ci a été le point de départ du Patient. D’abord imaginée dans le milieu universitaire, Timothé Le Boucher décide finalement de transposer l’histoire dans le milieu hospitalier à la suite d’une balade dans un hôpital.

« C’était un dimanche, les longs couloirs étaient déserts, ça créait une atmosphère assez terrifiante. J’ai imaginé de longs travellings en plan-séquence à la manière de Stanl dans Shining ou Gus Van Sant dans Elephant… C’est comme ça que j’ai décidé de transposer mon histoire dans le milieu hospitalier. J’ai ensuite eu l’idée de ce personnage qui se réveille après 6 ans de coma suite à un drame, et c’est en mélangeant  ces trois points de départ qu’est née l’histoire du Patient ».

@ Glénat / Le Boucher

Ancré dans le réel, Le Patient partage avec Ces Jours qui disparaissent des personnages d’une grande profondeur psychologique et quelques thématiques chères à l’auteur. « Il y en a plusieurs qui s’imbriquent. Quand j’écris une histoire, c’est comme si je réalisais un tissage de toutes les thématiques qui m’intéressent ». Et de fait, le nouvel album de Timothé Le Boucher est une oeuvre dense qui aborde une fois encore les thématiques de l’identité, de la mémoire ou du rapport à l’autre.

Bref, Le Patient est comme Ces Jours qui disparaissent un chef d’oeuvre, n’ayons pas peur des mots, qui nous maintient sous tension de la première à la dernière page et plus encore, révélant au passage un auteur complet au talent immense. Gros gros coup de coeur !!

Eric Guillaud

Le Patient, de Timothé le Boucher. Glénat. 25€

12 Avr

Le coin des mangas : Chi mon chaton, Un Shiba en plus!, Globule, Polar bear in love, La Fille du temple aux chats, Une Drôle de famille, Candy & Gigarettes, Ranma 1/2, La lanterne de Nyx

Succès commercial oblige, Chi, le chaton imaginé par Konami Kanata, n’en finit plus de faire des petits. Après l’adaptation de ses aventures en roman, en manga grand format, en dessin animé 3D diffusé sur Piwi, Canal+ et Amazon Prime, le voici sous un nouveau format au sens de lecture européen, huit cases par page à lire de haut en bas. Rien de nouveau sous le soleil côté histoire, il s’agit toujours d’illustrer les pitreries du félin…. (Chi mon chaton, de Konami Kanata. Glénat. 10,75€)

Vous préférez les chiens aux chats ? J’ai ce qu’il vous faut. Il s’appelle Shibako, n’est pas réellement le chien idéal, il est même plutôt moche et n’arrive pas à trouver un maître. Alors, dans l’animalerie où il vit depuis des mois, on imagine un stratagème : l’offrir pour l’achat d’un adorable chiot. Et ça marche, une mamie finit par craquer et emmène les deux chiens pour le prix d’un… (Un shiba en plus!, de Mayumi Muroyama. Soleil Manga, 6,99€)

Et pourquoi pas un lapin ? Celui-cil ou plutôt celle-ci s’appelle Globule et vous la connaissez peut-être déjà. En 2015, le mangaka Mamemoyashi nous racontait son expérience de vie avec cet animal dans un one-shot vendu à plusieurs milliers d’exemplaires. Il y révélait les secrets les plus intimes sur la vie de ce lapin domestique et sur leur colocation dans l’appartement. Il revient avec Globule une vie de jeune lapin, où il raconte les premiers jours de son animal… (Globule une vie de jeune lapin, de Mamemoyashi. Soleil Manga. 6,99€)

Plus embarrassant qu’un chat, qu’un chien ou qu’un lapin, un ours. Bon, celui-ci ne vit pas dans l’appartement de son créateur, le mangaka Koromo. Il vit dans son milieu naturel, la banquise, où il tombe follement amoureux d’un jeune phoque. Oui, ça peut paraître étrange quand on connaît l’attirance du premier pour le second lorsqu’il s’agit de manger mais Koromo souhaite à travers cette histoire impossible lancer un message d’amour universel… (A Polar Bear love, de Koromo. Soleil Manga. 15€)

On change de style même si il est encore ici question de chats. Deuxième volet d’une série en six volumes, La Fille du temple aux chats raconte l’histoire de Gen, un jeune garçon qui visiblement ne supporte plus ses parents. « Du moment que c’était loin de mes vieux, j’étais prêt à vivre n’importe où », clame-t-il. Même dans la cambrousse la plus reculée, même dans un endroit vétuste. Et le voilà débarquant dans le temple où vit sa grand-mère mais aussi… surprise… une jeune-femme d’une vingtaine d’années, Chion, qu’il a connue enfant. De quoi rendre la campagne agréable à ce pur citadin… (La Fille du temple aux chats, de Makoto Ojiro. Soleil Manga. 7,99€)

Aucun animal en vue cette fois mais une drôle de famille, les Honda. Drôle ? Pas tant que ça en fait, plutôt une famille ordinaire, un couple et deux enfants, dont on suit le quotidien forcément mouvementé avec ses bons et moins bons moments. Après Un Drôle de père, la mangaka Yumi Unita explore ici dans une succession d’histoires courtes la vie d’une jeune-femme partagée entre sa vie professionnelle, sa vie de mère et sa vie amoureuse. un premier volume très réussi ! (Une Drôle de famille, de Yumi Unita. Delcourt Tonkam. 9,35€)

Avec sa misérable retraite de flic, Raizo ne peut déjà pas subvenir à ses besoins. Alors, lorsqu’il apprend la maladie de son petit-fils et les frais astronomiques nécessaires pour le soigner ou plus exactement le maintenir en vie, Raizo n’a pas le choix. Il doit trouver un job très rémunérateur. Et il le trouve grâce à une rencontre improbable avec la jeune Miharu, 11 ans, tueuse à gage au service d’une organisation secrète. Un changement de vie radical. (Candy & Cigarettes, de Tomonori Inoue. Casterman. 8,45€)

Et de huit pour Ranma 1/2, un manga signé Rumiko Takahashi publié chez Glénat dont les jeunes garçons raffolent. Au menu, une bonne dose d’histoires d’amour, des personnages qui se transforment en animaux au contact de l’eau et des arts martiaux à gogo. (Ranma 1/2 tome 7, de Rumiko Takahashi. Glénat. 10,75€)

On termine avec La Lanterne de Nyx et les aventures de Miyo, jeune orpheline qui n’a aucun talent, elle ne sait ni lire ni écrire, sauf celui de voir à qui a appartenu ou va appartenir un objet rien qu’en le touchant. Bon, sur le marché de l’emploi, ce n’est pas très vendeur mais Miyo finit par trouver un job chez Momotoshi, un marchand d’objets importés d’Europe. Il revient d’ailleurs tout juste de l’Exposition universelle de Paris. Nous sommes en 1878, la France rayonne et le Japon s’ouvre au monde après 200 années d’isolationnisme. Pour la petite Miyo, cette nouvelle vie qui commence l’emmènera jusqu’à Paris… Une série prévue en six tomes au graphisme de caractère. (la Lanterne de Nyx, de Kan Takahama. Glénat. 10,75€)

10 Avr

La citadelle écarlate, une autre vision de Conan le barbare, plus posée, plus grand public et plus controversée aussi

Des cinq volumes de la série d’adaptation par des auteurs français des aventures du héros emblématique de l’heroic fantasy crée en 1932 par le texan Robert E. Howard sortis en un an, ce dernier avatar est peut-être le plus curieux…

Déjà à cause de son parti-pris graphique qui ne plaira pas forcément aux fans les plus conservateurs du barbare. Et ensuite parce que cette histoire, parue à la base en 1933, ose prendre le contre-pied en montrant un Conan vieillissant qui a abandonné sa carrière de mercenaire pour monter sur le trône d’Aquilonie où il règne non pas comme un tyran mais comme un homme proche des aspirations de son peuple. Un Conan presque plus humain donc, bien que souffrant clairement sous le poids de ses responsabilités.

Après, chassez le naturel… Car La Citadelle écarlate est l’histoire d’une traîtrise, celle des nobles locaux qui n’ont jamais accepté que ce va-nu-pieds se retrouve sur le trône, quitte à s’allier avec leurs ennemis de toujours pour lui ravir la place. Inutile de dire que rien ne se passe comme prévu et que le Cimmérien aura sa vengeance.

Dans cette série plutôt réussie jusqu’à maintenant, La Citadelle écarlate est paradoxalement peut-être celui que l’on conseillera le plus aux néophytes. Parce que malgré sa couverture explicite et guerrière, le trait y est plus doux, plus coloré aussi, limite grand public. Les deux auteurs se sont d’ailleurs permis quelques libertés avec le texte original pour en aplanir les attributs les plus nihilistes et sauvages et ainsi faciliter la lecture pour les non-convertis.

Leur approche de l’univers d’Howard est moins rugueux et plus dans un moule heroic fantasy et médiéval classique. Et c’est justement pour les mêmes raisons qu’à l’inverse on suggéra aux gardiens du temple de faire l’impasse, surtout qu’eux ont eu droit aux cours des décennies à quantités d’adaptations devenues légendaires depuis, avec en tête de gondole celle réalisée par l’immense John Buscema pour Marvel dans les années 70. Même si la première édition a droit en bonus à un cahier explicatif de dix pages assez touffu qui permet judicieusement de donner pas mal de clefs de lecture et autres références cachés dans le texte. Il est temps de choisir ton camp camarade !

Olivier Badin

La Citadelle écarlate par Luc Brunschwig et Etienne Le Roux d’après l’oeuvre de Robert E. Howard, Glénat, 14,95 euros

@ Glénat / Brunschwig Leroux & Robert E. Howard

Sláine ou la version barbare, celtique et encore plus brute de Judge Dredd

Les éditions Delirium continuent leur travail de réhabilitation du bestiaire 2000 AD, mythique magazine de BD britannique qui avec son esprit frondeur et punk a foutu de grands coups de pieds dans la fourmilière dans les années 80. Cette fois-ci, c’est le barbare en exil Sláine qui fait à nouveau tourner sa hache ‘brise-cervelles’ !

Boulot d’autant plus salvateur que nombres des héros nés dans ses augustes pages – dont la tête de gondole reste l’impolitiquement correct Judge Dredd – ont eu droit à des traductions et parutions des plus erratiques au pays de Molière, les condamnant à moyen terme à l’oubli. Sláine Mac Roth a trop longtemps fait partie de ces infortunés, sorte de version hallucinatoire de Rahan nourri aux légendes celtiques qui voit ici ses premières aventures sorties à la base en 1983 et 1984, réunies dans l’ordre chronologique s’il-vous-plait.

Un premier tome tout en noir et blanc qui est un parfait résumé de toute la bizarrerie de cette série un peu hors de commun. Déjà, même si au scénario et au concept on retrouve à chaque fois Pat Mills (le fondateur de 2000 AD) ce qui permet au tout de garder une vraie cohérence, on a par contre droit à pas moins de trois dessinateurs différents, chacun avec leur style propre.

Si par exemple la première à lui donner un visage (Angie Kincaid) a un style heroic fantasy faussement naïf qui rappelleront aux fans les illustrations de la version d’origine du jeu de rôle Donjons et Dragons, Massimo Belardinelli, qui lui succède, a lui un trait à la fois plus détaillé et figé. Or à l’inverse, le dernier artiste du lot Mike McMahon (Judge Dredd) a un trait presque cyberpunk et déjanté.

Chacun donne donc sa ‘patte’ propre à Sláine et son compagnon souffre-douleur Ukko, deux personnages assez contradictoires car pas trop du genre héroïques. Sláine est même un barbare dans le sens propre du terme qui n’aime rien de plus que de réduire en hachis-Parmentier ceux qui oseraient se mettre en travers de son chemin. Surtout lorsqu’il est pris d’une sorte de frénésie sanguinaire, il devient alors ‘distordu’, qui le transforme en créature de cauchemar qui ne fait aucun quartier.

D’ailleurs, le contraste entre cette incarnation d’une force brute absolue pas ‘entachée’ par les idéaux d’une société dite civilisée et le cadre très documenté car bourré de références lettrées aux légendes celtiques est d’abord assez désarçonnant, même si c’est ce qui fait au bout le charme de ce anti-héros qui découpe d’abord et réfléchit ensuite. Un peu comme son lointain cousin Judge Dredd et un (autre) bon résumé de l’esprit frondeur 2000 AD en somme.

Olivier Badin

Sláine, L’aube du Guerrier, par Pat Mills, Mike McMahon, Massimo Belardinelli et Angie Kincaid, éditions Delirium, 27€

@ Delirium / Pat Mills, Mike McMahon, Massimo Belardinelli et Angie Kincaid

 

09 Avr

Les heures passées à contempler la mère : un récit introspectif signé Sébastien Vassant et Gilles Larher

Après L’accablante apathie des dimanches à rosbif et La Voix des hommes qui se mirent, le tandem Larher – Vassant signe Les Heures passées à contempler la mère, un très beau portrait de femme contemporaine…

« J’étais célèbre. Mieux encore… j’étais lue ». De retour d’une tournée de dédicaces à l’étranger pour son deuxième roman, Cassandra Page a l’ego « turgescent » comme elle le pense très fort. Pourtant, elle le sait, il y a moins de lettres dans « lue » que dans « désirée » ou « aimée ». Pour une femme, qui plus-est pour une femme de lettres, la nuance n’est pas mince. De quoi redescendre en douceur, se motiver pour écrire un troisième livre et pourquoi pas faire un enfant, le tout avec son amoureux Lazare Desmeaux, héritier de la maison d’édition qui publie ses livres.

Oui mais voilà. Cassandra va devoir redescendre de son nuage plus vite qu’elle ne le pensait. À peine de retour à Paris, Lazare lui annonce qu’il la quitte. Par courrier bien sûr. Une lettre tapée à l’ordinateur. Froide. Sans âme.

« Reprendre tant bien que mal sa trajectoire, jouer des courants et des flots avec tous les éléments rassurants de son univers brisés ou inutilisables… en ayant à jamais perdu la majeure partie de ses repères ».

La chute est brutale, vertigineuse, abyssale. Entre Paris et son village natal dans les Côtes d’Armor, Cassandra tente de se relever, difficilement, en mangeant du chocolat, beaucoup, en contemplant la mer, qu’on ne voit pas forcément danser, et en pleurant. « Pleurer sous la douche est une activité logique. Ontologique ? Les larmes se mêlent aux gouttes… Nul Dieu ne saurait y retrouver ses petits. C’est pratique et prophylactique ».

Finalement, Cassandra espère échapper à la spirale de la déprime en reprenant la plume et en se plongeant dans l’écriture d’un roman sur sa mère…

Intimiste et féministe, introspectif et contemplatif, ce très beau portrait de femme est signé par deux hommes, Sébastien Vassant et Gilles Larher, qui nous ont déjà démontré ensemble une belle exigence d’écriture et de graphisme dans deux albums, L’accablante apathie des dimanches à rosbif sorti en 2008, histoire d’un artiste comique malade en phase terminale, et La Voix des hommes qui se mirent en 2009, histoires – au pluriel cette fois – d’hommes qui se confient sur eux-mêmes et sur les femmes de leur vie.

Eric Guillaud

Les heures passées à contempler la mère, de Gilles Larher et Sébastien Vassant. Futuropolis. 27€.

07 Avr

Quand Sergio Aragonès explose Star Wars

Après avoir dans le même esprit détruit les éditions Marvel et DC, Sergio Aragonès s’attaque cette fois au mythe cinématographique Star Wars. Et forcément ça fait des dégâts…

Etrange récit que celui-ci. Les auteurs Sergio Aragonès et Mark Evanier s’y mettent en scène pendant une visite des studios Lucas, là même où sont pensés et fabriqués les films de la fameuse saga Star Wars.

Mais tout déraille lorsque Sergio est propulsé par on ne sait quelle loufoquerie dans un des films de la série et se retrouve aux côtés de Pincesse Leia ou Luke Skywalker. Mieux encore, Sergio embarque à bord d’un X-Wing qu’il finit par mettre en pièces. Explosé.

En plus du récit de cette visite, l’album réunit deux histoires issues de la série Star Wars Tales, mettant en scène cette fois les droïdes R2-D2 et C-3PO, Le Droïde-Poubelle et Pièces détachées.

Une petite curiosité signée par l’un des plus grands auteurs de la BD d’humour et l’un des piliers du magazine américain Mad.

Eric Guillaud

Sergio Aragonès explose Star Wars, de Aragonès et Evarnier. Delcourt. 9,95€

06 Avr

Marie-Lune, Dans les Yeux de Lya, Les Mythics, Kid Noize, Rose, Brindille, L’Ours Barnabé, Léa, Animal Jack, Alix, Six-coups, Walter Appleduck… Une sélection de BD jeunesse pour les vacances de printemps

De l’action de l’humour, du poétique, de l’énigmatique et du fantastique, douze albums à potasser pendant les vacances. Interro à la rentrée…

On la dit star des ados. C’est vrai qu’elle a tout pour leur plaire, à commencer par ses cheveux roses et son addiction démesurée pour le shopping. Mais les temps sont durs. Son père est au chômage et Marie-Lune doit accepter de travailler comme employée de maison pour une richissime héritière qui se révèle être… sa meilleure amie, Anne-So. Alors forcément, ça tourne vite au concours de petites pestes. Et à ce jeu là, elles sont souvent ex æquo. Drôle et frais ! (Marie-Lune tome 10. Vents d’Ouest. 10,50€)

Prenez Patrick Sobral, auteur des Légendaires, plus de six millions d’exemplaires vendus, ajoutez Patricia Lyfoung, auteure de La Rose écarlate, plus d’un million d’exemplaires, complétez avec Philippe Ogaki, qui s’est fait connaître du grand public en adaptant la trilogie de Pierre Bordage Les Guerriers du silence en compagnie d’Algésiras et vous obtiendrez Les Mythics, une série qui met en scène six héros en lutte contre le mal à travers le monde. Après Yuko au Japon, Parvati en Inde, Amir en Egypte, Abigail en Allemagne, Miguel au Brésil, voici Neo en Grèce. Et la boucle est bouclée, la série terminée ! En cadeau, un grand poster… (Les Mythics tome 6, de Sobral, Lyfoung, Ogaki. Delcourt. 10,95€)

Et hop, une nouvelle série chez Dupuis avec pour personnage principal une jeune héroïne, Lya Berton, embauchée pour un stage dans un cabinet d’avocats. On comprend au fil des pages que Lya, handicapée à la suite d’un accident de la circulation, n’est pas une stagiaire ordinaire et n’a pas choisi son lieu de stage par hasard. Le cabinet a défendu le chauffard qui l’a écrasée. Lya n’a qu’un objectif : dénicher le dossier 2015/78 DV, le sien, enfin surtout celui de l’homme qui la laissée pour morte au bord de la route. Ses propres parents lui ont caché son nom. Elle est bien décidée aujourd’hui à le faire payer. Beau dessin, belle histoire, c’est tout bon ! (Dans les yeux de Lya, tome 1, de Carbone et Cunha. Dupuis. 12,50€)

Deuxième nouvelle série chez Dupuis lancée au début de l’année, il s’agit de Kid Noize signée Otocto, Kid Toussaint et… Kid Noize him-self, célèbre Dj et compositeur electro-pop belge. C’est l’univers de ce musicien qui ne se sépare jamais de son masque de singe qui est ici illustré… Un univers fantastique dans lequel Kid Noize tient le rôle d’un livreur de boîtes qui rêve de devenir Dj. Son credo : « Ne perdez pas vos rêves de vue! »… On est d’accord ! (Kid Noise tome 1, de Otocto, Kid Toussaint et Kid Noize. Dupuis. 19,90€)

Deux séries qui commencent, une qui s’achève, il s’agit de Rose. Le troisième volet sorti en janvier nous permet de retrouver notre jeune héroïne toujours plongée dans une enquête sur la mort mystérieuse de son père, tué d’une balle dans la tête, aidée dans sa mission par un étrange pouvoir. Rose peut en effet sortir de son corps, être le spectateur de sa propre vie, traverser les murs, être transparente. Un récit fantastique, surprenant tant par son scénario que par son approche graphique ! (Rose tome 3, de Vernay, Albert et Lapière. Dupuis. 12,50€)

Mais qui est donc cette Brindille ? Une fée ? Une sorcière ? Et d’où vient-elle ? Pour quoi faire ? Autant de questions qui devraient trouver enfin réponses dans ce deuxième et ultime volet paru récemment aux éditions Vents d’Ouest. Frédéric Brrémaud au scénario et Federico Bertolucci au dessin, auteurs par ailleurs de la série Love (Ankama Éditions), nous envoutent totalement avec cette histoire aussi poétique que féérique. Les personnages, le bestiaire, les atmosphères, les couleurs, le graphisme…, tout est très réussi. Chaudement recommandé ! (Brindille tome 2, de Brrémaud et Bertolucci. Vents d’Ouest. 17,50€)

Près de 40 ans d’existence, 19 albums et 900 gags au compteur, des prix en pagaille, des dizaines de milliers d’exemplaires vendus en Chine, oui en Chine, une belle reconnaissance aux États-Unis, et le revoici fidèle à lui-même, un ours mais pas ours pour un sou, un ours poétique et philosophique qui voit la vie comme on ne l’aurait peut-être jamais vue, avec douceur et drôlerie. Pour ce nouvel album, le mot d’ordre est simple : Vive la nature ! À envoyer à Trump? (L’ours Barnabé tome 19, de Philippe Coudray. La Boîte à bulle. 9,50€)

Vous allez me dire en voyant la couverture de ce deuxième album des Enigmes de Léa que c’est girly à souhait. Et vous aurez entièrement raison. C’est très coloré et très mode, avec une jeune héroïne pétillante mais surtout perspicace. Il n’y en pas deux comme elle pour résoudre des énigmes. Et ça tombe plutôt bien, cet album en est rempli, une par page. Pas de souci pour Léa. Et pour vous ? Parviendrez-vous à les résoudre ? Pour les moins doués, les solutions sont notées en bas de page. (Les énigmes de Léa Tome 2, de Larbier et Nouveau. Bamboo Editions. 10,95€)

C’est un drôle d’animal ce Jack. Tantôt ours, tantôt paresseux, tantôt caméléon, tantôt escargot, le jeune héros de cette aventure possède l’extraordinaire faculté de se transformer au grès des contextes et des humeurs. Un super-pouvoir surprenant et qui se révélera bien utile lorsque tous ses camarades de classe disparaitront aussi subitement qu’étrangement. On pense dans un premier à une épidémie de grippe mais non. Unique rescapé, Jack va devoir résoudre l’énigme…   (Animal Jack tome 1, de Kid Toussaint et Miss Prickly. Dupuis. 9,90€)

Inutile d’avoir fait un master en neuvième art pour connaître Alix le célèbre personnage de Jacques Martin dont les aventures nous entraînent depuis 1948 à travers la Rome antique. Dans un style graphique très différent, voici aujourd’hui le premier volet d’Alix origines,  une série dessinée par Laurent Libessart et scénarisée par Marc Bourgne. Elle raconte la jeunesse du héros avec le même souci pédagogique. D’ailleurs, un cahier d’une dizaine de pages présente le contexte de cette nouvelle aventure. (Alix origines tome 1, de Martin, Libessart, Bourgne. Casterman. 11,95€)

Les chiens ne font pas des chats. Enfin théoriquement. Parce que dans la pratique, les choses peuvent être très différentes. Regardez Eliot. Ce fils de shérif devrait être un amoureux des armes. D’ailleurs, son père vient de lui offrir un fabuleux Smoothie-Wesson pour ses dix ans. Il a même fait graver son prénom sur la crosse. Sauf que Eliot, les flingues, ça le dépasse un peu, ça lui fout même la trouille… Le ton est donné dès les premières pages, Six-coups nous embarque dans un Far West parodique où l’on s’amuse et réfléchit… (Six coups tome 1, de Jérôme et Anne-Claire Jouvray. Dupuis. 10,95€)

On reste et ont termine dans le western humoristique avec le premier volet de cette série réalisée par Fabrice Erre et Fabcaro, l’auteur du fameux Zaï Zaï Zaï Zaï. Héros ou plus exactement anti-héros, Walter Appleduck, étudiant en master cowboy, débarque à Dirty Old Town pour un stage d’un mois auprès du shérif. Mais ici les cowboys ne tirent pas vraiment plus vite que leur ombre et les méchants sont surtout des gros crétins, bref Walter Appleduck réécrit l’histoire en dynamitant les codes du western et ça fait du bien… (Walter Appleduck tome 1, de Fabrice Erre et Fabcaro. Dupuis. 12,50€)

Eric Guillaud