Malgré sa très belle couverture un peu sombre signée Alex Ross, la série Shazam est un pur produit de son époque, celle des années 40 où le alors nouveau business des comics était perçu quasiment comme un outil d’éducation vertueux outre-Atlantique. À l’occasion de la sortie de l’adaptation cinéma, retour sur un héros très (trop ?) propre sur lui oublié du public…
La manne des super-héros ne semblant pas vouloir se tarir, pourquoi Hollywood s’en priverait-elle ? Le schtroumpf, c’est que l’on ne peut pas avoir un film des Avengers ou de Batman tous les trimestres donc il faut bien taper dans le bas de l’étagère pour essayer, malgré tout, de récupérer quelques miettes à moindres frais. Et puis l’astuce a eu un succès inespéré avec Black Panther donc pourquoi se gêner ? D’où la surabondance de jadis seconds rôles désormais propulsés au premier rang (Docteur Strange, Aquaman, Miss Marvel etc.) alors qu’il ne le méritait pas vraiment…
Le cas de Shazam est encore plus problématique : non seulement ce héros là est-il complètement inconnu du grand public français mais en plus, il ne colle pas vraiment à l’état d’esprit actuel car on tient là le reliquat d’une époque depuis longtemps révolue dite de ‘l’âge d’or’ des comics américain. Aujourd’hui, le comics est devenu bien souvent adulte, avec les thématiques qui vont avec, sombres et torturées. Shazam apparaît donc presque anachronique avec sa vision du monde très monochrome, où les gentils sont très gentils et les méchants très méchants. C’est là la force de cette anthologie mais aussi sa limite, même si la parution originale de ces quinze épisodes s’étale sur près de quatre vingt ans. À ce propos, ce volume est sous-titré ‘les récits les plus magiques’ et ce n’est pas anecdotique : sur quinze épisodes, un bon tiers datent des années 40 et 50 et d’une certaine façon, le personnage n’est jamais vraiment sorti de ces codes-là.
Une première précision linguistique : avant d’être le nom d’une célèbre application pour téléphone portable, ‘shazam’ est surtout l’équivalent anglo-saxon de ‘abracadabra’, soit le mot que le jeune Billy Batson doit prononcer pour se transformer en Mister Marvel, le véritable nom de notre héros du jour mais qui n’a pas conservé pour la titraille, histoire probablement d’éviter la confusion avec le héros de Marvel portant déjà ce sobriquet un tantinet pompeux il est vrai. Shazam est aussi le nom du sorcier vieux de trois mille ans à la longue barbe digne de Merlin l’Enchanteur qui vit, reclus, dans une caverne et qui a décidé de donner au jeune homme le pouvoir de se transformer à sa guise en super-héros pour, évidemment, défendre la veuve et l’orphelin.
Vous l’avez compris à ce pitch presque enfantin, on est ici bien loin de la violence gratuite et du tragique à tous les étages. Mister Marvel et ses sidekicksMarvel Junior ou Mary Marvel (oui, toute la famille !) sont politiquement très corrects, remplis de bons sentiments et lâchent à peine ‘saperlipopette’ voire ‘flute et reflute !’ lorsque leurs ennemis leur échappent, même s’ils finissent toujours pas gagner bien sûr. Mais avec ses couleurs quasi-pop art avant l’heure, son mélange des genres complètement foutraque par moments (le mythe de l’Atlantide, un message écolo avant l’heure avec ce combat entre Mister Marvel et la Terre elle-même fatiguée d’être maltraitée par l’homme etc.) et son charme suranné, il y a quelque chose d’assez rafraichissant dans tout ça, même si d’un autre temps. Cela dit, pour les fans de la BD US de l’époque, on retrouve quand même quelques figures, dont l’un des scénaristes de Superman et surtout l’un des dessinateurs phares de la saga ‘Flash Gordon’ en la personne de Manuel ‘Mac’ Raboy.
Initialement, Shazam était la série d’une petite maison d’édition concurrente qui décida de jeter l’éponge au milieu des années 50, interrompant ainsi sa parution. Il faudra attendre Janvier 73 et son rachat par DC (Batman, Superman) pour qu’il retrouve le chemin des marchands de journaux, presque inchangé. Sauf qu’entretemps, les comics, eux, ont beaucoup changé et plutôt intelligemment, son nouveau propriétaire a décidé de le recentrer vers un public plus jeune, notamment via une adaptation en dessin animé et c’est encore cette orientation qui prime aujourd’hui, mais sans le charme vintage de sa première version. Une BD de super-héros destiné aux fans mais au final qui plaira surtout donc aux grands enfants aux cheveux gris amateurs de serials de la grande époque.
Olivier Badin
Shazam Anthologie, collectif, Urban Comics/DC, 25 €