06 Août

Pages d’été. Des bulles d’histoire pour un passé recomposé

Certains nous prédisent la fin de l’histoire depuis des lustres. Qu’on se rassure, du côté du neuvième art, l’histoire est et sera encore longtemps la matière première des auteurs, une source d’inspiration inépuisable et un voyage sans fin pour les lecteurs. Sur un mode réaliste ou humoristique, documentaire ou romancé, ce genre littéraire se porte plus que jamais à merveille. La preuve avec cette sélection de livres sortis en 2019…

On commence avec Les Sanson et l’amateur de souffrances, une série de Patrick Mallet et Boris Beuzelin qui nous embarque dans la France de la fin du XVIIe siècle, au coeur d’une célèbre famille de bourreaux normands, les Sanson. Pendaisons, décapitations, supplices de la roue… tout a commencé pour Charles-Louis Sanson lorsque, à la faveur d’une chute de cheval dans la campagne normande, le jeune homme est recueilli par Pierre Jouenne et sa fille Marguerite dont il tombe immédiatement amoureux. Pour pouvoir se marier avec elle, Charles-Louis accepte de reprendre la funeste charge de son futur beau-père et devient donc à son tour bourreau, apprenant le métier sur le tas, ou plus précisément sur les condamnés avec quelques ratés ici ou là. Mais très vite, Charles-Louis apprend les ficelles du métier : « j’ai appris à flageller, j’ai appris à marquer au fer rouge, j’ai appris à mutiler les yeux, la bouche, la langue, les oreilles… », bref que du bonheur, deux albums parus à ce jour, un scénario qui mêle historique, fantastique et histoire d’amour. Coup de coeur assuré ! (Les Sanson et l’amateur de souffrances, de Beuzelin et Mallet. Vents d’ouest. 17,50)

« C’est donc une révolte ? », s’interroge le roi. « Non sire, c’est une révolution », reprend le duc de La Rochefoucauld. Vous l’aurez deviné par le titre de ces deux albums et par ces quelques mots célèbres, 1789 La mort d’un monde et 1789 La naissance d’un monde nous plongent au coeur de la Révolution française, deux albums, deux points de vue, celui de la noblesse d’un côté, celui du tiers état de l’autre, et au centre un événement majeur qui donnera naissance à la monarchie constitutionnelle, étape entre la monarchie absolue et la république. Comme on peut s’y attendre, le scénario est relativement didactique et le graphisme, classique. (1789 La mort d’un monde et 1789 La naissance d’un monde, de Simsolo et Martinello. Glénat. 14,95€ l’album)

Changement de période, changement de style avec Le Fragment, un one-shot signé par trois Espagnols et racontant un épisode méconnu de la guerre d’Espagne, l’opération secrète lancée par le général franquiste Queipo de Llaano pour détruire le fameux tableau de Picasso, Guernica, composé à la demande du gouvernement républicain pour dénoncer les bombardements de populations civiles. « Dans le panneau auquel je travaille… », dira Picasso, « et que j’appellerai Guernica, j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort ». Passionnant, forcément ! (Le Fragment, de Llor, Vargas et Exposito. Nouveau monde Graphic. 15,9€)

Chez le même éditeur, l’album Les Tambours de Srebrenica, de Philippe Lobjois, grand reporter spécialisé dans les conflits, et Elliot Raimbeau, BD-reporter, nous ramène à une période beaucoup plus proche de nous, les années 90, pour une guerre tout aussi horrible et meurtrière, la guerre en ex-Yougoslavie. Avec un angle plutôt singulier, celui de la justice, du tribunal international de La Haye et des premiers actes d’accusation contre les criminels de guerre. Une guerre dans la guerre, avec au centre du récit, Hugo Bedecarrax, un jeune enquêteur français détaché auprès du tribunal pénal. L’histoire commence en 1995, précisément 45 jours après la prise de l’enclave musulmane de Srebrenica par les forces serbes… Un récit très documenté en noir et blanc accompagné d’un dossier complet d’une quinzaine de pages pout tout comprendre des enjeux de cette guerre. (Les Tambours de Srebrenica, de Philippe Lobjois et Elliot Raimbeau. Nouveau monde graphic. 24,9€)

On connaît tous les fameux rats de Ptiluc. L’auteur reprend ici ses animaux de prédilection mais aussi des poules, des canards, des lapins ou encore des ours pour nous proposer un récit animalier autour de l’histoire d’Hitler et du nazisme, à la façon de La Bête est morte de Calvo paru en 1944 ou de Maus de Spiegelman publié à partir de 1980 aux États-Unis. Paru dans la collection La Véritable histoire vraie qui compte déjà plusieurs titres sur quelques autres grands méchants de notre histoire comme Attila ou Dracula, La Véritable histoire vraie d’Hitler débute bien avant la naissance du dictateur le 20 avril 1889 pour se terminer le jour de son suicide le 30 avril 1945. Avec une touche d’humour maîtrisée, Ptiluc raconte « sa vie, son oeuvre », et à travers ce funeste personnage une période sombre de notre histoire. Le divertissement au service de l’instruction ! (Hitler, la véritable histoire vraie, de Ptiluc et Swysen. Dupuis. 20,95€)

Dans un style graphique beaucoup plus réaliste, Tiananmen 1989 – Nos espoirs brisés est le témoignage inédit de l’un des leaders étudiants de l’occupation de la place Tiananmen il y a tout juste 30 ans, occupation pacifique qui s’était achevée dans un bain de sang par l’intervention des forces armées. Lui Zhang, c’est le nom de ce leader, est aujourd’hui réfugié en France où il est professeur de civilisation chinoise. Son récit, loin de s’en tenir au factuel de la seule occupation de la place, raconte comment et pourquoi des millions de Chinois en sont arrivés là, bravant la peur des représailles, occupant cette place emblématique de l’histoire chinoise pendant des semaines. Un événement majeur dans l’histoire mondiale et bien sûr dans l’histoire du pays, mais un événement toujours censuré à ce jour en Chine !(Tiananmen 1989 – Nos espoirs brisés, de Gombeaud, Zhang et Améziane. Delcourt. 17,95€)

D’une guerre à l’autre, d’une tragédie à l’autre, le premier volet d’Algérie, Une guerre française sorti en mars dernier nous plonge dans l’atmosphère de l’Algérie des années 40 et 50, au moment où apparaissent les premières tensions qui mèneront à la guerre en 1954. Pendant que les enfants, musulmans et pieds noirs, jouent ensemble, un groupe de six hommes se réunissent pour projeter une attaque simultanée sur tout le territoire. Ces hommes s’appellent Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem et Larbi Ben M’hid. Ils prendront le nom des « Fils de la Toussaint » en lançant la guerre pour l’indépendance de leur pays le 1er novembre 1954. Une série prévue en 5 volumes. (Algérie, Une guerre française, de Buscaglia et Richelle. Glénat. 15,5€)

Forcément, ce nom rappellera quelque chose aux fidèles auditeurs de France Inter. Rendez-vous avec X est une émission culte de la radio animée par le journaliste Patrick Pesnot et traitant de l’histoire contemporaine à travers le prisme d’affaires d’espionnage. Arrêtée en 2015, l’émission débute aujourd’hui une nouvelle vie dans l’univers du neuvième art. Deux premiers titres ont été publiés en mars chez Comix Buro, La Chinoise, histoire d’amour entre un comptable de l’ambassade française en Chine et un acteur de l’Opéra de Pékin, et La Baie des cochons, récit du terrible fiasco que représente pour les Américains le débarquement d’un bande de mercenaires anti-castristes à Cuba en 1961. Comme dans l’émission de radio, ces deux récits mettent en scène Patrick Pesnot et un agent des services secrets, Monsieur X, qui raconte les événements. En bonus dans chaque album, un dossier de quelques pages pour approfondir le sujet.  (Rendez-vous avec X – La Baie des Cochons, de Mr Fab et Dobbs et La Chinoise, de hautière et Charlet. Comix Buro. 14,95€)

On reste à Cuba avec ce magnifique ouvrage paru aux éditions Dupuis en mai dernier. El Comandante Yankee du Kosovar Gani Jakupi raconte la révolution cubaine vue de l’intérieure, au plus près de la guérilla. On y croise quelques figures légendaires de la révolution telles que le Che, Fidel Castro, Eloy Gutiérrez Menoyo, Lázaro Artola Ordaz, mais aussi Hemingway… on encore William Alexander Morgan, un Yankee, ancien Marine, ayant décidé de combattre contre Batista et donc aux côtés de Castro. Ce récit a nécessité une douzaine d’années de travail à l’auteur, douze années à recueillir les témoignages, réunir les sources, recouper les informations, à se rendre sur place, à dénicher des documents inédits et même à rencontrer certains acteurs de la révolution comme Miguel García Delgado, aujourd’hui à la tête d’un compagnie de taxis à Miami. Et le résultat est saisissant ! (El Comandante Yankee, de Gani Jakupi. Dupuis. 32€)

Eric Guillaud