03 Juil

Pas un jour sans soleil de François Ravard : une déclaration d’amour à la côte d’Émeraude dans les pas de Sempé

François Ravard est un Dinardais. Voilà, c’est dit ! L’auteur de ces quelques lignes étant lui-même originaire de cette belle petite station balnéaire d’Île-et-Vilaine, autant avouer qu’on partait avec un a priori des plus positifs et absolument pas objectif. Mais ce Breton d’adoption n’en avait même pas besoin…

Parce qu’à travers ces petites vignettes pleine page sans mouvement mais où chaque petit détail compte, les amoureux de la côte d’émeraude comme on l’appelle retrouveront immédiatement ce côté clair-obscur, toujours à deux doigts à la fois du soleil et de la pluie, et souvent quelque part entre les deux.

On pense bien sûr tout de suite à Sempé (référence d’ailleurs assumée par ce trentenaire originaire de la Normandie voisine) d’un point de vue pictural mais aussi pour l’humour pince sans rire qui croque, mais sans férocité, ses semblables. Mais avec une sensibilité qui lui est propre, peut-être plus solaire et moins empreinte de mélancolie. Réparties en quatre saisons, ces situations un peu ubuesques il les a sûrement observées de lui-même lors de sa promenade du matin, se contentant ensuite d’en accentuer les traits mais avec toujours beaucoup d’affection.

Le résultat ? Autant l’album s’amuse de nos petits travers qu’il est une déclaration d’amour à cette partie là de la Bretagne, sûrement la plus belle (n’est-ce pas ? C’est le Dinardais qui parle là). Une belle parenthèse comme on dit…

Olivier Badin

Pas un jour sans soleil, de François Ravard. Glénat. 15€

L’info en +. Deux expositions accompagnent la sortie de l’album, la première à la galerie Glénat à Paris, la seconde à la galerie Pouces-Pieds à Dinard. Vous pouvez également retrouver les dessins de l’auteur sur sa galerie virtuelle La Galerie d’Alfred.

© Glénat / Ravard

02 Juil

Osamu Tezuka : l’oeuvre du dieu du manga rééditée dans une collection prestige aux éditions Delcourt / Tonkam

Osamu Tezuka aurait eu 90 ans cette année. Pour célébrer cet anniversaire, les éditions Delcourt / Tonkam publient les trois premiers titres d’une collection exclusivement dédiée à la réédition des oeuvres emblématiques du « dieu des mangas » comme on le surnomme à juste titre…

170 000 planches, 700 titres… Comme le rappelle en préface Patrick Honnoré, traducteur du japonais, ces seuls chiffres suffisent « à mesurer l’immensité d’Osamu Tezuka » et à justifier ce surnom de « dieu du manga ». « Et il avait même une vie de famille ! », ajoute Patrick Honnoré. C’est dire !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes mais rien, il est vrai, ne remplace la lecture de ses livres pour juger pleinement de l’importance et de l’influence qu’a pu avoir le travail d’Osamu Tezuka sur le manga. « Avec Tezuka… », écrit Patrick Honnoré, « le manga passe dès les années 40 d’un récit séquentiel à la grammaire encore sommaire à un moyen d’expression total ». Les récits Ayako d’un côté, publié au Japon au milieu des années 70, et L’Histoire des 3 Adolf de l’autre, publié pour sa part une dizaine d’années plus tard, en sont la preuve la plus éclatante. Ils inaugurent de la plus belle façon qu’il soit la collection consacrée aux chefs-d’oeuvre de l’auteur.

Osamu Tezuka

704 pages pour Ayako, 624 et 736 pages pour les deux volumes de L’histoire des 3 Adolf, de quoi se replonger le temps d’un bon week-end dans l’univers de cet artiste singulier inspiré par la littérature populaire, les comics américains, le cinéma d’une façon générale, les dessins animés de Walt Disney en particulier, à qui d’ailleurs il emprunta les yeux ronds que l’on retrouve aujourd’hui dans quantité de mangas.

Son esthétique trouve son fondement dans toutes ces influences, il suffit de parcourir quelques pages des ouvrages présentement publiés pour en avoir la confirmation. Le graphisme est épuré, aussi simple qu’efficace, presque apaisé, en tout cas moins caricatural que ce que l’on peut trouver dans une partie des mangas contemporains. Un style graphique mais aussi un style d’écriture et un regard sur le monde singulier, humaniste jusqu’au bout de la planche, des histoires qui parlent de l’homme, du monde, de façon relativement positive dans un premier temps et un peu plus sombre dans un deuxième temps. Ses personnages sont les témoins privilégiés d’un Japon en plein bouleversement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Après Ayako et L’histoire des 3 Adolf, devraient paraître La Vie Bouddha, Barbara, MW avant la fin de l’année 2018, puis Phénix, Demain les Oiseaux, Princesse Saphir, Kirihito en 2019. Des heures et des heures de belles lectures en perspective.Chefs d’oeuvre !

Eric Guillaud

L’histoire des 3 Adolf (2 volumes) et Ayako (1 volume), éditions Delcourt / Tonkam. 29,99€ le volume

26 Juin

Revivre : une histoire poignante sur le don d’organes signée Ugo Bertotti

C’est le genre d’histoire qu’on aimerait lire plus souvent, une histoire vraie qui aborde sous un angle singulier deux thématiques fortes du moment, la crise des migrants et le don d’organes. Quel est le point commun entre les deux me direz-vous ? Des hommes et des femmes qui répondent à une identique volonté de survivre ou plus exactement de revivre…

Le récit de l’Italien Ugo Bertotti commence sur un bateau en 2013 quelque part au milieu de la Méditerranée. A son bord des migrants à la recherche d’une vie meilleure loin des tumultes de la guerre. Selma en fait partie. Avec son mari et ses deux enfants, cette femme, déjà réfugiée palestinienne, fuit la Syrie avec l’espoir de rejoindre l’Europe.

Malheureusement, en pleine mer, Selma fait une mauvaise chute sur la tête. Arrivée en Italie, elle est prise en charge par les secours et reçue par un médecin, docteur Hassan, lui aussi d’origine palestinienne. Mais son cas est rapidement jugé désespéré. Sa famille décide de faire don de ses organes. Trois Italiens, un curé, un militaire et une femme, tous en attente de greffe depuis parfois des années vont pouvoir en bénéficier…

Cet album publié par les éditions La Boîte à bulles en ce début d’été entre inévitablement en résonance avec l’actualité récente en Italie, le changement de gouvernement et la nouvelle stratégie du pays face à la crise des migrants. Ce qui le rend bien évidemment encore plus fort et poignant.

Ugo Bertotti s’est inspiré de faits réels pour l’écrire et de témoignages recueillis à la fois auprès de la famille de Selma et des trois personnes qui ont pu être greffées grâce à elle et survivre, pardon revivre, et enfin s’imaginer un futur. Des personnes qui parlent chacune des liens très forts qu’ils ont le sentiment d’avoir instauré avec la donneuse qu’ils n’ont bien sûr jamais vue.

On appelle ça une leçon d’humanité ! Un récit très bien écrit, mis en image avec une certaine simplicité ou plus exactement une efficacité certaine. Achetez-le, offrez-le…

Eric Guillaud

Revivre, de Ugo Bertotti. Editions La Boîte à bulles. 15€

© La Boîte à bulles / Bertotti

18 Juin

Gisèle et Béatrice : un conte érotique signé Feroumont

C’est le genre de livre qu’on ne s’attend pas à trouver dans le catalogue des éditions Dupuis, ni dans la bibliographie de Benoît Feroumont, c’est un livre comme on en voit peu, un conte érotique à haute dose de critique sociale, le tout saupoudré d’un trait d’humour..

Un trait d’humour mais un humour grinçant tout de même ! L’histoire débute dans le joyeux monde du travail. Béatrice, qui se donne sans compter à son entreprise, ne parvient pas à progresser. Salaire bloqué, évolution zéro… et un patron qui lui explique qu’elle n’est pas assez gentille avec lui, qu’il aime ses seins et qu’il attend autre chose d’elle. Classique.

Contre toutes attentes, Béatrice accepte de passer une soirée avec son boss, Georges, mais profite de son état d’excitation avancée pour lui faire boire une potion magique qui le transforme en femme et qui plus-est en femme de ménage tendance jouet sexuel complètement soumise à Béatrice. Le harceleur harcelé !

Georges devenu Gisèle, sans papiers, avec un accent à couper au sécateur, de quoi se faire ramasser par le premier fourgon de police qui passe dans le quartier, n’a plus le choix. Il… pardon, elle doit se plier aux exigences de Béatrice qui a de son côté pris de l’avancement en s’octroyant la place du boss dans l’entreprise.

Vis ma vie de femme harcelée pourrait être le résumé de cette histoire. Vis ma vie de femme harcelée et tu comprendras peut-être ! L’érotisme omniprésent dans les 130 pages de ce conte signé Benoît Feroumont, auteur par ailleurs des séries Wondertown ou Le Royaume, n’a rien de vulgaire. Il est au service de l’histoire et d’une volonté affichée de l’auteur d’aborder le sexe autrement que par la caricature des films pornographiques. Et rien que pour ça…

En bonus, un cahier d’une dizaine de pages avec illustrations et points de vue de l’auteur, de l’éditeur et de Maïa Mazaurette, romancière, essayiste, scénariste de BD et blogueuse (sexactu.com).

Eric Guillaud

Gisèle et Béatrice, de Feroumont. Dupuis. 16,50€

© Dupuis / Feroumont

Batman Metal : l’homme chauve-souris chamboule sa propre réalité avec une saga épique en trois parties qui sera présentée à la prochaine édition du festival Hellfest, près de Nantes

Alors, attention, on se permet de prévenir tout de suite les chevelus porteurs de t-shirts avec des logos indéchiffrables et des zombies en ruts dessus : ce Batman a autant à voir avec la musique ‘metal’ que notre gouvernement actuel avec les théories marxistes. Par contre, pas mal d’idoles en prennent pour leur grade, en premier lieu un Batman lui-même, ici presque dépassé par les évènements.

Bon, allez, rendons à César ce qui lui appartient et à Iron Maiden sa couronne : tout cela a un tout petit peu quand même rapport avec la musique du même nom vu que l’éditeur français a donc choisi de présenter ce premier tome cette année au Hellfest et que l’un des dessinateurs de la saga, l’américain Greg Capullo, en plus d’être un fan déclaré du genre, a réalisé plusieurs pochettes pour certains poids lourds du genre, style Iced Earth (Something Wicked This Way Come), Disturbed (Ten Thousand Fists) ou Korn (Follow the Leader). Mais sinon, le ‘metal’ du titre est en fait très premier degré : on parle bien d’un metal, la matière donc, qui serait une sorte de porte sur une quantité d’univers parallèles infinie (et encore, ça c’est la version simple) et sur laquelle l’homme masqué a décidé d’enquêter, quitte à sans le savoir enclencher un processus qui chamboulera aussi bien sa réalité que celle de l’écurie DC COMICS dans son intégralité. Parce qu’attention, derrière ça, il y a un autre Batman, maléfique celui-ci car dans sa propre dimension il a fait le choix de servir le Mal et non pas le Bien. Un double diabolique dont une sorte de société secrète surveille l’arrivée depuis des millénaires, dans le plus grand secret. Ah et puis on découvre que le Joker (que l’on croyait mort… Mais vous suivez ou quoi ?) a été séquestré dans la Batcave dans un but bien précis. Et ça, ce n’est que le premier chapitre parce qu’après, cela se complique encore plus. Si !

© Urban Comics / collectif

On le sait depuis quelques années, les comics US adorent (un peu trop) jouer avec les reboots, ces artifices scénaristiques qui permettent de réécrire complètement tel ou tel univers. Et lorsque par dessus vous rajoutez une seconde couche avec les multivers – un ensemble complexe de réalités parallèles – comme ici, cela donne un joyeux bordel. À la manœuvre, on reconnaît la patte du scénariste Scott Snyder qui a toujours aimé brouiller la frontière existant entre le bien et le mal, quitte à parfois un peu perdre son lecteur. Surtout que ce premier tome (sur trois prévus) est assez bicéphale, avec une première partie très (trop) cérébrale multipliant les entrées et les différents points de vue laissant place à une seconde consacrée à la défense de Gotham et beaucoup plus orientée baston. Partie où ironiquement, Batman brille… Par son absence. Contrairement aux seconds rôles qui, ici, prennent la lumière d’une façon parfois étonnante, comme Harley Quinn de Suicide Squad, savoureusement joueuse et taquine.

© Urban Comics / collectif

Alors autant le dire de suite, mieux vaut bien maîtriser la ‘cosmologie’ de l’ami des chauves-souris parce que c’est bourré de références tous azimuts, allant de sa famille au sens large du terme à ses ennemis et plus. Ami néophyte, passe donc de suite ton chemin ! C’est dense de chez dense et ne fait aucune économie dans la démesure. Par contre, sur le plan strictement graphique même si Capullo est loin d’être seul au stylo ici (on retiendra notamment le super boulot d’Andy Kubert), c’est un feu d’artifice, avec un sens du découpage vraiment étonnant capable d’alterner planches monumentales et cadrages ultra- serrés et des méchants qui suintent de partout, surtout ceux qui sont des sortes d’alter-ego maléfiques des héros qui les combattent.

© Urban Comics / collectif

À ce stade-là, on a un peu de mal à savoir où tout cela va nous mener et l’indigestion n’est jamais loin. Mais Batman Metal tient au moins son pari de nous embarquer dans une véritable saga bien épique qui ose remettre pas mal de choses et qui ne fait pas de quartier du tout. Et visuellement, c’est une sacrée baffe !

Olivier Badin

Batman Metal, collectif, Urban Comics/DC, 19€

L’info en + Batman au Hellfest. Du 22 au 24 juin, les éditions Urban Comics vous donnent rendez-vous sur leur stand au HellCity Square de 10 à 22h pour vous présenter Batman Metal et vous faire gagner des cadeaux…

 

15 Juin

Davy Mourier vs Cuba et Le Guide du mauvais père de Guy Delisle : deux albums de la collection Shampooing qui vont vous faire du bien au cuir chevelu

La collection Shampooing initiée et dirigée par Lewis Trondheim publie régulièrement de nouvelles petites perles d’humour. En voici deux ce mois-ci, le quatrième tome du Guide du mauvais père de Guy Delisle et le premier album de Davy Mourier vs consacré à son voyage à Cuba. De quoi prendre la vie au second degré…

Paru en 2013, le premier tome du Guide du mauvais père a fait un carton nous rappelle l’éditeur. 100 000 exemplaires vendus. C’est beaucoup mais l’excellent Guy Delisle, auteur par ailleurs des bandes dessinées documentaires Shenzhen, Pyongyang ou encore des Chroniques de Jérusalem, fauve d’or prix du meilleur album au festival d’Angoulême en 2012, a su trouver les mots et les gags justes pour parler aux pères de famille que nous pouvons être, pas toujours au top mais pas toujours mauvais non plus. L’idée est de rire de tous nos petits travers. Et ça marche plutôt bien. Il faut dire que Guy Delisle n’a pas son pareil pour raconter des situations tragicomiques dans lesquelles chacun se reconnaîtra. Jubilatoire ! (Le Guide du mauvais père, Delisle. Delcourt. 9,95€)

Et si vous n’avez pas votre compte de rigolade, alors, les éditions Delcourt ont pensé à tout, un peu comme une deuxième couche d’humour pour que ça vous reste bien imprimé. C’est Davy Mourier Vs Cuba. Tout est dans le titre ou presque.  L’acteur, réalisateur, parolier, animateur de télévision ET auteur de bandes dessinées (Super Caca, La Petite mort…) y raconte son voyage un peu forcé au pays de Castro. Lui qui n’aime pas particulièrement voyager accompagne sa mère devenue une grande exploratrice du monde sur le tard. Et bien évidemment, il y a de quoi raconter, entre le double système de monnaie, les voitures aux carrosseries américaines et aux moteurs russes ou chinois, la quasi-inexistence d’Internet… et l’ouragan Irma qui a eu la mauvaise idée de passer par-là au même moment, de quoi dégouter définitivement Davy Mourier des voyages… et de lui faire préférer un bon programme à la télévision. D’ailleurs, le deuxième tome de Davy Mourier vs, à paraître en janvier 2019, y sera consacré ! (Davy Mourier Vs… Cuba, Mourier. Delcourt. 9,95)

Eric Guillaud

12 Juin

Charogne : une descente en enfer signée Borris et Benoît Vidal

Parce qu’il mérite le paradis et que le curé refuse de monter au village pour célébrer l’office, des administrés vont transporter à dos d’hommes le corps de leur maire décédé d’une crise cardiaque pour une dernière bénédiction plus bas dans la vallée. Un cortège funèbre qui va réserver bien des surprises…  

Tout à l’air paisible dans ce petite village du département de l’Aude perché sur les contreforts des Pyrénées. Nous sommes en 1864, Joseph le maire fait tout pour rendre service à ses administrés, il trouve des acheteurs pour le bois de l’un, s’occupe de vendre un bijou pour soulager les finances de l’autre, prête main forte aux champs…. Mais à vouloir être partout, il est bientôt nulle part notre bon Joseph ou plutôt si, allongé à même le sol, le nez dans la terre. Crise cardiaque.

Aimé de tous et toutes, Joseph a bien mérité le paradis. Mais pour y accéder, faut-il encore un curé et une ultime bénédiction. Hélas, de curé, il n’y en a point depuis que le toit de l’église s’est effondré. Et celui de la vallée refuse de monter tant que les réparations n’auront pas été engagées.

Qu’à cela ne tienne, puisque le curé ne veut pas venir au cadavre, le cadavre viendra à lui, porté dans son cercueil par une poignée de villageois qui n’imaginent pas un instant leur calvaire. Sur le chemin de la descente, pour le moins escarpé, nos villageois vont d’abord souffrir du poids du cercueil, puis de l’odeur du cadavre, le tout sous un violent orage qui va provoquer des éboulis. Mais le plus pesant, ce sont ces vieilles histoires de famille qui vont ressurgir entre les porteurs, des rancœurs qui viennent de loin et trouvent dans la tourmente matière à rebondir…

De loin, j’ai un instant cru voir la couverture d’un nouveau Chabouté mais non. Charogne est signé Borris (Lutte Majeure…) et Benoît Vidal (Pauline à Paris…) et raconte une histoire pas tout à fait vraie mais inspirée de faits et de lieux ayant existé. Dans des notes en fin d’ouvrage, les auteurs expliquent : « Le village dépeint dans la bande dessinée est réellement situé dans le département de l’Aude sur un territoire appelé le pays de Sault. C’est là que sont racontées les histoires qui ont initié cette fiction… ». L’éditeur parle de thriller rural, j’évoquerai surtout une histoire d’hommes, avec ses forces et ses faiblesses… Bon scénario, bon dessin. Recommandé !

Eric Guillaud

Charogne, de Borris et Benoît Vidal. Glénat. 19€

Midi – Minuit : Doug Headline et Massimo Semerano s’offrent une dernière séance

Les bandes dessinées inspirées par le cinéma, il en existe un certain nombre. Et la réciproque est valable. Mais les bandes dessinées qui parlent du cinéma, il y en a finalement assez peu. Et plus précisément du giallo, il y en a aucune. Enfin si, il y en aura une dès le 15 juin grâce à un amoureux du genre, Doug Headline, accompagné au dessin par Massimo Semerano… 

Mais qu’est ce que le giallo, me demanderez-vous ? Très bonne question. Le giallo est un genre cinématographique à la frontière du cinéma policier, du cinéma d’horreur et de l’érotisme (merci wikipédia!), « des films, au départ sous influence hitchcockienne, qui furent tournés et distribués entre 1962 et 1982 et obéissant à une stratégie du cauchemar très particulière » (merci au dossier très complet qui accompagne cet ouvrage).

Doug Headline en est dingue, comme quelques autres. Au point hier de passer des soirées entières à visionner des cassettes pirates de qualité douteuse vendues sous le manteau, au point aujourd’hui d’en faire le contexte de cette histoire intitulée Midi – Minuit du nom d’un cinéma de quartier mythique autrefois situé boulevard Poissonnière à Paris, chantre du cinéma bis.

Mais Midi – Minuit n’est pas Les Cahiers du cinéma, point de critiques dans ses pages mais une déclaration d’amour pour ce cinéma populaire à travers l’histoire de deux cinéphiles français, François Renard et Christophe Lemaire, qui ont décroché l’interview d’un ponte du giallo, un certain Marco Corvo dont la carrière s’est subitement arrêtée il y a 25 ans avec la disparition restée inexpliquée de son actrice fétiche.

De là à se retrouver dans un scénario à la giallo, il y a qu’un pas ou qu’une  case. Pendant que les deux Français interviewent le réalisateur, d’anciens critiques de cinéma sont assassinés…

Un brin policier, un brin fantastique et un tout petit poil érotique ou plutôt glamour, Midi – minuit se présente comme un hommage au giallo avec en prime des incrustations d’images arrêtées de plusieurs films. Les amateurs les reconnaîtront. Tout se tient, on rentre à fond dans l’histoire sans même connaître le début d’un générique de ce genre cinématographique. Mais ça, c’est la magie de la bande dessinée et le talent des auteurs, Doug Headline au scénario et Massimo Semerano au dessin.  Culte !

Eric Guillaud

Midi – Minuit, de Doug Headline et Massimo Semerano. Dupuis. 22€

© Dupuis / Headline & Semerano

09 Juin

J’ai Lu : le retour de la BD au format poche

La maison d’édition J’ai Lu n’est pas une inconnue dans le milieu de la bande dessinée. Les plus vieux d’entre nous se rappellent forcément de la collection J’ai Lu BD qui a proposé dans les années 80 et 90 près de 300 albums au format poche, y compris les aventures de l’immense Corto Maltese, avant de renoncer comme ses concurrents Le Livre de Poche et Pocket BD…

Elle y revient à grand renfort de communication avec quatre premiers titres parus en juin, Tous mes amis sont morts de Avery Monsen et Jory John, Un autre regard d’Emma, Le Petit grumeau illustré et Chat-Bouboule de Nathalie Jomard.

J’ai Lu parle d’une « programmation ambitieuse à prix poche ». Les premiers titres oscillent entre 6,90 et 7,90€, soit à peu près le prix d’un manga et la moitié du prix des albums originaux. Le papier n’a rien de celui qu’on peut attendre d’un livre de poche, il est relativement épais. Les couvertures offrent un pelliculage mat avec rabats, le tout sous un format un peu plus grand que le poche habituel, 14 sur 20 cm.

Pour ces quatre premiers livres qui tendent plus vers l’illustration pleine page que la bande dessinée, la lecture ne s’en trouve aucunement gênée. Reste à voir ce que ça peut donner avec un gaufrier (découpage de la page en plusieurs cases) classique…

Eric Guillaud

Les Porteurs d’eau : la belle échappée de Fred Duval en compagnie de Nicolas Sure

Cette aventure-là ne relève en rien de la science-fiction ou de l’uchronie, genres dans lesquels le scénariste Fred Duval s’est fait une belle réputation, non Les Porteurs d’eau publié ce mois-ci sous pavillon Delcourt, est une fiction qui nous embarque au coeur du dopage cycliste dans les pas de deux Pieds nickelés de l’EPO…

Vous souvenez-vous de ces images sidérantes du Tour de France à l’arrêt, des coureurs en grève, des descentes de police dans les hôtels, de Richard Virenque en larmes devant les caméras ? C’était en 1998, tiens… il y a tout juste 20 ans.

Cette édition de la grande boucle a marqué les consciences et fait beaucoup de mal au sport en général. Le dopage se révélait à la face du monde comme étant au coeur même de la logique du sport. Et rien ne dit qu’il ne l’est plus !

Tout ça pour dire que l’histoire de cet album ne sort pas de nulle part. Il y un fond de réalité sur lequel le scénariste Fred Duval, un fondu de la petite reine et un téléspectateur assidu du Tour de France, s’est appuyé pour l’écrire. Mais attention, Les Porteurs d’eau n’est pas une bande dessinée documentaire, c’est une fiction intelligemment construite autour d’une cavale, celle de deux gamins, Jérôme Pignon et Florian Cornu, licenciés au Cyclo du Lyonnais, plus bêtes que méchants, désireux de se faire du fric facile en achetant et revendant des produits dopant. Des Pieds nickelés du dopage en quelques sortes qui vont avoir à faire à de vrais et dangereux pros de la chose.

Et forcément, l’affaire tourne mal, la police intervient au moment où les deux gamins sont sur le point de récupérer le matos. Les vendeurs sortent les flingues, des coups de feu éclatent, Jérôme et Florian en profitent pour se débiner avec la dope mais aussi le fric renversant un policier au passage. Très vite, leur signalement est donné, commence alors une cavale qui va les mener de Maubeuge au Mont Ventoux en passant par Dieppe, Rennes et Volvic, un tour de France par étapes mais en bagnole qui les fera travailler du ciboulot à défaut des mollets. Il faut dire que le père de Jérome Pignon, coureur professionnel, est mort à 37 ans d’une embolie pulmonaire. Au cas où il l’aurait oublié, sa mère compte bien lui rappeler et le ramener dans le droit chemin…

Le scénariste de Carmen Mc Callum, Travis, Hauteville House ou encore Jour J s’offre ici une belle échappée en compagnie de Nicolas Sure, un dessinateur au trait fin, élégant et racé. Admirez cette planche d’étape dans la montagne, tout y est, la fougue, le dépassement de soi, la passion… et même le diable avec sa fourche. Une fiction qui nous apporte l’air de rien un éclairage bienvenu sur le milieu du dopage, ses ramifications et ses effets.

Eric Guillaud 

Les Porteurs d’eau, de Duval et Sure. Delcourt. 17,95€

© Delcourt / Duval & Sure