29 Jan

Hope One : un huis clos oppressant signé ‘FANE

Imaginez un instant vous réveiller après 49 ans de sommeil et découvrir que vous êtes enfermé dans un vaisseau placé en orbite géostationnaire autour d’une Terre qui ne compte peut-être plus un seul habitant. C’est ce qui arrive à Megan Rausch dans Hope One, un récit de science fiction signé ‘FANE…

Et le réveil est plutôt brutal, même s’il répond au protocole établi. Nausées, amnésie, claustrophobie… il faudra quelques temps à Megan Rausch pour se remettre de ce long sommeil, il lui faudra aussi du temps pour comprendre ce qu’elle fait là, enfermée dans ce vaisseau qui tourne autour de la Terre depuis bientôt un demi-siècle.

C’est Adam, son unique compagnon de voyage, qui va la briefer : « En 1971, un conflit planétaire issu des tensions entre les États-Unis et la Russie, engageant l’ensemble des nations du globe a fini par déclencher une série de frappes nucléaires. La planète n’allait pas s’en remettre ».

Ce vaisseau, comme un douzaines d’autres qui tournent autour de la Terre ont été imaginés et lancés dans l’unique but de préserver le genre humain. À son bord, un homme, une femme, et une mission : évaluer les possibilités de retour sur Terre.

Pour faire bien, il faut faire simple. Et de ce côté-là, le scénario de Hope One est dans les clous, simple mais efficace, de la science-fiction grand public bien foutue avec des personnages attachants, un dessin très agréable et une histoire au suspense haletant, le tout sous pavillon Comix Buro, l’excellente maison d’édition d’Olivier Vatine (Aquablue, La Mort vivante…) en association avec Glénat. Vous pouvez donc acheter l’album les yeux fermés que vous soyez dans l’espace ou ailleurs !

Eric Guillaud

Hope One (tome 1), de ‘FANE. Comix Buro / Glénat. 15,50€

@ Comix Buro & Glénat / ‘FANE

28 Jan

La saga de Grimr : rencontre avec Jérémie Moreau

En 2018, c’est le jeune Jérémie Moreau (31 ans) qui remportait à Angoulême le Fauve d’or qui récompense le meilleur premier album. Un prix qui est en fait l’aboutissement d’un parcours entamé, justement, à l’âge de huit ans à cause de ce festival. Alors que l’édition 2019 vient tout juste de se tenir, on revient donc vers lui et sa Saga de Grimr crépusculaire se déroulant dans une Islande du XVIIIe siècle sauvage et sublime à la fois …

Jérémie Moreau © Chloé Vollmer Lo

Avec son style pas du tout académique tout en aquarelle, la dureté de ses personnages et en même temps cette exaltation d’une nature débridée pour laquelle les hommes ne sont que des pions, La Saga de Grimr a brillé par son originalité et surtout sa force dramatique. Un récit initiatique et tragique à la fois qui nous a vraiment fait découvrir Jérémie Moreau, jeune trentenaire au parcours déjà foisonnant et qui revient avec nous sur cette œuvre à part entière qui a bien mérité son Fauve d’Or…

Si je joue l’avocat du diable et je te dis qu’une BD inspirée par l’Islande du XVIIe siècle et les sagas du Moyen-Âge réalisée par un jeune français c’est aussi crédible qu’un livre sur les légendes de la forêt de Brocéliande écrit par un Australien qui a vu trois documentaires à la télé, comment te défendras-tu ?

Jérémie Moreau : Mal ! (rires) C’est vrai que l’idée de légitimité se comprend, surtout que j’ai eu le même problème avec le Japon. Mais paradoxalement, ce qui m’a le plus libéré ce qu’au final, je connaissais très peu l’Islande donc j’avais peu le poids de leur culture sur les épaules comparativement au Japon d’où j’ai beaucoup consumé de films et de mangas dont je me suis beaucoup plus imprégné. Donc pour répondre à ta question, je te dirais que je suis sauvé par mon ignorance. Ma source d’inspiration principale reste les livres d’Halldor Laxness, prix Nobel de littérature en 1955 qui a beaucoup écrit sur l’histoire de son île et sur son peuple. Après, je ne me vois pas faire des choses que sur la France sous prétexte que je suis français aussi…

@ Delcourt / Jérémie Moreau

D’après ton blog, ta découverte de la nature islandaise date de l’été 2014. T’es-tu rendu sur place spécifiquement pour préparer ce livre ?

J.M. Pas du tout. Je suis d’abord allé en pur touriste avec tout un groupe d’amis, ce n’était pas d’ailleurs moi qui avait choisi la destination mais j’ai adoré et réalisé quelques esquisses sur place, mais sans alors penser à un éventuel livre. Non, en fait, le vrai point de départ de La Saga de Grimr, c’était cette idée simple d’une histoire centrée autour d’un personnage qui aurait construit un mur de pierre pour protéger son village d’une coulée de lave. J’ai pas mal cherché dans quel lieu la mettre en scène et j’ai d’abord pensé à d’autres endroits connus pour leurs activités volcaniques comme le Japon encore une fois ou même la Martinique. Puis je suis tombé sur La Cloche d’Islande, considéré comme le chef d’œuvre de Laxness et qui se passe en Islande au XVIIIème siècle alors que le pays est sous domination Danoise et ça été le déclic. Surtout lorsque j’ai découvert après coup que l’île avait justement subi une gigantesque explosion volcanique en 1783, où cent quinze cratères se sont mis à cracher de la lave en même temps… J’ai donc refaçonné mon histoire pour qu’elle entre dans ce cadre-là tout en mettant à dévorer tout ce que je pouvais sur les sagas islandaises.

Pourquoi ne pas avoir choisi la période classique des vikings, peut-être plus vendeuse ?

J.M. D’abord parce que le roman de Laxness se passait, justement, au XVIIIème siècle et qu’il m’a apporté moult détails sur cette période. Et ensuite parce qu’en terme dramatique, j’aimais cette idée d’ancrer cela dans un pays qui a perdu son lustre d’antan et vivant sous la coupe par une puissance étrangère. Et puis cette éruption de 1783 a eu des conséquences très graves. Le pays a perdu un tiers de la population et plus de la moitié du bétail, avec la famine qui va avec. J’aimais ce côté très noir qui, en plus, le rapprochait des ambiances que l’on pouvait avoir dans certains romans de d’Émile Zola ou Victor Hugo, à la fois romantique et exaltée dans la misère.

@ Delcourt / Jérémie Moreau

Justement, le terme ‘saga’ est presque un terme consacré, dédié à ces histoires relatant la colonisation de l’île au Moyen-Âge et transmises oralement. Pourquoi l’avoir malgré tout utilisé ?

 J.M. Plus je lisais à propos des sagas, plus je me retrouvais dans leur définition, à savoir un récit en prose qui raconte l’histoire d’un homme digne de mémoire en Islande. C’est d’ailleurs aussi pour ça que j’ai rajouté le personnage de l’écrivain car il personnifie un peu tous ces auteurs au nom oublié qui permit la transmission de toutes ces histoires moyenâgeuses.

Après, Grimr ne correspond aux canons de beauté entre guillemets attendu : il n’est ni blond aux yeux bleus, ni très scandinave dans sa physionomie…

J.M. C’est pour ça que je fais dire au conteur du début que ce n’est pas une saga comme les autres car normalement, elles doivent nous relier d’une manière ou d’une autre à la généalogie des premiers habitants de l’île. En fait, si l’on recoupe toutes les sagas, on peut retracer les histoires de toutes les premières familles d’Islande ! Or lui est orphelin dont les racines ont donc été séparées de l’histoire ancestrale de l’île. Donc dès le départ, c’est un personnage à part, un marginal… Et je voulais que cela soit marqué aussi physiquement, surtout que mes premières visions en quelque sorte, j’avais imaginé une sorte de Quasimodo des volcans au physique disgracieux.

@ Delcourt / Jérémie Moreau

Tous les décors, ce sont des choses que tu as ramené de ton voyage ?

J.M. Non, parce que je n’y suis resté au final que vingt jours et qui plus est, en Août donc je n’avais été le témoin que d’une seule saison bien précise. J’ai cherché pendant un temps à faire une résidence en hiver pour compléter mais je fini par me documenter via des blogs, des photos etc. Comme c’est une destination un peu à la mode, je me suis rendu qu’il y avait foison de documentation. Par contre, sur le plan historique, cela s’est révélé beaucoup plus compliqué pour trouver des éléments sur les bateaux, les vêtements, les habitations etc. Au final, j’ai trouvé des gravures d’époque du Danemark ou de Norvège qui m’ont servi de bases de travail.

Qu’a changé pour toi le prix obtenu à Angoulême ?

J.M. Plein de choses, même si je n’en mesure pas encore tout l’impact. Déjà, je trouve cela super qu’il le donne à un jeune auteur. Lorsque Riad Sattouf pour L’Arabe du Futur en 2014, sa carrière est déjà lancée depuis longtemps. Alors que moi, cela m’a donné une exposition inattendue et un poids certain auprès des éditeurs pour mes prochains projets. En fait, cela m’a donné plus de liberté en quelque sorte. Surtout que j’ai un lien très particulier avec Angoulême : c’est parce que j’avais décidé de participer au concours junior à l’âge de huit ans que j’ai commencé à vraiment me mettre à dessiner sérieusement et cela ne m’a pas lâché. Donc le Fauve d’Or c’est un peu ma Palme d’Or à moi !

Propos recueillis par Olivier Badin le 9 Janvier 2019

La Saga de Grimr de Jérémie Moreau, Delcourt, 25,50

27 Jan

Quand Davy Mourier rêvait de faire de la télévision

Il fut un temps où Davy Mourier rêvait de faire de la télé. Aujourd’hui, il n’en rêve plus, il en fait. Il fait aussi des spectacles et surtout, pour ce qui nous intéresse ici, il réalise des bandes dessinées où il peut parler de sa vie, notamment devant et derrière le petit écran…

« Quand, enfant, tu te prends pour un personnage de série, tu te prédestines peut-être à devenir un acharné de la télé ». Après Cuba, Davy Mourier s’attaque au monde de la télé qui le faisait tant rêver enfant. Combien d’après-midis passées à regarder les aventures de Goldorak ou de Spiderman, à mater des dessins animés japonais en VHS et parfois des productions pas vraiment destinés à à la jeunesse.

« Bref, vous l’avez compris : la télé m’a appris beaucoup de choses. Mon père avait les yeux tellement rivés sur elle que j’ai eu envie de devenir la télé… Et vu que je pouvais pas être la télé, j’ai voulu être dans la télé ». Une véritable obsession au point de dire un jour à sa mère :  » Si à 30 ans je ne fais pas de la télé, je me suicide ».

Bon il n’aura pas à le faire, Davy – Crockett – Mourier, comme on le surnommait enfant, a réussi à faire de la télé. Il a même réussi à être au centre d’un documentaire qui apparemment ne lui a pas laissé de bons souvenirs, avec des journalistes à priori peu soucieux de l’éthique. Ça peut être ça aussi la télé !

Moins pertinent et drôle que le premier volet consacré à son « voyage forcé » à Cuba, Davy Mourier vs la télévision a au le moins le mérite de nous replonger un moment dans nos souvenirs télévisuels.

Eric Guillaud

Davy Mourier vs La Télévision, de Davy Mourier. Delcourt. 9,95€

26 Jan

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême : le palmarès 2019

La 46e édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême vient de faire connaître son palmarès 2019 et notamment son Fauve d’Or attribué à Moi, ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris chez Monsieur Toussaint Louverture…

Fauve d’Angoulême – fauve d’orMoi, ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris chez Monsieur Toussaint Louverture

Fauve d’Angoulême – Prix spécial du juryLes Rigoles, de Brecht Evens, chez Actes Sud

Fauve d’Angoulême – Prix de la sérieDansker, de Halfdan Pisket, chez Presque Lune

Fauve d’Angoulême – Prix révélationTed drôle de coco, d’Émilie Gleason, chez Atrabile

Fauve d’Angoulême – Prix jeunesseLe Prince et la Couturière, de Jen Wang chez Akiléos

Fauve d’Angoulême – Prix patrimoineLes Travaux d’Hercule, de Gustave Doré chez 2024

Fauve polar SNCF : VilleVermine : T1, L’Homme aux babioles de Julien Lambert chez Sarbacane

Fauve d’Angoulême – Prix de la BD alternativeExpérimentation, de Samandal

Prix des écoles d’AngoulêmeLa boîte à musique de Gijé et Carbone, chez Dupuis

Prix des collèges : La Brigade des Cauchemars, T.1 de Franck Thuillez, Yomgui Dumont et Drac chez Jungle

Prix des lycées, Il faut flinguer Ramirez, Acte 1 de Nicolas Petrimaux chez Glénat

Prix d’Angoulême de la BD scolaire, Jap vu par Jap de Julien Auclair

Prix Espoir de la BD scolaire, Le fruit du hasard de Thomas Ouedraogo

Prix graphisme de la BD scolaire, C’était une blague de Fela Maazou

Prix jeunes talents régionAu début, un rêve étrange de Robin Pouch

Prix jeunes talentsLouis Lanne

Prix DrawmecomicsFlavie Roux

 

23 Jan

GrassKings : un polar sans concession signé Matt Kindt et Tyler Jenkins

Vous aimez les récits noirs qui plongent le lecteur dans le trou du cul du monde avec une brochette de dingues et de paumés en guise de héros ? Alors, vous allez être servis avec ce premier volet d’un triptyque signé Tyler Jenkins et Matt Kindt. GrassKings est un polar sans concession où l’on flingue sans sommation…

« En raison de l’augmentation du prix des munitions, il n’y aura pas de tir de sommation ». Ça a le mérite d’être clair. Mieux vaut ne rien avoir à faire à Grass Kingdom, il y a peu de chance que vous y soyez le bienvenu. Et c’est comme ça depuis la nuit des temps. Certains s’en souviennent encore, ou du moins s’en souviendraient s’ils n’étaient pas morts et plantés au fond du lac. « Ce n’est pas le genre d’endroit qu’on prend à la légère. Il y a un prix à payer pour avoir le droit de vivre de ce côté du rivage ».

Mais alors, me direz-vous, qui a le droit de vivre dans ce bled pourri au milieu de nulle part ? Des privilégiés ? Pas vraiment. Ici vit une petite communauté, un casting de dingues et de paumés, quelques squatters, un gus fada des avions de la première guerre mondiale, un ancien sniper de l’US Navy, peut-être même un tueur en série… et trois frangins dont le plus jeune, Robert, tente d’oublier la disparition de sa fille dans l’alcool, et le plus vieux, Archie, se prend pour LE flic du coin.

Et tout ce petit monde vit en – très relative – quiétude jusqu’au jour où débarque une jeune-femme qui s’avère être la compagne du shérif de Cargill, un patelin voisin. Et là, tout finit par dégénérer…

il a perdu soixante centimètres de colon, mais va savoir pourquoi, c’est toujours un trou du cul

Des dialogues percutants, un dessin taillé à la serpe, une atmosphère lourde, des personnages qui ne manquent pas de caractère et une réflexion entre les lignes et les traits sur la peur de perdre un enfant… Tyler Jenkins et Matt Kindt nous offrent l’un des plus beaux bouquins de ce début d’année. Et bonheur, suprême les tomes 2 et 3 seront respectivement publiés en mars et juin de cette année. Vous pouvez ranger les flingues !

Eric Guillaud 

Grasskings tome 1/3, de Matt Kindt et Tyler Jenkins. Futuropolis. 22€

22 Jan

Nymphéas noirs : cinq questions au scénariste Fred Duval

Sans pour autant abandonner la science-fiction et l’uchronie, genres qui lui ont permis de se faire un nom dans la bande dessinée, Fred Duval multiplie depuis quelques mois – avec bonheur – les nouvelles expériences. On se souvient des Porteurs d’eau sorti en mai chez Delcourt, le revoici avec Nymphéas noirs chez Dupuis, une adaptation du roman à succès de Michel Bussi. Pourquoi ? Comment ? Le scénariste de Carmen Mc Callum, Hauteville House, Travis, Jour J ou encore Renaissance nous dit tout ici et maintenant…

Fred Duval © Chloé Vollmer Lo

Pourquoi une adaptation du roman de Michel Bussi Nymphéas noirs ?

Fred Duval. L’idée est venue après une rencontre avec Michel Bussi il y a tout juste 4 ans. Nous vivons dans la même ville et il est venu au « déjeuner mensuel des auteurs BD de Rouen » pour nous rencontrer. Il avait envie de faire de la Bande Dessinée. Un éditeur de chez Dupuis était présent, ils ont discuté dans les semaines suivantes et je crois que les Nymphéas se sont imposés comme le premier roman à adapter en BD. À l’époque, je n’avais rien lu de Michel et quand il m’a été proposé d’adapter le roman, je m’y suis plongé et ai vraiment aimé l’ambiance, les personnages, le coup de théâtre également que j’ai tout de suite envisagé dans la perspective d’une adaptation visuelle en me disant : on va bien s’amuser !

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Comme l’écrit Michel Bussi en ouverture de la BD, les Nymphéas noirs étaient réputés inadaptables. Qu’est-ce qui fait que ça marche ici ?

Fred Duval. Je pense que le dessin de Didier était idéal pour réussir cette adaptation, il est à la fois impressionniste avec des flous d’arrière-plan magiques (et on avait besoin de pas mal de magie) et un traité des personnages assez réaliste pour que l’histoire soit perçue au premier degré et que les lecteurs s’identifient bien aux protagonistes.

Du coté de l’adaptation, ça m’a demandé deux grosses semaines de réflexion pour lister tous les pièges, toutes les séquences inadaptables visuellement et trouver les solutions, les alternatives. J’ai ainsi ajouté le personnage de Liliane, policière au commissariat de Vernon.

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La chronique de l’album ici

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Qu’est ce qui a été le plus compliqué finalement dans ce travail d’adaptation?

Fred Duval. Le plus difficile a été de garder, de retranscrire l’ambiance absolument incroyable du roman, Giverny est un personnage a part entière, et j’espère que la promenade que nous proposons Didier et moi sera aussi agréable que celle proposée par Michel dans son roman.

Je dois dire que mon premier lecteur a été Michel Bussi. Il s’est énormément impliqué dans la relecture, cela nous a permis de constater que nous prenions du plaisir à travailler ensemble, l’aventure va donc se poursuivre.

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Le dessin contribue grandement à la réussite de cette adaptation avec cette touche impressionniste. Est-ce toi qui a suggéré Didier Cassegrain pour le dessin ?

Fred Duval. Oui, nous cherchions depuis quelques mois quand je me suis dit que Didier était pour moi le dessinateur idéal, nous nous connaissons depuis longtemps, je l’ai appelé en me disant qu’il était probablement engagé sur plusieurs années, il s’est trouvé qu’il avait une disponibilité quelques mois plus tard. Il a lu le roman et accepté la collaboration.

La Normandie, la peinture impressionniste, Monet, Rouen, Giverny… On est à la fois très loin de tes séries SF ou steampunk et très proche de ton univers quotidien. C’est une étape importante dans ton travail de scénariste?

Fred Duval. C’est trop tôt pour le dire. La Normandie est dans pratiquement toutes mes séries, mais c’est vrai que j’ai essayé d’appliquer dans cette adaptation tout ce que j’ai appris en terme de découpage, de rythme ; le découpage, c’est vraiment la partie que je préfère dans mon travail de scénariste, enfin c’est la partie où je me sens le plus à l’aise en fait. Quant aux sujet polar contemporain, c’est vrai que c’est une étape, je vais pérenniser en adaptant deux autres romans de Michel Bussi dans les prochaines années.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 20 janvier 2019. La chronique de l’album est à découvrir ici

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Nymphéas noirs : un petit miracle graphique signé Didier Cassegrain et Fred Duval d’après le roman de Michel Bussi

On sait les dégâts que peut provoquer l’adaptation d’une bande dessinée au cinéma, c’est exactement la même chose pour l’adaptation d’un roman en bande dessinée même s’il arrive parfois des miracles. En voici un très beau…

Non, nous ne sommes pas à Lourdes mais en Normandie, plus précisément à Giverny où s’inscrit le récit de Michel Bussi, un polar tendance roman d’amour, ou l’inverse, sorti en 2011 aux Presses de la Cité et aujourd’hui adapté en bande dessinée par le duo Duval / Cassegrain chez Dupuis.

Est-ce leur appartenance commune à cette Normandie verdoyante, et parfois mystérieuse, ou leur amour identique pour le récit populaire de qualité, toujours est-il que Fred Duval parvient aujourd’hui, comme Michel Bussi hier, à embarquer les lecteurs et les tenir en haleine jusqu’au fameux coup de théâtre final qui rendait toute adaptation visuelle vouée à l’échec. Du moins, c’est ce qu’on pouvait penser jusqu’à ce jour, c’est ce que pensait aussi Michel Bussi.

« Mes Nymphéas noirs étaient réputés inadaptables en images… », explique l’écrivain en ouverture du livre, « Avec cette bande dessinée, c’est un rêve qui devient réalité ».

Plus qu’un miracle donc, une réalité ! Fred Duval, qui a travaillé sur cette adaptation en étroite collaboration avec l’écrivain, n’a jamais été du genre a s’effrayer devant les défis scénaristiques. Et adapter ce roman en était un, clairement.

« Ça m’a demandé deux grosses semaines de réflexion pour lister tous les pièges, toutes les séquences inadaptables visuellement et trouver les solutions, les alternatives, j’ai ainsi ajouté le personnage de Liliane, policière au commissariat de Vernon. Le plus difficile a été de garder, de retranscrire l’ambiance absolument incroyable du roman, Giverny est un personnage a part entière… ».

Mais pour le scénariste, le dessin est aussi important que l’écriture dans la réussite du livre.

« Je pense que le dessin de Didier était idéal pour réussir cette adaptation, il est à la fois impressionniste avec des flous d’arrière-plan magiques (et on avait besoin de pas mal de magie) et un traité des personnages assez réaliste pour que l’histoire soit bien perçue au premier degré et que les lecteurs s’identifient bien aux protagonistes ». 

Alors bien sûr, ceux qui ont lu le roman de Michel Bussi connaissent déjà l’histoire, celle d’un meurtre étrange autant qu’inexpliqué dans les bucoliques paysages de Monet, et le dénouement qui lève le voile sur le mystère dans une secousse sismique temporelle de forte magnitude.

Pas de surprise donc de ce côté-là, mais les plus curieux auront le plaisir de découvrir une adaptation plus que réussie, scénaristiquement bluffante et graphiquement sublime. En même temps, ils s’offriront une belle petite promenade au cœur de la Normandie et de l’impressionnisme.

Pour les autres, ceux qui n’ont jamais lu Michel Bussi et peut-être Fred Duval, voilà une belle et première occasion, à priori pas la dernière puisque Fred Duval envisage aujourd’hui l’adaptation de deux autres romans de Michel Bussi dans les prochaines années.

Eric Guillaud

Nymphéas noirs, de Duval, Cassegrain et Bussi. Dupuis. 28,95€ (sortie le 25 janvier)

L’interview in extenso de Fred Duval est disponible ici

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

13 Jan

Fêtes himalayennes, les derniers Kalash : une BD documentaire ethnographique sur une des plus petites minorités pakistanaises

 Fêtes himalayennes les derniers Kalash est une bande dessinée, c’est aussi une exposition visible depuis le mois d’octobre dernier au musée des Confluences à Lyon avec une commune ambition : faire découvrir le peuple kalash…

Vous n’en avez jamais entendu parler ? Rien de plus normal. Les Kalash ne sont plus que 3000 sur notre bonne vieille planète, tous concentrés dans trois étroites vallées de l’Himalaya, à la frontière pakistano-afghane. S’ils étaient encore 40 000 au milieu du siècle dernier, ils forment aujourd’hui l’une des plus petites minorités du Pakistan, soudés autour de leur propre langue et surtout de leur propre religion polythéiste. Selon le Centre d’Information Inter-peuples, leurs croyances auraient « très peu évolué depuis 2300 ans ».

Et si le musée des Confluences à Lyon ainsi que les auteurs de cette bande dessinée publiée à La Boîte à bulles s’y intéressent aujourd’hui, c’est bien que la culture et les traditions du peuple kalash sont menacées de disparition, doublement menacées même, à la fois par l’islamisation du Pakistan et l’influence du monde moderne.

Jean-Yves Loude, Viviane Lièvre, tous deux ethnologues, Hubert Maury, ethnologue et dessinateur, et Hervé Nègre, photographe, signent ce récit documentaire basé sur leurs voyages au pays des Kalash. À la façon du Photographe, un récit d‘Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre et Frédéric Lemercier publié dans les années 2000 chez Dupuis, Fêtes Himalayennes mêle plutôt habilement dessins et photographies pour raconter le quotidien de ce peuple et notamment les rites liés aux changements de saison. Un vrai voyage !

Eric Guillaud

Fêtes himalayennes les derniers Kalash, de Jean-Yves Loude, Hubert Maury et Hervé Nègre. La Boîte à bulles. 18€

L’exposition présentée au musée des Confluences à Lyon est visible jusqu’au 1er décembre 2019

© La Boîte à bulles / Loude, Lièvre, Nègre & Maury

09 Jan

Das Feuer : Patrick Pécherot et Joe Pinelli adaptent le roman d’Henri Barbusse sur la première guerre mondiale

Vous doutez encore de l’horreur de la guerre ? Vous vous dites parfois qu’après tout ça pourrait remette le pays sur les rails ? Alors ce livre est fait pour vous rappeler que la guerre n’est pas une partie de jeu vidéo la Call of Duty…

« Ah ma pauv’dame, une bonne guerre qu’il leur faudrait ». On a tous entendu cette phrase un bon nombre de fois. À en croire ces gens de mauvaise augure, une bonne guerre serait salutaire, surtout en période de troubles intérieurs. Tiens, comme en ce moment en France.

Sauf que la guerre en France, on connait. On sait les ravages qu’elle a fait au siècle précédent. Deux guerres mondiales, des guerres en Corée, Indochine ou encore en Algérie. On se serait presque habitué.

Presque ! Parce qu’en fait on ne peut pas s’habituer à l’horreur. Ce n’est pas possible. On peut oublier, certes, mais on ne peut pas s’habituer.

Et même si on oublie, il y a les survivants, les historiens, les écrits et parfois les images qui peuvent témoigner. Comme ce texte d’Henri Barbusse, Le Feu, magnifiquement adapté aujourd’hui en BD par Patrick Pécherot et Joe Pinelli. Henri Barbusse a fait la guerre, en première ligne, de 1914 à 1916. Alors forcément, il sait de quoi il cause. Le Feu écrit dans la foulée de son engagement sur le front a reçu le Prix Goncourt 1916.

Bien sûr, même avec ce texte, les lecteurs du XXIe siècle peuvent avoir du mal à se représenter vraiment la chose, à imaginer ne serait-ce qu’un dixième de ce que ces millions d’hommes ont dû supporter mais Il suffit de regarder ces visages torturés, dessinés par Joe Pinelli au crayon (comme dans les carnets de croquis des poilus), pour s’en approcher un peu plus, je pense. On y lit la fatigue, le froid, la peur, la douleur et la mort. Car c’est ça la guerre, rien de romanesque, que du sang, de la boue et de la merde. Et des hommes « gardant juste assez d’énergie pour repousser la douceur qu’il y aurait à se laisser mourir ».

L’adaptation de Patrick Pécherot et Joe Pinelli s’appuie sur les deux derniers chapitres du livre, La Corvée et dans une moindre mesure L’Aube, une adaptation d’autant plus remarquable qu’ils ont choisi de transposer le récit dans le camp allemand, oui de l’autre côté des no man’s lands, dans les tranchées des « boches ». D’où le titre Das Feuer. Et ça marche. Forcément, puisque l’horreur est sans frontières !

Eric Guillaud

Das Feuer, de Patrick Pécherot et Joe Pinelli. Casterman. 22€

© Casterman / Pinelli & Pécherot

07 Jan

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême du 24 au 27 janvier : y aller ou pas ?

C’est tous les ans la même question qui revient. Est-ce que ça vaut la peine de braver le froid, la neige, la grippe et la gastro pour arpenter les allées du Festival International de la Bande Dessinée ? La réponse est oui bien sûr car le monde entier, celui du neuvième art en tout cas, s’y donnera une nouvelle fois rendez-vous avec un programme copieux. En attendant, cure de vitamines pour tout le monde…

© MaxPPP – Renaud Joubert

Rendez-vous incontournable, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême se déroulera du 24 au 27 janvier. Dédicaces, expos, concerts de dessins, rencontres, conférences, projections… le programme s’annonce une nouvelle fois gargantuesque. Préparez vos albums, on vous aide à défricher le terrain…

Le festival en chiffres

1500 auteurs et autrices, 870 journalistes français et étrangers, 23 pays représentés, 228 maisons d’édition francophones, 6600 professionnels, 24900 mètres carrés dédiés et près de 200 000 visiteurs attendus pour cette 46e édition… Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes, le FIBD envahit la ville, places et bâtiments publics, musées et salles d’expos. Même les commerces du centre ville se mettent aux couleurs de l’événement.

Le Grand Prix

L’Américain Richard Corben a été promu Grand Prix du Festival lors de la précédente édition. Honneur lui sera donc rendu notamment autour d’une exposition-rétrospective au Musée d’Angoulême visible du 24 janvier au 10 mars 2019 (Déconseillée aux moins de 16 ans).

La sélection officielle du Festival

45 albums ont été retenus dans la sélection officielle de cette nouvelle édition. Ils concourront pour les quatre prix de la sélection officielle, à savoir le Fauve d’Or – Prix du meilleur album, le Prix Spécial du Jury, le Prix de la Série et le Prix Révélation. Par ailleurs, 10 albums seront en compétition pour le Prix Jeunesse, huit albums pour le Prix du Patrimoine et 5 albums pour le Prix du Polar SNCF. La cérémonie des Fauves se déroulera le samedi 26 janvier au Théâtre d’Angoulême. Plus d’infos ici.

© Jim Aparo – DC Comics

Les expositions

Outre l’exposition consacrée au Grand prix Richard Corben, l’édition 2019 nous invitera à plonger dans l’univers de Batman qui atteint cette année l’âge canonique de 80 ans sans une ride et sans un faux pli au costume. L’exposition qui se veut immersive et ludique proposera de traverser tous les lieux cultes du super-héros (L’Alpha, médiathèque de Grand Angoulême).

Le maître de l’érotisme Milo Manara fête lui ses 50 ans de carrière. Le festival lui consacrera une exposition-rétrospective qui révélera l’extraordinaire variété de son oeuvre (Espace Franquin).

Une autre rétrospective sera consacrée au Japonais Taiyō Matsumoto (Amer Béton, Printemps bleu, Gogo Monster…) avec près de 200 œuvres originales présentées (Musée d’Angoulême).

Au menu également, des expositions consacrées à Bernadette Després et ses personnages Tom-Tom et Nana, à Tsutomu Nihei et ses mangas de science-fiction, à Rutu Modan, Jean Harambat, Jérémie Moreau…

© Richard Corben

Rencontres et masterclass

Avec 6600 professionnels présents parmi lesquels 1500 auteurs et autrices, il serait malheureux de ne pas en profiter pour les interroger et les écouter parler de leur métier, de leur passion, de leur art. Des rencontres internationales seront organisées pendant toute la durée du festival avec notamment Milo Manara (Le Déclic…), Terry Moore (Strangers in Paradise…), Kentaro Sato (Magical Girl of the End…) ou encore Christian Rossi (Le Cœur des Amazones…). Des rencontres mais aussi des masterclass avec Tsutomu Nihei (BLAME!…) et Taiyo Matsumoto (Gogo Monster...)

Concerts de dessins

Mettre le dessin en musique ou l’inverse, mettre la musique en images, c’est le challenge de cet événement organisé par le FIBD en partenariat cette année avec l’Orchestre de Paris et la Philharmonie de Paris. Une rencontre entre la musique classique et la bande dessinée autour de deux auteurs, Kim Jung Gi et Lorenzo Mattotti, et trois dates, les 24, 25 et 26 janvier au Théâtre d’Angoulême.

Musique classique mais aussi jazz avec le concert dessiné associant cette fois le FIBD et le festival Jazz à Vienne. Cette année, la scène du théâtre d’Angoulême proposera une rencontre entre les artistes Chassol et Brecht Evens le 25 janvier. 

© Taiyō Matsumoto / Shogakukan

Et tout le reste…

Le festival, c’est aussi, bien évidemment, l’occasion de rencontrer ses auteurs préférés en dédicaces, de découvrir la richesse du neuvième art à travers toute une série d’animations et d’arpenter une ville qui depuis 46 ans accueille l’un des rendez-vous phares du neuvième art, parmi les plus importants au monde…

Eric Guillaud

Plus d’infos sur le festival ici