04 Nov

Spirou, l’espoir malgré tout : le chef-d’oeuvre d’Émile Bravo réédité en intégrale

On aurait tendance à l’utiliser un peu facilement au point de le galvauder mais chef-d’œuvre est bien le mot adéquat pour évoquer ce récit en bande dessinée d’Émile Bravo paru initialement en quatre volets et aujourd’hui réédité en intégrale. Avec rien de plus mais rien de moins que l’immense talent de l’auteur pour nous embarquer en compagnie de Spirou au cœur des années sombres de l’humanité…

En imaginant Le Journal d’un ingénu en 2008, Émile Bravo rêvait de réaliser l’album fondateur de la série Spirou et Fantasio, « celui qui expliquerait, ou du moins remettrait en perspective, les 49 albums parus à ce jour », disait-il alors. Et il l’a fait, bien fait même, en déroulant un scénario intelligent qui répondait à diverses questions autour du personnage, de son histoire, de sa rencontre avec Fantasio, de ce costume de groom qu’il porte encore aujourd’hui… le tout dilué dans une fiction-réalité sur fond de bruits de bottes. La guerre était là, la Pologne avait été envahie, la France et l’Angleterre déclaraient la guerre à l’Allemagne…

L’espoir malgré tout ?

L’Espoir malgré tout débute en janvier 1940, soit quatre mois plus tard. Quatre mois qui n’ont en rien calmé la folie des hommes mais assurément fini de tuer l’insouciance. Les enfants s’amusent encore dans les rues mais à des jeux qui sonnent comme une répétition générale de ce qui va arriver. Et Spirou ? Le Spirou d’Émile Bravo est grave. Il est inquiet, inquiet pour son amoureuse, une Allemande juive et communiste dont il parvient difficilement à avoir des nouvelles. Il est inquiet aussi pour le monde qui glisse tout doucement et surement vers l’apocalypse.

© Dupuis / Bravo

Bruits de bottes 

Et puis c’est la guerre. Les premiers bombardements, les premières ruines, les premiers morts, la peur, les armées alliées en déroute, le peuple en fuite avec soudain cette première image particulièrement forte, Spirou et Fantasio sidérés devant leur premier Allemand. Et quelques pages plus loin, une deuxième image forte, Spirou croisant un défilé de soldats allemands enveloppés de ce bruit de bottes caractéristique qui a tant fait trembler l’Europe et retranscrit ici en quelques CLOM! CLOM! CLOM! bien sentis.

Dans ce monde en guerre, Spirou n’est pas épargné. La mort, les restrictions alimentaires, les collabos, la chasse aux juifs… Le héros assiste médusé au déferlement de haine et de violence. Mais Émile Bravo n’en fait pas pour autant un Superman, un résistant de la première heure, armes en main. Non, bien incapable de monter au front, il s’interroge et interroge son compagnon Fantasio :« Tu sais bien qu’une guerre est un abattoir. nous aurions pour devoir de retourner à la barbarie ? Tuer nos semblables, tu te rends compte ? ».

Spirou humaniste ? Fantasio collabo ?

Comme il a toujours été, Spirou est incapable de faire le mal. Les enjeux de la guerre le dépassent totalement. Fantasio, de son côté, est le grand naïf du tandem, capable un jour de tenir un discours guerrier envers les envahisseurs, ces « barbares » qu’il compte bouter hors de Belgique dans une tenue improbable (veste de soldat belge en haut, pantalon rouge prêté par Spirou en bas), capable plus tard d’aller se faire embaucher comme reporter au Soir, le Soir volé comme on le surnommait à l’époque, journal ni plus ni moins collabo.

Scène hilarante en passant que celle d’un Fantasio proposant au boss du journal (on reconnaît quelques traits du vrai patron Horace Van Offel dans le personnage), un papier sur « les excellents biscuits et caramels de l’armée allemande ». On croit rêver ! À ce niveau de naïveté, on peut légitimement l’imaginer atteint d’une bêtise aiguë ou d’une allégeance soudaine aux Allemands. De là à l’imaginer adhérer à l’idéologie nazie…

© Dupuis / Bravo

Fiction ou réalité ?

Certes, les aventures de Spirou et Fantasio ont toujours appartenu à la fiction. Même si, depuis 80 ans qu’elles existent, transparaît dans leurs cases le monde tel qu’il est, tel qu’il évolue, dans toute sa beauté et parfois dans toute sa noirceur. Mais plonger nos deux personnages de papier dans une réalité aussi dure et violente, aussi réelle, aussi froide, où le monde se déchire, où les voisins, les amis d’hier, s’entretuent, est assurément une première.

Spirou vs Tintin

Contrairement à l’ami Tintin, Spirou continue de vivre aujourd’hui encore de nombreuses aventures, à la fois sous les couleurs de la série mère, actuellement animée par Abitan, Guerrive et Schwartz, et de façon plus épisodique sous forme de one shots dans la collection Les aventures de Spirou et Fantasio par… . L’Espoir malgré tout s’inscrit dans cette dernière, même si cette histoire compte quatre volumes et s’inscrit comme une suite au Journal d’un ingénu.

À l’instar du Journal d’un ingénu, cet album permet à Émile Bravo d’apporter certaines réponses concernant le personnage. Qu’a-t-il fait pendant la guerre ? Comment s’est-il comporté et positionné ? Aurait-il pu être résistant ? Dans la vraie vie, le journal Spirou a continué de paraître durant la guerre jusqu’à son interdiction par les Allemands en septembre 1943.

Est-ce cette interdiction ou autre chose, quoi qu’il en soit, les éditions Dupuis ne seront pas inquiétées par l’épuration et pourront rapidement reprendre la publication du journal. Ce qui n’est pas le cas pour Hergé qui a travaillé pendant les années d’occupation au journal clairement collabo Le Soir. Il faudra attendre 1946 pour qu’il soit à nouveau autorisé à publier les aventures de Tintin.

© Dupuis / Bravo

Et Tintin justement, qu’aurait-il fait durant la guerre ? Émile Bravo ne répond bien évidemment pas à cette question mais fait clairement référence à toute cette histoire en déguisant Spirou en… Tintin, à un moment de l’histoire où le héros a besoin de passer inaperçu. « Parfait, tu peux à nouveau sortir et chercher du travail si tu souhaites », fait dire Émile Bravo à Fantasio. Et de faire répondre Spirou : « Comme reporter au Petit Vingtième ? ».

Quoi qu’il en soit, Spirou gagne du galon. Étonnement, alors que l’auteur met en images un Spirou très jeune, il peut apparaître aux yeux des lecteurs comme un personnage très mûr, très réfléchi. Et c’est tout le talent d’Émile Bravo qui est parvenu ici à lui redonner de l’épaisseur dramatique.

Le bonheur en intégrale

Publiés entre 2018 et 2022, les quatre volets de Spirou, l’espoir malgré tout, se retrouvent très logiquement réunis dans une somptueuse intégrale au dos toilé rouge qu’on aurait toutefois aimée agrémentée d’un dossier autour du travail de l’auteur et du contexte historique. Mais ne boudons pas notre plaisir, nous avons là un chef-d’œuvre de la bande dessinée franco-belge, 352 pages à dévorer jusqu’au bout de la vie, des planches d’une précision implacable, un mélange de tradition et de modernité dans le trait, des ambiances des plus réalistes et des couleurs nuancées qui nous immergent littéralement dans cette sombre époque de la seconde guerre mondiale.

Eric Guillaud

Spirou, l’espoir malgré tout, Intégrale, d’Émile Bravo Dupuis. 49,90€

02 Nov

Sur le front de Corée : les reportages d’Henri de Turenne, Prix Albert-Londres, adaptés en BD

Du nouveau chez Aire Libre ! Il ne s’agit pas d’une collection à proprement parler, ni d’une sous-collection, mais d’une série d’ouvrages dont le pitch pourrait être : un  lauréat ou une lauréate du prix Albert-Londres, un reportage, une adaptation en roman graphique. Avec, pour débuter, Henri de Turenne et ses écrits sur la guerre de Corée…

Il y a quelques années de cela, les éditions Dupuis en association avec Magnum Photos proposaient une série de bandes dessinées autour de quelques-uns des plus grands photographes, Cartier, McCurry ou encore Capa, et de photos ayant marqué l’histoire.

C’est un peu le même principe ici mais avec, en lieu et place des photographies, des reportages écrits autour d’événements majeurs. Et qui mieux que Henri de Turenne pour ouvrir cette nouvelle série ? Journaliste à l’Agence France Presse, avant de rejoindre France Soir puis Le Figaro, Henri de Turenne se prit de passion pour la télévision naissante, contribuant notamment à la création de l’émission culte Cinq colonnes à la une et aux premiers documentaires historiques sur archives.

C’est pour sa couverture de la guerre de Corée qu’il reçu le Prix Albert-Londres en 1951, Prix dont il devint par la suite membre du jury et qu’il étendit à l’audiovisuel.

© Dupuis / Ortiz, Marchetti & De Turent

Stéphane Marchetti, qui partage la direction de la série avec Jean-David Morvan, explique son objectif dans une interview des éditions Dupuis :

« À l’heure où le public a de plus en plus de mal à faire la différence entre une vraie info et une intox ; où les journalistes sont pris pour cible ; où le rôle d’une profession est remis en cause, ce projet montre ce qu’est réellement le travail d’un.e reporter sur le terrain. Car aller sur le terrain, c’est le cœur de son métier ».

Ce terrain, Henri de Turenne l’a parcouru dans tous les sens, au plus près du front, au plus près des soldats, au plus près des explosions et parfois dans le viseur des armes nord-coréennes. Beaucoup de journalistes sont morts pendant cette sale guerre de Corée. Lui a eu la chance de revenir et de pouvoir témoigner.

Le scénario de Sur le front de Corée s’appuie sur les écrits d’Henri de Turenne et notamment sur ses articles pour l’AFP et Le Figaro. On y découvre toute l’horreur de la guerre, bien sûr, mais aussi un métier de passion et de conviction, le journalisme, et un homme, prêt à retarder son mariage pour se rendre dans l’urgence sur le front, prêt à risquer sa vie pour informer. Une histoire passionnante portée par un graphisme réaliste classique mais plutôt efficace.

Parallèlement au livre de Stéphane Marchetti et Rafael Ortiz, l’INA, Lumni Enseignement et les éditions Dupuis ont produit une vidéo sur le parcours d’Henri de Turenne associant archives et illustrations de la BD.

Enfin, pour être tout à fait complet sur le sujet, quatre autres livres sont actuellement en cours de réalisation, Les Mémoires de la Shoah, par Thea Rojzman et Tamia Baudouin, Les Fantômes du fleuve, par Doan Bui et Damien Roudeau, Bienvenue chez Mugabe!, par Sophie Bouillon et Lorena Canottière et L’Odyssée du MC Ruby, par Jean-David Morvan, Philippe Broussard et Jean-Denis Pendanx.

Eric Guillaud

Sur le front de Corée, de Marchetti, Ortiz et de Turenne. Dupuis. 26€

29 Oct

Jeremiah, Les Envahichieurs, La Horde de Contrevent, Nocéan, Horizon noir, Sturne, L’Héritage fossile… Dix BD SF pour imaginer le futur

Le festival international de science-fiction de Nantes se tiendra du 30 octobre au 3 novembre avec un menu absolument gargantuesque. En attendant, on vous propose de partir aux confins de l’univers et au cœur des grands questionnements contemporains à travers notre sélection de bandes dessinées récentes…

Pour la 25e année, des centaines de chercheurs, auteurs, réalisateurs, artistes et des milliers de visiteurs sont attendus à Nantes pour débattre, imaginer, penser, l’avenir autour cette année de la thématique « Harmonie ». Histoire de se mettre dans l’ambiance, voici déjà une sélection de bandes dessinées de science-fiction qui partagent une certaine inquiétude pour notre planète…

La suite ici

28 Oct

Les Enfants de l’Empire : une romance dans la Corée des années 1930 signée Yudori

Après Le Ciel pour conquête et la Hollande du XVIe siècle, la jeune autrice coréenne Yudori nous offre un nouveau voyage dans le temps et l’espace avec Les Enfants de l’empire, une romance dans le contexte de la Corée des années 30…

Jun et Arisa sont deux adolescents, ils vivent sous le même toit mais ne sont pas issus de la même famille. Ils n’ont d’ailleurs pas grand-chose en commun. Héritier d’une noblesse déchue, Jun vient de la campagne profonde. Poussés par la misère, lui et sa mère sont venus s’installer à Gyeongseong, aujourd’hui Séoul, pour trouver du travail. Sa mère s’est finalement mise au service de Monsieur Jo, un riche commerçant qui n’est autre que le père d’Arisa.

Tandis que Jun a été élevé dans la tradition la plus stricte, Arisa, elle, a toujours baigné dans une culture urbaine à l’occidentale, moderne et ouverte sur le monde. Ses habits, ses loisirs, ses passions, sa manière de se comporter sont loin d’être la norme dans la Corée des années 30 alors occupée par les Japonais. Pourtant, même si tout les oppose, Jun et Arisa vont s’aimanter l’un l’autre et nouer une relation amoureuse qui ne dit pas son nom… du moins dans ce premier volet.

Si la trame du récit est extrêmement classique, ce premier volet des Enfants de l’Empire se distingue par une approche associant fiction et pages documentaires, romance et histoire de la Corée. Il se distingue aussi et surtout par sa mise en images, un trait gracieux, des planches épurées et des couleurs douces. Enfin, et comme elle l’a déjà fait dans son précédent livre, Yudori s’intéresse ici à la condition féminine et aux différences de classes. Sans lourdeur !

Eric Guillaud 

Les Enfants de l’Empire tome 1, de Yudori. Delcourt. 19,99€

© Delcourt / Yudori

23 Oct

Le Déviant : un conte de Noël de James Tynion IV et Joshua Hixson à ne pas mettre entre toutes les mains

Après The Nice House On The Lake, Fauve de la série au Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême 2024, le scénariste James Tynion IV s’associe au dessinateur Joshua Hixson pour un conte de Noël loin de faire rêver…

Chicago, décembre 2023. Tout est réuni pour célébrer Noël comme il se doit : la neige, les couleurs chaudes et attrayantes des vitrines des grands magasins, la foule des grands jours, les bras chargés de cadeaux, le Père Noël pour la pause photo… Tout est là sauf Michael, perdu dans ses pensées.

« À quoi tu penses, dis-moi ? », lui demande son ami. « Je pense à du papier-cadeau », répond Michael.

Bien entendu, Michael pense à toute autre chose, à son prochain bouquin. Michael est un auteur de comics qui après avoir animé les aventures de super-héros s’aventure aujourd’hui dans un genre beaucoup plus sombre, celui des serial killers, et en l’occurrence il s’intéresse de très près à l’histoire de Randall Olsen, dit le Déviant, qui comme lui est originaire de Milwaukee.

Le Déviant a sévi il y a cinquante ans de cela, tuant des adolescents et utilisant leurs corps pour des mises en scène des plus macabres. De quoi marquer la ville entière pour des générations et des générations !

© Urban Comics / James Tynion IV & Joshua Hixson

Michael, lui, même s’il a été tout autant marqué, avoue aujourd’hui une fascination pour les serial killers. De quoi l’interroger sur lui-même et espérer trouver des réponses dans son livre. Pour cela, Michael a convaincu Randall Olsen de se livrer à lui dans une série d’entretiens. Mais pour raconter quoi, se demande le Déviant ?

« Les gens ont passé les cinquante dernières années à raconter des salades sur mon compte. J’en ai lu la plupart. Les matons me laissent même regarder les documentaires sur leurs portables… Quel genre de salades comptez-vous raconter sur mon compte ? ».

Michael veut-il au moins raconter l’histoire du Déviant ? Ou raconter la sienne ? Alors que les entretiens s’enchainent, que l’angle de son récit prend corps, un nouveau meurtre est commis avec le même mode opératoire…

© Urban Comics / James Tynion IV & Joshua Hixson

Auréolé de quatre Eisner Awards et d’un Fauve de la meilleure série pour l’extraordinaire diptyque The Nice House On The Lake, James Tynion IV revient ici avec un scénario à mon avis encore plus fort, encore plus percutant, qui interroge, nous interroge tous, sur la fascination que peut exercer le crime sur notre société. Au dessin, un petit prodige, Joshua Hixson, qui s’est fait connaître en signant des comics d’horreur. Chacune de ses planches est une leçon d’ambiances, l’auteur alternant la douceur des fêtes de Noël et l’horreur des scènes de crimes avec une facilité déconcertante. Horriblement magnifique ! Ou l’inverse !

Eric Guillaud

Le Déviant, de James Tynion IV et Joshua Hixson. Urban Comics. 20€

19 Oct

Perpétuité : la nouvelle enquête de Jérôme K. Jérôme Bloche à lire jusqu’au bout de la vie

C’est le détective privé le plus lunaire du neuvième art, le plus sympathique aussi, Jérôme K. Jérôme Bloche est de retour pour une vingt-neuvième aventure qui commence par une panne de solex et la disparition d’un doudou, avant de prendre une tournure moins ordinaire…

Il a fait un temps figure de héros nouvelle génération, il est aujourd’hui considéré comme l’un des piliers du journal Spirou et des éditions Dupuis à l’image d’un Gaston, d’une Natacha ou de Tuniques Bleues. Et malgré tout, Jérôme K. Jérôme Bloche n’a pas pris une ride, le secret d’une vie de détective au grand air et au grand cœur ! 

Pas de courses-poursuites tonitruantes, pas de gros calibres, pas de grosses Chevrolet, pas d’héroïnes au supers-pouvoirs, non les aventures de Jérôme sont toujours proches de nous, jamais loin de nos préoccupations, dans tous les cas à portée de Solex, son moyen de transport préféré, même si, pour les besoins du scénario, il a dû cette fois troquer son fameux Solex pour une authentique Motobécane.

Bref, Jérôme K. Jérôme Bloche est un être de papier délicieusement attachant, humain, sensible, peut-être un peu lunaire, un détective privé qui n’aime pas les intrigues mais adore les résoudre. Et justement, ça tombe bien, un doudou a disparu ! Oui, un doudou, une peluche en somme, qui appartient à la jeune Yasmina. Mais le plus troublant dans l’affaire, c’est que son oncle a, lui aussi, étrangement disparu. Et au même endroit : une grande maison bourgeoise. Du boulot pour notre détective !

Eric Guillaud

Perpétuité, Jérôme K. Jérôme Bloche tome 29, de Dodier. Dupuis. 13,50€

© Dupuis / Didier

 

18 Oct

Vacances de la Toussaint : dix bandes dessinées jeunesse à dévorer bien au chaud sous la couette

Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige… peu importe la météo, il suffit d’un bon fauteuil ou d’un lit douillet pour s’offrir un peu d’évasion à travers les pages de quelques récits d’aventure en bande dessinée. On vous en propose ici une sélection, dans tous les styles, dans tous les genres, dix nouveautés lues et largement approuvées…

La suite ici 

15 Oct

« J’ai rencontré Jean-Marie Villemin et je suis tombé sous le charme de cet homme incroyable » : rencontre avec le scénariste de Grégory, la BD qui revient sur l’affaire

Il y a 40 ans, le corps du petit Grégory était retrouvé sans vie dans la Vologne. D’un fait divers tristement banal, ce meurtre deviendra l’une des plus grandes affaires criminelles de l’après-guerre. Une bande dessinée réalisée par le scénariste angevin Patrice Perna et le dessinateur Christophe Gaultier, avec la collaboration de Jean-Marie Villemin lui-même, vient de sortir aux éditions Les Arènes. Avec pour objectif de rétablir quelques vérités. Interview…

Pat Perna, auteur du roman graphique Gregory • © Philippe Matsas

Le 16 octobre 1984, il y a précisément 40 ans, le corps d’un enfant de quatre ans est retrouvé sans vie dans une rivière des Vosges, la Vologne, les pieds, les mains et la tête liés par des cordelettes, un bonnet de laine enfoncé sur la tête. Ce petit garçon s’appelle Grégory. Il a suffi d’un instant pour qu’il soit enlevé et sauvagement tué. Et il a suffi d’un cliché montrant le corps à peine sorti de la rivière par la police pour que ce drame prenne une dimension nationale et médiatique hors norme.

Un mystère de 40 ans

Quarante ans après, le meurtre n’est toujours pas élucidé, le mystère est complet et fascine toujours autant le public. Jean-Marie et Christine Villemin, les parents, continuent de leur côté à se battre pour que l’identité du tueur soit enfin connue. Loin des médias qu’ils ont décidé de fuir depuis longtemps !

Mais Jean-Marie Villemin, conscient que l’approche de l’anniversaire des quarante ans allait susciter quantité de productions où « tout et le contraire de tout allaient être dits », a lui-même initié la réalisation d’une bande dessinée.

Une BD à la mémoire de Grégory

Cette bande dessinée est aujourd’hui disponible dans toutes les bonnes librairies de France, signée par deux auteurs de renom dans le milieu du neuvième art : Patrice Perna au scénario et Christophe Gaultier au dessin. Loin de s’en tenir à l’écriture de la seule préface, Jean-Marie Villemin a collaboré de façon très étroite à l’écriture, fournissant des milliers de documents aux auteurs et apportant toutes les précisions nécessaires pour éviter les approximations. Avec une volonté affichée de raconter leur histoire et d’honorer la mémoire de Grégory.

Pris dans le tourbillon d’une couverture médiatique à laquelle il ne s’attendait pas forcément, preuve s’il en est besoin de l’immense fascination exercée par cette affaire, Patrice Perna a très gentiment et accepté de répondre à nos questions. En prenant le temps nécessaire ! 

L’interview ici

13 Oct

Franquin et moi, Dessine ! et Patchwork, trois beaux livres autour de la bande dessinée et du livre jeunesse

On est encore loin de Noël mais ces ouvrages-là pourraient bien faire de l’effet au pied du sapin…

On commence avec une nouvelle collection baptisée Les Cahiers de la bande dessinée, du nom du fameux magazine, et deux ouvrages qui l’inaugurent, Franquin et moi et Dessine!.

Il s’est appelé Schtroumpf au tout début de l’aventure, en 1969, et n’était qu’un fanzine animé par un futur grand éditeur, Jacques Glénat. Il deviendra avec le temps Schtroumpf Les Cahiers de la bande dessinée, puis Les Cahiers de la bande dessinée, puis Les Cahiers de la BD avant de s’arrêter en 1990… et de reprendre sous le même nom en 2017. C’est dans le « prolongement naturel » de ce magazine, écrit l’éditeur Glénat, que se positionne aujourd’hui cette nouvelle collection.

Dans un petit format, Dessine ! permet à Frank Pé de dérouler une réflexion sur un art qu’il ne considère pas comme un « animal hybride » mais comme un « langage unique et cohérent » qui demande « une maîtrise de moyens particuliers, comme l’écriture des dialogues ou la couleur ». Souhaitant ici s’adresser aux apprentis dessinateurs mais aussi aux professionnels et aux lecteurs, bref à tous ceux qui aiment le neuvième art, l’auteur décortique cet art et le questionne en s’appuyant sur son expérience et sur quelques pointures du domaine, Franquin, Follet, Hermann ou encore Moebius.

Avec une première question : Qu’est-ce qui fait un bon dessin ? Et une première affirmation : « Je dois bien avouer qu’une part de ma motivation à parler ici de dessin provient de l’observation d’une accumulation des médiocrités que l’on voit se déployer dans l’édition contemporaine avec beaucoup d’aplomb ».

Qu’il aborde le dessin en tant que tel, les nouvelles tendances comme la bande dessinée reportage, la narration, le découpage ou encore les récompenses, une chose est sûre, Frank Pé n’y va pas par quatre chemins, au risque parfois d’être cinglant mais jamais incorrect, ne citant jamais de nom de qu’il appelle sa matière noire, les exemples négatifs. Ce sont surtout les mots d’un amoureux du bel ouvrage, de cette bande dessinée qui nous transporte vers des horizons, des univers, des imaginaires insoupçonnés. Petit mais costaud, Dessine! est qui plus-est somptueusement illustré par une iconographie finement choisie. Passionnant !

Dans un format plus conséquent cette fois, Franquin et moi est en quelque sorte le making of d’un autre livre, cultisme, récemment réédité aux éditions Glénat, Et Franquin créa la gaffe. Numa Sadoul y rassemblait ses entretiens avec l’un des grands maîtres de la bande dessinée franco-belge, André Franquin, abordant la reprise des aventures de Spirou et Fantasio, la création de Gaston Lagaffe, les fameuses Idées noires, le Trombone illustré…  et plus largement son métier d’auteur de BD. Ce livre est devenu une référence pour tous les amoureux du neuvième art.

Rien d’étonnant donc qu’un jour, l’arroseur devienne l’arrosé, autrement dit que l’interviewer prenne la place de l’interviewé. Et dans le rôle de l’intervieweuse, c’est Christelle Pissavy-Yvernault qui s’y colle, une immense spécialiste de la bande dessinée franco-belge et notamment des éditions Dupuis. Avec l’idée de faire une livre réunissant la connaissance théorique et bibliographique de l’une et la connaissance intime sur Franquin de l’autre. À l’image de Et Franquin créa la gaffe, le livre de Christelle Pissavy-Yvernault est un livre d’entretien. Numa Sadoul y raconte ses débuts dans les fanzines, avec Jacques Glénat, ses contributions dans le monde du théâtre, de la littérature, de l’opéra, sa première rencontre avec Franquin, leur amitié… et la réalisation du mythique Et Franquin créa la gaffe. La boucle est bouclée !

Changement d’éditeur et d’univers avec ce somptueux artbook publié par les éditions Daniel Maghen et consacré à la créatrice de la série pour enfants Ernest et Célestine, Gabrielle Vincent. Pour celles et ceux qui n’auraient jamais été enfants, la série Ernest et Célestine a vu le jour en 1981 et met en images un ours, Ernest, et une souris, Célestine. D’une tendresse infinie, leurs aventures apporteront une reconnaissance internationale à Gabrielle Vincent et s’imposent aujourd’hui comme un classique de la littérature jeunesse et au-delà. Les aventures d’Ernest et Célestine ont été adaptées en roman jeunesse, en film d’animation, en série d’animation, en pièce de théâtre…

Patchwork nous propose une biographie en images de Gabrielle Vincent. Plus de 300 pages, presque autant d’illustrations, depuis ses premiers nus réalisés en atelier jusqu’aux dessins préparatoires d’Ernest et Célestine, en passant par des scènes de vie à Bruxelles ou en Afrique du Nord, des portraits ou des paysages. Avec à chaque fois, une précision dans le trait, une élégance dans le mouvement, une émotion dans les yeux. Chez Gabrielle Vincent, tout passe par le dessin. Une référence pour quantité d’illustrateurs et d’auteurs BD !

Eric Guillaud

Dessine!, de Frank Pé. Glénat. 25€ – Franquin et moi, entretiens avec Numa Sadoul, de Christelle Pissavy-Yvernault. Glénat. 32,50€ – Patchwork, de Gabrielle Vincent. Daniel Maghen. 39€

10 Oct

Vacances de la Toussaint : 12 mangas pour les jours de pluie

Bientôt les vacances, du temps pour bouquiner, alors c’est le moment de rassembler ses prochaines lectures. On vous aide avec cette sélection de mangas en tout genre…

On commence avec le retour d’une série culte, que dis-je LA série culte, je veux bien évidemment parler de Dragon Ball du sieur Akira Toriyama. Quarante ans d’existence, des millions et des millions d’albums vendus à travers la planète, des adaptations en films d’animation, en jeux, des produits dérivés comme s’il en pleuvait… et une nouvelle collection pour ce bijou du manga, une collection Full Color et grand format dont la publication a débuté en mai de cette année. Cinq volumes ont paru à ce jour et un petit sixième est annoncé pour novembre, de quoi retrouver Goku en quête de ses sept boules de cristal, les fameuses Dragon Balls… (Dragon Ball Full Color, d’Akira Toriyama. Glénat. 14,95€ le volume)

Vous adorez Dragon Ball ? Alors, forcément, vous adorerez Sand Land, un one shot signé du même auteur, Akira Toriyama, réédité ces jours-ci en grand format, assorti de pages couleurs et d’un dossier sur la réalisation de cette histoire à la Mad Max, avec son désert, ses véhicules improbables, ses poursuites infernales et ses monstres. Il faut dire que la guerre est passée par là, a transformé la Terre en une planète aride où l’eau est désormais une ressource extrêmement rare. Suffisamment pour que Beelzebub, le prince des démons, s’attaque aux convois d’eau. Jusqu’au jour où il entend parler d’une oasis légendaire… (Sand Land, d’Akira Toriyama. Glénat. 13,25€)

On continue avec les rééditions et la série Rave. Dix-huit tomes attendus, 4 sont d’ores et déjà disponibles, une réédition en grand format et volumes doubles, de quoi profiter pleinement du dessin de Hiro Mashima et de cette histoire à la Dragon Ball qui débute dans un monde sur le point de basculer dans les ténèbres, cinquante ans après une guerre qui a opposé les Rave, les pierres sacrées, aux Dark Bring, les pierres maléfiques et vu la victoire des Rave. Pour éviter que les Dark Bring reprennent le dessus, il faut un sauveur, ce sera Haru, un jeune garçon aux cheveux argentés plein de ressources, doté d’une épée gigantesque et toujours accompagné de Plue, un petit animal qui ressemble étrangement à un bonhomme de neige. Ensemble, ils vont lutter contre les Dark Bring et l’organisation criminelle Demon Card. La première grande série de l’auteur de Fairy Tail ! (Rave, de Hiro Mashima. Glénat. 14,95€ le volume)

Pour tous les amoureux et toutes les amoureuses de la série Fruits Basket, les éditions Delcourt ont peaufiné un petit coffret réunissant trois livrets consacrés à l’anime, un par saison, avec quantité d’illustrations, de commentaires et d’annotations de l’autrice. L’occasion pour se replonger ou même découvrir cet univers qui a su trouver son public parmi les jeunes adultes. Vingt-trois volumes aux éditions Delcourt. Trois saisons en anime. (Fruits Basket Anime, de Natsuki Takaya. Delcourt / Tonkam. 13,99€)

Dans un futur pas si lointain, la Terre n’est plus qu’un vaste champ de ruines, l’espèce humaine a quasi disparu après l’apparition soudaine de nouvelles formes de vie aux miasmes fatals. Dans ce décor apocalyptique, la jeune Saya est chargée de retrouver d’éventuels survivants et de décontaminer les zones visitées. À ce stade, elle a rempli 0,002 % de sa mission et sans rencontrer âme qui vive, uniquement des cadavres aux corps déformés par un virus baptisé le mal cristallin. Comment l’humanité en est-elle arrivée là ? Quel avenir pour Saya ? Est-elle l’unique survivante ? Dans ce premier volet de Mission in the Apocalypse, qui est aussi une première œuvre, l’auteur Haruo Iwamune use d’un certain talent graphique pour installer son intrigue, les paysages post-apocalyptiques, notamment les décors de villes en ruine sont absolument fantastiques, on regrettera juste le manque de profondeur du personnage principal. (Mission in the Apocalypse, de Haruo Iwamune. Moon Light / Delcourt. 8,50€)

Vous aimez l’univers tentaculaire de Jojo’s Bizarre Adventure, alors vous allez être royalement servis ! Après les romans The Book en juin et Over Heaven en septembre, le troisième volet du manga The Jojolands en septembre, les éditions Delcourt lancent en octobre le premier numéro du magazine consacré à l’œuvre de Hirohiko Araki, Jojo Magazine, avec au sommaire : un focus sur la série animée, des interviews, des illustrations en pagaille… plus de 230 pages bien fournies qui vous permettront de tout savoir sur cette série qui atteint cette année l’âge respectable de 37 ans, avec 135 volumes au compteur et des millions d’exemplaires vendus à travers le monde ! (Jojo’s Bizarre Adventure, de Hirohiko Araki. Delcourt / Tonkam. Jojo Magazine, 29,99€, The Book, 15,50€, Over heaven, 15,50€, The Jojolands 3, 7,29€).

Cette série-là aussi a son propre magazine, preuve s’il en est besoin du succès qu’elle remporte à travers la planète manga. One Pièce, un 108ᵉ épisode en ce mois d’octobre. De quoi nous faire tourner la tête et propulser la série du Japonais Eiichiro Oda dans le top One du manga le plus lu et le plus connu sur la planète Terre et peut-être au-delà. Plusieurs centaines de millions d’exemplaires vendus à travers le monde, une quarantaine de millions sur le seul territoire français, un univers unique, un mélange d’aventure, de fantastique et d’humour, et un héros baptisé Lufy qui rêve de devenir le roi des pirates en trouvant le fameux trésor baptisé One Piece. (One Pièce tome 108, de Eiichiro Oda, Glénat. 7,20€ / One Piece Magazine 13 volumes, 19,90€ le volume)

Ce manga est sorti il y a plusieurs semaines maintenant, au mois de mai pour être précis, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire et découvrir une petite douceur pleine de poésie et de gastronomie. Petite Forêt, c’est son nom, raconte l’histoire d’une jeune femme, Ichiko, revenue vivre dans son petit village au nord du Japon, après une histoire d’amour avortée. Elle y retrouve les plaisirs simples, notamment la nature et la cuisine faite avec des produits locaux. Page après page, cette édition double d’un diptyque paru en 2008 et depuis longtemps indisponible, nous invite dans le quotidien de l’héroïne, dans son histoire, avec à la clé une multitude de recettes depuis la sauce Worcester jusqu’au cake de Noël, en passant par le pain à la pomme de terre ou la pâte de haricots rouges. De quoi sérieusement nous ouvrir l’appétit. !(Petite Forêt, Intégrale, de Daisuke Igarashi. Moon Light / Delcourt. 15,99€)

On continue dans l’esprit culinaire avec What did you eat yesterday, une série référence au Japon publiée depuis 2007 (21 tomes à ce jour et plus de 10 millions d’exemplaires écoulés) et adaptée en film, série télévisée et livre de cuisine. Au centre de tout, deux personnages qui forment un couple gay, Shirô Kakei, avocat, et Kenji Kabuki, coiffeur, deux caractères opposés mais qui se retrouvent autour de la cuisine. Entre recettes et instantanés de vie, les deux protagonistes nous font découvrir la culture japonaise. Aux manettes, une autrice multiprimée. What did you eat yesterday a notamment remporté le prix Kodansha Award du meilleur manga en 2019. Le premier tome est sorti en janvier en France, le quatrième est attendu en octobre. (What did you eat yesterday tome 4, de Fumi Yoshinaga. Soleil Manga. 15,99€)

Le premier tome de Yan nous avait surpris ! Une couverture rose et fleurie, une scène d’ouverture mettant en scène une protagoniste revêtue d’un costume traditionnel, une chanson, quelques pas de danse et… Bang ! Un homme s’écroule, tué d’une balle dans la tête. Derrière le révolver et dans le costume traditionnel : Yan Thehua, unique rescapée du massacre d’une troupe familiale de l’Opéra de Pékin trente ans auparavant. On l’avait à l’époque accusée, elle fut incarcérée durant de longues années dans un centre de recherches. Mais l’heure de la vengeance a semble-t-il sonné. En trois volumes flirtant avec la culture pop et la culture traditionnelle, l’auteur taïwanais Chang Sheng nous offre ici un récit d’action ultra-dynamique au graphisme réaliste de caractère. (Yan, de Chang Sheng. 3 tomes. Glénat. 14,95€ le volume)

Après 31 tomes et une publication étalée sur 6 ans en France, la série Tokyo Revengers est arrivée à son terme en juillet dernier. Pour marquer le coup et en attendant la publication prochaine, nous dit-on, de spin-offs, les éditions Glénat ont sorti deux volumes de Tokyo Revengers – Side Stories, des recueils d’histoires courtes tout en couleurs. De quoi se replonger à l’infini dans l’univers imaginé par celui qu’on présente comme le maître des furyô, ces mangas explorant l’univers des racailles. (Tokyo Revengers – Side Stories tomes 1 et 2, de Ken Wakui. Glénat. 9,50€ le volume)

Peut-être avez-vous eu la chance comme moi de parcourir l’exposition consacrée à Hiroaki Samura au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2024 et de rester totalement abasourdis devant la beauté des planches, la finesse et la précision du trait, les superbes couleurs et la poésie qui se dégage de l’ensemble. Si la publication de la série phare de l’auteur, L’Habitant de l’infini, est arrivée à son terme (30 volumes), la magie se poursuit un peu dans L’Habitant de l’infini Bakumatsu, une série réalisée par deux jeunes créateurs mais sous la supervision du maître. Un cinquième volet est sorti en juillet, un sixième est d’ores et déjà annoncé. Pour les amoureux des mangas d’épée ! (L’Habitant de l’infini Bakumatsu, de Renji Takigawa, Ryu Suenobu et Hiroaki Samura. Casterman. 9,45€)

Eric Guillaud