13 Oct

Franquin et moi, Dessine ! et Patchwork, trois beaux livres autour de la bande dessinée et du livre jeunesse

On est encore loin de Noël mais ces ouvrages-là pourraient bien faire de l’effet au pied du sapin…

On commence avec une nouvelle collection baptisée Les Cahiers de la bande dessinée, du nom du fameux magazine, et deux ouvrages qui l’inaugurent, Franquin et moi et Dessine!.

Il s’est appelé Schtroumpf au tout début de l’aventure, en 1969, et n’était qu’un fanzine animé par un futur grand éditeur, Jacques Glénat. Il deviendra avec le temps Schtroumpf Les Cahiers de la bande dessinée, puis Les Cahiers de la bande dessinée, puis Les Cahiers de la BD avant de s’arrêter en 1990… et de reprendre sous le même nom en 2017. C’est dans le « prolongement naturel » de ce magazine, écrit l’éditeur Glénat, que se positionne aujourd’hui cette nouvelle collection.

Dans un petit format, Dessine ! permet à Frank Pé de dérouler une réflexion sur un art qu’il ne considère pas comme un « animal hybride » mais comme un « langage unique et cohérent » qui demande « une maîtrise de moyens particuliers, comme l’écriture des dialogues ou la couleur ». Souhaitant ici s’adresser aux apprentis dessinateurs mais aussi aux professionnels et aux lecteurs, bref à tous ceux qui aiment le neuvième art, l’auteur décortique cet art et le questionne en s’appuyant sur son expérience et sur quelques pointures du domaine, Franquin, Follet, Hermann ou encore Moebius.

Avec une première question : Qu’est-ce qui fait un bon dessin ? Et une première affirmation : « Je dois bien avouer qu’une part de ma motivation à parler ici de dessin provient de l’observation d’une accumulation des médiocrités que l’on voit se déployer dans l’édition contemporaine avec beaucoup d’aplomb ».

Qu’il aborde le dessin en tant que tel, les nouvelles tendances comme la bande dessinée reportage, la narration, le découpage ou encore les récompenses, une chose est sûre, Frank Pé n’y va pas par quatre chemins, au risque parfois d’être cinglant mais jamais incorrect, ne citant jamais de nom de qu’il appelle sa matière noire, les exemples négatifs. Ce sont surtout les mots d’un amoureux du bel ouvrage, de cette bande dessinée qui nous transporte vers des horizons, des univers, des imaginaires insoupçonnés. Petit mais costaud, Dessine! est qui plus-est somptueusement illustré par une iconographie finement choisie. Passionnant !

Dans un format plus conséquent cette fois, Franquin et moi est en quelque sorte le making of d’un autre livre, cultisme, récemment réédité aux éditions Glénat, Et Franquin créa la gaffe. Numa Sadoul y rassemblait ses entretiens avec l’un des grands maîtres de la bande dessinée franco-belge, André Franquin, abordant la reprise des aventures de Spirou et Fantasio, la création de Gaston Lagaffe, les fameuses Idées noires, le Trombone illustré…  et plus largement son métier d’auteur de BD. Ce livre est devenu une référence pour tous les amoureux du neuvième art.

Rien d’étonnant donc qu’un jour, l’arroseur devienne l’arrosé, autrement dit que l’interviewer prenne la place de l’interviewé. Et dans le rôle de l’intervieweuse, c’est Christelle Pissavy-Yvernault qui s’y colle, une immense spécialiste de la bande dessinée franco-belge et notamment des éditions Dupuis. Avec l’idée de faire une livre réunissant la connaissance théorique et bibliographique de l’une et la connaissance intime sur Franquin de l’autre. À l’image de Et Franquin créa la gaffe, le livre de Christelle Pissavy-Yvernault est un livre d’entretien. Numa Sadoul y raconte ses débuts dans les fanzines, avec Jacques Glénat, ses contributions dans le monde du théâtre, de la littérature, de l’opéra, sa première rencontre avec Franquin, leur amitié… et la réalisation du mythique Et Franquin créa la gaffe. La boucle est bouclée !

Changement d’éditeur et d’univers avec ce somptueux artbook publié par les éditions Daniel Maghen et consacré à la créatrice de la série pour enfants Ernest et Célestine, Gabrielle Vincent. Pour celles et ceux qui n’auraient jamais été enfants, la série Ernest et Célestine a vu le jour en 1981 et met en images un ours, Ernest, et une souris, Célestine. D’une tendresse infinie, leurs aventures apporteront une reconnaissance internationale à Gabrielle Vincent et s’imposent aujourd’hui comme un classique de la littérature jeunesse et au-delà. Les aventures d’Ernest et Célestine ont été adaptées en roman jeunesse, en film d’animation, en série d’animation, en pièce de théâtre…

Patchwork nous propose une biographie en images de Gabrielle Vincent. Plus de 300 pages, presque autant d’illustrations, depuis ses premiers nus réalisés en atelier jusqu’aux dessins préparatoires d’Ernest et Célestine, en passant par des scènes de vie à Bruxelles ou en Afrique du Nord, des portraits ou des paysages. Avec à chaque fois, une précision dans le trait, une élégance dans le mouvement, une émotion dans les yeux. Chez Gabrielle Vincent, tout passe par le dessin. Une référence pour quantité d’illustrateurs et d’auteurs BD !

Eric Guillaud

Dessine!, de Frank Pé. Glénat. 25€ – Franquin et moi, entretiens avec Numa Sadoul, de Christelle Pissavy-Yvernault. Glénat. 32,50€ – Patchwork, de Gabrielle Vincent. Daniel Maghen. 39€

10 Oct

Vacances de la Toussaint : 12 mangas pour les jours de pluie

Bientôt les vacances, du temps pour bouquiner, alors c’est le moment de rassembler ses prochaines lectures. On vous aide avec cette sélection de mangas en tout genre…

On commence avec le retour d’une série culte, que dis-je LA série culte, je veux bien évidemment parler de Dragon Ball du sieur Akira Toriyama. Quarante ans d’existence, des millions et des millions d’albums vendus à travers la planète, des adaptations en films d’animation, en jeux, des produits dérivés comme s’il en pleuvait… et une nouvelle collection pour ce bijou du manga, une collection Full Color et grand format dont la publication a débuté en mai de cette année. Cinq volumes ont paru à ce jour et un petit sixième est annoncé pour novembre, de quoi retrouver Goku en quête de ses sept boules de cristal, les fameuses Dragon Balls… (Dragon Ball Full Color, d’Akira Toriyama. Glénat. 14,95€ le volume)

Vous adorez Dragon Ball ? Alors, forcément, vous adorerez Sand Land, un one shot signé du même auteur, Akira Toriyama, réédité ces jours-ci en grand format, assorti de pages couleurs et d’un dossier sur la réalisation de cette histoire à la Mad Max, avec son désert, ses véhicules improbables, ses poursuites infernales et ses monstres. Il faut dire que la guerre est passée par là, a transformé la Terre en une planète aride où l’eau est désormais une ressource extrêmement rare. Suffisamment pour que Beelzebub, le prince des démons, s’attaque aux convois d’eau. Jusqu’au jour où il entend parler d’une oasis légendaire… (Sand Land, d’Akira Toriyama. Glénat. 13,25€)

On continue avec les rééditions et la série Rave. Dix-huit tomes attendus, 4 sont d’ores et déjà disponibles, une réédition en grand format et volumes doubles, de quoi profiter pleinement du dessin de Hiro Mashima et de cette histoire à la Dragon Ball qui débute dans un monde sur le point de basculer dans les ténèbres, cinquante ans après une guerre qui a opposé les Rave, les pierres sacrées, aux Dark Bring, les pierres maléfiques et vu la victoire des Rave. Pour éviter que les Dark Bring reprennent le dessus, il faut un sauveur, ce sera Haru, un jeune garçon aux cheveux argentés plein de ressources, doté d’une épée gigantesque et toujours accompagné de Plue, un petit animal qui ressemble étrangement à un bonhomme de neige. Ensemble, ils vont lutter contre les Dark Bring et l’organisation criminelle Demon Card. La première grande série de l’auteur de Fairy Tail ! (Rave, de Hiro Mashima. Glénat. 14,95€ le volume)

Pour tous les amoureux et toutes les amoureuses de la série Fruits Basket, les éditions Delcourt ont peaufiné un petit coffret réunissant trois livrets consacrés à l’anime, un par saison, avec quantité d’illustrations, de commentaires et d’annotations de l’autrice. L’occasion pour se replonger ou même découvrir cet univers qui a su trouver son public parmi les jeunes adultes. Vingt-trois volumes aux éditions Delcourt. Trois saisons en anime. (Fruits Basket Anime, de Natsuki Takaya. Delcourt / Tonkam. 13,99€)

Dans un futur pas si lointain, la Terre n’est plus qu’un vaste champ de ruines, l’espèce humaine a quasi disparu après l’apparition soudaine de nouvelles formes de vie aux miasmes fatals. Dans ce décor apocalyptique, la jeune Saya est chargée de retrouver d’éventuels survivants et de décontaminer les zones visitées. À ce stade, elle a rempli 0,002 % de sa mission et sans rencontrer âme qui vive, uniquement des cadavres aux corps déformés par un virus baptisé le mal cristallin. Comment l’humanité en est-elle arrivée là ? Quel avenir pour Saya ? Est-elle l’unique survivante ? Dans ce premier volet de Mission in the Apocalypse, qui est aussi une première œuvre, l’auteur Haruo Iwamune use d’un certain talent graphique pour installer son intrigue, les paysages post-apocalyptiques, notamment les décors de villes en ruine sont absolument fantastiques, on regrettera juste le manque de profondeur du personnage principal. (Mission in the Apocalypse, de Haruo Iwamune. Moon Light / Delcourt. 8,50€)

Vous aimez l’univers tentaculaire de Jojo’s Bizarre Adventure, alors vous allez être royalement servis ! Après les romans The Book en juin et Over Heaven en septembre, le troisième volet du manga The Jojolands en septembre, les éditions Delcourt lancent en octobre le premier numéro du magazine consacré à l’œuvre de Hirohiko Araki, Jojo Magazine, avec au sommaire : un focus sur la série animée, des interviews, des illustrations en pagaille… plus de 230 pages bien fournies qui vous permettront de tout savoir sur cette série qui atteint cette année l’âge respectable de 37 ans, avec 135 volumes au compteur et des millions d’exemplaires vendus à travers le monde ! (Jojo’s Bizarre Adventure, de Hirohiko Araki. Delcourt / Tonkam. Jojo Magazine, 29,99€, The Book, 15,50€, Over heaven, 15,50€, The Jojolands 3, 7,29€).

Cette série-là aussi a son propre magazine, preuve s’il en est besoin du succès qu’elle remporte à travers la planète manga. One Pièce, un 108ᵉ épisode en ce mois d’octobre. De quoi nous faire tourner la tête et propulser la série du Japonais Eiichiro Oda dans le top One du manga le plus lu et le plus connu sur la planète Terre et peut-être au-delà. Plusieurs centaines de millions d’exemplaires vendus à travers le monde, une quarantaine de millions sur le seul territoire français, un univers unique, un mélange d’aventure, de fantastique et d’humour, et un héros baptisé Lufy qui rêve de devenir le roi des pirates en trouvant le fameux trésor baptisé One Piece. (One Pièce tome 108, de Eiichiro Oda, Glénat. 7,20€ / One Piece Magazine 13 volumes, 19,90€ le volume)

Ce manga est sorti il y a plusieurs semaines maintenant, au mois de mai pour être précis, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire et découvrir une petite douceur pleine de poésie et de gastronomie. Petite Forêt, c’est son nom, raconte l’histoire d’une jeune femme, Ichiko, revenue vivre dans son petit village au nord du Japon, après une histoire d’amour avortée. Elle y retrouve les plaisirs simples, notamment la nature et la cuisine faite avec des produits locaux. Page après page, cette édition double d’un diptyque paru en 2008 et depuis longtemps indisponible, nous invite dans le quotidien de l’héroïne, dans son histoire, avec à la clé une multitude de recettes depuis la sauce Worcester jusqu’au cake de Noël, en passant par le pain à la pomme de terre ou la pâte de haricots rouges. De quoi sérieusement nous ouvrir l’appétit. !(Petite Forêt, Intégrale, de Daisuke Igarashi. Moon Light / Delcourt. 15,99€)

On continue dans l’esprit culinaire avec What did you eat yesterday, une série référence au Japon publiée depuis 2007 (21 tomes à ce jour et plus de 10 millions d’exemplaires écoulés) et adaptée en film, série télévisée et livre de cuisine. Au centre de tout, deux personnages qui forment un couple gay, Shirô Kakei, avocat, et Kenji Kabuki, coiffeur, deux caractères opposés mais qui se retrouvent autour de la cuisine. Entre recettes et instantanés de vie, les deux protagonistes nous font découvrir la culture japonaise. Aux manettes, une autrice multiprimée. What did you eat yesterday a notamment remporté le prix Kodansha Award du meilleur manga en 2019. Le premier tome est sorti en janvier en France, le quatrième est attendu en octobre. (What did you eat yesterday tome 4, de Fumi Yoshinaga. Soleil Manga. 15,99€)

Le premier tome de Yan nous avait surpris ! Une couverture rose et fleurie, une scène d’ouverture mettant en scène une protagoniste revêtue d’un costume traditionnel, une chanson, quelques pas de danse et… Bang ! Un homme s’écroule, tué d’une balle dans la tête. Derrière le révolver et dans le costume traditionnel : Yan Thehua, unique rescapée du massacre d’une troupe familiale de l’Opéra de Pékin trente ans auparavant. On l’avait à l’époque accusée, elle fut incarcérée durant de longues années dans un centre de recherches. Mais l’heure de la vengeance a semble-t-il sonné. En trois volumes flirtant avec la culture pop et la culture traditionnelle, l’auteur taïwanais Chang Sheng nous offre ici un récit d’action ultra-dynamique au graphisme réaliste de caractère. (Yan, de Chang Sheng. 3 tomes. Glénat. 14,95€ le volume)

Après 31 tomes et une publication étalée sur 6 ans en France, la série Tokyo Revengers est arrivée à son terme en juillet dernier. Pour marquer le coup et en attendant la publication prochaine, nous dit-on, de spin-offs, les éditions Glénat ont sorti deux volumes de Tokyo Revengers – Side Stories, des recueils d’histoires courtes tout en couleurs. De quoi se replonger à l’infini dans l’univers imaginé par celui qu’on présente comme le maître des furyô, ces mangas explorant l’univers des racailles. (Tokyo Revengers – Side Stories tomes 1 et 2, de Ken Wakui. Glénat. 9,50€ le volume)

Peut-être avez-vous eu la chance comme moi de parcourir l’exposition consacrée à Hiroaki Samura au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2024 et de rester totalement abasourdis devant la beauté des planches, la finesse et la précision du trait, les superbes couleurs et la poésie qui se dégage de l’ensemble. Si la publication de la série phare de l’auteur, L’Habitant de l’infini, est arrivée à son terme (30 volumes), la magie se poursuit un peu dans L’Habitant de l’infini Bakumatsu, une série réalisée par deux jeunes créateurs mais sous la supervision du maître. Un cinquième volet est sorti en juillet, un sixième est d’ores et déjà annoncé. Pour les amoureux des mangas d’épée ! (L’Habitant de l’infini Bakumatsu, de Renji Takigawa, Ryu Suenobu et Hiroaki Samura. Casterman. 9,45€)

Eric Guillaud

06 Oct

Au Cœur du 7 octobre et Guerre à Gaza, deux regards sur le conflit israélo-palestinien

Il y a exactement un an, le Hamas lançait une attaque meurtrière sur Israël, faisant plus de 1000 morts et 250 otages, des hommes, des femmes, des enfants, en majorité des civils. En réponse à cet acte odieux, depuis un an, l’armée israélienne s’applique à vouloir écraser le Hamas et libérer les otages, tuant au passage des civils, hommes, femmes et enfants. On dénombrerait à ce jour 40 000 morts dans la bande de Gaza dont 14 000 enfants. L’horreur absolue, l’horreur sans frontières..

Par son ampleur, par son intensité, cet énième épisode d’un conflit meurtrier que l’on pourrait croire sans issue a ravivé les blessures dans les deux camps, déchainé les passions, déchiré la communauté internationale, entrainé de nombreuses réactions en chaine, en France comme ailleurs.

Pris dans le tourbillon de ce conflit qui pourrait entrainer le monde dans une nouvelle guerre mondiale, des auteurs de bande dessinée ont choisi de faire un pas de côté, de rependre leurs plumes et leurs pinceaux avec la volonté pour les uns de témoigner, pour les autres de pousser un coup de gueule.

Deux bandes dessinées portant sur cette tragédie sont d’ores et déjà disponibles en librairie avec tout d’abord, par ordre chronologique des faits Au Cœur du 7 octobre, un ouvrage collectif réunissant des auteurs israéliens emmenés par Uri Fink, avec l’idée ici de raconter les actes de courage qui ont sauvé des vies humaines ce fameux 7 octobre, que ce soit dans les kibboutz attaqués par le Hamas ou sur le site du festival Nova. Douze histoires courtes, autant d’actes de bravoure, des témoignages difficiles, effrayants, voués à laisser une trace dans notre monde qui passe d’un drame à l’autre.

© Delcourt / Collectif

Le deuxième album est un livret d’une trentaine de pages signé par l’auteur et journaliste américain Joe Sacco connu et reconnu pour ses bandes dessinées de reportage gonzo, autrement dit basées sur son ressenti et non sur un principe de neutralité, et notamment pour ses deux albums portant sur le conflit israélo-palestinien, Palestine et Gaza 1956. Dans un style narratif et graphique identifiable au premier coup d’œil, Joe Sacco pousse ici un véritable coup de gueule contre la réponse d’Israël qu’il qualifie d’«auto-défense génocidaire».

© Futuropolis / Sacco

Les mots sont durs mais choisis pour, écrit-il, « donner matière à réflexion aux deux parties ». Et pas seulement ! À travers Guerre à Gaza, l’auteur cherche à s’adresser à tout le monde, à ses compatriotes américains, aux Européens, aux Occidentaux d’une façon générale en les interrogeant, en nous interrogeant, sur la finalité d’une telle guerre qui ne fera qu’alimenter de nouvelles haines et rancœurs pour les décennies à venir.

Si l’album Guerre à Gaza est effectivement un coup de gueule contre une réponse disproportionnée d’Israël, il ne justifie pas pour autant l’attaque terroriste du 7 octobre, l’auteur faisant part dès la première page de sa sidération au moment des faits. Mais, il ne pouvait pas ne pas faire entendre sa voix sur ces tragiques événements, lui, qui depuis plus de trente ans s’intéresse à la situation géopolitique de cette région du globe.

Eric Guillaud

Guerre à Gaza, de Joe Sacco. Futuropolis. 6,90€ – Au cœur du 7 octobre, collectif. Delcourt. 20,50€

03 Oct

Une rentrée au féminin. Maman solo, d’Emmanuelle Fridmann et Sophie Ruffieux aux éditions Soleil

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce roman graphique d’Emmanuelle Fridmann et Sophie Ruffieux…

 

Concilier la vie de famille et la vie professionnelle lorsqu’on est une maman solo relève de l’exploit permanent. Alors, forcément, ça peut déraper à tout moment. Dans ce récit signé Emmanuelle Friedmann et Sophie Ruffieux qui élèvent elles-mêmes seules leurs enfants, Julie, l’héroïne, enchaine comme elle peut les journées de travail, les tâches ménagères et ses deux jeunes enfants à gérer avec parfois des nuits blanches et souvent un sentiment d’épuisement général. Et quand s’ajoute là-dessus l’épidémie de covid et le confinement, surgit l’envie pour Julie de quitter son job, de fuir Paris et de refaire sa vie…

Une rentrée au féminin : notre sélection complète ici

Si Maman solo est une fiction, celles et ceux qui ont été ou sont confrontés à la monoparentalité, une famille sur quatre en France d’après l’Insee, vous diront combien ce récit, qui a le mérite d’aborder de front le sujet, reflète la réalité, une réalité qui rime souvent avec précarité. Réaliste dans le fond, Maman solo l’est aussi dans la forme avec le trait précis et agréable de Sophie Ruffieux.

Eric Guillaud

Maman solo, d’Emmanuelle Fridmann et Sophie Ruffieux. Soleil. 18,95

© Soleil / Fridmann & Ruffieux

02 Oct

Une rentrée au féminin. Happy Endings de Lucie Bryon

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce roman graphique de Lucie Bryon qui donne un peu de couleurs au ciel gris ambiant…

Toutes les histoires ont une fin, et parfois, elles sont heureuses. Comme dans ce deuxième livre de la très talentueuse Lucie Bryon que certains d’entre vous ont peut-être découvert avec Voleuse, une romance parue chez Sarbacane en 2022.

Avec Happy Endings, l’autrice ne nous offre non pas une mais trois histoires, trois histoires qui finissent bien, trois histoires pleines de charme, d’amour et de drôlerie, avec des personnages truculents, ici des agents spatio-temporels bloqués dans la petite station balnéaire de Châtelaillon-Plage à la suite d’une panne de leur transmetteur, là un jeune jardinier de cimetière qui tombe amoureux d’un pleureur de tombes professionnel, là encore une artiste qui craque pour son modèle vivant.

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D’une légèreté et d’une tendresse absolues, ce deuxième album de Lucie Bryon nous parle d’amour et d’amitié, le tout avec un graphisme inspiré par le manga et le comics, dynamique et expressif à souhait. Des histoires qui font du bien, beaucoup de bien. Coup de cœur !

Eric Guillaud

Happy Endings, de Lucie Bryon. Sarbacane. 24€

© Sarbacane / Bryon

29 Sep

Écoute s’il pleut : un déluge de poésie signé Rodolphe et Patrick Prugne

Embarqué par le scénariste Rodolphe, le dessinateur Patrick Prugne abandonne les grands espaces américains et ses sagas indiennes pour la Normandie des années 60 et une histoire aussi mystérieuse que poétique…

Comme tous les ans, Daniel est en vacances chez sa grand-mère mais cette année, le jeune garçon se sent bien seul. Et s’ennuie ! Son grand-père est décédé pendant l’hiver et son cousin n’est pas venu comme les autres fois. Alors Daniel, entre deux averses, erre comme une âme en peine dans la campagne verdoyante de ce petit coin de Normandie. Jusqu’au jour où il croise un garçon de son âge, Paul, qui dit habiter au moulin Écoute s’il pleut.  Un drôle de nom pour un drôle d’endroit, très mystérieux, qui se révèle être à l’abandon depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourtant Daniel invité par Paul y a croisé sa mère et pris un gouter. Avant que le jeune homme et sa mère disparaissent.

A-t-il rêvé ? A-t-il été victime d’hallucinations ? De toute évidence, oui ! À moins que le passé de ce lieu soit si fort qu’il résonne encore…

Une intrigue relativement classique mais envoûtante, un graphisme des plus élégants, de très belles atmosphères, une campagne normande magnifiée, du mystère à toutes les pages, de vieux secrets, de la poésie, un brin de mélancolie, de la pluie, beaucoup de pluie… Écoute s’il pleut offre un très agréable moment de lecture. Il en aurait été étonnant autrement quand on connait le pedigree des auteurs. Rodolphe au scénario (Trent, Le Baron fou, La Marque Jacobs…) et Patrick Prugne au dessin (Canoë Bay, Iroquois, Pocahontas…) : une rencontre au sommet pour un récit s’une grande finesse.

Eric Guillaud

Écoute s’il pleut, de Rodolphe et Patrick Prugne. Daniel Maghen. 18€

© Daniel Maghen / Rodolphe & Prugne

Une rentrée au féminin. Archéologie de l’intime de Clothilde Delacroix

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce récit aussi intime qu’universel signé Clothilde Delacroix…

Derrière ce très beau titre et cette non moins belle couverture se cache un album qu’on n’aurait peut-être pas imaginé aux éditions Dupuis, plus sûrement aux éditions Glénat ou mieux encore aux éditions Delcourt pour lesquelles l’autrice a d’ailleurs réalisé Mère, fille et Co et Love, etc, deux récits autobiographiques sur les relations mère-fille et l’amour. Avec Archéologie de l’intime, Clothilde Delacroix raconte à sa manière, avec une touche d’humour bien à elle et beaucoup de liberté, une grossesse qui a failli lui coûter la vie, à elle mais aussi à son enfant.

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En fouillant dans sa mémoire, dans ses archives personnelles et dans son histoire intime, d’où le titre, Clothilde Delacroix nous livre non seulement un témoignage brut et douloureux sur cette difficile expérience mais elle en profite pour se réconcilier avec son histoire et son corps, elle qui fut victime enfant d’une agression sexuelle et plus tard de cette pré-éclampsie qui aurait pu lui être fatale. Une thérapie par l’art ? Certainement. À l’oubli un temps préféré, l’autrice décide de faire face à la réalité, aux violences faites à son corps et au manque d’empathie du corps médical, à travers ces pages au dessin aussi léger que l’air et aux couleurs aquarellées d’une grande douceur. Un sacré contraste avec son histoire !

Eric Guillaud

Archéologie de l’intime, de Clothilde Delacroix. Dupuis. 23,50€

© Dupuis / Delacroix

28 Sep

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Walicho de Sole Otero aux éditions ça et là

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce nouvel album de la très talentueuse autrice argentine Sole Otero…

Lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2023 pour l’album Naphtaline, une épopée familiale au ton et à l’esthétisme résolument modernes, l’autrice argentine Sole Otero est de retour avec Walicho, diable ou Satan en espagnol, une œuvre inattendue et singulière composée de neuf histoires situées à des périodes différentes, depuis l’époque de la colonisation de l’Argentine jusqu’à nos jours, mais se déroulant toujours au même endroit, Buenos Aires, et en la présence, parfois latente, de trois mystérieux personnages, trois sœurs dotées de pouvoirs magiques qui traversent les siècles sans prendre de rides…

Graphisme, narration, mise en page, couleurs… chacune de ces histoires est l’occasion pour Sole Otero d’explorer avec talent et audace les possibilités du medium bande dessinée, d’offrir des instantanés de l’histoire de l’Argentine mâtinés de sorcellerie et de glisser des thématiques contemporaines notamment autour de la condition féminine, dénonçant ici les violences faites aux femmes et leur diabolisation, encourageant là leur émancipation au sein du couple et la lutte pour disposer librement de leur corps. Une œuvre dense aux ambiances sombres et mystérieuses qui révèle plus que jamais une autrice talentueuse. L’album vient d’ailleurs de remporter le prix Prima Bula décerné par le festival Formula Bula à Paris !

Eric Guillaud

Walicho, de Sole Otero. ça et là. 28€

© ça et là / Otero

27 Sep

Une rentrée au féminin. Pauvre meuf ! d’Éléonore Costes et Aria

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin cet album d’Éléonore Costes et Aria paru aux éditions Delcourt…

Pauvre Meuf! d’Éléonore Costes et Aria est un beau petit livre bleu paru dans la collection Une Case en moins des éditions Delcourt. Sur la couverture, une jeune femme et des mains posées sur elle, sur son corps, des mains d’hommes peut-on supposer, des mains qui l’ont traumatisée.

Cette jeune femme, c’est Lolo, Éléonore Costes, scénariste, actrice et réalisatrice, notamment créatrice de la série Bouchon. Et ce récit est le sien, celui d’une enfant qui grandit, devient une femme, sous le regard des hommes, son père d’abord, ses copains d’école ensuite, ses premiers flirts, ses amours. Sous le regard bienveillant des uns et celui malveillant des autres. Par deux fois, Lolo découvre le monde des femmes, comme dirait sa mère, à travers des agressions sexuelles. Par deux fois, des hommes posent la main sur elle sans son consentement.

Une rentrée au féminin : notre sélection complète ici

De quoi lui laisser des blessures à vie ! Et comme une envie de mourir. Mais avec le temps, Lolo parvient à affronter cette « réalité cabossée », à tracer sa route, surmonter ses angoisses, ses doutes, se construire, devenir actrice puis scénariste et finalement maman.

Pauvre meuf! raconte ce parcours avec beaucoup de délicatesse dans le propos et de tendresse dans le trait que l’on doit à Aria et dont c’est ici la toute première longue bande dessinée. Un très beau témoignage, aussi essentiel qu’universel, à mettre entre toutes les mains !

Eric Guillaud

Pauvre meuf!, d’Éléonore Costes et Aria. Delcourt. 18,95€

© Delcourt / Costes & Aria

23 Sep

Journal de 1985. Xavier Coste imagine une suite au chef-d’oeuvre de George Orwell

Xavier Coste avait époustouflé le public et la critique avec son adaptation de 1984 en 2021, il nous revient aujourd’hui avec Journal de 1985, une suite au chef-d’œuvre de George Orwell. Et bien évidemment, Big Brother est toujours là…

Petit retour en arrière. Nous sommes en janvier 2021. Le roman de George Orwell, 1984, publié en 1949, vient de tomber dans le domaine public et est par conséquent libre de droits.

Résultat ? C’est la guerre des adaptations, quatre verront le jour en ce mois de janvier 2021. Si 1984 a été maintes fois adapté au cinéma, à la télévision, au théâtre ou encore décliné en chanson, il ne l’avait étrangement jamais été en bande dessinée. Le retard est alors rattrapé et bien rattrapé.

Et parmi ces quatre adaptations, un livre de Xavier Coste, paru aux éditions Sarbacane. L’auteur des – déjà – remarqués Egon Schiele vivre et mourir, Rimbaud l’indésirable ou encore A comme Eiffel, signe une adaptation époustouflante et très fidèle au texte d’Orwell, un magnifique livre de 224 pages en quadri accompagnées d’un non moins magnifique pop-up réservé à la seule version originale.

© Sarbacane / Coste

L’accueil du public et de la critique fut à la hauteur de l’évènement. Le livre obtint le prix Albert-Uderzo de la Meilleure contribution au 9ᵉ Art en 2021 et le Prix BD Fnac France Inter en 2022.

Mais Xavier Coste ne devait pas en rester là, imaginant dès la sortie de 1984 une suite au roman d’Orwell, une suite qui débute avec le même protagoniste, Winston Smith. Pas pour longtemps ! L’homme pourtant classé inoffensif à 99,9% depuis sa remise en liberté, une véritable coquille vide qui n’a plus rien à voir avec le révolté d’hier, est soupçonné d’avoir écrit et distribué un livre, Le Livre de Winston. Il est arrêté, torturé et exécuté comme tous ceux qui l’ont approché.

© Sarbacane / Coste

Si Winston Smith est bien mort, son livre continue à être diffusé, déposé ici et là avec l’espoir d’éveiller les consciences. C’est en tout cas ce qu’espèrent le jeune Lloyd Holmes et ses camarades réfractaires et imperméables à la propagande de Big Brother. Lloyd Holmes le sait et en rêve toutes les nuits. Un jour viendra où il sera arrêté pour activités contre-révolutionnaires et crimes aggravés contre le parti. Il sera emmené en prison, interrogé et exécuté. En attendant, Lloyd Holmes prend la relève de Winston pour combattre le régime.

En reprenant le même style graphique que l’adaptation, le même format carré, et en respectant l’esprit insufflé par Orwell, Xavier Coste s’approprie avec bonheur l’univers de 1984 pour en donner une suite cohérente et tout aussi effrayante.

En Bonus : découvrez ici l’envoûtante bande son du livre, une musique originale signée par le compositeur multi-instrumentiste franco-russe Ilia Osokin

Eric Guillaud

Journal de 1985, de Xavier Coste. Sarbacane. 29€