06 Oct

Au Cœur du 7 octobre et Guerre à Gaza, deux regards sur le conflit israélo-palestinien

Il y a exactement un an, le Hamas lançait une attaque meurtrière sur Israël, faisant plus de 1000 morts et 250 otages, des hommes, des femmes, des enfants, en majorité des civils. En réponse à cet acte odieux, depuis un an, l’armée israélienne s’applique à vouloir écraser le Hamas et libérer les otages, tuant au passage des civils, hommes, femmes et enfants. On dénombrerait à ce jour 40 000 morts dans la bande de Gaza dont 14 000 enfants. L’horreur absolue, l’horreur sans frontières..

Par son ampleur, par son intensité, cet énième épisode d’un conflit meurtrier que l’on pourrait croire sans issue a ravivé les blessures dans les deux camps, déchainé les passions, déchiré la communauté internationale, entrainé de nombreuses réactions en chaine, en France comme ailleurs.

Pris dans le tourbillon de ce conflit qui pourrait entrainer le monde dans une nouvelle guerre mondiale, des auteurs de bande dessinée ont choisi de faire un pas de côté, de rependre leurs plumes et leurs pinceaux avec la volonté pour les uns de témoigner, pour les autres de pousser un coup de gueule.

Deux bandes dessinées portant sur cette tragédie sont d’ores et déjà disponibles en librairie avec tout d’abord, par ordre chronologique des faits Au Cœur du 7 octobre, un ouvrage collectif réunissant des auteurs israéliens emmenés par Uri Fink, avec l’idée ici de raconter les actes de courage qui ont sauvé des vies humaines ce fameux 7 octobre, que ce soit dans les kibboutz attaqués par le Hamas ou sur le site du festival Nova. Douze histoires courtes, autant d’actes de bravoure, des témoignages difficiles, effrayants, voués à laisser une trace dans notre monde qui passe d’un drame à l’autre.

© Delcourt / Collectif

Le deuxième album est un livret d’une trentaine de pages signé par l’auteur et journaliste américain Joe Sacco connu et reconnu pour ses bandes dessinées de reportage gonzo, autrement dit basées sur son ressenti et non sur un principe de neutralité, et notamment pour ses deux albums portant sur le conflit israélo-palestinien, Palestine et Gaza 1956. Dans un style narratif et graphique identifiable au premier coup d’œil, Joe Sacco pousse ici un véritable coup de gueule contre la réponse d’Israël qu’il qualifie d’«auto-défense génocidaire».

© Futuropolis / Sacco

Les mots sont durs mais choisis pour, écrit-il, « donner matière à réflexion aux deux parties ». Et pas seulement ! À travers Guerre à Gaza, l’auteur cherche à s’adresser à tout le monde, à ses compatriotes américains, aux Européens, aux Occidentaux d’une façon générale en les interrogeant, en nous interrogeant, sur la finalité d’une telle guerre qui ne fera qu’alimenter de nouvelles haines et rancœurs pour les décennies à venir.

Si l’album Guerre à Gaza est effectivement un coup de gueule contre une réponse disproportionnée d’Israël, il ne justifie pas pour autant l’attaque terroriste du 7 octobre, l’auteur faisant part dès la première page de sa sidération au moment des faits. Mais, il ne pouvait pas ne pas faire entendre sa voix sur ces tragiques événements, lui, qui depuis plus de trente ans s’intéresse à la situation géopolitique de cette région du globe.

Eric Guillaud

Guerre à Gaza, de Joe Sacco. Futuropolis. 6,90€ – Au cœur du 7 octobre, collectif. Delcourt. 20,50€

03 Oct

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Au-Dedans de Will McPhail aux éditions 404 Graphic

Certains livres nous transportent l’air de rien vers des territoires insoupçonnés. C’est le cas ici avec cet album de Will McPhail. Ne connaissant pas l’auteur, un simple avis de conseiller de vente dans une grande librairie et une couverture minimaliste auront suffi à éveiller ma curiosité. Et très franchement, je n’allais pas être déçu…

Que je ne connaisse pas Will McPhail n’a finalement rien d’étonnant. Après quelques recherches rapides sur internet, je comprends que l’homme, un Anglais, signe ici son tout premier roman graphique et qu’il est surtout connu et reconnu pour ses dessins de presse publiés dans le magazine américain The New Yorker. Que je ne lis pas !

Au-Dedans est donc un premier bouquin. Et quel bouquin ! Dès les premières pages, son style graphique, son trait réaliste très précis, ses personnages aux yeux écarquillés, ses cases épurées, ce découpage des planches adapté au récit… tout est réuni pour frapper notre esprit et nous charmer définitivement.

Et les quelque 270 pages qui alternent noir et blanc et couleurs sont du même niveau. Impossible de lâcher la lecture en cours, on est littéralement happé, happé par la forme bien sûr mais aussi par le fond.

Mais que peut bien raconter Au-Dedans ? Une aventure intérieure ou plus précisément une aventure vers l’intérieur. La petite porte sur la couverture… vous la voyez ? Elle donne accès à cet intérieur.

Avec une question qui revient tout au long de l’ouvrage : comment connecter les différents intérieurs ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

Nick est un jeune artiste, illustrateur pour quelques feuilles de choux genre L’Hebdo de la Carpe. Oui, ça existe ! Pas d’enfants, pas de maison, pas de bijoux, pas de super recette de famille à léguer, juste une mère à qui il rend visite régulièrement, une sœur qui ne mène pas le même genre de vie et depuis peu une amoureuse, une oncologue, rencontrée dans un des nombreux cafés branchés qu’il fréquente pour occuper sa vie, remplir son quotidien et tenter de s’interconnecter avec les autres.

Sans grand succès, il faut avouer ! Uniquement des interactions superficielles, regrette-t-il. Jusqu’au jour où il parvient à dire une poignée de mots qui comptent à son plombier venu réparer une fuite à son domicile.

« C’était quoi ça ? Non, mais c’était quoi ? Ça partait comme une conversation habituelle et puis… puis il s’est passé quoi ? »

Une connexion ! La première mais pas la dernière. Nick a compris que pour rejoindre l’espace intérieur des autres, il devait avant tout ouvrir le sien…

Né dans le Lancashire au Nord-Ouest de l’Angleterre, région où on ne dévoile pas plus qu’ailleurs ses sentiments, Will McPhail a malgré tout toujours été fasciné par la mécanique des mots et les différentes directions que peut prendre une simple conversation. Son sens aiguisé de l’observation, son humour, son regard sur la vie et nos contemporains ont fait le reste. Au-Dedans est l’un des plus beaux livres de l’année. Assurément !

Eric Guillaud

Au-Dedans, de Will McPhail. 404 Graphic. 26,50€

© 404 Graphic / McPhail

Une rentrée au féminin. Maman solo, d’Emmanuelle Fridmann et Sophie Ruffieux aux éditions Soleil

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce roman graphique d’Emmanuelle Fridmann et Sophie Ruffieux…

 

Concilier la vie de famille et la vie professionnelle lorsqu’on est une maman solo relève de l’exploit permanent. Alors, forcément, ça peut déraper à tout moment. Dans ce récit signé Emmanuelle Friedmann et Sophie Ruffieux qui élèvent elles-mêmes seules leurs enfants, Julie, l’héroïne, enchaine comme elle peut les journées de travail, les tâches ménagères et ses deux jeunes enfants à gérer avec parfois des nuits blanches et souvent un sentiment d’épuisement général. Et quand s’ajoute là-dessus l’épidémie de covid et le confinement, surgit l’envie pour Julie de quitter son job, de fuir Paris et de refaire sa vie…

Une rentrée au féminin : notre sélection complète ici

Si Maman solo est une fiction, celles et ceux qui ont été ou sont confrontés à la monoparentalité, une famille sur quatre en France d’après l’Insee, vous diront combien ce récit, qui a le mérite d’aborder de front le sujet, reflète la réalité, une réalité qui rime souvent avec précarité. Réaliste dans le fond, Maman solo l’est aussi dans la forme avec le trait précis et agréable de Sophie Ruffieux.

Eric Guillaud

Maman solo, d’Emmanuelle Fridmann et Sophie Ruffieux. Soleil. 18,95

© Soleil / Fridmann & Ruffieux

02 Oct

Une rentrée au féminin. Happy Endings de Lucie Bryon

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce roman graphique de Lucie Bryon qui donne un peu de couleurs au ciel gris ambiant…

Toutes les histoires ont une fin, et parfois, elles sont heureuses. Comme dans ce deuxième livre de la très talentueuse Lucie Bryon que certains d’entre vous ont peut-être découvert avec Voleuse, une romance parue chez Sarbacane en 2022.

Avec Happy Endings, l’autrice ne nous offre non pas une mais trois histoires, trois histoires qui finissent bien, trois histoires pleines de charme, d’amour et de drôlerie, avec des personnages truculents, ici des agents spatio-temporels bloqués dans la petite station balnéaire de Châtelaillon-Plage à la suite d’une panne de leur transmetteur, là un jeune jardinier de cimetière qui tombe amoureux d’un pleureur de tombes professionnel, là encore une artiste qui craque pour son modèle vivant.

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D’une légèreté et d’une tendresse absolues, ce deuxième album de Lucie Bryon nous parle d’amour et d’amitié, le tout avec un graphisme inspiré par le manga et le comics, dynamique et expressif à souhait. Des histoires qui font du bien, beaucoup de bien. Coup de cœur !

Eric Guillaud

Happy Endings, de Lucie Bryon. Sarbacane. 24€

© Sarbacane / Bryon

29 Sep

Écoute s’il pleut : un déluge de poésie signé Rodolphe et Patrick Prugne

Embarqué par le scénariste Rodolphe, le dessinateur Patrick Prugne abandonne les grands espaces américains et ses sagas indiennes pour la Normandie des années 60 et une histoire aussi mystérieuse que poétique…

Comme tous les ans, Daniel est en vacances chez sa grand-mère mais cette année, le jeune garçon se sent bien seul. Et s’ennuie ! Son grand-père est décédé pendant l’hiver et son cousin n’est pas venu comme les autres fois. Alors Daniel, entre deux averses, erre comme une âme en peine dans la campagne verdoyante de ce petit coin de Normandie. Jusqu’au jour où il croise un garçon de son âge, Paul, qui dit habiter au moulin Écoute s’il pleut.  Un drôle de nom pour un drôle d’endroit, très mystérieux, qui se révèle être à l’abandon depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourtant Daniel invité par Paul y a croisé sa mère et pris un gouter. Avant que le jeune homme et sa mère disparaissent.

A-t-il rêvé ? A-t-il été victime d’hallucinations ? De toute évidence, oui ! À moins que le passé de ce lieu soit si fort qu’il résonne encore…

Une intrigue relativement classique mais envoûtante, un graphisme des plus élégants, de très belles atmosphères, une campagne normande magnifiée, du mystère à toutes les pages, de vieux secrets, de la poésie, un brin de mélancolie, de la pluie, beaucoup de pluie… Écoute s’il pleut offre un très agréable moment de lecture. Il en aurait été étonnant autrement quand on connait le pedigree des auteurs. Rodolphe au scénario (Trent, Le Baron fou, La Marque Jacobs…) et Patrick Prugne au dessin (Canoë Bay, Iroquois, Pocahontas…) : une rencontre au sommet pour un récit s’une grande finesse.

Eric Guillaud

Écoute s’il pleut, de Rodolphe et Patrick Prugne. Daniel Maghen. 18€

© Daniel Maghen / Rodolphe & Prugne

Une rentrée au féminin. Archéologie de l’intime de Clothilde Delacroix

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce récit aussi intime qu’universel signé Clothilde Delacroix…

Derrière ce très beau titre et cette non moins belle couverture se cache un album qu’on n’aurait peut-être pas imaginé aux éditions Dupuis, plus sûrement aux éditions Glénat ou mieux encore aux éditions Delcourt pour lesquelles l’autrice a d’ailleurs réalisé Mère, fille et Co et Love, etc, deux récits autobiographiques sur les relations mère-fille et l’amour. Avec Archéologie de l’intime, Clothilde Delacroix raconte à sa manière, avec une touche d’humour bien à elle et beaucoup de liberté, une grossesse qui a failli lui coûter la vie, à elle mais aussi à son enfant.

Une rentrée au féminin : notre sélection complète ici

En fouillant dans sa mémoire, dans ses archives personnelles et dans son histoire intime, d’où le titre, Clothilde Delacroix nous livre non seulement un témoignage brut et douloureux sur cette difficile expérience mais elle en profite pour se réconcilier avec son histoire et son corps, elle qui fut victime enfant d’une agression sexuelle et plus tard de cette pré-éclampsie qui aurait pu lui être fatale. Une thérapie par l’art ? Certainement. À l’oubli un temps préféré, l’autrice décide de faire face à la réalité, aux violences faites à son corps et au manque d’empathie du corps médical, à travers ces pages au dessin aussi léger que l’air et aux couleurs aquarellées d’une grande douceur. Un sacré contraste avec son histoire !

Eric Guillaud

Archéologie de l’intime, de Clothilde Delacroix. Dupuis. 23,50€

© Dupuis / Delacroix

28 Sep

Angoulême 2025. Regard sur la sélection officielle : Walicho de Sole Otero aux éditions ça et là

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin ce nouvel album de la très talentueuse autrice argentine Sole Otero…

Lauréate du Fauve d’Angoulême Prix du public France Télévisions 2023 pour l’album Naphtaline, une épopée familiale au ton et à l’esthétisme résolument modernes, l’autrice argentine Sole Otero est de retour avec Walicho, diable ou Satan en espagnol, une œuvre inattendue et singulière composée de neuf histoires situées à des périodes différentes, depuis l’époque de la colonisation de l’Argentine jusqu’à nos jours, mais se déroulant toujours au même endroit, Buenos Aires, et en la présence, parfois latente, de trois mystérieux personnages, trois sœurs dotées de pouvoirs magiques qui traversent les siècles sans prendre de rides…

Graphisme, narration, mise en page, couleurs… chacune de ces histoires est l’occasion pour Sole Otero d’explorer avec talent et audace les possibilités du medium bande dessinée, d’offrir des instantanés de l’histoire de l’Argentine mâtinés de sorcellerie et de glisser des thématiques contemporaines notamment autour de la condition féminine, dénonçant ici les violences faites aux femmes et leur diabolisation, encourageant là leur émancipation au sein du couple et la lutte pour disposer librement de leur corps. Une œuvre dense aux ambiances sombres et mystérieuses qui révèle plus que jamais une autrice talentueuse. L’album vient d’ailleurs de remporter le prix Prima Bula décerné par le festival Formula Bula à Paris !

Eric Guillaud

Walicho, de Sole Otero. ça et là. 28€

© ça et là / Otero

27 Sep

Une rentrée au féminin. Pauvre meuf ! d’Éléonore Costes et Aria

On a longtemps regretté la sous-représentation des femmes dans la création de bande dessinée, c’est chose ancienne aujourd’hui, tant elles ont repris le dessus et ouvert avec leur sensibilité propre de nouvelles voies narratives et graphiques. Preuve en est si besoin cet album d’Éléonore Costes et Aria paru aux éditions Delcourt…

Pauvre Meuf! d’Éléonore Costes et Aria est un beau petit livre bleu paru dans la collection Une Case en moins des éditions Delcourt. Sur la couverture, une jeune femme et des mains posées sur elle, sur son corps, des mains d’hommes peut-on supposer, des mains qui l’ont traumatisée.

Cette jeune femme, c’est Lolo, Éléonore Costes, scénariste, actrice et réalisatrice, notamment créatrice de la série Bouchon. Et ce récit est le sien, celui d’une enfant qui grandit, devient une femme, sous le regard des hommes, son père d’abord, ses copains d’école ensuite, ses premiers flirts, ses amours. Sous le regard bienveillant des uns et celui malveillant des autres. Par deux fois, Lolo découvre le monde des femmes, comme dirait sa mère, à travers des agressions sexuelles. Par deux fois, des hommes posent la main sur elle sans son consentement.

Une rentrée au féminin : notre sélection complète ici

De quoi lui laisser des blessures à vie ! Et comme une envie de mourir. Mais avec le temps, Lolo parvient à affronter cette « réalité cabossée », à tracer sa route, surmonter ses angoisses, ses doutes, se construire, devenir actrice puis scénariste et finalement maman.

Pauvre meuf! raconte ce parcours avec beaucoup de délicatesse dans le propos et de tendresse dans le trait que l’on doit à Aria et dont c’est ici la toute première longue bande dessinée. Un très beau témoignage, aussi essentiel qu’universel, à mettre entre toutes les mains !

Eric Guillaud

Pauvre meuf!, d’Éléonore Costes et Aria. Delcourt. 18,95€

© Delcourt / Costes & Aria

23 Sep

Journal de 1985. Xavier Coste imagine une suite au chef-d’oeuvre de George Orwell

Xavier Coste avait époustouflé le public et la critique avec son adaptation de 1984 en 2021, il nous revient aujourd’hui avec Journal de 1985, une suite au chef-d’œuvre de George Orwell. Et bien évidemment, Big Brother est toujours là…

Petit retour en arrière. Nous sommes en janvier 2021. Le roman de George Orwell, 1984, publié en 1949, vient de tomber dans le domaine public et est par conséquent libre de droits.

Résultat ? C’est la guerre des adaptations, quatre verront le jour en ce mois de janvier 2021. Si 1984 a été maintes fois adapté au cinéma, à la télévision, au théâtre ou encore décliné en chanson, il ne l’avait étrangement jamais été en bande dessinée. Le retard est alors rattrapé et bien rattrapé.

Et parmi ces quatre adaptations, un livre de Xavier Coste, paru aux éditions Sarbacane. L’auteur des – déjà – remarqués Egon Schiele vivre et mourir, Rimbaud l’indésirable ou encore A comme Eiffel, signe une adaptation époustouflante et très fidèle au texte d’Orwell, un magnifique livre de 224 pages en quadri accompagnées d’un non moins magnifique pop-up réservé à la seule version originale.

© Sarbacane / Coste

L’accueil du public et de la critique fut à la hauteur de l’évènement. Le livre obtint le prix Albert-Uderzo de la Meilleure contribution au 9ᵉ Art en 2021 et le Prix BD Fnac France Inter en 2022.

Mais Xavier Coste ne devait pas en rester là, imaginant dès la sortie de 1984 une suite au roman d’Orwell, une suite qui débute avec le même protagoniste, Winston Smith. Pas pour longtemps ! L’homme pourtant classé inoffensif à 99,9% depuis sa remise en liberté, une véritable coquille vide qui n’a plus rien à voir avec le révolté d’hier, est soupçonné d’avoir écrit et distribué un livre, Le Livre de Winston. Il est arrêté, torturé et exécuté comme tous ceux qui l’ont approché.

© Sarbacane / Coste

Si Winston Smith est bien mort, son livre continue à être diffusé, déposé ici et là avec l’espoir d’éveiller les consciences. C’est en tout cas ce qu’espèrent le jeune Lloyd Holmes et ses camarades réfractaires et imperméables à la propagande de Big Brother. Lloyd Holmes le sait et en rêve toutes les nuits. Un jour viendra où il sera arrêté pour activités contre-révolutionnaires et crimes aggravés contre le parti. Il sera emmené en prison, interrogé et exécuté. En attendant, Lloyd Holmes prend la relève de Winston pour combattre le régime.

En reprenant le même style graphique que l’adaptation, le même format carré, et en respectant l’esprit insufflé par Orwell, Xavier Coste s’approprie avec bonheur l’univers de 1984 pour en donner une suite cohérente et tout aussi effrayante.

En Bonus : découvrez ici l’envoûtante bande son du livre, une musique originale signée par le compositeur multi-instrumentiste franco-russe Ilia Osokin

Eric Guillaud

Journal de 1985, de Xavier Coste. Sarbacane. 29€

22 Sep

L’Héritage fossile : Philippe Valette en route vers l’infini

Changement radical de style et changement non moins radical de genre, après l’humour un brin déjanté et cartoonesque, Philippe Valette a décidé de nous propulser dans le cosmos avec un récit de science-fiction tout simplement remarquable…

Philippe Valette. En trois albums seulement, ce nom s’est imposé à nous comme un gage d’humour. Mais fini de rire, après le diptyque Georges Clooney suivi du pavé Jean Doux et le mystère de la disquette molle, Fauve Polar SNCF 2018, l’auteur publie ce mois-ci un récit SF beaucoup plus sérieux dans le ton et cinématographique dans la forme, un album qui fera certainement date. Son nom ? L’Héritage fossile. Son thème ? Les limites de la civilisation face à l’immensité du cosmos.

Et le résultat est absolument bluffant, le scénario limpide nous prend par la main du début à la fin, les dialogues sont percutants, le découpage ultra-efficace et le graphisme, inspiré des techniques employées dans les films d’animation, absolument saisissant.

Alors, me direz-vous, et l’histoire ? L’histoire s’inscrit dans la continuité d’une science-fiction dite classique tendance « conquête de l’espace » avec un équipage parti pour l’infini ou presque, objectif Geminæ, une planète éloignée de la Terre de quelque 19 999 années, oui vous avez bien lu, mais une planète aux conditions de vie idéales pour y établir une colonie humaine et donc perpétuer la civilisation.

© Delcourt / Valette

Pour effectuer ce voyage, les membres de l’équipage emmenés par le milliardaire philanthrope Reiz Iger sont placés en biostase, une sorte d’hibernation stoppant le vieillissement, avec un réveil programmé tous les 25 ans histoire d’effectuer quelques travaux de maintenance sur le vaisseau baptisé Héritage. Bien évidemment, sinon il n’y aurait pas d’histoire, tout ne se passe pas comme prévu. Le contact avec la Terre est subitement rompu et tous développent au premier millénaire de voyage un mal étrange qui ronge leurs corps. Entre la survie de la civilisation et leur propre survie, les astronautes vont devoir faire un choix douloureux…

© Delcourt / Valette

Philippe Valette, qui dit s’interroger énormément sur l’avenir du monde et se refuser à faire de la « science-fiction gratuite », développe ici toute une réflexion sur la place de notre civilisation dans l’univers et sur notre place à nous, en tant qu’individus et simples mortels. Mais l’aventure n’est pas oubliée pour autant et ce récit en vase clos dans le vaisseau Héritage développe son lot de péripéties et de tragédies. On y sent bien évidemment l’influence de certains chefs-d’œuvre de la SF tels que 2001, l’odyssée de l’espace, Philippe Valette reconnaissant pour sa part l’influence de L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam, des romans Spin de Robert Charles Wilson et Silo de Hugh Howey mais aussi l’influence de scientifiques comme l’astrophysicien Aurélien Barreau.

Un récit puissant, un scénario maitrisé, une mise en images ultra-léchée, des décors fabuleux, une lecture plaisir et un bel objet au format carré. Tout est là. Immense coup de cœur !

Et un auteur qui ira loin, très loin…

Philippe Valette sera en dédicaces à la librairie Bulles au Mans vendredi 27 et samedi 28 septembre.

Eric Guillaud 

L’Héritage fossile, de Philippe Valette. Delcourt. 34,95€

© Delcourt / Valette