09 Sep

Space Relic Hunters ou comment deux Frenchies se réapproprient le space-opera avec classe

Ce n’est pas pour rien que l’album s’ouvre par une citation de l’auteur Ray Bradury. Space Relic Hunters est un récit d’aventure célébrant les vertus de l’imagination et offrant une réflexion sur le pouvoir politique et la religion.

Comme pas mal d’autres sous-genres de la science-fiction, le space opera (‘l’opéra spatial’ en bon français) est apparu dans les années 40 lors de l’époque bénie des pulps, ces magazines bon marché thématiques vendus pour trois francs six sous qui ont enflammé toute une (jeune) génération de lecteurs et qui ont, aussi, permis à de nombreux futurs grands auteurs de se lancer. L’intérêt ici est que dans la forme, on a avant tout affaire à un récit d’aventure pure, avec des méchants et des gentils, des coups de théâtre, des lieux exotiques…

En fait, dans le fonds, pas mal de ces histoires ne se différencient pas tant que ça que d’un bon vieux Bob Morane. Sauf qu’au de lieu de se passer à Macao ou, mettons, la Cordillère des Andes, elles se déroulent plutôt entre Jupiter et Alpha du Centaure, avec des personnages ne se déplaçant non pas en avion ou en bateau mais en vaisseau spatial. Le tout dans un contexte socio-politique et offrant une vraie critique sociétale où il est souvent facile de remplacer telle ou telle espèce d’extra-terrestres par, par exemple, des réfugiés politiques ou des migrants…

© Daniel Maghen / Sylvain Runberg & Grun

Avec ses décors grandioses, son trio de héros bigarré et son trait très organique où l’influence des grands maîtres du genre des années 70/80 (Moebius en tête), Space Relics Hunters assume pleinement cette affiliation, mais sans jouer la carte de la nostalgie non plus. D’une certaine façon, ses deux auteurs, déjà remarqués pour la saga en trois tomes On Mars, prouvent ici que le space-opera n’est pas si figé que ça et sait s’inscrire dans une certaine modernité.

© Daniel Maghen / Sylvain Runberg & Grun

L’univers est dominé depuis 200 ans par le Grand Quatuor, quatre dieux ayant imposé une religion unique. En conséquence, les nombreuses reliques des anciens cultes sont devenues des objets rares convoités par des collectionneurs fortunés, obligés de faire appel à des contrebandiers. Trois d’entre eux sont mandatés par un client mystérieux de dénicher à tout prix sur une planète inhospitalière un objet sacré d’un culte méconnu contre une très forte somme d’argent. Bien sûr, rien ne se passe comme prévu et surtout, ce trésor suscite bien plus de convoitise que prévu…

© Daniel Maghen / Sylvain Runberg & Grun

Il y a du souffle, de l’action mais aussi de l’action et surtout pas mal d’humain dans cette belle virée intergalactique, portée par un beau travail sur les couleurs. Un vrai bon petit space-opera dont on a, déjà, envie de revoir les protagonistes.

L’info en + : Les planches originales sont actuellement visibles à la Galerie Maghen 36 rue du Louvre à Paris jusqu’au 16 septembre

Olivier Badin

Space Relic Hunters de Sylvain Runberg et Grun. Daniel Maghen éditions. 29,95€

06 Sep

BD. Rabaté, Jean-C Denis, Kris, Fabien Toulmé… Dix bonnes raisons d’aimer la rentrée

C’est un grand classique de la rentrée, chaque année, les présentoirs des librairies croulent sous les nouveautés, des centaines, de quoi s’égarer, ne plus savoir où donner de la tête et des yeux. On vous aide à vous y retrouver avec notre sélection de bandes dessinées, dix coups de coeur, autant d’invitations à l’évasion…


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04 Sep

Pour que la rentrée soit plus douce, 14 mangas à dévorer toutes affaires cessantes

Bien sûr, vous auriez préféré rester un peu plus les doigts de pieds en éventail sur une plage abandonnée mais la réalité est toute autre et il vous a fallu ce matin rejoindre l’école, le bureau ou l’usine la plus proche. Alors pour vous tous et toutes, voici une petite sélection de mangas qui pourrait vous aider à digérer le retour à la vraie vie…

On commence avec une réédition particulièrement attendue en cette rentrée, celle de Remina, un manga horrifique imaginé par l’un des maîtres du genre, Fauve d’honneur lors du dernier festival d’Angoulême, je veux bien évidemment parler du sieur Junji Ito. Paru au Japon en 2005 et initialement publié en France chez Tonkam en 2008, le voici disponible en version intégrale prestige chez Delcourt / Tonkam, l’occasion rêvée de se replonger dans cette histoire de planète soudainement apparue dans l’espace, la fameuse Remina du nom de la fille du scientifique qui l’a observée la première fois, et qui va plonger l’univers dans un chaos indescriptible. L’occasion aussi de savourer pleinement les atmosphères incroyablement tendues et le trait précis, dynamique et expressif du Mangaka. Époustouflant ! (Remina, de Junji Ito. Delcourt / Tonkam. 19,99€)

Une autre réédition toute aussi incontournable, celle de Biomega avec un deuxième volume en version Deluxe grand format tout juste sorti de l’imprimerie. 400 nouvelles pages à couper le souffle, avec ce graphisme si singulier du mangaka Tsutomu Nihei, un immense fan, et ça se sent, du créateur des décors et monstres d’Alien, HR Giger. L’homme s’est fait connaître au Japon et en Europe avec des récits SF sombres, désespérés, violents, oppressants, organiques, reconnaissables entre tous. Après Abara et Blame 0, c’est donc au tour de Biomega de bénéficier d’une réédition Deluxe, de quoi profiter pleinement du génie de Nihei et de se téléporter en 3005, carrément, pour une histoire mêlant exploration spatiale et contamination virale. Le poids des mots, le choc des images. Divin ! (Biomega deluxe tome 2, de Tsutomu Nihei. Glénat. 14,95€)

Mai 2045. Bienvenue à Osaka ou du moins ce qu’il en reste dans l’ancien Japon. C’est là que vit et travaille Naoki, au milieu des ruines, avec la désolation pour horizon comme il dit. Depuis l’apocalypse qui a ravagé la Terre il y a maintenant une dizaine d’années, les survivants se disputent les restes du monde, lui participe à la reconstruction de son pays en fouillant les gravats à la recherche du patrimoine technologique d’avant, telle que cette salle de serveurs qu’il vient d’exhumer. Mais depuis quelques temps, Naomi entend des voix qui l’exhortent à sauver la jeune Hinako considérée comme l’espoir de l’humanité… Sorti en juin, Great Trailers est un récit SF à la Mad Max teinté d’Akira, noir et violent, dans un décor urbain post-apocalyptique angoissant. Pour les amoureux de combats et de mecha-designs ! (Great Trailers tome 1, de Akira Miyagawa. Casterman. 8,45€)

Fans de One Piece, en attendant la livraison du 105e volet prévu pour le 30 septembre prochain, les éditions Glénat vous ont concocté un nouveau numéro du One Pièce Magazine, bien évidemment consacré à la série culte de Eiichiro Oda. Au sommaire de ce numéro 12 : un dossier consacré aux trois frères, Ace, Sabo et Luffy, mais aussi des interviews, un manga, des recettes de cuisine, des illustrations inédites, des chroniques, un roman… Bref, de quoi patienter ! (One Pièce Magazine n°12. Glénat. 19,90€)

Il s’est fait connaître de ce côté-ci de la planète avec Search and destroy, Soil, Deathco, ou encore Wet Moon, il est de retour avec Evol dont le troisième volet vient de paraître aux éditions Delcourt / Tonkam, un voyage sans retour dans un monde en déliquescence, qui pourrait être le nôtre finalement, où l’héroïsme et les pouvoirs qui vont avec sont un don héréditaire et où les héros sont au service de la justice, enfin de celui qui a parlé le plus fort, en général le plus véreux. L’avenir serait ainsi scellé dès la naissance de chaque être. Sauf pour Nozomi, Sakura et Akari, deux jeunes filles et un garçon ordinaires qui après une tentative de suicide se retrouvent eux-aussi dotés de supers-pouvoirs. De quoi combattre ce monde qu’ils ne supportent plus. Publié dans un grand format sous couverture rigide et avec jaquette, Evol est un manga d’une noirceur sans pareille dans lequel transparaissent à chaque page le mal-être des adolescents et la violence de notre monde. Influencé par le punk, le cinéma et la bande dessinée américaine, Atsushi Kaneko exprime dans ces superbes pages toute sa colère, sa révolte, avec un trait qui n’est pas sans nous rappeler celui de Frank Miller. (Evol tome 3, d’Atsushi Kaneko. Delcourt / Tonkam. 19,99€)

L’adaptation manga de l’anime Neon Genesis Evangelion poursuit sa route dans une nouvelle édition en grand format, l’occasion de se replonger dans cette œuvre mythique qui marqua le monde de l’animation japonaise dans les années 90. En 2000, un astéroïde géant s’abat sur le pôle sud. Entre la montée du niveau des eaux, les crashs économiques, les guerres civiles… la moitié de la population humaine finit par disparaitre. Quinze ans plus tard, de mystérieux anges destructeurs font leur apparition. Pour les combattre : une seule solution, les Evangelion, de gigantesques machines de guerre anthropoïdes. Pour les amoureux des robots géants ! (Neon Genesis Evangelion, tome 6, de Yoshiyuki Sadamoto. Glénat. 14,95€)

Le premier volet est sorti en juin, le second est annoncé pour septembre, Romantic Killer est un manga tout en couleurs, c’est suffisamment rare pour le signaler, qui met en scène une jeune fille loin d’être romantique, seulement obnubilée par ses jeux vidéo, ses chocolats et son chat. Jusqu’au jour où un magicien lui confisque tout ça pour une question de natalité au Japon ou quelque chose comme ça et lui offre une vie entourée de « beaux gosses comme dans les mangas ». Un rêve ? Un cauchemar pour la jeune fille qui croit perdre là sa raison de vivre. Mais résistera-t-elle longtemps à l’amour ? C’est toute la question de cette série fraîche, colorée et drôle adaptée en série d’animation diffusée sur Netflix et toujours disponible. (Romantic Killer tome 1, de Wataru Momose. Soleil Manga, 15,99€)

C’est une histoire d’épicier. Mais d’épicier épicé. Du genre qui ne vend pas que des légumes. Taro Sakamoto, c’est son nom, a beau avoir un léger embonpoint, une moustache à la papa, des lunettes de myope, il est à lui seul un mythe, une légende, un ex-tueur admiré de tous ces congénères, craint par tous les gangsters. Oui, Sakamoto l’épicier avait le flingue facile avant de raccrocher, de se marier, d’avoir un enfant et de s’installer comme épicier. Une vie pépère jusqu’au jour où le jeune assassin télépathe Sin débarque dans la supérette. Vous voulez de l’action ? Alors vous en aurez, Sakamoto Days est un concentré d’énergie au rythme de parution effréné. Le tome 9 est sorti en juillet, le 10 devrait paraître en septembre. (Sakamoto Days tome 9, de Yuto Suzuki. Glénat. 6,99€)

C’est un peu Le Club des cinq mais sans le chien Dagobert et en version horreur. Trois garçons et une fille, tous issus du même collège décident pour leurs vacances de partir à la recherche d’Ayano Hirakawa, une de leurs camarades disparue depuis deux ans au bord de la rivière qui traverse son quartier. Ni les battues, ni l’enquête, n’ont permis jusqu’ici de la retrouver. A-t-elle fuguée ? A-t-elle été enlevée ? Personne ne peut le dire et les rumeurs les plus folles ont circulé. Mais cette fois, la bande de gamins croit savoir où elle est, ce qui semble ne pas plaire à certains… Un premier volet plein de promesses signé par Hôsui Yamazaki qui s’est déjà fait remarqué dans le manga d’horreur avec Kurogasi – Livraisons de cadavres publié à partir de 2006 aux éditions Pika. Une histoire bien ficelée, un dessin élégant et des frissons assurés ! (Chasse aux cadavres tome 1, de Hôsui Yamazaki. Casterman. 8,45€)

Un peu de fraîcheur et même de grand froid avec Kaioh Dante dont le premier volet est sorti en juillet, une série qui nous embarque pour l’océan arctique pas loin des terres de glace en 1765. Là, un navire de la marine britannique est bloqué depuis des jours et des jours par la banquise et le blizzard. Les réserves s’amenuisent, le capitaine s’inquiète, pourra-t-il planter son drapeau au pôle nord avant les autres et ainsi affirmer la suprématie de l’empire britannique ? Lorsque soudain sorti de nulle part approche un enfant. Son nom : Dante. Dans sa musette un livre de cartes incroyables de précision et des pouvoirs magiques qui changeront peut-être le cours des choses… Ryouji Minagawa au dessin et Fukuro Izumi au scénario livrent ici un grand récit d’aventure au coeur d’un 18e siècle ô combien riche en explorations et découvertes de nouvelles terres. Un deuxième tome est annoncé pour septembre. (Kaioh Dante tome 1, de Ryouji Minagawa et Fukuro Izumi. Vega Dupuis. 8,35€)

Bienvenue en enfer ou presque ! Depuis 100 ans, la Terre est plongée dans le noir à cause d’un épais nuage. La plupart des végétaux a disparu et l’humanité place ses derniers espoirs dans la transfloraison, une technique qui consiste à transformer un être humain en plante, comblant ainsi le manque de végétaux. Héros de ce récit vivant dans une grande pauvreté, Toshiro décide de franchir le pas et de subir l’opération nécessaire à sa transformation en plante… Un récit d’anticipation original aux belles ambiances sombres. (Fool Night tome 5, de Kasumi Yasuda. Glénat. 7,90€)

Vous avez adoré Chi une vie de chat de Konami Kanata, un énorme carton en 12 volumes publiés entre 2010 et 2015, alors vous devriez aimer Nights with a cat qui reprend un peu la formule magique du jeune chat débarquant dans un foyer, en l’occurrence ici celui de Futa et de sa petite sœur. À la différence près qu’ici, ce n’est pas le chat qui découvre la vie des humains mais les humains qui découvrent la vie de chat. Sa toilette, ses pupilles, ses oreilles, son sommeil… Futa décortique la bestiole et scrute ses habitudes tentant d’en apprendre un peu plus sur lui à chaque page. Le tout avec un peu d’humour et des couleurs ! (Nights with a cat tome 2, de Kyuryu Z. Glénat. 10,95€)

Et de 13 pour la série de Rumiko Takahashi, Grand prix 2019 du Festival international de la BD d’Angoulême. Je rassure tout de suite ceux qui auraient développé une petite allergie à l’histoire avec un grand H durant leur cursus scolaire, Mao ne retrace pas la vie du fameux chef d’état chinois Mao Zedong, non, Mao est ici un chasseur de yôkai, ces petites créatures surnaturelles qui hantent la mythologie japonaise. Et Mao a une mission : aider Nanoka Kiba, une jeune gamine du XXIe siècle qui a perdu ses parents dans un accident et qui a été projetée un siècle plus tôt à lever le mystère sur sa véritable nature… (Mao tome 13, de Rumiko Takahashi. Glénat. 6,90€)

Une histoire d’amour pour finir. D’un côté, Subaru Miyazawa. De l’autre, Togo Amase. Le premier est designer, paralysé des membres inférieurs depuis sa naissance. Le second est photographe spécialisé dans l’astrophotographie. Ils se rencontrent à l’occasion d’un spectacle au planétarium de leur ville sur lequel tous deux ont travaillé. Ensemble, ils décident d’aller voir les étoiles du monde entier… Un premier boy’s love (romance entre hommes) pour la collection Moon Light des éditions Delcourt. (Après avoir regardé le ciel étoilé, de Bisco Kida. Moon Light Manga / Delcourt. 8,50€)

Eric Guillaud

30 Août

INTERVIEW. Les Cowboys sont toujours à l’ouest, une BD de Damien Geffroy et Olivier Supiot qui pourrait bien vous faire perdre le nord

Rangez vos colts, l’heure est aujourd’hui à la détente avec le western humoristique des Angevins Damien Geffroy et Olivier Supiot, une série d’histoires courtes compilées dans le bon sens aux éditions Fluide Glacial. Rencontre…

Le monde se divise en deux catégories, ceux qui racontent des histoires et ceux qui les lisent. Damien Geffroy et Olivier Supiot appartiennent assurément à la première même si rien ne les empêche de fricoter avec la deuxième.

D’ailleurs, pour ce nouvel opus qui nous invite dans l’Ouest américain, les deux hommes se sont bien évidemment inspirés des livres et des films du genre, réalisant là assurément un hommage même si la chose est tournée en dérision.

Et de fait, l’humour est partout, dès la couverture de l’album avec ce cavalier renversé et renversant, avec ce titre prometteur, avec ces pages de garde en forme de gag et bien évidemment avec toutes ces histoires, une douzaine, réunies autour d’un personnage, John Casey Carson, le dernier des cowboys devenu milliardaire.

À la demande d’une journaliste, Mlle Wiloughstone, soucieuse d’écrire un article sur l’homme et sa fameuse collection de tableaux, Carson accepte de dévoiler ses peintures comme autant de vestiges de son passé d’aventurier livrant au passage, pour chacune d’elles, une histoire de l’Ouest complètement à l’ouest avec des femmes fatales, des gâchettes faciles, des salopards sans frontière, des bons, des brutes, des truands, des John Ouène,Clint Aistewoude et autres Gary Coupeur plus faux que nature…

Comment toutes ces joyeusetés ont-elles pu germer dans l’esprit des auteurs ? Réponse ici et maintenant…

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28 Août

Pages d’été. Sultana : un album complètement rose mais pas vraiment Barbie

Si vous faites partie de ceux et celles qui doutent du message féministe véhiculé par le film Barbie, alors voici qui devrait vous remettre sur le bon chemin, Sultana a beau avoir du rose et que du rose sur toutes ses pages intérieures, le message ne fait ici aucun doute…

Sarah est une jeune Marseillaise de 35 ans, sans crush, sans enfants, sans chats, bref libre comme l’air. Enfin presque ! Elle doit tout de même travailler de temps en temps pour payer son loyer, un « boulot de merde » comme elle aime se le répéter. Sarah est livreuse.

« Et comment ça se fait que t’as pas d’enfant ? » 

La question revient comme un boomerang. Et un « petit mari pour l’année prochaine ? ». De quoi lui immiscer lentement le doute dans son esprit. Et si la finalité de la vie, c’était effectivement de faire comme la majorité des femmes ? Avoir un enfant, un homme, un foyer ?

Alors elle cherche l’âme sœur sur Tinder, elle teste, s’interroge, beaucoup, jusqu’au jour où une diseuse de bonne aventure lui suggère : « si tu arrêtes de te poser la question… et de te mettre la tête à l’envers… alors la question arrêtera d’être un problème ! ».

Ne plus se poser de question, prendre la vie comme elle est, comme elle vient, l’accepter et surtout s’accepter, ne pas chercher à faire comme la voisine. Voilà le message de Sultana, refuser le diktat de la norme, de la bienséance, s’offrir une autre vie, sa vie, en laissant parler ses aspirations plutôt que les injonctions d’une société forcément patriarcale.

Alors oui, toutes les pages de l’album, 144 au total, sont en noir et rose mais la couverture, elle, annonce la couleur, une histoire vraie avec des vrais préoccupations féministes sous le soleil de Marseille.

Eric Guillaud

Sultana, de Lili Sohn et Elodie Lascar. Steinkis. 22€

© Steinkis / Sohn & Lascar

26 Août

Pages d’été. Les Boules : une histoire d’amitié sur fond de série Z

Tout juste sortie aux éditions 6 Pieds sous Terre, la nouvelle production d’Antoine Bréda nous emmène sur le tournage d’un film érotico-fantastique des plus affligeants histoire d’explorer les thèmes de l’amitié et de l’amour avec légèreté et humour…

Dans les remerciements, l’auteur Antoine Bréda, écrit : « Merci à ma maman et mes deux soeurs qui même si elles n’aiment pas mes histoires, me soutiennent quand même ».

La formule est attendrissante mais on comprend que les histoires d’Antoine Bréda ou du moins cette histoire puissent déranger voire déplaire. De par le dessin toujours différent, toujours singulier, souvent simpliste mais charmant ou de par le scénario légèrement foldingue, une sombre histoire de tournage de film plus ou moins porno, plus ou moins SF, en tout cas plus nanar qu’autre chose avec un titre qui en dit long : Les Aventures d’Adrix le destructeur, empereur des 9 galaxies. Ça ne s’invente pas !

« Taisez-vous esclaves. Et excitez mon galactique phallus avec vos organes buccaux de l’espace »

Et au centre de cette joyeuse tambouille, un personnage, Fred, qui ne parvient pas à dire à sa dulcinée qu’il tient le premier rôle dans un film porno, pardon « un film ouvert d’esprit » comme dirait la réalisatrice. Alors, forcément, lorsqu’elle l’apprend par accident, qu’elle apprend par la même occasion l’existence d’une scène finale prévoyant qu’une sorcière urine sur son Fred jusqu’ici adoré, les choses ne peuvent que tourner vinaigre. Mais Fred et Anne, la fameuse réalisatrice, se sont jurés de donner vie à ce film au mauvais scénario écrit par un ami d’enfance récemment décédé.

Inutile de brandir le carré blanc, il n’y a aucune scène que la morale pourrait réprouver dans les 96 pages de l’album, non, simplement des hommes et des femmes habillés, et même costumés, tentant de mettre en boîte un film qui n’a assurément ni queue ni tête simplement par amitié…

Eric Guillaud

Les Boules, d’Antoine Bréda. 6 Pieds sous terre. 16€

© 6 Pieds sous terre / Bréda

22 Août

Pages d’été. Inoubliables de Fabien Toulmé, des histoires qui donnent le goût des autres…

Depuis 2014 et son premier album, Fabien Toulmé ne cesse de nous enchanter avec des récits toujours gorgés d’humanisme. Après Ce n’est pas toi que j’attendais, Les deux vies de Baudouin, L’Odyssée d’Hakim ou encore Suzette ou le grand amour, l’auteur revient avec Inoubliables, des tranches de vies racontées avec une empathie et une pudeur exemplaires.

Lorsque sort Ce n’est pas toi que j’attendais en 2014, personne ne connaît vraiment Fabien Toulmé, encore ingénieur le jour et auteur la nuit. Il a bien publié quelques travaux dans des magazines comme Spirou ou Lanfeust Mag et participé à l’aventure collective Les Autres gens lancée par Thomas Cadène mais rien de plus !

Dans ce premier long récit au titre particulièrement cinglant, Fabien Toulmé nous raconte sa relation avec sa fille trisomique, une autobiographie poignante qui va profondément marquer les esprits et pas seulement ceux confrontés de près ou de loin à ce handicap.

© Dupuis / Toulmé

Une petite dizaine d’années et une poignée d’albums plus tard, Fabien Toulmé s’est imposé dans le monde du neuvième art comme un auteur incontournable au travail reconnaissable entre tous, qu’il aborde la fiction, le témoignage ou la biographie. L’Odyssée d’Hakim parue en trois tomes a reçu en 2021 le Prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage, un prix mérité tant on y retrouve sa signature faite de tendresse, d’humanité, d’empathie et, je dirai, de simplicité, peut-être de pudeur.

© Dupuis / Toulmé

Inoubliables s’inscrit dans le même créneau que L’Odyssée d’Hakim, le projet est d’ailleurs né dans son ombre.

« J’avais planté les toutes premières graines il y a quelques années… », explique Fabien Toulmé, « en lançant des appels à témoin sur les réseaux sociaux. Je voulais travailler sur la parole, faire émerger des histoires pleines d’émotions comme on en porte tous. J’en ai donc recueilli un certain nombre mais ça me paraissait difficile d’en faire des albums complets. Et puis est arrivée ma rencontre avec Hakim, et là on a carrément fait trois tomes et plus de 800 pages. Les autres graines sont restées à terre… ».

Pas définitivement ! Ces graines ont fini par éclore donnant six témoignages d’hommes et de femmes récit dans ce premier tome, chacun racontant le moment le plus marquant de sa vie. Émilie, Marie, Grégory, Marine, Kévin, Beatriz, des gens comme vous et moi, des héros de l’ordinaire avec tous et toutes un parcours plus ou moins difficile, des traumatismes, des regrets, des loupés… jusqu’au jour où…

© Dupuis / Toulmé

Chacune de ces histoires aurait pu donner lieu à un album tant elles sont riches et pleines de leçons mais en les compilant ainsi dans un – premier – volume, Fabien Toulmé illustre aussi la diversité des parcours de vie, la diversité du monde et atteste de son goût pour les autres. Essentiel !

Eric Guillaud

Inoubliables (tome 1), de Fabien Toulmé. Dupuis. 23€ (en librairie le 15 septembre)

19 Août

Pages d’été. Oliphant, un incroyable récit de survie en milieu hostile

Paru en mars dernier, cet album de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier nous embarque pour l’Antarctique au cœur d’une expédition qui vire au cauchemar et ne trouve son salut que par la détermination d’un homme, le capitaine Oliphant. Nous sommes en 1914, tandis que la guerre fait rage en Europe, quelque part dans le pôle sud, des hommes se retrouvent seuls face à la nature, face à eux-mêmes. Une incroyable épopée inspirée d’une histoire vraie…

« Comme une amande dans une barre de chocolat ». C’est la situation dans laquelle se trouve le bateau du capitaine Oliphant parti pour l’Antarctique et finalement pris dans la glace. Rien de désespéré pour le capitaine qui en a vu d’autres, beaucoup d’autres. Il suffit juste d’attendre, d’hiverner, quelques mois et la glace devrait finir par se fragmenter et permettre à nouveau la navigation.

Mais la coque ne supporte pas la pression des plaques de glace. Et après quelques mois passés là au milieu de nulle part, le bateau finit par prendre l’eau et disparaître dans les abysses, laissant son équipage sur la glace.

Commence alors une autre histoire, une histoire de résistance physique et psychologique à la situation forcément critique et aux éléments extrêmes. Décidé à ne laisser personne mourir ici, le capitaine entraine ses hommes dans une traversée de la banquise longue et périlleuse suivie pour une partie d’entre eux d’une traversée de l’océan jusqu’à la Géorgie du sud d’où ils pourront organiser les secours…

© Futuropoliis / Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier

Ce récit signé Loo Hui Phang est inspiré d’une histoire réelle, celle d’Ernest Shackleton, grande figure de l’exploration en Antarctique, et plus précisément de l’expédition Endurance du nom du bateau, une expédition qui tourna au cauchemar mais de laquelle tout le monde revint vivant. Une épopée incroyable que Pascal Bertho et Marc-Antoine Boidin avaient déjà adapté en bande dessinée en 2009 mais dans un registre factuel et graphiquement réaliste.

Benjamin Bachelier, au dessin, propose quant à lui une approche beaucoup plus picturale frôlant à plusieurs reprises l’abstraction, un dessin à la gouache, des couleurs directes, un trait épais, spontané, nerveux, en mouvement, presque habité, des décors de glaces époustouflants et oppressants, tout est fait pour happer le lecteur, 250 pages à couper le souffle.

Oliphant est une grande aventure en terre hostile mais c’est aussi une aventure intérieure, une exploration de l’âme humaine à travers une galerie de personnages aux caractères trempés mais à la fragilité et à la peur évidentes face à la nature. « Tous les hommes ont une peur… », dit le capitaine Oliphant, « C’est la dépasser qui fait leur grandeur ».

Pure fiction ? Biographie cachée ? Documentaire ? L’album est un peu tout ça en même temps, Il propose aussi une approche scientifique avec l’explication de certains phénomènes naturels comme l’aurore polaire, la circulation thermohaline, le pôle magnétique ou encore les ondes de Rossby. Bref, un livre qui promet de l’évasion, de la réflexion et de l’instruction. Que demander de plus ?

Eric Guillaud

Oliphant, de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier. Futuropolis. 36€

17 Août

Pages d’été. Michel et la bataille des Dombarelles, une ode à la résistance en circuit court

Michel fait sa rentrée. Et pas à moitié ! Après Michel, la fin, les moyens, tout ça…, sorti en 2022, la petite maison d’édition L’Employé du moi publie le 18 août une nouvelle aventure de notre reporter baptisée Michel et la bataille des Dombarelles ainsi qu’une intégrale réunissant les trois premiers tomes de la série. De quoi se remettre en jambes pour la rentrée sociale…

Avec sa bouille ronde, son front dégarni, ses cheveux en pétard, ses grosses lunettes noires, sa bedaine et sa barbe de trois jours, Michel n’a pas franchement la tête d’un héros. Il n’a pas non plus l’étoffe d’un militant. Et pourtant !

Et pourtant, depuis maintenant 5 ans et autant d’albums, le personnage de Pierre Maurel transmet à travers ses aventures un regard affûté, critique et parfois amusé sur notre société contemporaine avec un fil rouge commun à tous les albums : la solidarité et la résistance.

Résister tous ensemble au rouleau compresseur du capitalisme, aux exploiteurs, aux affameurs, aux pollueurs, aux épuiseurs de ressources et plus largement aux emmerdeurs en tout genre qui profitent et s’enrichissent sur le dos des sans-papiers, des sdf, des smicards et des chômeurs.

Vous l’aurez compris, Michel, sans être un porte-étendard de la colère sociale est devenu au fil des pages, au fil des albums, un témoin de la colère qui gronde face à tous les désastres qui s’annoncent, économiques, sociaux, environnementaux.

Plus proche de l’anti-héros que du héros, un type finalement ordinaire, comme vous et moi, Michel résiste au rouleau compresseur capitaliste par des actions de proximité, des combats en circuit court, au bout du jardin, au coin de la rue, sur la colline d’en face.

Dans sa dernière aventure, Michel et la bataille des Dombarelles, notre reporter radio s’attaque à gros, très gros, une firme américaine détenue par le milliardaire Elon Musk, pardon Mölen Skum, désireuse d’exploiter le sous-sol de son village qui serait farci de zebrium, un minerai utilisé pour fabriquer des batteries. Dans la campagne, l’heure est au combat, une ZAD s’installe sur les terres pressenties par la société américaine…

Au fil des 80 pages du livre, on retrouve tout ce qui a fait le succès de la série, quatre fois sélectionnée à Angoulême tout de même, à savoir une bonne dose de critique sociale saupoudrée de comédie. Une bonne couche d’humanisme sur la sauvagerie du capitalisme !

Et pour tous ceux qui auraient loupé les aventures précédentes, L’employé du Moi publie concomitamment une intégrale réunissant les trois premiers albums, Les Temps modernes, Fils des Âges farouches et Le Grand schisme, bref une bonne petite après-midi de lecture.

Eric Guillaud

Michel et la bataille des Dombarelles, de Pierre Maurel. L’Employé du moi. 19€

Michel tête de cortège, intégrale de Pierre Maurel. L’Employé du moi. 29€

© L’Employé du Moi / Maurel

12 Août

Pages d’été. Judee Sill : le destin tragique d’une artiste oubliée

Sorti en avril dernier, l’album Judee Sill du tandem Canales – Iglesisas était passé en dehors de mon écran radar. Il faut dire que le nom de Judee Sill ne me disait absolument rien et que la couverture psychédélique ne m’avait franchement pas titillé l’œil. Et pourtant…

Mieux vaut tard que jamais, c’est donc à la faveur de l’été et d’un peu plus de temps de cerveau humain disponible que j’ai remonté cet album du fin fond de la pile de livres à lire urgemment pour enfin l’ouvrir et comprendre de quoi il parlait.

Judee Sill. Ce nom m’était parfaitement inconnu jusqu’à ce jour. Comme il l’était des auteurs avant que l’un d’entre eux ne tombe sur une recommandation Spotify et un morceau en particulier : The Kiss. Il n’en fallut pas plus pour que l’homme, Juan Díaz Canales pour ne pas le nommer, curieux devant l’éternité, commence des recherches au sujet de l’artiste, sans grand succès de prime abord.

« Toute sa vie baignait dans une espèce de brouillard, et les quelques îlots de lumière étaient souvent contradictoire », dira le scénariste.

Alors, Juan Díaz Canales mène l’enquête avec très vite l’idée de raconter son histoire en BD. « C’était même devenu une question de justice : je voulais la remettre en lumière ».

Avec ses parts d’ombre ! Car oui, Judee Sill ne fut pas qu’une musicienne talentueuse qui sortit deux albums au début des années 70 et connut une petite heure de gloire. Elle fût aussi au cours de sa jeunesse tumultueuse une braqueuse, ce qu’il l’amena en maison de redressement, elle se prostitua, elle fit de la prison, et surtout, elle fut addicte à toutes les drogues, ce qui finira par la perdre !

En 1979, alors qu’elle était sortie de tous les écrans radar, son corps est retrouvé à son domicile, Judee Sill serait morte d’une overdose. C’est là que commence et se termine l’histoire de cet album au scénario bâti sur le peu d’articles et d’interviews disponibles, un récit qui n’a nécessairement pas la prétention d’offrir une reconstruction fidèle de sa vie, tant les zones d’ombre sont nombreuses.

« C’est la raison pour laquelle… », explique Juan Díaz Canales, « la structure du livre essaye de refléter les difficultés que nous avons éprouvées. Elle illustre notre désorientation, notre déception, dans cette quête des différentes pièces manquantes du puzzle qu’est la vie de Judee Sill ».

Quoiqu’il en soit, entre reconstitution fidèle et comblements fictionnels, Juan Díaz Canales, scénariste de Blacksad et repreneur des aventures des Corto Maltese, signe ici un scénario solide, déroulant un chapelet de flashbacks à partir du décès de Judee Sill pour nous raconter ce destin hors du commun et pour le moins tragique.

Au dessin, son compatriote Jesús Alonso Iglesias propose un graphisme de caractère à l’image de l’artiste oubliée, un trait épais et saillant, des couleurs qui nous embarquent littéralement dans les années 70, psychédéliques à souhait, bref un album qui plaira à tous les amateurs de musique et bien évidemment de bande dessinée. Un bon moment de lecture et une artiste à redécouvrir !

Eric Guillaud

Judee Sill, de Jesús Alonso Iglesias et Juan Díaz Canales. Dupuis. 25€

© Dupuis / Iglesias & Canales