Malgré le décès de son scénariste historique Raoul Cauvin il y a deux ans, les deux soldats de l’union les plus célèbres de la BD belge continuent leurs aventures humanistes pour un 67e (!) volume prouvant que leur destinée est désormais entre de bonnes mains…
Alors, soit vous avez grandi dans les années 70 et vous les avez connus à travers les pages du journal Spirou, soit vous étiez un adolescent une décennie plus tard et c’est dans la bibliothèque bien fournie en BD de l’un de vos ainés, au cours de l’un de ses étés qui n’en finissaient plus, que vous les avez découverts. Moi, c’est dans la véritable caverne d’Ali-Baba qu’était la bédéthèque de mon oncle que j’ai pour la première fois mis la main sur la série des Tuniques Bleues, coincée entre deux volumes des Dingodossiers et de Gaston Lagaffe. Cela tombait bien, une série télé américaine diffusée en prime time tout l’été nommée Nord & Sud (avec dans le premier rôle un jeune Patrick Swayze) avait remis au goût du jour la Guerre de Sécession. Il y en avait pour tout le monde dans cette BD : de l’aventure, des gags, des personnages principaux attachants avec une dynamique haine/amour propre, des seconds rôles pas si cons que ça et à chaque fois, un petit pan méconnu de l’histoire américaine de la seconde moitié du XIXème siècle en toile de fond.
Et puis les années sont passées et on s’est un peu détaché de tout ça, tout en remarquant du coin de l’œil qu’avec une rigueur quasi-métronomique, le caporal Blutch et le sergent Chesterfield continuaient leur aventure à raison d’un titre par an au moins, toujours signé par le dessinateur Lambil et le scénariste Raoul Cauvin, fidèle au poste depuis 1972.
Et puis, boum la nouvelle tombe le 19 août 2021, sans crier gare : Cauvin s’en est parti rejoindre son ami Louis Salvérius, avec lequel il avait démarré les Tuniques Bleues en 1969 jusqu’à son décès prématuré trois ans plus tard seulement. Après un 65e tome mi-figue mi-raisin signé par un couple de jeunes scénaristes, Beka, et le dessinateur José Luis Munuera (L’Envoyé spécial), Lambil accepte de revenir aux affaires avec Irish Melody, 66e volume de ce qui reste encore aujourd’hui l’une des séries les plus rentables de la bande dessinée franco-belge. Et débarque aujourd’hui la suite.
À la place de Cauvin, on trouve désormais Kris. Clairement un fan, on sent bien qu’il a bien tâté le terrain avant d’y mettre les pieds. Pour son deuxième tome sous l’uniforme bleu marine Du Feu Sur La Glace, le choix des thématiques abordées ici (le stress post-traumatique, le lien à la terre, l’anarchisme) ainsi que la façon de les traiter, en douceur et avec humour mais aussi justesse, prouvent qu’il est en parfaite adéquation avec l’héritage humaniste laissé par son auguste ainé. À défaut d’innover, ce qui n’est sûrement pas ce que l’on attend de lui de toutes façons.
Finalement, c’est désormais plus le trait parfois imprécis de Lambil et le recours à une mise en couleurs plus criarde que d’habitude pour le cacher qui questionne ici. Mais à 87 ans, celui qui avait initialement décidé de rendre son tablier après le décès de son scénariste attitré depuis un demi-siècle n’a clairement pas encore tout dit et on ne serait pas étonné de découvrir qu’une 68e aventure est déjà en cours de réalisation…
Olivier Badin
Du Feu sur la glace, Les Tuniques Bleues tome 67, de Lambil & Kris. Dupuis. 12,50€