Les compétitions officielles ont au moins un mérite, celui d’exposer aux yeux d’un large public la richesse d’un art. Quarante-cinq albums ont été sélectionnés par les organisateurs du Festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême qui se tiendra du 25 au 28 janvier 2024. Quarante-cinq, c’est peu face à la pléthorique production annuelle, mais c’est suffisant pour témoigner de la diversité, de la créativité graphique, de l’ingéniosité narrative, de la variété scénaristique. En voici un aperçu…
Étrange ouvrage que celui-ci ! Avec son chouette format à l’italienne, sa couverture sans dessin, uniquement le titre de l’album apparaissant en relief sur fond gris, un dessin minimaliste fait de traits bien droits et de courbes normées, on pense à La Couleur des choses de Martin Panchaud, Fauve d’or d’Angoulême 2023, même si c’est encore différent. Ici, tout a été réalisé sur le logiciel AutoCAD par un architecte de formation, le Polonais Lukasz Wojciechowski. Les vignettes deviennent des bulles ou l’inverse, le gaufrier alterne textes et dessins, parfois un trait seul ou quantité de traits traversent la planche. D’un trait sans vie peut surgir un personnage, un décor.
Visuellement, c’est évidemment très original. Du côté histoire, l’auteur s’est inspiré de la vie de son arrière-grand-père pour nous plonger dans l’entre deux guerres à Berlin, des années plombées par les horreurs passées et par le bruit des bottes qui se fait à nouveau entendre, un Berlin qui malgré tout n’échappe pas à la marche forcée vers le progrès. Mais le progrès pour quoi faire ? C’est une des interrogations de Dum Dum. On peut sans doute penser que l’ensemble manque d’humain, de sentiment, d’émotion, c’est effectivement un peu froid mais Dum Dum reste une sacrée performance graphique dans la continuité de Ville nouvelle et Soleil mécanique, les deux premières bandes dessinées de l’auteur. (Dum Dum, de Lukas Wojciechowski. ça et là. 25€)
Derrière cette couverture aux couleurs pop, signature des éditions Cornélius, se cache une histoire pas véritablement joyeuse. D’ailleurs, au-delà des couleurs vives, le dessin de cette dite couverture est un peu plus à l’image de ce qui nous attend, un récit de vie cabossée au cœur d’Hollywood, une usine à rêves comme on aime la présenter, une usine à rêves et à désenchantements. L’auteur, l’Américain Sammy Harkham, peu connu sous nos latitudes a de l’autre côté de l’Atlantique une déjà belle réputation de dessinateur, scénariste et éditeur.
Dans cette histoire qu’il a mis une bonne dizaine d’années à boucler, il nous raconte le quotidien de Seymour, un juif d’origine irakienne, monteur et réalisateur pour le cinéma dans le Hollywood des années 70. Ici, pas de tapis rouge, pas de paillettes, pas de talons hauts et de robes de haute-couture, Sammy Harkham déroule le Hollywood de la classe laborieuse, celle qui doit faire le ménage, les courses, les repas, emmener les gamins à l’école, éventuellement changer leurs couches, avant de pouvoir parler cinéma. Seymour rêve de réaliser un film, son film. Il se donne à fond au point de délaisser sa famille, un peu trop, et de se retrouver seul.
Avec un graphisme très accessible, très clair, très agréable, et une narration ciselée, Blood of the Virgin nous offre une vision bien sentie du milieu du cinéma de seconde zone de l’époque, que ce soit sur les plateaux d’enregistrement, dans les salles de montage ou dans les bureaux feutrés des producteurs. Rien de glamour ici mais la vie, la vraie. Et ce n’est pas du cinéma ! (Blood of the Virgin, de Sammy Harkham. Cornelius. 35,50€)
Un space opéra de l’intime. Ainsi pourrait-on résumer Astra Nova, une BD de science-fiction réalisée par la jeune strasbourgeoise Lisa Blumen. S’il est question de la première à la dernière page d’un voyage dans l’espace, un aller sans retour vers une planète située à 2,5 millions d’années-lumière, on n’en voit pas le début du commencement. Non, tout se passe avant le départ avec une ultime formalité à laquelle Nova, la jeune astronaute conviée à ce voyage pas comme les autres, doit se plier : une fête d’adieu. Le cadre est plutôt sympa, une grande villa, piscine, nourriture et alcool à volonté. Reste à trouver des convives, des amis en quelque sorte. Ce qui n’est pas le fort de la jeune astronaute qui préfère depuis longtemps la solitude.
Qu’importe, l’agence spatiale lui trouve ce qu’il faut, trois vieux amis qu’elle n’a pas vus volontairement depuis une éternité. La surprise passée, les quatre reclus d’un soir finissent pas échanger, se confier, parler d’hier et de demain, justifier leurs trajectoires. Le voyage intergalactique prend des allures de voyage intérieur, Nova découvre ce qui lui a fait défaut pendant des années : les relations humaines.
Récemment récompensé par le Prix Utopiales BD 2023, ce deuxième album de Lisa Blumen, entièrement réalisé aux feutres, parle bien plus de notre monde actuel que du monde de demain, avec un regard sur le nécessaire lien entre les humains, ce lien d’où nait tout simplement la vie. Une histoire très touchante ! (Astra Nova, de Lisa Blumen. L’Employé du moi. 24€)
Un petit rien qui vous change une vie. Un chien. Oui un chien tendance bouvier bernois. John Morose, artiste peintre de son état, sans inspiration, sans talent et sans joie, l’a récupéré dans un magasin. Un cadeau. Un drôle de cadeau qui va lui apporter inspiration et assurance. Fini de procrastiner, John Morose se remet sérieusement à peindre, à peindre son chien bien sûr. Son voisin, Hans Dubonheur, artiste peintre de son état, ambitieux, prétentieux, connu et reconnu de tous pour ses tableaux de chats, voit ça d’un très mauvais œil.
Ce Morose qu’il connaît depuis toujours et qu’il raille depuis aussi longtemps pourrait-il lui ravir sa place d’artiste préféré de la ville ? Réponse dans ce récit drôle et original signé Matthias Arégui. Avec une mise en images totalement libérée des normes, l’auteur nous parle des vertus des animaux de compagnie et des affres de la création. (Le Nécromanchien, de Matthias Arégui. 2024. 24€)
Eric Guillaud