C’est toujours avec une certaine fébrilité qu’on tourne les pages d’un nouveau titre des éditions çà et là tant la maison s’est fabriquée au fil des ans et des albums une sacrée réputation dans le milieu du neuvième art compilant des morceaux de vie d’ici ou d’ailleurs, d’Argentine ou d’Iran, du Maroc ou de Chine. Et c’est justement en Chine que nous convie Le Printemps prochain pour un portrait de femme tout en finesse et subtilité…
Le printemps prochain s’ouvre sur un portrait, une photo de mariage, deux silhouettes sans visage. Ce pourrait être chacun de nous, c’est ici la tante de l’autrice, une femme chinoise comme certainement des millions d’autres, posant aux côtés de son mari. C’est son histoire que raconte ce roman graphique.
Et c’est précisément par ce mariage que commence l’histoire écrite et mise en images par Liu Yun, un mariage arrangé comme cela se pratiquait majoritairement par le passé, de moins en moins aujourd’hui.
Pas de place pour les sentiments, peu importe la compatibilité ou non des caractères, l’existence ou non d’une attirance physique… le mariage est la norme sociale et la routine post-mariage de rigueur.
« Toutes ces petites tâches qui remplissent les journées tombaient sur elle, comme une bruine incessante ».
Cuisine, ménage, linge… Ainsi se résume le quotidien de la tante, des corvées qui lui reviennent et dont elle s’acquitte avec volontarisme surtout lorsque la fête du printemps arrive et réunit toute la famille.
Elle met alors les petits plats dans les grands ne quittant plus sa cuisine tandis que les hommes fument et discutent au salon. Et s’il lui reste un peu de temps, la tante fabrique des pompons qui lui permettent de gagner un peu d’argent…
« Est-ce le bonheur qu’elle souhaitait, dans sa prison dorée ? », s’interroge la narratrice. Pas certain ! Elle accepte pourtant son sort et contribue à transmettre la tradition, s’inquiétant de savoir si les jeunes filles de la famille vont à leur tour bientôt se marier.
Mais les temps ont changé. Les jeunes ne veulent justement plus se marier, encore moins avec une personne qu’ils n’ont pas choisie…
« Voilà à quoi ça sert que les filles fassent des études : elles ne veulent plus se marier ! », regrette la tante.
Au-delà de poser un regard tendre sur la vie de sa tante, Liu Yun met en lumière un monde qui change, à la fois fortement attaché à la tradition et confronté à une certaine modernité ou une modernité certaine, en tout cas une inéluctable libération des mœurs. Un portrait sensible et doux comme le printemps porté par un graphisme délicat, presque évanescent, et une mise en couleurs parcimonieuse mais judicieuse.
Ce premier roman graphique de Liu Yun est un travail de fin d’études, initialement publié en 2021 sur les réseaux sociaux, couronné par plusieurs prix dont le Prix du meilleur roman graphique des Comics Festival Awards de Pékin. Un second projet est en cours. Une autrice à suivre…
Eric Guillaud
Le Printemps prochain, de Liu Yun. Éditions çà et là. 20€ (en librairie le 18 août)