04 Oct

Noô ou la réhabilitation en BD d’un grand auteur français de SF des années 50

La carrière d’écrivain de Stefan Wul – alias Pierre Pairault, un dentiste ( !) parisien – a finalement été assez courte. Mais il a malgré tout marqué de son empreinte la science-fiction française des années 50. Son œuvre est aujourd’hui de nouveau célébrée par une nouvelle adaptation en bande dessinée…

La science-fiction francophone a toujours eu mauvaise presse. Moins grandiloquente que celle de ses confrères américains, moins biberonnée aux combats intergalactiques plein de ‘piou, piou’ et de bonds dans l’hyperspace mais par contre plus humaine et, limite, plus philosophique par moment, elle plonge ses racines dans les écrits fondateurs de Jules Verne, JH Rosny Ainé ou encore René Barjavel. Des auteurs dont l’héritage voue un culte à une science salvatrice et non pas destructrice et auquel Stefan Wul a rajouté une certaine poésie.

La reconnaissance, elle, est venue d’abord de Roland Topor puis, huit ans plus tard, de Moebius, qui ont respectivement signé l’adaptation en dessin animé de deux de ses romans, La Planète Sauvage (1973) et Les Maîtres du Temps (1981). Puis à partir de 2012, ce fut au tour de la BD de s’emparer de son œuvre. D’abord par l’intermédiaire de l’éditeur Ankama puis aujourd’hui via le Comix Buro. Soror, le premier volume d’une trilogie annoncée s’attaque à un gros morceau, l’ultime livre de Wul, sorti en 1977.

L’éditeur aime parler ici autant de ‘space opera’ que de ‘voyage initiatique’. ‘Space opera’ car le tout se passe de l’autre côté de l’univers, dans un monde où l’ultra-moderne se mélange à la nature la plus sauvage et où les hommes côtoient de drôles créatures évoquant des sortes d’oiseaux . Et ‘initiatique’ car tout tourne autour d’un jeune homme du nom de Brice. Arraché à la mort sur Terre par son père adoptif, il se retrouve, malgré lui, au plein cœur d’une rébellion qui l’oblige à fuir Grand’Croix, la capitale où il vivait, pour échapper aux forces gouvernementales lancées à sa poursuite.

L’intérêt de Noô, c’est d’avoir permis la rencontre entre un dessinateur assez rôdé à la SF (Alexis Sentenac) avec un auteur (Laurent Genefort) qui évoluait dans la même sphère mais, lui, en tant qu’auteur de romans et de nouvelles. C’est d’ailleurs sa première adaptation BD. Une relative inexpérience qui se ressent parfois dans le rythme général, des dialogues assez verbeux succédant parfois à des scènes plus graphiques sans trop crier gare, comme si en voulant rester le plus possible fidèle à l’esprit original du livre il avait tenu absolument à faire rentrer presque trop de choses dans ce premier volume. En même temps, dans toute trilogie digne de ce nom, le rôle de celui qui ouvre le bal est de justement ‘poser le décor’ comme on dit et c’est ce que fait Soror. Et puis autant Sentenac semble, limite, manquer de place pour s’exprimer durant les (longues) phases de dialogues, autant lors des passages plus contemplatifs qui s’étalent parfois sur une pleine page, il donne alors toute l’ampleur de son talent. Un essai donc peut-être imparfait donc mais transfiguré par quelques moments de pure beauté et qui donne surtout envie de (re)découvrir Stefan Wul.

Olivier Badin

 Noô, volume 1 : Soror de Laurent Genefort et Alexis Sentenac. Comix Buro/Glénat. 14,50€

@ Comix Buro/Glénat / Laurent Genefort & Alexis Sentenac

01 Oct

Une Vie de moche : un récit de toute beauté signé François Bégaudeau et Cécile Guillard

Qu’est-ce que la laideur ? Vaste question à laquelle le monde n’a toujours pas trouvé de réponse définitive. Parce qu’elle est forcément relative. Dans cet album paru aux éditions Marabulles, François Bégaudeau et Cécile Guillard nous en apportent une preuve éclatante…

Elle s’appelle Guylaine. Ne cherchez pas, la rime est évidente, facile mais évidente, Guylaine est vilaine. Du moins, le pense-t-elle depuis toute petite. Précisément depuis le jour où les garçons de son quartier l’ont rejetée de leurs jeux tout simplement parce qu’elle était moche. Et toute sa vie Guylaine sera la vilaine.

« Dans la vie, on a ce qu’on mérite, disait mon père. J’avais du mériter ma tête, mon nez de travers, mes yeux éteints, mes joues pâles, mes cheveux insoumis ». 

Le verdict est sans appel, la peine est capitale.

« On m’avait condamnée à être de celles que les moustiques piquent. Je ne serais pas une princesse, mais sa servante ».

@ Marabulles / Bégaudeau & Guillard

Miroir mon beau miroir… Le titre est explicite, Une Vie de moche déroule la vie de Guylaine depuis son enfance jusqu’à ses 60 ans, avec ses questions, ses doutes, ses peines, les copains qui la rejettent de peur du regard des autres, les copines toujours plus belles qui attirent les garçons comme des mouches, le corps qui ne prend pas les formes espérées à l’adolescence arrivée, les expériences amoureuses ou sexuelles sans lendemain, la recherche d’un style, d’un caractère, qui pourrait atténuer, voire cacher, ce corps disgracieux… et finalement, tout au loin, tout au bout, à des années-lumière, l’acceptation de soi. Enfin !

Le chemin est long et tortueux. On le suit sur près de 200 pages avec compassion, émotion, et parfois une pointe d’agacement tant on a envie de crier à l’héroïne qu’elle n’est pas moche, tout au moins pour tout le monde, qu’il y a forcément des êtres qui la trouvent belle quelque part. D’ailleurs, Guylaine finit par se découvrir un pouvoir de séduction. La victoire est en marche !

@ Marabulles / Bégaudeau & Guillard

Son curriculum Vitae est à rallonge, il est ou a été écrivain, critique littéraire, scénariste, acteur primé Palme d’or à Cannes pour le film Entre les murs dont il a écrit le livre et joué le rôle principal, réalisateur et même chanteur au sein du groupe punk Zabriskie Point qui sortit quatre albums en son temps et joua un rôle moteur pour la scène punk hexagonal, le Vendéen François Bégaudeau signe le très beau scénario de cette histoire.

Moins connue et pour cause, Une Vie de moche est son premier album, certainement pas le dernier, Cécile Guillard offre une très belle mise en images du récit avec un découpage vivant et un dessin au lavis, intimiste et élégant à souhait.

Eric Guillaud

Une Vie de moche, de François Bégaudeau et Cécile Guillard. Marabulles. 25€ (en librairie le 2 octobre)

28 Sep

Jeremiah et Kurdy face à La Bête : un nouveau Hermann à dévorer à belles dents

Quand il y a un loup dans la bergerie, il y a forcément du boulot pour Kurdy et Jeremiah. Le tandem mythique imaginé par le Belge Hermann, Grand Prix d’Angoulême 2016, est de retour avec une trente-septième aventure qui devrait substanter tous ceux qui ont faim d’univers futuristes post-apocalyptiques et crépusculaires.

Et de 37 ! Avec Hermann, les années se suivent et se ressemblent pour le grand plaisir des amoureux de son trait et de son univers. Un album par an environ, de quoi se laisser désirer sans se faire oublier.

En ce mois de septembre 2019, l’aventure s’appelle La Bête mais elle aurait très bien pu s’appeler La Belle et la Bête. D’un côté, la belle Virna qui va tomber sous le charme et dans les bras de Jeremiah, de l’autre la bête, un loup ou quelque chose qui y ressemble, une bestiole pas très sympathique en tout cas, et au centre des bergers qui assistent impuissants au massacre de leurs cheptels.

Un coup des écolos pour réintégrer l’animal dans la région, allez-vous me dire ? Non. Plutôt le sale coup d’une bande d’humains cupides, désireux de chasser les bergers et de récupérer les terres.

Alors fatalement, Jeremiah et Kurdy de passage dans la région ne vont pas pouvoir s’empêcher de se mêler de tout ça, en se rangeant bien évidemment du côté des plus faibles, les bergers, et de leurs brebis sans défense. Résultat des courses, une histoire aussi saignante que crépusculaire emportée par le trait toujours alerte du maître.

Eric Guillaud

La Bête, Jeremiah tome 37, de Hermann. Dupuis. 12,50€

INTERVIEW. Carnets de la ZAD : Quand le scénariste des aventures de Michel Vaillant Philippe Graton se fait photographe

Dans le milieu de la bande dessinée, il s’est fait un prénom en signant depuis 25 ans les scénarios des aventures de Michel Vaillant créées par son père Jean Graton. Mais Philippe Graton est aussi un excellent photographe. Il vient de publier Carnets de la ZAD, un livre réunissant 80 photos prises à Notre-Dame-des-Landes. Rencontre…

Philippe Graton sur la ZAD

Philippe Graton est un amoureux des cabanes. Dans le Bruxelles des années 70, elles ponctuaient son horizon d’enfant, perdues dans un terrain vague, coincées entre un boulevard et une voie ferrée, trônant fièrement au milieu d’un potager. Pour lui, elles représentent des « îlots de convivialité et de poésie en plein cœur de la ville » où « la notion de débrouillardise et de partage, dans un monde de plus en plus individualiste, mérite d’être observée… ».

Lorsque certaines d’entre elles se sont trouvées un jour menacées de démolition par quelques promoteurs immobiliers peu sensibles à la poésie des lieux, Philippe Graton monta une exposition sauvage, accrochant sur les grilles du chantier trente tirages géants des photos de cabanes qui s’y trouvaient. De quoi éveiller l’intérêt des médias, alerter les riverains et finalement sauver ce qui pouvait l’être encore.

Si les zadistes avaient existé à cette époque et en ce lieu, peut-être en aurait-il fait partie. Il les découvrira bien plus tard à Notre-Dame-des-Landes, attiré par d’autres cabanes, les cabanes de la révolte. Pendant cinq ans, il se rendit régulièrement sur place pour immortaliser ces habitations forcément éphémères. Mais il y rencontra aussi des visages, des hommes et des femmes occupés la plupart du temps aux tâches du quotidien et, parfois, à défendre leur territoire des gendarmes venus les déloger.

Disponible en librairie depuis le 24 septembre, Carnets de la ZAD nous offre plus qu’un énième reportage sans âme, c’est véritablement un autre regard que Philippe Graton pose ici, celui d’un homme qui aime raconter des histoires en images, que ce soit en photos comme il le fait dans ce livre ou en bande dessinée à travers les scénarios qu’il écrit depuis 25 ans pour les célèbres aventures de Michel Vaillant lancées par son père Jean Graton.

Au-delà des cabanes et des visages, au-delà du quotidien et des barricades, Philippe Graton restitue une aventure hors norme à travers quatre-vingts photographies inédites et une retranscription de ses notes de terrain à lire – elles-aussi – comme une aventure.

La suite ici

27 Sep

Tank Girl démonte la deuxième guerre mondiale !

Foutraque, anar, punk et avec toutes les aiguilles de la déconne dans le rouge : Tank Girl traîne ses Rangers et ses mégots depuis plus de trente ans. Et sa dernière aventure est toujours aussi déglingos.

Création du scénariste Alan Martin et du dessinateur Jamie Hewlett, elle a débarqué dans le monde la BD outre-Manche en 1988 comme un hippopotame en tutu au milieu d’une convention de dentistes. Alors que le règne de Margaret Thatcher touchait à sa fin et que le rock indépendant envahissait la culture grand public, son style très dense et bourré de références à la pop culture fut une sacrée baffe… Quitte à parfois laisser un peu de côté ceux qui n’aiment pas forcément ce côté limite hystérique. Surtout que malgré une désastreuse adaptation cinématographique que tout le monde a heureusement oubliée, ce personnage féministe, punk et surtout complètement destroy ne s’est toujours pas mis au bridge et à la couture.

Rien que le point de départ de ce Xe avatar d’une série désormais longue comme le bras bien que désertée par Hewlett (bien plus occupé avec le très lucratif Gorillaz qu’il a monté avec Damon Albarn) est volontairement digne d’un épisode des Monty Python. Enfin si John Cleese était fan des Clash… Pour faire simple, Tank Girl et son gang (dont son petit ami, un kangourou !) doivent remonter le temps jusqu’à la deuxième guerre mondiale pour retrouver l’une des leurs qui en a profité pour devenir une starlette d’Hollywood.

Tout ce petit monde a fini par se retrouver pour ce troisième et dernier épisode dans les Ardennes, coincé entre l’armée anglaise et toute une compagnie de chars allemands. Ah, et le détail qui tue : on est en plein hiver et bien sûr, Tank Girl commence l’aventure toute nue. Spoiler : tout ça se termine sur une île au milieu du Pacifique, avec plein de cocktails. Oui, on sait, c’est n’importe quoi. Et c’est drôle. Très drôle, à condition d’aimer les armes, les virages scénaristiques à 90° et la déconne à tout va. Ça plus un paquet de références plus ou moins cachées aussi bien aux grands films de guerre de la grande époque (avec en tête, La Grande Évasion) qu’à la série Stalag 13 ou même… Happy Days.

Bref, c’est le film ‘Inglorious Bastards’ de Quentin Tarantino mais à un rythme d’enfer et avec plus de paires de fesses. En gros, c’est du ‘Tank Girl’ survitaminé et c’est pour ça que c’est bon !

Olivier Badin

World War Tank Girl par Alan Martin et Brett Parson. Ankama / Label 619. 13,90 €,

Ankama / Alan Martin & Brett Parson

25 Sep

Les Crocodiles sont toujours là : une BD de Juliette Boutant et Thomas Mathieu sur le harcèlement de rue et le sexisme

Le chiffre est terrifiant : selon une enquête de l’Ifop, 86 % des Françaises ont été victimes d’au moins une forme d’atteinte ou d’agression sexuelle dans la rue au cours de leur vie. Depuis 2013, Juliette Boutant et Thomas Mathieu mettent en images des témoignages de femmes, d’abord sur un blog baptisé Projet Crocodiles et aujourd’hui dans cet album de bande dessinée paru chez Casterman…

Pourquoi représenter les hommes en crocodiles ? Et pourquoi en vert ? Ce sont les premières questions qu’on se pose en découvrant cet album de Juliette Boutant et Thomas Mathieu. La réponse est facile à trouver. Direction le blog Projet Crocodiles, leur blog, tout y est écrit noir sur blanc.

« La lecture des témoignages nous donne une image effrayante des hommes. Il fallait donc un prédateur qui fasse froid dans le dos, loin du loup séducteur et du lion royal. Un reptile à sang froid et visqueux était l’image parfaite pour rendre le ressenti des témoignages. Nous avons également décidé de n’utiliser que la couleur verte pour focaliser l’attention des lecteurs.ices sur les agissements des crocodiles ».

Et pourquoi tous les hommes en crocodiles ?

« Dans la rue, il n’est pas possible de prédire le comportement d’un homme qui avance vers vous. Le harcèlement de rue et les comportements sexistes sont tellement généralisés que, malheureusement, une méfiance immédiate s’installe. Bien des hommes « qui sont gentils et n’ont rien fait » peuvent se montrer sexistes au quotidien. Il s’agit surtout d’une dynamique sexiste entre le « groupe » hommes et le « groupe » femmes. Il ne s’agit pas de témoignages exceptionnels qui ne concerneraient qu’une marge de la société mais un phénomène collectif et social ».

Du harcèlement ordinaire en somme, comme il excite un racisme ordinaire. C’est en 2013 que Thomas Mathieu créé le Projet Crocodiles pour y transposer en bande dessinée des témoignages de harcèlement et de sexisme. Il est rejoint par Juliette Boutant quelques temps plus tard, travaillant dès lors à quatre mains avec un double regard, une double sensibilité à la fois féminine et masculine.

L’album Les Crocodiles sont toujours là offre une succession d’histoires courtes, d’une à quelques pages, autant de témoignages affligeants du comportement des hommes envers les femmes, que ce soit dans la rue, au boulot ou même dans les cabinets médicaux et les commissariats de police. Oui, vous avez bien lu, dans les cabinets médicaux et les commissariats de police.

L’idée est bien évidemment d’éveiller les consciences et de participer au nécessaire changement de comportement général. On le voit bien et peut-être même encore mieux depuis l’affaire Weinstein, le combat sera long et difficile mais pas impossible !

Eric Guillaud

Les Crocodiles sont toujours là, de Juliette Boutant et Thomas Mathieu. Casterman. 19,50€

@ Juliette Boutant et Thomas Mathieu

23 Sep

Appel aux auteurs de BD : L’Année de la bande dessinée en 2020 recherche l’illustrateur de son affiche officielle

L’année 2020 sera l’Année nationale de la bande dessinée avec des événements partout en France. Organisée conjointement par le CNL et le CIBD, en collaboration avec les services du Livre et de la Lecture de la direction générale des Médias et des Industries culturelles du ministère de la Culture, « BD 2020 » cherche dès à présent le créateur de l’illustration de son affiche officielle et lance un appel à candidatures.

Du 23 septembre au 7 octobre 2019, tous les auteurs ayant publié entre un et cinq ouvrages de bande dessinée sont invités à répondre à l’appel du Centre national du livre en déposant leur portfolio sur le site officiel de l’Année de la bande dessinée : www.bd2020.culture.gouv.fr

Un jury d’experts et de professionnels sélectionnera 10 candidats pour produire l’illustration de l’affiche de BD 2020. Les candidats retenus seront ensuite invités à déposer leur proposition sur le site de BD 2020 du 24 octobre au 15 novembre.

Le jury se réunira à nouveau pour étudier les propositions et choisir l’illustration qui deviendra le visuel officiel de l’Année nationale de la bande dessinée.

Le créateur de la proposition adoptée recevra une dotation de 10 000 euros et les neuf autres candidats, dont les propositions n’auront pas été retenues, une dotation de 1 000 euros chacun.

Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site officiel de l’Année nationale de la bande dessinée : www.bd2020.culture.gouv.fr

22 Sep

Mes années hétéro, une fiction qui a valeur de témoignage signée Hugues Barthe

On pourrait imaginer ce récit biographique ou même autobiographique tant le ton est juste et la description, précise, mais ce n’est pas le cas. Mes années hétéro est une fiction, une fiction basée sur les témoignages de gays appartenant à la génération précédant la dépénalisation de l’homosexualité. Une époque où près de la moitié des Français la considérait comme une tare…

Car oui, il n’y a pas si longtemps, 37 ans pour être précis, l’homosexualité était encore passible dans certains cas de sanctions pénales. François Mitterrand mit un terme à cette situation en 1982, mais il faudra attendre 1999 pour le PACS et 2013 pour le mariage homosexuel. Un long chemin !

Et c’est précisément le 18 mai 2013, le jour de la promulgation de la loi du mariage pour tous que débute le récit d’Hugues Barthe. Avec un vieil homme. Il s’appelle Rémi. Il est homosexuel, devrait être fou de joie mais ne l’est pas. Peut-être parce que ces avancées arrivent un peu tard pour lui. Peut-être aussi parce que Rémi est du genre réservé.

« Je n’ai jamais pris part à la conquête des droits des gays, trop longtemps isolé et englué dans mes difficultés personnelles ».

S’il considère avoir réussi sa vie parce qu’il a deux filles qui font sa fierté, Rémi a dû cacher son homosexualité pendant des années sans savoir s’il pourrait un jour la révéler et la vivre pleinement.

« Dans les années 70, la plupart des homos provinciaux prenaient femme. Ils n’avaient pas le choix, surtout quand ils voulaient des enfants ».

@ Delcourt / Barthe

C’est l’histoire de Rémi, mais c’est aussi l’histoire de beaucoup d’hommes, que raconte Mes années hétéro. Une histoire qui commence dans les années 50 à Yvetot, petite bourgade situé du côté de Rouen, où l’on a vite fait de s’ennuyer quand on est un enfant. C’est au pensionnat que Rémi découvre son homosexualité même s’il ne met pas encore ce mot-là sur ce qu’il ressent.

Et puis la vie d’alors fait qu’il se marie, pour faire comme tout le monde. Il a deux enfants, deux filles. Mais très vite, il ne peut plus se contenter de cette vie d’hétéro bien rangée. Rémi fréquente les lieux de rencontre pour homosexuels, multiplie les aventures, jusqu’à son divorce, jusqu’à sa rencontre avec l’homme de sa vie. Nous sommes dans les années 80, Mitterrand a été élu et l’homosexualité est enfin dépénalisée.

@ Delcourt / Barthe

« Après des années de quasi-silence sur la question, radios et télés commançaient timidement à parler des gays. Je suivais cette évolution avec curiosité. Etrangement, je me sentais exclu. Je ne me suis jamais senti aussi seul ».

Mes années hétéro n’est pas un témoignage à proprement parler puisque il a été écrit à partir de plusieurs témoignages mais il en a la valeur et la force. Le livre est absolument passionnant de bout en bout parce qu’il montre avec beaucoup de justesse et d’émotion ce qu’a pu être la vie de tous ces hommes qui ne rentraient pas dans le moule, ne correspondaient pas aux normes établies par la société. Si aujourd’hui, 8% « seulement » des Français considèrent l’homosexualité comme une tare, ils étaient 42% en 1975, selon un sondage récent de l’IFOP. Il y a donc visiblement un progrès mais le combat n’est pas terminé ! À lire et faire lire d’urgence.

Eric Guillaud

Mes années hétéro, de Hugues Barthe. Delcourt. 17,50€

16 Sep

Mon premier rêve en japonais : un récit autour de la construction identitaire signé Camille Royer

Comment se construire une identité quand on est issue de deux cultures? Camille Royer a un père français et une mère d’origine japonaise, elle raconte son enfance dans un premier album où la réalité et l’imaginaire s’entrechoquent…

À huit ans, Camille est une gamine comme toutes les gamines ou presque, un peu téméraire, pour ne pas dire turbulente dans la journée, un peu froussarde à la nuit tombée. Alors, afin qu’elle s’endorme plus facilement, sa mère japonaise lui raconte les plus beaux contes de son pays l’initiant ainsi à sa culture.

Mais la vie n’est pas toujours un conte de fée et la mère de Camille est malheureuse. Son pays, sa famille, lui manquent. Camille est effrayée à l’idée qu’elle reparte un jour au Japon. De quoi perturber ses nuits…

C’est Sébastien Gnaedig, directeur éditorial de Futuropolis et juré pour différentes écoles d’illustration et de bande dessinée, qui a remarqué le travail de Camille Royer. Mon premier rêve en japonais était à l’origine un dossier de fin d’étude. « J’ai tout de suite été frappé par des images puissantes, un style déjà singulier… », explique-t’il. « Et un récit fort : celui de l’enfance aux carrefours de 2 cultures où très vite affleure une gravité sur des scènes du quotidien à priori anodines ».

« Lors de ma dernière année à l’école Estienne… », raconte Camille Royer, « j’ai choisi de faire mon stage de fin de cycle au Japon, chez un illustrateur. J’avais envie de créer ma propre relation avec ce pays, loin des histoires de famille houleuses. Y aller pour mon dessin, c’était créer ma propre histoire avec le pays natal de ma mère, de mes grands-parents. Dessin et dessein se confondant certainement. J’ ai appris à lâcher l’aquarelle que j’utilisais à outrance. Mon maître tokyoïte m’a entrainée tous les jours à épurer mon dessin et alléger mes couleurs. Je suis rentrée en France, réconciliée avec le Japon. Ce livre porte les fruits de cette réconciliation. Sans le savoir, je posais déjà les bases d’un premier livre de bande dessinée ».

Un premier album surprenant mais qui ne peut laisser indifférent tant d’un point de vue graphique que narratif. Entre quotidien et imaginaire, Mon premier rêve en japonais raconte la construction identitaire d’une enfant partagée entre deux cultures.

Eric Guillaud

Mon premier rêve en japonais, de Camille Royer. Futuropolis. 21€

@ Futuropolis / Royer

14 Sep

Mamas, un petit précis de déconstruction de l’instinct maternel signé Lili Sohn

Est-ce que le féminisme est soluble dans la maternité ? Ou peut-être l’inverse ? C’est toute la question que se pose Lili Sohn dans cet ouvrage paru aux éditions Casterman. Un peu plus de 300 pages où l’on parle d’instinct maternel et de conscience féministe, d’horloge biologique et de pression sociale..

Oui la couverture est rose. Mais ne vous y fiez pas. L’auteur Lili Sohn n’a pas perdu de son mordant pour s’attaquer aux préjugés, aux stéréotypes. Elle l’a déjà fait dans ses albums précédents, La Guerre des tétons et Vagin Tonic, elle le fait à nouveau ici en racontant son expérience personnelle. Avec des doutes bien sûr, avec des interrogations mais aussi des convictions.

Et elle commence par le début, par son enfance. De quoi rêvait Lili Sohn enfant ? En 1, d’avoir un mari gentil, en 2 d’habiter au bord de la mer et en 3… d’avoir quatre enfants.

En grandissant, Lili Sohn a découvert la vie et remis à plus tard ses envies d’enfant. D’ailleurs, en avait-elle encore envie ? Puis elle s’est battu contre un cancer du sein à coups de chimiothérapie (elle le raconte dans La Guerre des tétons) au risque de devenir stérile. Et depuis ce jour-là, depuis cette éventualité de ne plus pouvoir mettre au monde, Lili Sohn n’a plus qu’une obsession, un truc viscéral, quasi-indépendant d’elle-même : avoir une enfant.

« Est ce que c’est mon instinct maternel qui se réveille ? Je suis totalement obsédée part mon désir d’enfant! », écrit-elle dans le livre.

Obsédée, c’est le mot. Mais en même temps circonspecte! Et de se poser des questions sur cet instinct maternel et la maternité au point de penser qu’elle a trahi. Trahi quoi ? Un idéal ? « En fait, j’ai le sentiment de trahir le féminisme », continue-t-elle.

Et de citer quelques personnalités comme Simone de Beauvoir qui, s’expliquant sur la maternité déclara : « Je ne la refuse pas ! Je pense seulement qu’aujourd’hui c’est un drôle de piège pour une femme ».

Un piège ? Pour Lili Sohn, « c’est vraiment le mot… », explique-t-elle dans une interview, « Avec un désir d’enfant, tu te sens en porte-à-faux et à contre-courant de l’émancipation féministe »

Avec finesse et humour, Lili Sohn raconte donc son chemin de pensée jusqu’à l’accouchement et au-delà sans jamais avoir la prétention de détenir la vérité et de donner l’évangile. « J’ai l’impression qu’avec mon histoire et en me dévoilant sincèrement, j’amène facilement mes lecteurs d’une question à l’autre, sans avoir une étiquette militante. Je n’impose d’ailleurs jamais mes opinions. Je raconte mes sentiments et mes raisonnements personnels, et je pars en toute honnêteté de ma propre ignorance, sans présupposer celle des lecteurs. Mes livres sont des carnets de route qui rebondissent vers des réflexions plus larges ».

Et si vous pensez que ce livre à la couverture rose ne s’adresse pas aux garçons, vous avez tort. Car au-delà de ses interrogations sur la maternité et le féminisme, Lili Sohn nous interroge tous sur la liberté de l’individu face à la société et ses diktats.

Eric Guillaud

Mamas, de Lili Sohn. Casterman. 20€

@ Casterman / Sohn

 

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