Joe Sacco ! Ce prénom et ce nom suffisent à dire le sérieux de l’affaire. Joe Sacco est un journaliste et un auteur de bande dessinée américain largement réputé et apprécié des amateurs de BD-reportages, genre qu’il a impulsé pour ne pas dire initié dès 1993 en publiant aux États-Unis l’album Palestine. Il est de retour en 2020 avec Payer la terre, un récit qui nous emmène à la rencontre des Indiens dénés, l’une des Premières Nations du Canada…
Les Premières Nations, quèsaco ? Un petit tour rapide sur internet, merci Wiki, suffit à nous renseigner, les Premières Nations sont les peuples autochtones canadiens qui ne sont ni des Inuits, ni des Métis. Ils seraient plus d’un million répartis dans une cinquantaine de groupes linguistiques et plus de 600 communautés. La grande majorité vivant aujourd’hui dans des zones urbaines et non plus dans des réserves.
C’est lune des ces Premières Nations que Joe Sacco est allé rencontrer. Les Dénés vivent au Nord-Ouest du Canada, dans une région grande comme la France et l’Espagne réunies mais peuplée de seulement 45000 personnes. Un désert humain aussi beau que sauvage, forêts et neige à volonté.
Autrefois, les Dénés vivaient avec la nature, suivant son rythme, se levant tôt, « en général à l’aube, pour saluer le soleil », se couchant de bonne heure pour « laisser les autres esprits faire leurs affaires pendant la nuit ».
Une vie, une culture intimement liée à la terre, jusqu’au jour où l’industrie pétrolière débarque, s’approprie les richesses de cette terre et enclenche un changement profond des mentalités. Argent, alcoolisme, drogue, prostitution, les Dénés sont dès lors confrontés aux mêmes problèmes sociétaux que dans les grandes villes canadiennes…
Avec les problèmes environnementaux en sus ! Car, les industriels du pétrole abandonnent les forages classiques pour la fracturation hydraulique, impliquant l’injection de produits chimiques toxiques dans la terre.
C’est l’histoire de ce peuple qui est ici racontée, les traditions ancestrales, l’humilité devant la nature, l’arrivée des premiers colons, l’abandon de ses droits sur le sol contre quelques promesses, le vaste plan d’assimilation lancée à marche forcée et qui se poursuit jusque dans les années 80, l’acculturation…
Combien sont-ils aujourd’hui à maîtriser encore leur langue d’origine, à connaître et défendre leur culture ?
Journaliste de formation, auteur de plusieurs bandes dessinées reportages telles que Palestine, Goradze, Gaza 1956 ou encore Jours de destructions jours de révolte…, Joe Sacco a traîné ses guêtres et ses crayons sur pas mal de fronts, de terrains minés, dans tous les sens du terme, avec toujours le même volonté de rechercher la vérité et de témoigner.
« Je réalise un travail de journaliste en essayant de penser comme un historien », expliquait l’auteur il y a quelques années au site du9, ce qui se concrétise par une immense curiosité et une extrême rigueur dans sa façon d’aborder les choses, d’aller au contact, de croiser les infos, de recueillir les témoignages, une rigueur qui se prolonge dans son dessin réaliste ultra-léché, méticuleux.
Publié initialement en deux fois trente pages dans la revue XXI, Payer la terre paraît aujourd’hui en album en France avant même de paraître aux États-Unis. C’est tellement rare que ça mérite d’être signalé. L’auteur sera d’ailleurs en terre charentaise à la fin du mois de janvier à l’occasion du Festival International de la Bande Dessinée à Angoulême. Juste le temps de lire Payer la terre à tête reposée, il le mérite amplement !
Eric Guillaud
Payer la terre, de Joe Sacco. Futuropolis et XXI. 26€