04 Nov

Les Grands espaces : Quand Catherine Meurisse rêvait de Versailles

C’est un petit coin de paradis, un Versailles en mode familial, avec son potager à la française et en son milieu la statue d’un nain de jardin en guise de Roi-Soleil. C’est un petit coin de paradis à l’abri du temps qui passe trop vite, à l’abri de la cupidité des hommes, un petit coin de paradis qui doit tout à la nature, à la littérature et à la peinture…

Mais à qui appartient ce petit coin de paradis ? À l’auteure du livre elle-même, Catherine Meurisse, ou du moins à ses souvenirs de jeunesse. Catherine n’est alors qu’une toute jeune-fille lorsque ses parents décident de s’installer à la campagne. « Les filles, la campagne sera votre chance », avaient-ils décrété comme une nouvelle évidence. Et voilà toute la petite famille partie s’installer dans une ferme en ruine, au milieu de nulle part, à proximité de pas grand chose.

L’imagination au pouvoir

Il fallait avoir de l’imagination pour espérer redonner fière allure à ce lieu. Les parents n’en manquèrent pas, le père dessinant dans sa tête le plan de la future habitation, « là, ce sera la salle à manger. Ici, je vois bien la cuisine… », la mère plantant tout ce qu’elle pouvait, ici un rosier provenant du jardin de Marcel Proust, un autre du jardin de Montaigne, là un figuier venant de chez Rabelais, des ancolies de la grand-mère, des hêtres, des prunus, des cognassiers, des acacias et autres merisiers. Bref, de quoi remettre la nature en ordre de marche.

© Dargaud/Rita Scaglia

Et lorsque la pollution agricole s’invite aux portes du jardin, sous la forme d’un épandage de sang d’abattoir, la mère ne jardine plus, elle entre en résistance, plante une haie pour freiner les vents et les odeurs. Comme un pied de nez au remembrement. « Patience! Dans quelques années, on aura un parc superbe comme au château de Versailles ».

Catherine réclame sa part de château. Elle gagne un petit lopin de terre divisé en carré, comme à Versailles, à la Le Nôtre. À elle d’y faire pousser ce qu’elle veut. Des campanules, des acanthes, des benoîtes écarlates, des rhodantes, des clarkias… ? Pourquoi pas un parterre à la Zola, le fameux paradou de La Faute de l’abbé Mouret. « Tu crois que Zola a mis de l’engrais? », demande-t-elle à sa mère.

Peu à peu, à grand coup de boutures et de littérature, le paradis prend forme. Mais pendant ce temps, tout autour, c’est l’enfer qui se dessine ! Les arbres disparaissent, les lotissements grignotent l’espace, les agriculteurs carburent au roundup, les lignes à haute tension poussent comme des champignons, les forêts de panneaux publicitaires barrent l’horizon…

Le Louvre comme refuge

La famille de Catherine a envie de voyager. Mais pas de quitter le paradis pour l’enfer. C’est une nouvelle fois la littérature et plus précisément Marcel Proust qui indique la bonne direction : le Louvre. C’est là que Catherine découvre le beau, c’est là aussi que naît sa vocation pour le dessin. « En arrivant au Louvre, j’ai eu l’impression que j’arrivais dans une seconde maison… », confie-t-elle sur France Culture, « J’étais attirée par les peintures qui représentaient de la verdure, des prés, des arbres, tout ce que j’avais autour de moi mais il fallait que je vois ça à travers les yeux des artistes ». Lorsqu’elle retrouve son jardin, c’est dorénavant pour le dessiner, le peindre.

Après La Légèreté, qui s’apparentait à « un cheminement, une tentative de refaire surface » , un retour à la vie après l’attentat de Charlie auquel elle a miraculeusement échappé, Catherine Meurisse nous raconte dans ce nouvel album d’où elle vient, ce qui l’a nourri dans sa jeunesse, la nature bien sûr mais aussi la littérature et la peinture avec pour horizon commun la liberté, la beauté et les grands espaces, réels ou imaginaires. Une chronique de l’enfance tendre, poétique érudite et pleine d’humour emmenée par un trait au crayon sensuel. Pour voir le monde autrement !

Eric Guillaud

Les Grands espaces, de Catherine Meurisse. Dargaud. 19,99€

L’Info en + Catherine Meurisse sera en dédicace à Nantes, à la librairie Les Bien-Aimés, le samedi 10 novembre

© Dargaud/Meurisse