Attention chef d’oeuvre. Un grand chef d’oeuvre ! De ceux qui restent quand les années passent et les héros de pacotille trépassent. Un récit picaresque mettant en scène un as de la fourberie, un Don Quichotte rendu aux Amériques avec des rêves d’Eldorado…
Quand un scénariste de grand talent s’associe à un dessinateur de renom, logiquement, ça ne peut guère aboutir à un navet. À contrario, rien ne dit que le chef d’oeuvre est forcément au rendez-vous.
Alors ? Alors aucun doute, Les Indes Fourbes est bien un chef d’oeuvre. Tel un mille-feuille, Alain Ayroles et Juanjo Guarnido qui se sont fait respectivement connaître avec les séries De Cape et de crocs et Blacksad, ont empilé les couches du bonheur pour nous accompagner vers l’extase.
Scénario, narration, écriture, dialogues, découpage, graphisme, personnages, couleurs, décors, format de l’album… Tout, je dis bien tout, a été finement pensé et élaboré, même si, comme le reconnaît Juanjo Guarnido, tout cela a été « un travail colossal », colossal mais « jouissif ».
Jouissif ! C’est aussi l’adjectif que j’emploierais volontiers pour exprimer mon ressenti à la lecture des quelque 160 pages de l’album au très beau format XXL de 25,3 sur 34 cm. Jouissif comme a pu l’être pour un grand nombre d’entre nous la lecture de L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche de Cervantes qui, forcément a influencé ce récit, ou encore, pour les férus de littérature espagnole, de El Buscón, la Vie de l’Aventurier Don Pablos de Ségovie de Francisco Quevedo, auquel Les Indes fourbes apporte une suite.
L’histoire ? Picaresque à souhait avec un personnage qui a un petit quelque chose de Don Quichotte. C’est d’ailleurs ce personnage qui a donné l’idée de cette histoire à Alain Ayroles, une idée qui lui est venue alors qu’il était en vacances en Equateur. « Je logeais chez l’habitant… », explique l’auteur dans une interview accordée à Sonia Déchamps, « et dans cet intérieur sud-américain, il y avait un tableau de Don Quichotte. L’image m’a percuté. Pourquoi ne pas faire un Don Quichotte en Amérique du sud ? Mais cela paraissait un peu bateau à Juanjo ».
Finalement, les deux hommes s’arrêteront sur le personnage de Don Pablos de Quevedo, un immense auteur espagnol peu connu en France. Dans le roman El Buscòn, ou la vie de l’aventurier Don Pablos de Ségovie publié en 1626, Francisco Quevedo nous embarque dans les pas d’un vaurien qui ne cherche à avancer que dans la filouterie, le vol, le brigandage, un bandit des grands chemins, un antihéros parfait, un picaro de derrière les fagots qui ne parviendra jamais à effacer malgré tous ses efforts sa condition sociale.
À la fin de ce roman qui se déroule en Espagne, Don Pablos embarque pour l’Amérique, les Indes comme on disait alors. Francisco Quevedo annonce une suite qui ne sera jamais écrite. Alain Ayroles et Juanjo Guarnido l’imaginent. Ainsi naissent Les Indes Fourbes et les aventures de notre héros parti à la recherche de l’Eldorado et surtout d’un enrichissement rapide, par quelque moyen que ce soit…
Un récit captivant et drôle de la première jusqu’à la toute dernière page où les auteurs parviennent encore à nous surprendre avec un final extraordinaire !
Eric Guillaud
Les Indes Fourbes, de Ayroles et Guarnido. Delcourt. 34,90€