19 Août

L’enquête qui dérange : « Algues vertes, l’histoire interdite » d’Inès Léraud et Pierre Van Hove

L’état est-il là pour nous protéger ou pour assurer sa survie ? C’est la question que le lecteur peut légitimement se poser à la lecture de ce livre publié par La Revue dessinée et Delcourt, une enquête au long cours sur les algues vertes qui empoisonnent les plages bretonnes depuis des décennies…

A l’heure où la Bretagne subit une nouvelle marée verte, « un véritable tsunami » pour reprendre les propos de l’eurodéputé Yannick Jadot, l’enquête de de la journaliste Inès Léraud et du dessinateur Pierre Van Hove a le mérite de remettre le phénomène en perspective et de nous questionner sur son origine.

Pourquoi ce silence ? Pourquoi ce déni ? Nous pouvons en effet tous nous interroger sur l’attitude de l’état face à ce phénomène apparu dans les années 60 sur le littoral breton, phénomène qui s’est amplifié avec le temps et aurait provoqué la mort à ce jour de 3 personnes et d’une quarantaine d’animaux, sangliers, chiens, chevaux…), tous asphyxiés par l’hydrogène sulfuré (H2S) émanant des algues en putréfaction.

Un silence, un déni et peut-être même une entrave à la manifestation de la vérité, c’est en tout cas ce que laisse supposer cette enquête. Entre la disparition d’échantillons en laboratoire, la non transmission de résultats d’autopsies, les courriers aux autorités sanitaires restés sans réponse et les pressions exercées sur les lanceurs d’alerte, le tableau est effectivement plutôt sombre et troublant dans un pays démocratique comme le nôtre.

Selon la journaliste Inès Léraud, l’état a depuis 2006 la preuve formelle que l’H2S produit par les marées vertes est mortel. « Et s’il avait tenu compte des alertes du Dr Pierre Philippe (urgentiste à Lannion) il l’aurait été 17 ans plus tôt! »

______________________________________________

L’interview complète d’Inès Léraud est à retrouver ici

______________________________________________

C’est toute cette mécanique caractéristique d’une politique de l’autruche que l’ouvrage met ici en évidence en cherchant des explications dans notre présent mais également dans notre passé, avec la mutation de la société paysanne, l’industrialisation de l’agriculture, le remembrement, l’apparition des élevages de porcs hors-sol…

Et plutôt que de relater cette enquête avec un médium classique, si tant est que la presse écrite, la radio ou la télévision soient encore des médiums classiques, la journaliste Inès Léraud et le dessinateur Pierre van Hove on opté pour la bande dessinée. « Ça à l’exigence d’un livre, tout en ayant le côté divertissant d’un film », explique Inès Léraud. « A travers le scénario de cette BD, je devais restituer la complexité de l’histoire, tout en la rendant fluide, agréable à lire, avec des personnages vivants, incarnés ».

Résultat, un récit d’un peu plus de 130 pages très documenté, très détaillé, porté par un graphisme épuré, des couleurs vives et une fine couche d’humour qui apportent un peu de légèreté et rendent le livre accessible au plus grand nombre.

« J’avais écrit un scénario, qu’il pouvait, par le dessin, “interpréter” de mille façons, comme un musicien devant une partition. J’imaginais qu’il ferait un truc grave et sérieux. Et un jour, il m’a envoyé ses premières planches, dans ce style léger, simple, souvent drôle ou ironique. J’ai tout de suite été subjuguée par l’intelligence du découpage, de la mise en scène. Ensuite avec Mathilda, la coloriste, ils ont choisi de mettre des couleurs pop ce qui a achevé de m’étonner et de me plaire ».

En complément, un dossier d’une trentaine de pages réunit en fin d’ouvrage articles de presse, courriers, rapports de la DDASS, bibliographie et repères chronologiques…

Eric Guillaud

Algues vertes, l’histoire interdite de Inès Léraud et Pierre Van Hove. La Revue dessinée / Delcourt. 18,95€

@ Delcourt / Léraud & Van Hove

07 Août

Pages d’été. Jane, une adaptation libre et réussie du roman de Charlotte Brontë par Ramon K. Pérez et Aline Brosh McKenna

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Pour tout vous dire, ce bouquin-là, je l’ai remonté plus d’une fois au sommet de ma pile de livres à lire d’urgence avant qu’il ne redescende sous l’effet de je ne sais quelle priorité absolue. Six mois à faire du trampoline avant d’atterrir un beau soir d’été sur ma table de nuit.

Et je ne regrette en rien d’avoir attendu, non pas qu’il m’ait déçu, bien au contraire, mais Jane mérite beaucoup mieux qu’une lecture accélérée pour cause d’actualité éditoriale intense. Jane est un pur délice ! Normal me direz-vous puis qu’il s’agit ni plus ni moins de l’adaptation d’un autre délice, un grand classique de la littérature anglaise, Jane Eyre, premier roman de l’Anglaise Charlotte Brontë écrit en 1847. Normal peut-être mais toutes les adaptations ne sont pas des réussites. Là oui !

Au talent de Charlotte Brontë est venu s’ajouter, comme une deuxième couche, le talent des deux auteurs responsables et coupables de l’adaptation, la scénariste et réalisatrice Aline Brosh McKenna (Le diable s’habille en Prada...) et le dessinateur de comics multiprimé Ramon K. Pérez (Jim Henson’s Tale of Sand…).

Alors bien sûr, certains regretteront leurs partis pris, notamment la transposition du récit dans notre monde contemporain et dans la ville de New York, ôtant du coup l’atmosphère so british du roman mais l’histoire tient véritablement debout. On y retrouve bien évidemment les principaux personnages, à commencer par Jane, la jeune orpheline, et Edward Rochester, le riche et mystérieux homme d’affaires avec qui elle vivra une histoire d’amour passionnelle malgré la différence d’âge et de classe sociale, malgré aussi un terrible secret qui hante l’immense et glacial appartement de Rochester.

Parfait pour la plage !

Eric Guillaud

Jane, de Ramon K. Pérez et Aline Brosh McKenna. Glénat. 18€

@ Glénat / Brosh McKenna & K. Pérez

Amazing Grace : un récit initiatique et sanglant dans un monde en ruine

En voilà un marqué à la culotte comme on dit : recommandé par LE magazine du cinéma bis ‘Mad Movies’ et avec donc cette étiquette de ‘Grindhouse Stories’ (en référence à la série de films que Quentin Tarentino voulait lancer en hommage aux films d’horreur et d’action de série B des années 70) dont il est le premier avatar, Amazing Grace fait plus que poser toutes ses influences sur la table, il les revendique ouvertement.

D’ailleurs, impossible aussi de ne pas penser à la BD The Walking Dead à la lecture de ce récit racontant la cavale d’un père et d’une fille mutante dans un monde post-apocalyptique en 2035. S’ils n’utilisent pas comme leur grand frère les zombies comme croquemitaines, lui préférant un monde plongé dans le chaos par la menace atomique, les auteurs s’intéressent aussi plus à braquer les projecteurs sur une société en pleine déliquescence, où la nature humaine se révèle au final bien plus monstrueuse… Avec toujours cette éternelle même question au bout : êtes vous prêt à survivre à tout prix ?

@ Glénat / Ducoudray, Bessadi & Alquier

BD de genre qui s’assume donc, Amazing Grace embrasse tous les codes du genre. Bien sûr que l’on se prend facilement d’affection pour ce duo qui essaye tant bien que mal de survivre et d’avoir une relation père/fille normale bien que cette dernière soit à moitié recouvert de poils et capable d’une violence animale si poussée à bout. Et bien sûr que l’on sait que tout cela va finir très mal, même si un tome 2 est déjà en préparation. Parfois assez violent mais pas exempt non plus de quelques longueurs à force de prendre son temps à installer une scène qui, on le sait, va s’écrouler comme un château de cartes, le tout transpire quand même l’amour sincère des films de George Romero et de tous les disciples qu’il a suscité, surtout que cette belle édition compte quantité de bonus non négligeables, comme des croquis ou des interviews de ses créateurs – où l’on retrouve entre autres le scénariste Aurélien Ducoudray qui a participé à l’aventure Doggybags chez Ankama – assez éclaircissantes. Et puis il y a ce slogan, digne d’une affiche écornée de 1973, ‘le futur n’est pas pour les enfants sages’…

@ Glénat / Ducoudray, Bessadi & Alquier

Appelé à embrasser tous les ‘sous-genres’ trop souvent négligés que sont l’horreur, le fantastique, la science-fiction ou même le western, ces ‘Grindhouse Stories’ partent plutôt du bon pied, surtout qu’il y a déjà deux autres livres (Silencio et L’Agent) dans les bacs. Toi qui a passé des heures entières à fouiller les étagères des vidéos-clubs dans les années 80 à la recherche d’obscurs films maudits à regarder ou qui adore se gaver de séries horrifiques, tu vas être gâté.

Olivier Badin

Amazing Grace– tome 1 d’Aurélien Ducoudray, Bruno Bessadi et Fabien Alquier, Glénat, 25€

06 Août

Pages d’été. Des bulles d’histoire pour un passé recomposé

Certains nous prédisent la fin de l’histoire depuis des lustres. Qu’on se rassure, du côté du neuvième art, l’histoire est et sera encore longtemps la matière première des auteurs, une source d’inspiration inépuisable et un voyage sans fin pour les lecteurs. Sur un mode réaliste ou humoristique, documentaire ou romancé, ce genre littéraire se porte plus que jamais à merveille. La preuve avec cette sélection de livres sortis en 2019…

On commence avec Les Sanson et l’amateur de souffrances, une série de Patrick Mallet et Boris Beuzelin qui nous embarque dans la France de la fin du XVIIe siècle, au coeur d’une célèbre famille de bourreaux normands, les Sanson. Pendaisons, décapitations, supplices de la roue… tout a commencé pour Charles-Louis Sanson lorsque, à la faveur d’une chute de cheval dans la campagne normande, le jeune homme est recueilli par Pierre Jouenne et sa fille Marguerite dont il tombe immédiatement amoureux. Pour pouvoir se marier avec elle, Charles-Louis accepte de reprendre la funeste charge de son futur beau-père et devient donc à son tour bourreau, apprenant le métier sur le tas, ou plus précisément sur les condamnés avec quelques ratés ici ou là. Mais très vite, Charles-Louis apprend les ficelles du métier : « j’ai appris à flageller, j’ai appris à marquer au fer rouge, j’ai appris à mutiler les yeux, la bouche, la langue, les oreilles… », bref que du bonheur, deux albums parus à ce jour, un scénario qui mêle historique, fantastique et histoire d’amour. Coup de coeur assuré ! (Les Sanson et l’amateur de souffrances, de Beuzelin et Mallet. Vents d’ouest. 17,50)

« C’est donc une révolte ? », s’interroge le roi. « Non sire, c’est une révolution », reprend le duc de La Rochefoucauld. Vous l’aurez deviné par le titre de ces deux albums et par ces quelques mots célèbres, 1789 La mort d’un monde et 1789 La naissance d’un monde nous plongent au coeur de la Révolution française, deux albums, deux points de vue, celui de la noblesse d’un côté, celui du tiers état de l’autre, et au centre un événement majeur qui donnera naissance à la monarchie constitutionnelle, étape entre la monarchie absolue et la république. Comme on peut s’y attendre, le scénario est relativement didactique et le graphisme, classique. (1789 La mort d’un monde et 1789 La naissance d’un monde, de Simsolo et Martinello. Glénat. 14,95€ l’album)

Changement de période, changement de style avec Le Fragment, un one-shot signé par trois Espagnols et racontant un épisode méconnu de la guerre d’Espagne, l’opération secrète lancée par le général franquiste Queipo de Llaano pour détruire le fameux tableau de Picasso, Guernica, composé à la demande du gouvernement républicain pour dénoncer les bombardements de populations civiles. « Dans le panneau auquel je travaille… », dira Picasso, « et que j’appellerai Guernica, j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort ». Passionnant, forcément ! (Le Fragment, de Llor, Vargas et Exposito. Nouveau monde Graphic. 15,9€)

Chez le même éditeur, l’album Les Tambours de Srebrenica, de Philippe Lobjois, grand reporter spécialisé dans les conflits, et Elliot Raimbeau, BD-reporter, nous ramène à une période beaucoup plus proche de nous, les années 90, pour une guerre tout aussi horrible et meurtrière, la guerre en ex-Yougoslavie. Avec un angle plutôt singulier, celui de la justice, du tribunal international de La Haye et des premiers actes d’accusation contre les criminels de guerre. Une guerre dans la guerre, avec au centre du récit, Hugo Bedecarrax, un jeune enquêteur français détaché auprès du tribunal pénal. L’histoire commence en 1995, précisément 45 jours après la prise de l’enclave musulmane de Srebrenica par les forces serbes… Un récit très documenté en noir et blanc accompagné d’un dossier complet d’une quinzaine de pages pout tout comprendre des enjeux de cette guerre. (Les Tambours de Srebrenica, de Philippe Lobjois et Elliot Raimbeau. Nouveau monde graphic. 24,9€)

On connaît tous les fameux rats de Ptiluc. L’auteur reprend ici ses animaux de prédilection mais aussi des poules, des canards, des lapins ou encore des ours pour nous proposer un récit animalier autour de l’histoire d’Hitler et du nazisme, à la façon de La Bête est morte de Calvo paru en 1944 ou de Maus de Spiegelman publié à partir de 1980 aux États-Unis. Paru dans la collection La Véritable histoire vraie qui compte déjà plusieurs titres sur quelques autres grands méchants de notre histoire comme Attila ou Dracula, La Véritable histoire vraie d’Hitler débute bien avant la naissance du dictateur le 20 avril 1889 pour se terminer le jour de son suicide le 30 avril 1945. Avec une touche d’humour maîtrisée, Ptiluc raconte « sa vie, son oeuvre », et à travers ce funeste personnage une période sombre de notre histoire. Le divertissement au service de l’instruction ! (Hitler, la véritable histoire vraie, de Ptiluc et Swysen. Dupuis. 20,95€)

Dans un style graphique beaucoup plus réaliste, Tiananmen 1989 – Nos espoirs brisés est le témoignage inédit de l’un des leaders étudiants de l’occupation de la place Tiananmen il y a tout juste 30 ans, occupation pacifique qui s’était achevée dans un bain de sang par l’intervention des forces armées. Lui Zhang, c’est le nom de ce leader, est aujourd’hui réfugié en France où il est professeur de civilisation chinoise. Son récit, loin de s’en tenir au factuel de la seule occupation de la place, raconte comment et pourquoi des millions de Chinois en sont arrivés là, bravant la peur des représailles, occupant cette place emblématique de l’histoire chinoise pendant des semaines. Un événement majeur dans l’histoire mondiale et bien sûr dans l’histoire du pays, mais un événement toujours censuré à ce jour en Chine !(Tiananmen 1989 – Nos espoirs brisés, de Gombeaud, Zhang et Améziane. Delcourt. 17,95€)

D’une guerre à l’autre, d’une tragédie à l’autre, le premier volet d’Algérie, Une guerre française sorti en mars dernier nous plonge dans l’atmosphère de l’Algérie des années 40 et 50, au moment où apparaissent les premières tensions qui mèneront à la guerre en 1954. Pendant que les enfants, musulmans et pieds noirs, jouent ensemble, un groupe de six hommes se réunissent pour projeter une attaque simultanée sur tout le territoire. Ces hommes s’appellent Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem et Larbi Ben M’hid. Ils prendront le nom des « Fils de la Toussaint » en lançant la guerre pour l’indépendance de leur pays le 1er novembre 1954. Une série prévue en 5 volumes. (Algérie, Une guerre française, de Buscaglia et Richelle. Glénat. 15,5€)

Forcément, ce nom rappellera quelque chose aux fidèles auditeurs de France Inter. Rendez-vous avec X est une émission culte de la radio animée par le journaliste Patrick Pesnot et traitant de l’histoire contemporaine à travers le prisme d’affaires d’espionnage. Arrêtée en 2015, l’émission débute aujourd’hui une nouvelle vie dans l’univers du neuvième art. Deux premiers titres ont été publiés en mars chez Comix Buro, La Chinoise, histoire d’amour entre un comptable de l’ambassade française en Chine et un acteur de l’Opéra de Pékin, et La Baie des cochons, récit du terrible fiasco que représente pour les Américains le débarquement d’un bande de mercenaires anti-castristes à Cuba en 1961. Comme dans l’émission de radio, ces deux récits mettent en scène Patrick Pesnot et un agent des services secrets, Monsieur X, qui raconte les événements. En bonus dans chaque album, un dossier de quelques pages pour approfondir le sujet.  (Rendez-vous avec X – La Baie des Cochons, de Mr Fab et Dobbs et La Chinoise, de hautière et Charlet. Comix Buro. 14,95€)

On reste à Cuba avec ce magnifique ouvrage paru aux éditions Dupuis en mai dernier. El Comandante Yankee du Kosovar Gani Jakupi raconte la révolution cubaine vue de l’intérieure, au plus près de la guérilla. On y croise quelques figures légendaires de la révolution telles que le Che, Fidel Castro, Eloy Gutiérrez Menoyo, Lázaro Artola Ordaz, mais aussi Hemingway… on encore William Alexander Morgan, un Yankee, ancien Marine, ayant décidé de combattre contre Batista et donc aux côtés de Castro. Ce récit a nécessité une douzaine d’années de travail à l’auteur, douze années à recueillir les témoignages, réunir les sources, recouper les informations, à se rendre sur place, à dénicher des documents inédits et même à rencontrer certains acteurs de la révolution comme Miguel García Delgado, aujourd’hui à la tête d’un compagnie de taxis à Miami. Et le résultat est saisissant ! (El Comandante Yankee, de Gani Jakupi. Dupuis. 32€)

Eric Guillaud

02 Août

Marvel fan des sixties

Lorsqu’on est assis sur un trésor de guerre comme la maison Marvel peut l’être, on aurait tort de se priver. D’où une nouvelle série thématique de ses meilleurs récits, décennie par décennie, avec en première ligne un volume consacré à cette période charnière que furent les sixties…

Donc, même si les éditions et les rééditions se multiplient au point qu’il est parfois assez dur de s’y retrouver, l’éditeur américain profite de son quatre-vingtième anniversaire (en tous cas, si l’on se réfère à sa première existence sous le nom de Timely Comics) pour sortir des recueils thématiques sensés réunir, à défaut des meilleures histoires (notion de toutes façons trop subjective et donc sensible), les plus représentatives, toutes séries confondues. Le tout, décennie par décennie, des années 40 aux années 2000 et donc déclinées en sept volumes. Avec à chaque fois, en guise de fil rouge, un héros bien précis.

Si les volumes consacrés aux 40s et aux 50s ont plus un intérêt historique qu’autre chose avec leur style rétro très daté et leurs scénarios souvent bien trop manichéens, on attaque vraiment les choses sérieuses avec celui dédié aux 60s, avec Spider-Man en guise de fil conducteur. D’abord parce qu’on est là dans le deuxième âge d’or de la bande dessinée et qu’outre-Atlantique, la guerre froide, la peur atomique et l’essor de la conquête spatiale ont donné naissance à un public certes toujours avant tout juvénile mais plus exigeant et qu’il faut toujours plus impressionner.

@ Panini Comics/Marvel – Stan Lee, Jack Kirby & Steve Ditko

Cela dit, le vrai plus de ce volume-ci est son casting légendaire. À part une, toutes les histoires ont droit à des scénarios signés Stan Lee. Et au dessin, ce sont les trois têtes d’affiche du panthéon Marvel qui se partagent le gâteau : Steve Ditko, Jack Kirby et Roy Thomas. Niveau casting, pas vraiment de super-héros d’arrière-garde non plus avec, donc, Spider-Man mais aussi les Quatre Fantastiques, Daredevil, Docteur Strange (dans un épisode psychédélique à souhait car se passant dans une autre dimension), les X-Men etc. 

Réalisées entre 1964 et 1968, toutes ces histoires ont en commun de voir Spidey rencontrer voire combattre tous ses copains supers. Elles aussi restent marquées par le sceau de leur époque, avec un manichéisme qui a encore la peau dure. Mais au-delà des actes de bravoure obligatoires et des postures héroïques commencent malgré tout à poindre une forme plus subtile de pessimisme et des thématiques plus adultes, comme l’acceptation de soi-même, assumer son choix d’être différent etc. Après, une remise dans le contexte et un peu d’explication sur pourquoi tel épisode a été choisi plutôt qu’un autre aurait été apprécié, laissant les philistins hélas un peu hors-jeu. Mais tout fan de comics digne de ce nom ne peut jamais refuser a priori un 8765èmerencard avec Messieurs Kirby, Ditko et Lee, jamais. Surtout dans une aussi belle édition…

Olivier Badin

Décennies, Marvel dans les années 60 par Stan Lee, Jack Kirby & Steve Ditko, Panini Comics/Marvel, 35 euros

@ Panini Comics/Marvel – Stan Lee, Jack Kirby & Steve Ditko

28 Juil

Pages d’été. Hollywood menteur, une incursion dans la machine à rêves signée Luz

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Si vous n’avez jamais vu The Misfits, Les Désaxés en français, je ne saurais vous conseiller de le télécharger fissa et de le visionner avant d’ouvrir ce livre de Luz publié chez Futuropolis en avril dernier.

Hollywood menteur nous plonge en effet dans les coulisses de cette pépite du 7e art au casting d’enfer. John Huston à la réalisation, Arthur Miller au scénario, Clark Gable, Marilyn Monroe, Montgomery Clift et Eli Wallach dans les rôles principaux.

En tout cas, si vous ne l’avez pas vu, Luz, lui, l’a vu une bonne vingtaine de fois au point d’en développer une obsession. Il faut dire que The Misfits a tout pour être mythique, le casting bien sûr mais aussi le tournage sacrément « erratique » comme le souligne l’auteur et enfin l’histoire en elle-même qui devait briser l’image qu’on avait jusque là de Marilyn. Luz nous montre la face cachée du film et, au-delà, la face cachée de la fabrique à rêves hollywoodienne. Avec ses illusions et ses mensonges. Et de rêve justement, il en est question ici. Après avoir été « la grande machine de propagande du rêve américain », comme le souligne Virgine Despentes, le cinéma, à travers The Misfits, pourrait dorénavant en refléter sa déliquescence.

Étrangement, ou pas d’ailleurs, le film fut un échec commercial lorsqu’il sortit en 1961. Il faudra attendre quelques années, pour ne pas dire des décennies, afin qu’il soit enfin considéré à sa juste valeur, un film crépusculaire, un film marquant en tout cas la fin d’une époque. Clark Gable meurt avant même la sortie du film, Marilyn disparaît quelques mois plus tard. L’Amérique perdait coup sur coup deux références, celle du mâle dominant, le cowboy, et celle de la femme fatale, objet de tous les fantasmes.

Dans cet envers du décor, écrit à partir de nombreux écrits et témoignages sur le tournage, Luz tente lui-aussi de donner une autre image de Marilyn. « Marilyn, c’est est un symbole, un fantasme… mais j’avais envie d’en faire un symbole de courage et de ténacité », déclare-t-il à nos confrères du figaro.fr.

Et de montrer dès la couverture Marilyn avec une expression que vous ne lui verrez sur aucune photo. Marilyn en colère. Une des scènes du film. En colère après les hommes, après la société, après le monde, après elle-même peut-être aussi. En colère, explique l’auteur, comme peuvent l’être finalement toutes les femmes hier et aujourd’hui… Très beau bouquin !

Eric Guillaud

Hollywood menteur, de Luz. Futuropolis. 19€ (sorti en avril)

@ Futuropolis / Luz

Pages d’été. Un album collectif pour fêter les 50 ans des éditions Glénat

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Glénat a 50 ans ! Et ce n’est pas rien 50 ans. Ça représente quelques milliers de projets signés, des millions de planches, une belle brochette de héros de papier, des centaines d’auteurs et autrices qui font désormais partie de nos références culturelles, c’est encore, aujourd’hui, plus de 800 nouveautés par an, un catalogue de plus de 10000 titres… et toujours le même passion du boss, Jacques Glénat, pour cet art devenu majeur grâce notamment à l’action de gens comme lui. À travers les tempêtes et les pétoles, Jacques Glénat a su mener sa barque et fêter aujourd’hui ce bel anniversaire.

Et comment fêter l’anniversaire d’une maison d’édition comme celle-ci si ce n’est en bande dessinée ? Tout juste sorti avant la période des grandes transhumances estivales, cet album collectif dont on remarque immédiatement la magnifique couverture signée Nicolas Pétrimaux a été voulu comme un véritable hommage à la maison d’édition mais aussi à ses auteurs et autrices, à ses héros et héroïnes.

De Boucq à Tebo, de Fabcaro à Manara, de Loisel à Chabouté, une quarantaine d’auteurs y ont participé en imaginant une histoire sur deux pages à partir d’un postulat simple : Un auteur frappe à la porte des éditions Glénat… 

Eric Guillaud

Glénat, 50 ans d’édition. Collectif. 20€ (sorti en juin 2019)

26 Juil

Pages d’été. Grasskings : une leçon de polar signée Matt Kindt, Tyler Jenkis et Hilary Jenkis

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Si vous aimez les récits noirs qui plongent le lecteur dans le trou du cul du monde avec une brochette de dingues et de paumés en guise de héros, alors vous allez être servis. Ce triptyque signé Tyler Jenkins et Matt Kindt est un polar sans concession où l’on flingue sans sommation…

« En raison de l’augmentation du prix des munitions, il n’y aura pas de tir de sommation ». Ça a le mérite d’être clair. Mieux vaut ne rien avoir à faire à Grass Kingdom, il y a peu de chance que vous y soyez le bienvenu. Et c’est comme ça depuis la nuit des temps. Certains s’en souviennent encore, ou du moins s’en souviendraient s’ils n’étaient pas morts et plantés au fond du lac. « Ce n’est pas le genre d’endroit qu’on prend à la légère. Il y a un prix à payer pour avoir le droit de vivre de ce côté du rivage ».

Mais alors, me direz-vous, qui a le droit de vivre dans ce bled pourri au milieu de nulle part ? Des privilégiés ? Pas vraiment. Ici vit une petite communauté, un casting de dingues et de paumés, quelques squatters, un gus fada des avions de la première guerre mondiale, un ancien sniper de l’US Navy, peut-être même un tueur en série… et trois frangins dont le plus jeune, Robert, tente d’oublier la disparition de sa fille dans l’alcool, et le plus vieux, Archie, se prend pour LE flic du coin.

Et tout ce petit monde vit en – très relative – quiétude jusqu’au jour où débarque une jeune-femme qui s’avère être la compagne du shérif de Cargill, un patelin voisin. Et là, tout finit par dégénérer…

Des dialogues percutants, un dessin taillé à la serpe, une atmosphère lourde, des personnages qui ne manquent pas de caractère et une réflexion entre les lignes et les traits sur la peur de perdre un enfant… Tyler Jenkins et Matt Kindt nous offrent l’un des polars les plus forts de l’année 2019. Et comme promis, les trois volets ont été publiés en moins de six mois.

Eric Guillaud

Grasskings, de Matt Kindt, Tyler Jenkis et Hilary Jenkis. Futuropolis. 22€ le premier volet, 20 les deuxième et troisième

@ Futuropolis / Kindt & Jenkins

25 Juil

Pages d’été. Les Fleurs de grand frère, une belle histoire signée Gaëlle Geniller

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

« Je voulais écrire et dessiner une histoire bienveillante, douce et un peu nostalgique ». Mission remplie ! Gaëlle Geniller, dont c’est ici le premier album de bande dessinée, signe une très belle histoire sur l’enfance, aussi délicate que poétique, celle d’un petit garçon qui se réveille un beau jour de printemps avec des fleurs sur la tête. De quoi l’inquiéter, pas longtemps, avant de prendre la chose comme une belle expérience de la vie et de la partager chaque jour avec son petit frère et ses parents.

Le temps d’un été, le jeune garçon va donc vivre au quotidien avec ses fleurs sur la tête au point de finir par les aimer et les écouter. Car oui, les fleurs lui parlent, lui racontent des tas ce choses, des histoires drôles, parfois tristes, douces, nostalgiques, joyeuses ou moroses.

Mais au moment de retourner en classe, le jeune garçon se demande comment cette différence va être accueillie par ses camarades…

Pour un premier album, Gaëlle Geniller nous offre une histoire véritablement subtile et une mise en images sublime conjuguant un trait délicat et des couleurs douces. Une actrice à suivre !

Eric Guillaud

Les Fleurs de grand frère, de Gaëlle Geniller. Delcourt. 14,95€ (sorti en mars 2019)

@ Delcourt / Gaëlle Geniller

Pages d’été. L’Abolition, le combat de Robert Badinter raconté par Marie Gloris Bardiaux-Vaïente et Malo Kerfriden

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Bon ok, vu comme ça, cette histoire-là n’a rien du bon polar qu’on aime consommer avidement sous le soleil exactement. Mais sa lecture est aujourd’hui aussi essentielle que le combat qui y est raconté. Un combat qui s’est soldé il y a presque 40 ans par l’abolition de la peine de mort. Un combat qui s’est fait dans la douleur et grâce au courage d’un homme, Robert Badinter, presque seul contre tous, tout au moins seul face à une opinion publique majoritairement opposée.

Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, notamment scénariste et docteur en histoire militante pour l’abolition de la peine de mort, et Malo Kerfriden, dessinateur, nous racontent cette histoire en remontant au petit matin du 28 novembre 1972, jour de l’exécution de Claude Buffet et Roger bontems, accusés respectivement de meurtre et de complicité de meurtre dans une affaire de prise d’otages sanglante à la centrale de Clairvaux.

Robert Badinter, alors avocat de Bontems, ne put rien pour son client. Même Georges Pompidou, alors président de la République française, ne lui accorda la grâce présidentielle. Mais de ce procès et de cette exécution, naîtra en l’homme une profonde détermination à combattre la peine de mort. Ce qui l’amènera quelques années plus tard à défendre « l’indéfendable » Patrick Henry et lui éviter l’échafaud.

Le procès de Patrick Henry est également relaté dans les pages de cet album, tout comme la nomination de Badinter au titre de garde des Sceaux et bien évidemment la promulgation de la loi abrogeant la peine de mort en France le 9 octobre 1981. Enfin, par le jeu de flashbacks, on en apprend un peu plus sur Badinter et notamment sur son père disparu dans les camps de la mort.

Un récit passionnant au graphisme réaliste très sobre et efficace.

Eric Guillaud

L’Abolition, de Marie Gloris Bardiaux-Vaïente et Malo Kerfriden. Glénat. 17,50€ (sorti en février 2019)

RSS