Il se peut, parfois, que le talent donne le vertige, c’est le cas, et doublement le cas, avec l’auteur Jean-Marc Rochette. Les éditions Daniel Maghen, qui viennent de lui consacrer un somptueux artbook très justement baptisé Vertiges, avec un s, ne s’y sont pas trompées. Elles ne se trompent d’ailleurs jamais…
On ne s’en était pas vraiment caché, on avait adoré l’artbook consacré à Jean-Pierre Gibrat paru en avril dernier. On reste aujourd’hui pantois d’admiration devant celui-ci, consacré au plus montagnard des auteurs de bande dessinée, Jean-Marc Rochette.
Construit sur le même canevas, autour d’un entretien avec la journaliste Rebecca Manzoni qui semble avoir désormais son rond de serviette à la table des éditions Daniel Maghen, Vertiges nous offre une belle et vivifiante balade à travers l’oeuvre de Jean-Marc Rochette, une oeuvre qui lui ressemble, qui ressemble à son horizon, le Massif de l’Oisans, belle et éternelle.
Oui oui, n’ayons pas peur des mots, l’oeuvre de Jean-Marc Rochette est belle et éternelle. Et j’ai d’autant moins de mal à le dire, ou plus exactement à l’écrire, que j’imagine l’homme empreint d’une humilité certaine.
Regardez Tranceperceneige, ce chef d’oeuvre de la science-fiction post-apocalyptique paru dans les années 80 avec, déjà, pour décor, la montagne. Presque 40 ans après, Transperceneige est toujours une référence, portée au cinéma en 2013 par le Coréen Bong Joon-ho, prochainement adaptée en série sur Netflix et prolongée en bande dessinée par un préquel co-scénarisé avec Matz.
Bien sûr, depuis Transperceneige, de l’eau, beaucoup d’eau a coulé dans les vallées du massif de l’Oisans où Jean-Marc Rochette habite une partie de l’année. Il a fait de beaux albums avec au scénario ici Martin Veyron, là René Pétillon ou Benjamin Legrand.
Et puis, en 2018, il réalise Ailefroide : altitude 3954. La montagne est une nouvelle fois le décor de cette histoire, elle en est même l’un des personnages principaux. Dans ce récit autobiographique, co-scénarisé par Olivier Bocquet, Jean-Marc Rochette raconte sa passion pour la montagne et l’accident qui lui a valut d’arrêter l’alpinisme, une autre de ses passions. Un tournant dans sa carrière. Un très beau succès aussi.
« Est-ce qu’aujourd’hui, le succès est important pour toi ? », lui demande Rebecca Manzoni dans cette belle et longue interview. « Oui, c’est important, oui… », répond Jean-Marc Rochette, « C’est important parce que je trouve que c’est un succès qui existe pour un livre qui le mérite. Parfois, tu fais une bouse et tu as du succès, ce qui te donne l’impression d’être un imposteur. Mais Aliefroide, ce n’est pas ça. C’est mon vécu, raconté et dessiné avec la volonté d’être au plus juste. Quand tu dis les choses qui te tiennent le plus à coeur et que les gens adhèrent, c’est fabuleux. La vraie question, c’est pourquoi je ne l’ai pas fait avant, pourquoi ça m’a pris autant de temps ».
La montagne, encore et toujours, dans son dernier album en date Le Loup publié en mai 2019 aux éditions Casterman. Le Loup raconte l’affrontement entre un loup et un berger dans la vallée du Vénéon du massif des Écrins, un affrontement qui tournera finalement à la cohabitation.
Dans ce magnifique artbook, Jean-Marc Rochette parle bien évidemment de la montagne, de sa montagne, qui impose l’humilité.
« Dans l’Oisans, j’y suis depuis que j’ai 10 ans, donc je connais tout comme ma poche : les sommets, leurs noms, la profondeur des vallées. Je sais même à peu près où sont les loups. C’est ma maison ».
« C’est aussi un lieu qui t’oblige à une certaine philosophie. J’habite dans une vallée où tu as un sentiment de fatum, de fatalité, à cause d’énormes avalanches de pierres notamment (…) Tu sais que ta maison est là aujourd’hui et qu’elle peut très bien ne plus y être demain. Le fatum te renvoie à la modestie de ta condition et la montagne te remet clairement à ta place dans l’échelle du temps : face à elle, tu n’es qu’un éphémère ».
Il parle de la montagne, beaucoup, avec passion, mais pas uniquement. Jean-Marc Rochette parle aussi de la bande dessinée, de son métier d’auteur, de ses albums, de son accident de montagne, de son grand-père résistant, de son père mort en Algérie, de la désobéissance et bien sûr de le peinture. L’auteur de bande dessinée est aussi peintre, un peintre montagnard.
Si vous cherchez à passer un bon moment et à être rassasié en émotions graphiques et propos intelligents, alors la lecture de ces deux livres, Vertiges et Le Loup, s’impose bigrement !
Eric Guillaud
Vertiges, artbook de Jean-Marc Rochette. Editions Daniel Maghen. 39€
Le Loup, de Jean-Marc Rochette. Editions Casterman. 18€