On a beaucoup parlé en Mai dernier de la sortie du quatrième et dernier volume de l’adaptation BD consacrée à la saga tragique du héros d’heroic fantasy phare de l’auteur anglais Michael Moorcock, Elric. Une véritable réussite, pilotée par deux scénaristes français et qui s’achevait en beauté avec l’adaptation de La Cité Qui Rêve, tout premier texte consacré au prince maudit Elric et publié à la base en 1961. Sauf que ce n’était pas la première adaptation. Et aujourd’hui, cette première tentative (re)fait opportunément surface.
Si l’on met de côté celle réalisée par Druillet en 1971 (non autorisée, elle n’a jamais été republiée) cette vraie-fausse ‘première’ adaptation a donc été publiée à l’origine en 1982. Elle est alors pilotée par Roy Thomas, véritable ‘star’ du monde des comics grâce aux deux décennies qu’il avait alors passé au sein de MARVEL en tant que responsable éditorial et scénariste. Parmi ses nombreux succès, on lui doit, notamment, Conan Le Barbare et au détour d’un épisode de 1977 resté célèbre parmi les fans, il s’était d’ailleurs amusé à imaginer le Cimmérien rencontrant, justement, un Elric coincé entre deux dimensions.
Elric reste un anti-héros à part, le dernier représentant d’une longue lignée de prince de Menilboné, peuple cruel et craint jadis dominateur mais désormais en pleine décadence. Elric lui-même est un albinos à la santé fragile, l’obligeant à avoir recours à la magie et à des potions pour tenir son rang. Â la fois exalté et cynique, il est amoureux de sa cousine dont le frère Yrkoon rêve de lui subtiliser le trône. Jouet des dieux mais surtout d’Arioch, souverain du chaos, il voit sa destinée liée à Stormbringer, une épée magique consciente qui se nourrit de l’âme des êtres dont elle prend la vie. Ensemble, les deux vont provoquer la chute du royaume de Melniboné et la mort de la bien-aimée d’Elric, les condamnant à un exil éternel.
On l’a oublié mais c’est à partir des années 80 que ce héros maudit a enfin été consacré par la pop culture, notamment grâce à la scène rock (Hawkwind) ou heavy-metal (Cirith Ungol, Magnum) en enfin par la tribu jeu de rôle. Or le mouvement a été bien accompagné par la publication par MARVEL de cette première adaptation dont le premier volume fut discrètement traduit deux ans plus tard en France avant de disparaître des écrans radars depuis.
Alors avant d’apprécier l’objet, deux postulats s’imposent : primo, le tout s’adresse avant tout aux connaisseurs de la saga. Pas d’introduction des personnages, pas de retour en arrière, pas de mise en contexte ici, non on entre de plein pied dans l’aventure, à prendre ou à laisser. Et secundo, même si les noms de Thomas et de Moorcock sont tout en haut de l’affiche, la vraie star ici se nomme P. Craig Russell.
Dire que ce dessinateur américain, hélas peu connu en France, a un style flamboyant est un doux euphémisme. Ultra-coloré, presque psychédélique par moments et en même temps ouvertement influencé par certains grands peintres comme Klimt, le contraste avec le côté très cyberpunk et ultra-noir de la dernière version en date de ce récit tragique saute aux yeux, littéralement. Même constat en terme de ligne éditoriale : même si les deux versions sont très fidèles à l’œuvre originale, alors que celle réalisée par les Français ont fait d’Elric un être torturé en même temps très cruel et violent, quasi-cyberpunk sur le plan visuel, il devient ici une sorte d’héros wagnérien, balloté sur les eaux du destin et impuissant à changer le cours des choses.
Si sa brièveté (65 pages) et ce choix d’un format intermédiaire ne permettent forcément de profiter pleinement de l’expérience, on croise juste les doigts que DELCOURT sorte par la suite les quatre autres volumes, également sortis dans les années 80. Et ce malgré le relatif demi-succès en France des trois tomes préalablement sortis et consacrés à CORUM, une autre création d’heroic fantasy signée Michael Moorcock…
Olivier Badin
Elric – La Cité Qui Rêve de Roy Thomas et P. Craig Russell. Delcourt. 13,50 euros.