01 Fév

Devoir de mémoire : dix albums pour replonger dans notre passé

Biopics, documentaires, fictions… Peu importe la forme, la mémoire du monde s’écrit aussi en bande dessinée. Dans cette sélection de dix titres récemment parus, les auteurs nous invitent à remonter les années, les siècles pour mieux comprendre notre présent.

On commence avec La Fiancée, ce récit de Gwenaëlle Abolivier et Eddy Vaccaro nous replonge dans la France occupée à travers l’histoire d’Odette Nilès. Née dans un milieu communiste, Odette refuse très tôt les injustices et s’engage contre le régime nazi. À quinze ans, elle participe aux manifestations, aux réunions clandestines, à la distribution de tracts. Elle se fait arrêtée, internée au camp de Choisel à Châteaubriant où elle fait la connaissance de Guy Môquet dont elle tombe amoureuse. La Fiancée raconte sa vie dans le camp, sa passion pour Guy Môquet jusqu’au fameux jour où 27 détenus dont ce dernier furent fusillés à Châteaubriant,16 autres à Nantes, 5 au Mont-Valérien, 48 prisonniers politiques au total connus sous le nom des 50 otages, en représailles à l’assassinat du lieutenant-colonel Karl Hotz, chef de la Kommandantur de Nantes. Une histoire d’amour et d’engagement vouée à être transmise de génération en génération ! (La Fiancée, un récit de Gwenaëlle Abolivier et Eddy Vaccaro. Soleil. 19,99€)

L’histoire comme un uppercut ! Ce récit de Pierre Ballester, Jean-Christophe Deveney, Michel Acaries et Sagar ne raconte pas seulement l’histoire des frères Acariès, Louis et Michel, dans le monde de la boxe, il raconte la guerre d’Algérie, les attentats, les assassinats, l’OAS, la peur, l’exode des pieds-noirs, le mal du pays, le regard et parfois la haine des métropolitains pour ces rapatriés d’Algérie et au final la revanche de ces deux gamins qui recevront les honneurs de la patrie reconnaissante, Louis sur le ring, Michel dans l’ombre de l’organisation. Des années 60 aux années 2000, d’Alger à Las Vegas, À bout de bras retrace une destinée extraordinaire dans un monde entre deux siècles ! (À bout de bras, la folle saga des frères Acariès. Delcourt. 23,95€)

Si Hitler est bel et bien mort en 1945, il aurait pu l’être quelques années auparavant pour le plus grand bien de l’humanité, en 1938 précisément lorsque le Suisse Maurice Bavaud tenta de l’assassiner à l’occasion d’une marche commémorative à Munich. Il n’y parvint pas, tenta sa chance de nouveau dans les jours qui suivirent, sans succès, avant de se faire arrêter, cuisiner par la Gestapo, guillotiner le 14 mai 1941. Il faudra presque 20 ans à sa famille pour réhabiliter sa mémoire et en faire un héros. C’est cette histoire incroyable mais vraie que raconte La Part de l’ombre à travers l’action d’un autre personnage, fictif celui-ci, Guntram Muller, journaliste pour le quotidien Berliner Zeitung, bien décidé à faire oublier son passé dans l’Abwehr, service de renseignement de l’état-major allemand. Un graphisme particulièrement racé, un scénario haletant, une histoire passionnante en deux tomes qui s’interroge, nous interroge, sur l’indispensable devoir de mémoire. (La part de l’ombre tome 2, Rendre justice, de Perna et Ruizge. Glénat. 14,50€)

De l’antiquité à nos jours, la série Vinifera s’est donnée pour mission de raconter l’histoire du vin en France et dans tous les pays viticoles. Après Les vins d’Orient, Les amphores de Pompéi, Le classement des vins de Bordeaux ou encore Le Vin des Papes, voici donc Les vignes de Charlemagne, un récit signé Corbeyran pour le scénario, Brice Goepfert pour le dessin, où il est question du rôle essentiel que joua Charlemagne dans l’histoire de la viticulture en légiférant sur la qualité des vins et en autorisant les vignerons à vendre eux-mêmes leur production. À déguster sans modération. (Vinifera, Les vignes de Charlemagne, de Corbeyran et Goepfert. Glénat. 14,95€)

Toujours chez Glénat mais dans la collection Ils ont fait l’histoire, Wyctor au scénario, Martinello au dessin et Dumézil en sa qualité d’historien proposent de découvrir la vie de Clovis, né vers 465, mort en 511, premier roi des Francs converti au christianisme. La collection compte aujourd’hui une trentaine de titres, autant de regards sur les grands personnages de notre histoire, de César à De Gaulle en passant par Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Jaurès ou encore Churchill. Comme dans chacun de ses livres, celui-ci propose un dossier documentaire de huit pages avec chronologie, carte et références bibliographiques. (Clovis, de Wyctor, Martinello et Dumézil. Glénat/Fayard. 14,95€)

Après Joséphine Baker, Olympe de Gouges et Kiki de Montparnasse, le tandem formé de Catel Muller et José-Louis Bocquet s’est penché ici sur la vie d’Alice Guy, une de ces « clandestines de l’histoire », comme les désignent les auteurs, à savoir ces femmes qui ont marqué leur époque mais n’ont pas été retenues dans la grande histoire. En ce sens, le parcours d’Alice Guy est exemplaire. Née en 1873, elle sera la première réalisatrice de l’histoire, dirigera près de 300 films en France, créera un studio aux États-Unis, fréquentera les plus grandes figures de l’époque, de Méliès à Chaplin en passant bien évidemment par les frères Lumière, Eiffel ou encore Keaton. Ce portrait nous retrace sa vie depuis son enfance jusqu’à son décès en 1968. Un récit en 320 pages complété par un dossier de 80 pages comprenant une chronologie, des notices biographiques, une filmographie et une bibliographie. (Alice Guy, de Catel et Bocquet. Casterman. 24,95€)

Il y a précisément 400 ans naissait Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le nom de Molière. Histoire de célébrer cet anniversaire et d’honorer une œuvre qui fait aujourd’hui encore référence, Vincent Delmas et Sergio Gerasi se sont lancé dans un biopic en trois actes sur le fameux dramaturge en se focalisant sur les douze dernières années de sa vie, peut-être les plus créatives, en tout cas les plus excitantes en ce qui concerne ses attaques contre le roi, les ecclésiastiques, la domination du sexe dit fort, l’institution du mariage… Le premier volet sorti en janvier débute au moment où Molière s’apprête à épouser Armande, la petite sœur de son ancienne maîtresse, Madeleine Béjart. Scandale dans sa vie privée, scandale sur la scène avec l’écriture de la pièce L’École des femmes que l’église aurait aimé voir interdite. Un récit dynamique merveilleusement servi par le trait expressif de Sergio Gerasi. (Molière tome 1, À l’école des femmes, de Delmas et Gerasi. Glénat. 14,50€)

Changement radical de décor et d’époque avec ce livre signé Jean-Pierre Pécau et Christophe Gibelin dans la collection Ailes de légende des éditions Delcourt. Comme son nom l’indique, Spitfire raconte l’histoire du mythique Supermarine Spitfire qui fut l’un des chasseurs monoplaces les plus utilisés par la RAF et les Alliés pendant la seconde guerre mondiale. Un scénario fluide, un graphisme séduisant, un bel album pour les amoureux du monde de l’aviation mais pas seulement. (Spitfire, de Pécau et Gibelin. Delcourt. 16,95€)

Sorti il y a presque six mois mais bien évidemment toujours disponible en librairie, L’enfer est vide, tous les démons sont ici raconte le procès de l’un des grands architectes de la solution finale, Adolf Eichmann, exfiltré vers l’Argentine au lendemain de la guerre, retrouvé et enlevé par des agents du Mossad devant son domicile à Buenos Aires en 1960, remis à la justice israélienne dans la foulée et finalement jugé. À travers le travail de trois journalistes qui assistent aux audiences, des personnages fictionnels, Malo Kerfriden et Marie Bardiaux-Vaïente s’intéressent à ce qui a été l’une des grandes questions du moment : une condamnation à mort d’Eichmann a-t-elle un sens face l’extermination de six millions de Juifs ? Plus qu’une BD pour la mémoire, L’enfer est vide, tous les démons sont ici nous invite à une réflexion plus générale sur la peine de mort. (L’enfer est vide, tous les démons sont ici, de Kerfriden et Bardiaux-Vaïente. Glénat. 19,50€)

On termine avec le deuxième volet d’Hitler est mort !, un récit de Jean-Christophe Brisard mis en images par Alberto Pagliaro revenant sur l’un des plus grands mystères du vingtième siècle : le suicide du Führer. Depuis plus de 70 ans, les théories du complot se suivent et se ressemblent. Est-il vraiment mort en 1945 ? A-t-il fui en Amérique du Sud ? Jean-Christophe Brisard, écrivain, journaliste et réalisateur de documentaires, a sérieusement enquêté sur l’affaire, touché du bout des doigts des restes d’Hitler, sorti un livre aux éditions Fayard avant d’en offrir aujourd’hui une adaptation en BD dans laquelle on découvre la guerre entre deux services soviétiques, le NKVD d’un côté et le Smerch de l’autre, pour récupérer et conserver le cadavre du Führer. Un récit parfaitement documenté et raconté qui peut mettre un terme à tous ces doutes savamment entretenus par certains… (Hitler est mort! tome 2, Mort aux espions, de Brisard et Pagliaro. Glénat. 14,95€)

Eric Guillaud