28 Jan

Franklin ou l’envers terrifiant du décor de la conquête des pôles

Ah oui, Jules Verne, Docteur Livingstone je présume, Les Voyages Extraordinaires tout ça. Oui, le XIXème siècle fut bien celui des grandes découvertes, une période dorée pour les aventuriers de tout poil et où la Terre a enfin dévoilé certains de ses plus beaux secrets. Mais pour un voyage triomphal, combien de désastres ? La tragédie de l’expédition Ross en est encore aujourd’hui hélas l’un des exemples les plus marquants. Franklin en est le récit en BD, glaçant dans tous les sens du terme.

Franklin, extrait de la couverture

Le 19 Mai 1845, les navires Erebus et Terror quittent les côtes anglaises. Leur but ? Tenter la première traversée du passe dite du Nord-Ouest, voie maritime fantasmée qui permettrait de traverser l’Arctique d’un bout à l’autre, le tout à bords de deux vaisseaux spécialement affrétés pour l’occasion, avec un véritable moteur de locomotive installé dans les cales, une coque renforcée en acier pour résister à la pression de la banquise et trois ans de vivres. Â la tête de l’expédition, le très expérimenté Sir John Franklin pour commander 128 officiers et marins.

Bref, a priori, tout était en ordre pour faire de cette mission une réussite. Sauf que pas un seul de ces hommes n’en reviendra vivant. Et pendant longtemps, personne ne saura vraiment su ni ce qui leur est arrivé ni où leurs corps étaient enfouis. L’épave de l’Erebus ne sera d’ailleurs finalement retrouvée qu’en 2014 par seulement onze mètres de fonds et celle du Terror deux ans plus tard, mais à 70 kms de là sans qu’on puisse expliquer ce phénomène. Seule certitude : pris par les glaces, les deux bateaux se sont visiblement retrouvés rapidement emprisonnés dans la banquise. Et après avoir épuisé leurs réserves de nourritures, les survivants ont dû se résoudre au cannibalisme avant de succomber à leur tour.

© Glénat / Durant

Le froid extrême, l’isolement, la perte progressive de sa propre humanité, les corps qui lâchent et finalement, la mort, inéducable. Tous ces éléments ne pouvaient qu’inspirer, aussi terrible l’histoire à raconter était-elle. En 2008, l’auteur fantastique Dan Simmons en tira le pavé Terreur où il fournit sa propre interprétation de ce qui s’est vraiment  passé dans la nuit arctique et dix ans plus tard, le réalisateur d’Alien Ridley Scott en coproduit l’adaptation en série télé.

C’est désormais au tour du dessinateur et scénariste Michel Durant de s’en emparer ici, mais en BD cette fois-ci. Contrairement aux Anglo-saxons, cet ex-collaborateur de Jodorowsky (entre autres) a choisi une approche très factuelle. Pas de monstres, pas de légendes prenant vie ou autres hallucinations. Non, juste des hommes si l’on peut dire partis la fleur au fusil et qui, petit-à-petit vont lutter mais aussi céder à la peur, à la folie, à la faim avant de commettre l’irréparable. Et de mourir, dans le froid arctique, loin de tout.

© Glénat / Durant

Franklin est un album sur la résilience mais aussi la fatalité. Le lecteur sait pourtant ce qui les attend, notamment grâce à un touffu appendice retraçant toute l’histoire, jusqu’à la découverte des épaves plus de cent cinquante ans plus tard. Mais difficile pourtant une fois plongé dans l’histoire d’en sortir, tant ces efforts en gros futiles pour échapper à la fatalité en deviennent fascinants. Difficile de croire, aussi, que tout ce qui est raconté a vraiment eu lieu…   

Durant a l’intelligence de laisser l’histoire, très forte, parler d’elle-même et n’a donc recours à aucun effet tapageur ni grandiloquence. Juste l’histoire d’hommes partis chercher la gloire et qui n’ont trouvé que la peur, la faim, la mort puis l’oubli.

Olivier Badin

Franklin de Michel Durant. Glénat. 15,50€.

© Glénat / Durant