Raconter son enfance, raconter sa famille, c’est bien, encore faut-il avoir quelque chose à raconter et une façon de le raconter. Et sur ce point, David Sala coche toutes les cases, Le Poids des héros est une histoire personnelle qui touche l’universel avec les mots et les images qui vont bien…
Le grand-père de David est en fâcheuse posture. Les médecins de l’hôpital l’ont renvoyé chez lui sans espoir. Quelques mois et ce sera fini. Mais on ne survit pas à la guerre d’Espagne et à quatre ans d’enfermement au camp de Mauthausen sans développer un sacré caractère et une certaine détermination. De fait, le grand-père a décidé de ne pas mourir avant son bourreau, Franco, et il va y parvenir.
Parti, le grand-père n’en est pas moins présent. Présent à travers ce portrait accroché au mur de la maison, un tableau réalisé pendant sa captivité, présent par les souvenirs qu’il laisse forcément à chacun, présent enfin et surtout par son histoire, forte, faite d’engagements et de souffrances.
C’est à travers toi maintenant que mon histoire va survivre. Tu ne dois pas oublier mes souffrances
Dans cette France des années 80 qui tente de passer à autre chose, écoute Renaud, découvre les radios locales, le début du rap, lit Strange et regarde les premiers essais d’une télévision en relief, David reçoit ce passé en héritage, un passé parfois pesant, du poids des héros. Car oui, son grand-père était un héros. Son grand-père maternel comme son grand-père paternel d’ailleurs, lui aussi d’origine espagnole, lui aussi réfugié en France à la veille de la seconde guerre mondiale et lui aussi entré en résistance contre le nazisme.
David grandit, passe le cap de l’adolescence puis celui de l’âge adulte, assiste impuissant au divorce de ses parents, à la dépression de son père, entre à l’école Emile Cohl, survit grâce au RMI, devient auteur de bande dessinée, un parcours qui n’a rien d’un long fleuve tranquille mais qui n’a rien de comparable avec la vie de ses grands-parents.
Je vivais constamment sous la statue imposante de mes grands-parents. Et je ne cessais de me répéter : ton malheur n’est rien mon garçon.
Certes, David n’a pas connu la guerre, la peur, le froid, l’humiliation, l’exil, la torture, l’odeur de la mort, ni celle des corps empilés et des fours crématoires mais il porte tout ça en lui, comme des blessures que personne ne peut parvenir à soigner.
En cela, Le Poids des héros a peut-être valeur de catharsis, David Sala ouvrant grand son coeur pour nous raconter son parcours, explorer son enfance, son adolescence et plus tard sa vie de jeune-homme à l’ombre de ces figures tutélaires. Il y a beaucoup de tristesse, de mélancolie, dans ce récit, il y a aussi beaucoup d’amour et de fierté pour sa famille et notamment ses grands-parents. Transmettre leur histoire était pour lui presque un devoir, c’est aujourd’hui un devoir accompli.
Et pour raconter cette histoire, David Sala a rassemblé ses souvenirs et tenté de s’approcher au plus près de son ressenti de l’époque, y compris visuellement. D’où cette option graphique proche de la peinture avec un trait déformé et des couleurs flamboyantes qui viennent judicieusement atténuer le propos souvent grave du récit.
Après la trilogie Replay rééditée en intégrale en 2018 et l’adaptation du chef-d’oeuvre de Stefan Zweig, Joueur d’échecs en 2017, David Sala confirme ici un immense talent d’auteur complet. Pas encore un héros mais presque…
Eric Guillaud
Le Poids des héros, de David Sala. Éditions Casterman. 24€