13 Juin

Overseas highway : Fred Druart et Guillaume Guéraud à fond la caisse

Un garagiste aux tendances suicidaires, une gamine qui multiplie les petits boulots dans une vie qui n’a rien d’un long fleuve tranquille, une rencontre au sommet pour une descente en enfer, attachez vos ceintures, Overseas highway pourrait bien vous secouer un peu….

Extrait de la couverture © Glénat / Druart & Guéraud

Elle n’a pas son permis, n’y connaît rien en mécanique, peu importe, Sarafian, ex-pilote automobile à la tête d’un petit garage à Miami a décidé de l’embaucher. Il faut dire que la jeune femme, Stacy de son prénom, vient de le sauver d’une tentative de suicide dont on évitera ici de raconter le déroulé tant cela vous paraitrait improbable.

Mais Stacy, préposée dans un premier temps au nettoyage des voitures, va rapidement prendre du galon et le volant dans cette histoire qui sent plus l’argent sale que l’huile de vidange. Le garage sert en effet de façade au blanchiment d’argent de la Cuban American National Foundation, une puissante fondation de l’extrême droite cuba-américaine, « une organisation terroriste… », précise Sarafian, « financée par l’argent de la drogue et le trafic d’armes avec le soutien logistique de la CIA et la bénédiction du Congrès des Etats-Unis ».

Bref, le petit business de notre homme vivote tant bien que mal jusqu’au jour où par un concours de circonstance, Stacy se retrouve au volant d’un bolide sur l’overseas highway direction Key West avec un paquet de flouze dans le coffre et de sombres gugusses aux fesses…

Dans la lignée de Il Faut flinguer Ramirez ou de Valhalla Hotel, voici Overseas highway, sur un scénario de Fred Druart et Guillaume Guéraud et une mise en images de Fred Druart, un polar plein d’embrouilles et de gens peu fréquentables, de caisses américaines et de course-poursuites sur l’autoroute qui relie Miami à Key West par-delà la mer. Divertissant !

Eric Guillaud

Overseas highway, de Fred Druart et Guillaume Guéraud. Glénat. 19,95€

© Glénat / Druart & Guéraud

10 Juin

Dans la boîte : un récit autobiographique de Lénaïc Vilain dans les coulisses d’Amazon, pardon Zamazon

Après RAS en 2013, Sécurité Open Your Bag en 2017, l’auteur Lénaïc Vilain retrouve une nouvelle fois l’autobiographie et le récit d’une expérience professionnelle, hier le quotidien d’un veilleur de nuit dans un hôtel ou celui d’un agent de sécurité à la Tour Eiffel, aujourd’hui le quotidien d’un préparateur de commandes chez le leader de la vente en ligne. De quoi retrouver le sourire ?

Extrait de la couverture – @ Delcourt – Vilain

Oui, il a le sourire… le carton. Pour Lénaïc, c’est une autre histoire. Il faut dire que le nouveau job qu’il vient de dégoter n’est pas à proprement parler un job de rêve. Packer, c’est le nom du poste, autrement dit préparateur de commandes chez Zamazon. Zamazon avec un Z comme vous l’aurez noté, une lettre très à la mode en ce moment et surtout une lettre qui évite à l’auteur de préciser que toute ressemblance avec une entreprise existante ou ayant existé serait purement fortuite.

Bon, Zamazon avec un Z donc, est leader dans le domaine du e-commerce et emploie dans ses immenses entrepôts des centaines de petites mains pour préparer, envelopper et envoyer avec amour vos petits achats. Le boulot n’est effectivement pas emballant, la fiche de paie pas vraiment non plus, quant à la vie de l’entreprise, n’en parlons pas. c’est proche du zéro… avec un Z !

Mais l’expérience de Lénaïc a au moins l’avantage de nous faire rentrer dans les coulisses d’un monde tant décrié où l’on retrouve la culture des start-up à l’américaine avec par exemple quelques « messages motivants » placardés sur les murs tels que « work hard, have fun, make history ». Bon, pour le « fun » on repassera, pour le « make history », ce n’est pas gagné, par contre pour le « work hard » là pas de souci, c’est bon.

Ours en peluche, ampoules basse consommation, smartphones, disques ou vibromasseurs, c’est bien le seul aspect varié du taf, pour le reste, Lénaïc emballe à tour de bras, pardon packe du verbe packer, seul devant son poste en respectant les règles sanitaires, deux mètres de distance, le masque sur le nez, covid oblige. Et quand il y a une sous-charge de travail, pas de souci, on vous donne un balai…

Avec légèreté et humour, Lénaïc Vilain dépeint, de son trait vif façon croquis et de son immense talent d’observateur des petits riens qui font le grand tout, le quotidien de cet entrepôt et de ces employés en nous interrogeant par la même occasion sur le monde merveilleux de l’entreprise et de la consommation de masse. On rit mais pas que…

Eric Guillaud 

Dans la boîte, de Lénaïc Vilain. Delcourt. 14,95€

@ Delcourt – Vilain

 

05 Juin

Spawn, trente ans passés au service du démon

Méga-star de la BD ‘dark fantasy’ des années 90, SPAWN fête cette année son trentième anniversaire. L’occasion de revenir là où tout a commencé avec cette parfaite mise en bouche pour les néophytes de plus de 400 pages dantesques, dans tous les sens du terme.

Extrait de la couverture © Delcourt / Todd McFarlane

Le neuvième art adore regarder dans le rétroviseur. Mais autant la BD des années 40 aux années 70 a désormais une patine indéniable et un vrai public, autant les deux décennies qui ont suivi sont encore un peu bloquées dans le triangle des Bermudes, comme si on refusait de se dire que, oui, tout cela s’est passé il y a désormais plus de trente ans… On a donc un peu oublié que le canadien Todd McFarlane et surtout son personnage fétiche SPAWN (‘rejeton’ dans la langue de Shakespeare) a régné sans partage dans la première moitié des 90’s sur le monde de la BD indé US. Un rayonnement dû aussi bien à la capacité de ce démon à bousculer les codes très politiquement correct d’alors (le ‘héros’ était à la base un salaud vérifié dont le boulot était d’assassiner pour le compte du gouvernement avant de signer un pacte avec le Diable) qu’à l’excellent sens du business de McFarlane qui, très tôt, a diversifié ses activités avec du merchandising, des jeux vidéo, des pochettes d’albums de rock/metal (Korn, Iced Earth etc.) et autres.

© Delcourt / Todd McFarlane

Bon, au final, cette insolente domination n’a pas vraiment dépassé les années 2000. Beaucoup pense d’ailleurs que sa chute a été provoquée par une très foireuse (et encore, on reste poli) première adaptation ciné en 1997. McFarlane lui-même l’a avoué à moitié et il n’a de cesse de vouloir réparer ce tort depuis. Décidé à repasser par la case ciné (il aurait un nouveau script de prêt, avec l’acteur Jamie Foxx dans le rôle-titre) il profite du trentième anniversaire de la ‘marque’ pour la relancer. D’où ce beau recueil réunissant les quinze premiers épisodes de la série. Et c’est la baffe.

Certes, il y a d’abord ce casting prestigieux, McFarlane ayant invité ses ‘copains’ Alan Moore, Neil Gaiman ou Frank Miller a scénarisé chacun un épisode. Mais surtout c’est dans la forme qu’on se rend compte à quel point SPAWN a complètement redistribué les cartes des comics de super-héros : couleurs foisonnantes, pleines pages dantesques et sens du récit grandiloquent s’autorisant de nombreuses sorties de pistes. Le style McFarlane, c’est celui de tous les superlatifs. En même temps, comment faire autrement avec une telle matière ?

© Delcourt / Todd McFarlane

Le plus frappant chez lui, c’est le décalage entre le style graphique parfois presque cartoonesque et le propos ultra-nihiliste. Entre une société pourrie jusqu’à la moelle, des méchants plus pervers les uns que les autres (le dessinateur ose même briser un tabou en mettant en scène un tueur d’enfants, clairement inspiré par le tueur-en-série John Wayne Gacy) et un gouvernement corrompue, SPAWN en devient presque beauté avec sa plastique maléfique envoûtante. Mais avant d’être revêtu de ce costume intégral, de cette longue cape rouge et de ses chaînes volantes, il était Al Simmons, super soldat qui avait accepté de faire le sale job sans trop se poser de questions. Assassiné par les siens, il a alors passé un marché de dupe avec le démon Malebolgia : son âme et la promesse de mener les troupes de l’enfer lors du prochain Armageddon, à condition de pouvoir revoir sa femme. La série commence par sa renaissance et la découverte progressive de ses pouvoirs mais aussi du prix qu’il va devoir payer…

© Delcourt / Todd McFarlane

Violent aussi bien sur le plan psychologique que graphique, voire carrément gore dans certains cas, SPAWN a imposé d’entrée un style bien à lui, encore très actuel trente ans après. Tout est acéré, criard, hypertrophié avec des personnages qui ont des ‘gueules’ comme on dit. Mieux : on se rend compte à quel point avec sa patte a priori outrancière ce petit poucet de l’édition a fini par imposer une nouvelle norme que les géants MARVEL et DC COMICS, d’abord réfractaires, vont finir par adopter, faisant prendre à leur tour à leurs séries un virage plus ‘adulte’.

SPAWN, c’est la nouvelle BD indé des 90’s, noire et ultra-réaliste, qui prend le pouvoir. Mais aussi le parfait reflet de la génération X qui l’a porté aux nues. C’est surtout l’avènement d’un auteur et d’un style XXXL très excessif qui résonne encore aujourd’hui. Â noter pour les collectionneurs que contrairement à la première réédition en intégrale de 2006, cette version contient les épisodes 9 et 10, plus une postface assez révélatrice où McFarlane a ressorti des placards les tous premiers croquis de travail du personnage, alors qu’il était encore adolescent.

Olivier Badin

Spawn – édition spéciale 30ème anniversaire, de Todd McFarlane. Delcourt. 39,95

02 Juin

Famille nombreuse, famille heureuse… 4 BD qui vous donneront envie de fonder un foyer… ou pas !

La famille comme terrain d’aventure. De plus en plus de bandes dessinées croquent le quotidien du premier cercle social que la vie nous offre pour le meilleur et parfois le pire… En voici quatre, on y parle d’amour, de filiation, d’éducation, d’adolescence, de conflit de générations…

Six à la maison ! C’est le titre de ce premier volet de la série Une Famille épatante sorti aux éditions Soleil et signé Sophie Ruffieux. Six mais en comptant le chat qui – il est vrai –  tient pas mal de place dans la vie quotidienne de tout ce petite monde. Mais il n’est pas le seul à tenir de la place. Les enfants, le conjoint, le boulot, l’éducation, le ménage, le boss, la cuisine, la belle-mère, les cadeaux qui n’en sont pas, les kilos qui sont en trop, les courses, les courses encore, les courses toujours… oui, voilà le quotidien d’une famille vraiment épatante, un peu comme la vôtre ou la mienne, un quotidien croqué à l’origine pour le magazine Femme Actuelle et aujourd’hui publié en album. Drôle, frais et tellement vrai, ça vous parlera forcément ! (Six à la maison, Une Famille épatante (tome 1), de Ruffieux. Soleil. 17,95€)

Cette famille-là est moins nombreuse, pas de chat, ah si un chat, posé sur le canapé, pas d’homme en tout cas, d’un côté une mère de famille, de l’autre une adolescente, une famille monoparentale dans toute sa splendeur plongée dans une joute verbale permanente. L’amour, les injonctions sociétales, les fondements de la féminité, les problèmes de pilosité, l’obsolescence programmée de la femme… Tout passe à la moulinette de l’humour, à ne plus savoir qui, de la mère ou de la fille, est la plus adulte ! (Mère, fille & Co, de Delacroix. Delcourt. 13,50€)

Les ados, justement. Pas toujours facile de les comprendre même si nous l’avons tous et toutes été un jour. Alors plutôt que de passer à côté des choses, voici un livre dont l’objectif est clairement d’aider les parents à mieux cerner cette période de l’enfance parfois compliquée, dernière étape avant l’âge adulte. Sur un ton là-aussi humoristique histoire de dédramatiser, Agathe de Lastic et Soledad Bravi, aidées par le professeur de psychologie Grégoire Borst, croquent leur quotidien, leur comportement, leurs émotions dans une suite de situations tels que le réveil, le déjeuner, les premières soirées alcoolisées, les lendemains de fête… Une observation fine et drôle mais pas que puisque les auteures apportent des conseils. Et si vraiment, après avoir lu ce livre, vous ne comprenez toujours pas vos enfants, alors un dico des ados est disponible en fin d’ouvrage. Alors, inutile de mettre la mif en PLS, ce livre est de ouf pour tous ceux qui ne veulent pas mourir bouffon. (Dans la tête de mon ado, d’Agathe de Lastic et Soledad Bravi. Vents d’Ouest. 16,50€)

Avant d’avoir des ados à la maison et peut-être d’avoir une famille nombreuse, il faut passer par l’année zéro, l’année de tous les bouleversements, l’année marquée par la venue au monde d’un premier enfant. C’est le thème abordé dans cet album d’Anna Roy et Mademoiselle Caroline mettant en scène Madeleine, 27 ans, sage-femme de profession et de passion, enceinte depuis cinq mois au début du récit. Elle a bau connaître les bébés et la maternité pour les côtoyer au quotidien, les doutes, la peur et parfois même les regrets sont son quotidien. Anna Roy, scénariste, raconte ici son expérience mise en image par Mademoiselle Caroline. On y suit son quotidien, entre suivis de la grossesse, préparation à la naissance, accouchement, retour à la maison, dépression post-partum, tensions dans le couple, nuits courtes, journées longues, copain qu’on ne voit plus… et au bout du bout du bout, un peu de bonheur ! (Année zéro, d’Anna Roy et Mademoiselle Caroline. Delcourt. 23,95€)

Eric Guillaud

30 Mai

La Fortune des Winczlav : Jean Van Hamme et Philippe Berthet poursuivent l’exploration des origines de Largo Winch

On le pensait rangé des BD mais non, Jean Van Hamme continue ce qu’il a toujours merveilleusement réussi à faire, à savoir nous raconter des histoires, et notamment celle de Largo Winch ou plus exactement celle de ses ancêtres. Le deuxième volet de la trilogie La Fortune des Winczlav vient de paraître. Nous sommes en 1910 quelque part dans l’état de l’Oklahoma et les origines de l’empire Largo Winch se précisent…

Extrait de la couverture © Dupuis / Van Hamme & Berthet

Souvenez-vous, tout a commencé du côté du Monténégro en 1848 avec un jeune médecin, Vanko Winczlav, obligé de fuir son pays après avoir soutenu une insurrection paysanne contre la tyrannie du prince-évêque. Nous l’avons suivi jusqu’en Amérique où il s’est marié et a trouvé un job d’infirmier avant de se retrouver en prison pour exercice illégal de la médecine, son diplôme n’étant pas reconnu de l’autre côté de l’Atlantique.

Ce nouvel opus débute en 1910, le fils de Vanko, Milan, a fait fortune dans le pétrole avant de mourir dans un ouragan et laisser son propre fils Thomas sans le sou. Pas pour longtemps…

Le pétrole, l’alcool, la politique… les origines de l’empire Largo Winch se précisent dans ce deuxième des trois volets prévus. Toujours pas l’ombre d’un Largo mais un Thomas Winczlav qui change son nom en Thomas Winch et une naissance annoncée, celle de Nerio Thomas Milan Winch qui n’est autre que le père de Largo…

Parler de Largo sans Largo aurait pu passer pour une hérésie, une ineptie. Il faut pourtant avouer que Jean Van Hamme et Philippe Berthet se sortent à merveille de l’exercice avec une saga qui nous fait survoler les siècles, les guerres, les migrations, la ruée vers l’or noir, la prohibition… le tout sous un scénario particulièrement limpide et un dessin pour le moins léché, une ligne claire que l’auteur qualifie de « ligne noire ». On ne s’en lasse pas !

Eric Guillaud

Tom et Lisa, La Fortune des Winczlav (tome 2/3), de Van Hamme et Berthet. Dupuis. 15,95€

© Dupuis / Van Hamme & Berthet

27 Mai

Conan et Marvel, c’est fini ? Pas tout à fait…

La nouvelle est tombée : quatre ans après avoir récupéré la licence officielle de l’œuvre de Robert E. Howard et de son héros le plus célèbre Conan, Marvel va cesser de publier les adaptations des aventures du Cimmérien.

Extrait de la couverture © Marvel / Panini Comics – Collectif

La (longue) histoire d’amour entre MARVEL et Conan n’est plus. En 1970, lorsque l’éditeur historique des Quatre Fantastiques et de Spiderman décide, sous l’impulsion de son scénariste Roy Thomas, de racheter les droits d’adaptation de Conan le barbare, ce héros rustre aux milles aventures n’a plus vraiment la côte. Star des pulps – ces magazines bon marché à destination des adolescents et spécialisés dans le fantastique, l’horreur ou les thrillers – dans les années 30, la mort prématurée de son créateur Robert E. Howard, la mauvaise gestion de son héritage littéraire et le désamour progressif du public l’avait relégué depuis longtemps semble t’il au rang de vestige du passé.

Mais sous la plume de Thomas et le trait onirique du dessinateur britannique Barry Windsor Smith, il devient alors un personnage de bande dessiné fascinant. Un électron libre au sein d’un univers d’heroic fantasy plein de sorciers, de créatures malfaisantes et royaumes fracturés à l’unique but : survivre.

Lorsqu’en 1973 John ‘Big John’ Buscema (Thor, Quatre Fantastiques) prend la succession de Windsor Smith, il amène avec lui un côté plus sanglant et plus adulte. La série devient alors l’une des plus populaires de la Maison des Idées. Mais après des années de succès, la sortie de sa très réussie adaptation cinématographique (starring Arnold Schwarzenegger !) coïncide, hélas, avec le départ de Buscema en 1982. Conan peine alors à retrouver sa fougue d’avant, délaissé de plus en plus par le public.

© Marvel / Panini Comics – Collectif

En 2003, l’éditeur indépendant DARK HORSE (Sin City, Hellboy) récupère la licence et le relance complètement, notamment en travaillant avec des auteurs de la jeune génération, comme Tomas Giorello ou Cary Nord. Sauf que quinze ans plus tard, au moment de renégocier le contrat, MARVEL surprend tout le monde en revenant dans la danse et fini par ramener le barbare ‘à la maison’.

Depuis 2018, en plus de nouveaux titres réguliers, l’éditeur s’est lancé dans une campagne de réédition impressionnante, sortant tous les trimestres ou presque des intégrales (les fameux ‘omnibus’) de 800 pages ou plus des deux grandes séries qui ont fait son bonheur dans les années 70 (Conan The Barbarian et The Savage Sword Of Conan). L’annonce la semaine dernière du choix des ayants droit de cesser leur collaboration avec MARVEL afin d’éditer eux-mêmes leurs propres comics ou autres produits dérivés a donc fait l’effet d’une petite bombe.

© Marvel / Panini Comics – Collectif

Même si l’avenir du cimmérien est encore flou – une série NETFLIX serait prévue, entre autres – on n’en a malgré tout pas tout à fait fini avec lui. Primo, PANINI conserve les droits en France et devrait donc le suivre dans ses nouvelles aventures. Et secundo, il y a encore dans les cartons quelques belles sorties de prévu… Dont ce beau King-Size Conan en grand format (comme le titre l’indique), un recueil contenant six nouvelles histoires courtes indépendantes les unes des autres.

Beau clin d’œil pour les fans, la deuxième du lot Suite Et… Début a été scénarisée par Roy Thomas lui-même qui a accepté de sortir de sa semi-retraite pour l’occasion. Il en a profité pour écrire le prologue du tout premier épisode de la série Conan The Barbarian, un demi-siècle plus tard. Mais le plus joyau de cette collection est la magnifique histoire sans texte signée Esad Ribic qui ouvre le bal. Vingt planches d’une épopée sauvage, mettant en scène un jeune Conan à l’œil vif et déjà déterminé à s’en sortir coûte que coûte. En plus d’avoir intégralement réalisé seul cette prouesse technique (dessin, scénario, couleurs) magnifique, le croate réussi ici à retrouver le souffle épique et sauvage des œuvres d’Howard… Sans une seule ligne de texte lisible.

Les spéculations vont déjà bon train parmi les fans pour savoir qui accompagnera Conan dans ses nouvelles aventures. On espère juste que parmi les dessinateurs présents dans ce King-Size Roberto de la Torre (Tarzan) et Ribic seront invités au banquet pour croiser de nouveau le fer avec lui…         

Olivier Badin

King-Size Conan, collectif. Marvel/Panini Comics. 20

© Marvel / Panini Comics – Collectif

24 Mai

Soixante printemps en hiver d’Aimée De Jongh et Ingrid Chabbert : il n’y a pas d’âge pour la liberté

Même pas prendre le temps de souffler ses 60 bougies et tout plaquer, homme, enfants et petits enfants. Tout plaquer pour enfin vivre comme elle l’entend, comme elle en a décidé. C’est l’histoire de Josy, l’héroïne de cet album signé par la Française Ingrid Chabbert pour le scénario et la Néerlandaise Aimée de Jongh pour le dessin…

© Dupuis / De Jongh & Chabbert

Tout le monde est là, son mari bien sûr, ses deux enfants et ses petits enfants, tous réunis pour le fameux gâteau d’anniversaire et les bougies. 60 bougies, soixante printemps en plein hiver. Mais Josy n’a pas l’intention de les souffler. Au lieu de cela, elle annonce à toute sa petite famille qu’elle part.

Sa valise est prête, elle sort le van Volkswagen du garage et la voilà partie sur un air de Bashung, Le Nuit je mens, devant la famille médusée.

Direction l’aventure, enfin pas trop loin quand même, Josy trouve refuge sur une aire de parking où elle fait la connaissance d’une autre naufragée de la route et de la vie, Camélia. La jeune femme vit seule avec son fils de 8 mois dans une caravane après avoir fui un mari volage.

Une histoire d’amitié est née entre Josy et Camélia mais c’est une autre histoire qui attend Josy, une histoire d’amour, une vraie histoire d’amour avec une autre femme. Elle rêvait d’un nouveau départ, elle est servie…

Impossible de ne pas se remémorer Lulu femme nue d’Etienne Davodeau même si l’histoire s’en éloigne avec ce changement – tardif – d’orientation sexuelle pour l’héroïne. Pour le reste, Soixante printemps en hiver est un bel album humaniste où l’on croise beaucoup de femmes et très peu d’hommes, une BD qui nous parle de liberté, d’amour, de sexe, au-delà des tabous, au-delà de la bienséance imposée par la société patriarcale, le tout avec une mise en images classique mais pleine de charme réalisée par la talentueuse Aimée de Jongh, auteure précédemment de Jours de sable, Le Retour de la Bondrée ou encore Taxi!.

Eric Guillaud

Soixante printemps en hiver, d’Aimée De Jongh et Ingrid Chabbert. Dupuis. 23€

22 Mai

Poutine, Erdoğan, Ceaușescu, Mobutu… Quand la BD s’intéresse aux dictateurs et assimilés

Hommes forts, dictateurs, autocrates, tyrans… appelez-les comme vous voulez mais une chose est sûre, ces quatre-là ne donnent pas envie d’essayer la dictature comme l’a un jour proposé Emmanuel Macron à ceux qui ne voient plus la France comme une démocratie. Manipulations, assassinats, tortures, presse muselée, opposition bâillonnée, pouvoirs concentrés… Quatre BD pour nous faire réfléchir !

On commence avec Erdogan, le nouveau sultan, un livre de plus de 300 pages signé par deux opposants au régime en place dans leur pays respectif, le journaliste turc Can Dündar et le caricaturiste et illustrateur égyptien Mohamed Anwar. Exilés à Berlin, les deux hommes se sont rencontrés chez l’éditeur allemand David Schraven en 2017 autour d’un projet de roman graphique sur l’homme fort d’Ankara. Avec chacun sa propre histoire, sa propre culture, Can Dündar et Mohamed Anwar retracent le parcours d’Erdoğan depuis sa plus tendre enfance jusqu’à son accession au pouvoir dans les années 2000, d’abord comme Premier ministre puis comme Président de la République. Trois ans et demi de travail ont été nécessaires pour réaliser ce livre, trois ans et demi d’écriture, de mise en images mais aussi de recherche de documentation et de vérification des sources, les auteurs souhaitant dès le départ avoir une approche plus journalistique que partisane même si, et on peut les comprendre, le résultat n’est pas franchement à la gloire d’Erdoğan ! Une biographie très documentée, un bon boulot, passionnant de bout en bout, éclairant sur la politique turque et au-delà sur les enjeux géopolitiques mondiaux. Difficile de ne pas penser en ce moment au rôle joué par la Turquie dans la guerre en Ukraine ! (Erdogan, le nouveau sultan, de Dündar et Anwar. Delcourt. 21,90€)

La guerre en Ukraine. C’est justement par elle que débute ce deuxième livre pourtant publié en septembre 2021, donc bien avant l’invasion russe, aux éditions Myriad en Angleterre. L’auteur Darryl Cunningham a tenu à ajouter pour cette édition française sortie le 11 mai dernier deux pages d’introduction où il exprime sa non surprise face aux récents événements par ces quelques mots : « C’est une escalade qui était inévitable, car personne n’a cherché à l’arrêter ». Mais qui est vraiment Poutine ? Comment est-il arrivé au sommet du pouvoir ? Comment avec ses origines hyper-modestes a-t-il pu devenir président de la fédération de Russie ? Et comment s’est-il imposé sur la scène internationale comme un interlocuteur incontournable et pire encore comme l’un des hommes les plus influents sur le devenir de notre monde ? C’est à toutes ces questions que tente de répondre le scénariste et dessinateur Darryl Cunningham à travers un récit bien évidemment parfaitement documenté, au scénario limpide, au graphisme épuré et efficace. (Poutine l’ascension d’un dictateur, de Cunningham. Delcourt. 19,99€)

Si les deux premiers ouvrages relèvent de la biographie ou du documentaire, celui-ci appartient à la fiction et même à la comédie avec bien sûr un contexte historique bien réel, et pas franchement joyeux, celui de la Roumanie sous l’ère du dictateur Nicolae Ceausescu, le fameux génie des Carpates comme il se surnommait lui-même. Aurélien Ducoudray au scénario, Gaël Henry au dessin et Paul Bona aux couleurs nous invitent ici à plonger dans ce passé pas si lointain à travers sept personnages amenés à se croiser dans un monde ubuesque, cauchemardesque, un poète, un clown, un étudiant, une femme de ménage, une secrétaire…, aucunement de dangereux criminels ou opposants au régime en place, plutôt des gens ordinaires qui tentent de vivre leur vie ordinaire jusqu’au moment où ils se font embarqués, amenés par ce qui pourrait être la Securitate, la Stasi locale, et condamnés. Mais condamnés à quoi ? Peut-être à prendre en main leur destin. Décalé, drôle, on retrouve bien dans cet album l’esprit d’Aurélien Ducoudray qui s’attache toujours à montrer le monde, la réalité au prisme de la fiction. (L’Ours de Ceausescu, de Ducoudray, Henry et Bona. Steinkis. 20€)

Ni vraiment documentaire, ni vraiment fiction, un peu des deux à la fois, T’Zée, Une tragédie africaine est un docu-fiction imaginé par Appollo et dessiné par Brüno, docu-fiction qui nous emmène au coeur de la forêt équatoriale, dans le palais d’un dictateur qui vit les dernières heures d’un règne sans partage. Emprisonné, donné pour mort, T’Zée réapparait dans son palais auprès des siens mais ne pourra qu’assister impuissant à l’effondrement de son régime. Tragédie en cinq actes largement inspirée du parcours de Mobutu mais aussi de quelques autres tyrans de l’Afrique noire, T’Zée, Une tragédie africaine sonne plus vrai que vrai, un voyage au cœur de ces puissants qui se pensent au-dessus de tout le monde, aussi mégalomanes que dangereux. Un récit puissant magnifiquement mis en images par Brüno et en couleurs par Laurence Croix. (T’Zée, Une tragédie africaine, d’Appollo et Brüno. Dargaud. 22,50€)

Eric Guillaud

18 Mai

Marzi : un morceau d’histoire en intégrale

Publié entre 2005 et 2017 aux éditions Dupuis, le récit autobiographique de Marzena Sowa et Sylvain Savoia a connu différentes collections et formats au fil des rééditions. En 2019, il rejoint la collection Aire Libre dans une superbe version intégrale définitive dont le deuxième et dernier tome vient de sortir…

© Dupuis / Sowa & Savoia

Cette série des éditions Dupuis a eu une destinée peu commune. Publiée depuis 2005 dans une édition classique, grand public, elle ne semble pas trouver son public et végète jusqu’au jour où la maison d’édition a la lumineuse idée de la publier, en parallèle, dans un volumineux format roman graphique de 264 pages.

Le premier volet sort en 2008 et réunit les trois premiers albums. Les couleurs ont laissé place à une bichromie grise et rouge, les pages ont été remontées avec quatre cases maximum sur chacune d’elles, des dessins ont été ajoutés et hop, comme par magie, Marzi devient une toute autre bande dessinée qui intrigue et surprend. Et c’est véritablement l’engouement au sein de la presse, du public et des festivals.

Le second volet, publié en 2009, reste bien évidemment calqué sur le même principe avec la réédition des tomes 4 et 5 accompagnés d’un cahier documentaire intitulé Journal d’un voyage et racontant le retour de la scénariste Marzena Sowa en Pologne, 20 ans après son enfance et la chute du mur.

En 2011 sort le sixième volet et en 2017 le septième.

À partir de 2019, à l’occasion des 30 ans de la chute du mur, les éditions Dupuis rééditent cette fois la série en intégrale grand format et couleur. Le deuxième volume vient de sortir. Il réunit les albums 5 à 7 ainsi que des histoires courtes inédites et de splendides illustrations pleine page.

À travers son quotidien de petite fille, Marzena Sowa apporte un témoignage essentiel sur la Pologne communiste des années 80, celle de Jaruzelski et de Walęsa, celle de Solidarność et des grèves dans les mines, celle encore de l’état de siège et de la pénurie, et plus tard de l’ouverture du pays sur le monde.

« Je suis née en Pologne lorsqu’elle vivait de grands changements… », explique Marzena Sowa, « Je la regardais se rebeller, je la regardais rêver. Et j’ai vu ses rêves se réaliser. Cela m’a permis de croire qu’avec de la persévérance et de la force de caractère, on pouvait changer le monde « .

Toujours aussi passionnant !

Eric Guillaud

Marzi, une enfance polonaise 1989 – 1996. Intégrale tome 2. Dupuis. 27€

© Dupuis / Sowa & Savoia

15 Mai

Lady Jane : deuxième partie d’un triptyque signé Michel Constant autour des dégâts du thatchérisme

Après La Dame de fer, Michel Constant retrouve l’Angleterre pour une histoire qui trouve une nouvelle fois ses racines dans les années Thatcher avec cette loi contestée mais toujours en vigueur, le Children Act…

extrait de la couverture © Futuropolis / Constant

Qu’est-ce que le Children Act ? Il s’agit d’une loi entrée en vigueur au Royaume-Uni sous l’ère Thatcher, dont l’objectif est de protéger les enfants et d’assurer leur bien-être, y compris en dehors de leur famille s’il y a le moindre risque qui pourrait aller à l’encontre de leurs intérêts. Merci Wiki.

Sur le papier, la démarche est louable mais sur le terrain, nombre de dérives auraient été observées. Des enfants retirés à leur famille sur simple soupçon ou sur des critères qui pourraient laisser songeurs, des parents qui perdent leurs droits sur leurs enfants y compris celui de rentrer en contact avec eux.

Retour à notre histoire, ou plus exactement celle écrite par Michel Constant, Lady Jane n’a à priori rien à voir avec la chanson des Rolling Stones, notre héroïne, Jane, la quarantaine, vend des gaufres du côté de Kingsdown, station balnéaire de la côte est de l’Angleterre. Elle vit seule, se confie peu, apparaît mystérieuse, jusqu’à ce qu’elle se prenne d’affection pour Emma, une gamine de 18 ans, à qui elle propose de venir la suppléer dans sa guérite. Très vite naît une grande complicité entre les deux mais Emma sent que le passé de Jane est lourd, trop lourd pour elle. Qu’a-t-elle vécu dans sa jeunesse ? Une histoire d’amour qui s’est mal terminée ? En quelques sortes…

L’air de rien, ou plus exactement sur le ton de la comédie sociale, Michel Constant aborde avec ce triptyque les ravages de l’ère Thatcher, sa politique d’austérité dans le premier volet, La Dame de fer, le Children Act dans celui-ci, avec dans les deux cas un portrait d’hommes et de femmes emprunt d’humanité. Un beau regard sur l’Angleterre avec bien évidemment, et jusque dans le titre, des références à la pop et au rock d’outre-Manche. Rolling Stones, Black Sabbath, Who et autres Cure font partie du décor…

Eric Guillaud

Lady Jane, de Michel Constant. Futuropolis. 15€

© Futuropolis / Constant

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