Il a annoncé il y a quelques jours son intention de se retirer du monde de la bande dessinée. Peut-être le fera-t-il, peut-être changera-t-il d’avis. En attendant, Jean-Marc Rochette nous livre avec La Dernière reine un livre magnifique dans lequel la montagne, sa montagne, joue une fois encore un rôle primordial…
« J’ai 67 ans, ça fait 45 ans que je fais ce métier. Je suis fatigué. J’ai expliqué que La Dernière reine serait mon dernier bouquin. C’est le cas. Il m’a demandé trop d’énergie », a déclaré Jean-Marc Rochette, à nos confrères de France 3 Alpes.
Lancée dans la foulée de la polémique Bastien Vivès en réaction à ce qu’il appelle dans un post « une surveillance de l’édition par des commissaires politiques« , cette annonce a fait plusieurs fois le tour de la planète BD avant de se poser comme une évidence, l’homme est fatigué physiquement et fatigué de l’ambiance « liberticide qui est en train de se répandre », pour reprendre une fois encore ses propres mots.
L’affaire n’est pas classée mais la BD doit reprendre ses droits et La Dernière reine paru en octobre dernier nous invite forcément à prendre un peu de hauteur. « Que la montagne est belle… » chantait Ferrat. La montagne ardéchoise pour Ferrat, la montagne iséroise pour Rochette, la beauté de la nature à l’état sauvage dans les deux cas.
Car oui, après Ailefroide, altitude 3954 et Le Loup, l’auteur retrouve ici une fois encore la montagne, sa montagne, celle où il vit été comme hiver, avec cette fois une double histoire, celle d’abord du dernier ours du Vercors abattu en 1898 par la bêtise humaine, celle ensuite qui fait se croiser les destinées d’une gueule cassée de la guerre de 14, Édouard Roux, et d’une artiste sculptrice animalière parisienne, Jeanne Sauvage.
Entre les deux c’est le coup de foudre, une histoire d’amour à La Belle et la Bête, lui le défiguré descendu de son plateau du Vercors natal le temps d’une guerre et d’une salle blessure, elle, qui sera lui rendre un aspect humain en lui remodelant un visage.
Elle l’introduit dans le milieu artistique parisien de l’entre-deux-guerres où l’on croise Soutine, Picasso, Cocteau, François Pompon ou encore Aristide Bruant. Lui l’encourage à réaliser SON œuvre et lui fait découvrir la montagne, la beauté ultime…
Si Jean-Marc Rochette confirme et partage dans les 240 pages que fait l’album son amour pour la montagne, avec des paysages absolument magnifiques habités par de nombreux animaux dont bien sûr cet ours, la dernière reine, il explore aussi les sentiments qui peuvent se nouer au-delà de l’apparence physique. La gueule cassée et la jeune artiste s’aiment et s’aimeront jusqu’à la mort.
Magnifique, émouvant, beau, sauvage, intense, sombre, ce nouveau récit de Jean-Marc Rochette est une pure merveille, une ode à la montagne, à l’amour et à l’art, avec des questionnements écologiques profonds et sincères.
Un seul petit regret, que les albums de la trilogie alpine que forment Ailefroide, altitude 395, Le Loup et La Dernière reine, n’aient pas été publiés dans un plus grand format, histoire de profiter pleinement du trait charbonneux de l’auteur et de ces magnifiques paysages de montagne. Mais serait-ce là l’occasion d’un nouveau récit, d’un nouveau dernier récit ? On le souhaite et on croise les doigts…
La Dernière reine figure dans la sélection des albums en lice pour le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023
Eric Guillaud
La Dernière reine, de Jean-Marc Rochette. Casterman. 30€