Attention, le western est de retour ! Vous allez me dire qu’il n’a jamais vraiment quitté la planète BD. Et c’est vrai ! La conquête de l’Ouest américain fait partie des valeurs sûres du médium. Mais quand un album comme celui-ci se retrouve entre nos petites mains fébriles, il devient difficile de modérer son enthousiasme…
Inutile de tourner autour du pot pendant des heures, inutile de noircir des centaines de lignes pour finalement le reconnaître, cet album est un chef d’œuvre, du genre à vous laisser scotché pour l’éternité ou presque, un concentré d’aventure et d’ouverture sur le monde qui commence dès la couverture avec le dessin d’un indien masqué habillé comme un blanc et un titre qui ressemble à un cri de guerre : Hoka Hey!.
Et c’est bien un cri de guerre, celui des Indiens Lakotas, un cri qui était censé leur donner le courage et la force nécessaires pour aller combattre l’ennemi et défendre leurs territoires de chasse sacrés.
Au moment où débute ce récit, la hache de guerre est enterrée et le fameux cri mis en sourdine. Les États-Unis et les indiens Lakotas ont signé en 1868 le traité de Fort Laramie prévoyant la protection de la population amérindienne et de sa culture au sein d’une réserve ainsi qu’une promesse de terres à cultiver.
Bien évidemment, le traité fut violé à maintes reprises provoquant la colère du peuple indien. Little Knife, personnage central de cette bande dessinée, habillé comme un blanc mais avec des nattes et affublé d’un masque rouge sur le haut du visage, est l’expression même de cette colère contre le rouleau compresseur blanc.
Accompagné d’une Indienne baptisée No Moon et d’un Irlandais prénommé Sully, Little Knife est à la recherche du meurtrier de sa mère mais c’est sur un gamin qu’il tombe, un Lakota arraché aux siens, élevé comme un blanc et baptisé George en l’honneur de George Washington.
George rejoint le drôle d’équipage dans sa quête de vengeance, chacun dévoilant tour à tour ses peines, ses blessures, ses espoirs, souvent déçus.
SI vous rêviez d’une ode au rêve américain ou à la virilité telle qu’on peut les trouver dans nombre de westerns, alors passez votre chemin, Romain Maufront aka Neyef, s’efforce de montrer ici la face à peine cachée mais assurément sombre de l’Amérique, l’extermination organisée des minorités indiennes, l’asphyxie de leur culture. Et de nous interroger sur notre rapport à la nature quand les Indiens eux visaient l’harmonie, toujours soucieux de respecter leur environnement et d’en prélever que le stricte nécessaire. De nous questionner enfin sur la place de la femme dans ce monde de brutes gonflé à la testostérone.
Si l’auteur égratigne le rêve américain, il nous offre néanmoins des illustrations de toute beauté de l’Ouest sauvage. Montagnes, plaines, rivières, forêts… l’histoire est prétexte à enchainer et varier les décors les plus incroyables, les plus sauvages, avec un trait d’une subtile élégance, dont les influences sont à chercher autant du côté de la BD européenne que du manga. Ajoutez à cela des couleurs et des ambiances somptueuses, des cadrages qui maintiennent le lecteur au cœur de l’action, une galerie de personnage aux caractères bien trempés, une économie de dialogues pour viser l’essentiel et vous obtenez un album en tout point époustouflant !
Hoka Hey! figure dans la sélection des albums en lice pour le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023
Eric Guillaud
Hoka Hey!, de Neyef. Rue de Sèvres Label 619. 22,90€