12 Fév

Le tueur en série Edmund Kemper : un croquemitaine bien réel

Malaise et fascination. C’est sur ce mélange bizarre que s’est bâtie toute la légende des tueurs en série et c’est donc logiquement aussi sur ces mêmes bases que s’est construite la collection Les Serial Killers dont on tient ici un quatrième avatar à ne pas mettre entre toutes les mains. Sur le banc des accusés, le géant Ed Kemper et ses dix victimes, entre 1964 et 1973…

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ce phénomène et depuis les slasher movies (Vendredi13, Massacre  La Tronçonneuse, Freddy Les Griffes De La Nuit’ etc.), la pop culture n’est pas en reste, avec en point d’orgue au début des années 90 les films Seven et Le Silence Des Agneaux. En parlant du réalisateur David Fincher, sa série sur Netflix Mindhunter a su jeter sur le sujet une lumière inédite, malgré le fait qu’elle ait été hélas limitée à seulement deux saisons. En retraçant le travail des premiers agents du FBI à s’être penchés sur la question à la toute fin des années 70, elle a permis de mettre à jour leurs méthodes de travail, à base d’entretiens avec des tueurs-en-série déjà condamnés. Parmi ses personnages haut en couleurs qui ont tous existé, celui d’Ed Kemper a particulièrement frappé les téléspectateurs.

Il y a déjà ce gabarit, herculéen avec ses 2m06 et ses plus de 160 kg. Mais c’est surtout c’est ce calme, cette lucidité, voire même cette douceur si l’on peut dire avec laquelle il sait parler de ses crimes, de toutes ses femmes qu’il a tuées brutalement, comment il les a parfois décapitées pour garder leur tête comme une sorte de trophée ou même de ses pulsions nécrophiles qui frappe ici.

© Glénat / Bourgoin, JDMorvan, Martinez, Vargas, Steren & Ribeiro

Autant le dire tout de suite, ce volume de la série Les Serial Killers est donc réservé à un public très averti. Pas que ses prédécesseurs consacrés à Ted Bundy et Michel Fourniret entre autres soient des bisounours à côté, loin de là. Mais ce qui trouble ici, c’est la volonté du scénariste (assisté par le directeur de la publication Stéphane Bourgoin, spécialiste auto-proclamé plus ou moins contesté en France) de montrer d’abord comment il a été en quelque sorte programmé dès sa tendre enfance à devenir un monstre à cause d’une famille complètement dysfonctionnelle et notamment d’une mère tyrannique et abusive. Avant de suivre son parcours implacable de tueur, sans lésiner sur les détails les plus morbides.

© Glénat / Bourgoin, JDMorvan, Martinez, Vargas, Steren & Ribeiro

Le récit suit donc deux temporalités : une chronologique, partant de son enfance sans rien nous épargner des différents traumas successifs qui vont le transformer en monstre. Et l’autre, en prison, où il est interviewé par l’alter-ego de Bourgoin et où il se confie, sans aucun tabou. Mieux : comme on l’a vu dans Mindhunter, Kemper joue limite avec son interlocuteur et fait preuve d’une étonnante lucidité vis-à-vis de ses crimes, les cadrages stricts, les décors très austères et les dessins parfois froids accentuant l’ambiance au couteau. C’est d’ailleurs cet éternel paradoxe qui rend cet ogre si fascinant, lui qui a échoué à l’examen d’entrée à la police malgré un QI de 145 mais qui ne pouvait s’empêcher de tuer. 

Au final, on ne sait d’ailleurs pas ce qui est le plus glaçant dans l’histoire : le récit en lui-même ou le dossier inclus en fin d’ouvrage à base de photos et de faits avérés qui confirment, hélas, que tout ce qui est raconté est ici diaboliquement vrai.

Olivier Badin

Edmund Kemper, L’Ogre De Santa Cruz de Stéphane Bourgoin, JDMorvan, Roy Allan Martinez, Mauro Vargas, Juliette Steren & Raphaël Ribeiro. Glénat. 17,50 €.

Dans la même collection, trois autres titres sont d’ores et déjà disponibles et racontent les parcours macabres des Américains Gerard Schaefer, scatophile, nécrophile, zoophile, sadique, et manipulateur, accusé du meurtre de deux adolescentes, soupçonné d’en avoir tué plus d’une centaine, Ted Bundy, qui a enlevé, violé et assassiné plus d’une trentaine de jeunes femmes dans les années 70 et du Français Michel Fourniret surnommé l’Ogre des Ardennes, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de meurtres à son actif, le tout avec l’assentiment de sa femme Monique Olivier.

11 Fév

Pacific palace : une aventure de Spirou cinq étoiles de Christian Durieux

La couverture annonce la couleur, Pacific palace est un album de toute beauté. Mais ce n’est pas là la seule qualité du livre, Christian Durieux nous a concocté une histoire comme il en a le secret, belle et sensible. Une aventure de Spirou et Fantasio comme vous n’en avez jamais lue…

Depuis son lancement en 2006, la collection Le Spirou de… offre une relecture passionnante de la série-mère avec des approches graphiques et scénaristiques très différentes et souvent audacieuses.

C’est encore le cas avec cet album de Christian Durieux qui commence sur une drôle de surprise : un Fantasio habillé en Spirou. Autant vous le dire tout de suite, notre héros n’assouvit pas là un fantasme de longue date mais répond à une stricte obligation vestimentaire. En effet, viré du journal Le Moustique, Fantasio s’est fait engager aux côtés de Spirou dans un palace et pas n’importe lequel, le Pacific palace. Avec un job un peu particulier à la clé, puisque l’hôtel a été vidé de sa prestigieuse clientèle pour accueillir un hôte peu recommandable, Korda, le président à vie de la République Démocratique du Karajan, à vie ou presque puisque le dictateur vient d’être chassé de son pays et cherche une terre d’asile.

Autre surprise de taille, même si ce n’est pas la première fois que ça lui arrive, Spirou tombe raide dingue d’une ravissante jeune-femme. Le seul souci, parce qu’il y a bien sûr un souci, est que cette jeune-femme est la fille de Korda. De quoi troubler la quiétude nécessaire et recherchée entre les murs de ce palace pour le ballet politique qui doit s’ouvrir et décider de l’avenir du dictateur en fuite.

Action confinée, ambiances feutrées, ton mélancolique, scénario subtile, graphisme épuré et gracieux, final surprenant… Pacific palace est un album qui ne peut que marquer les esprits des fans de la série et au-delà.

À noter que l’album est accompagné d’un EP du groupe français Cocoon portant également le titre Pacific palace et pour lequel Christian Durieux a réalisé la pochette et le clip ci-dessous.

Eric Guillaud

Le Spirou de Christian Durieux. Pacific Palace, Dupuis. 16,5€

09 Fév

Tournée générale d’humour…

Avocat ou footballeur, sauveur de princesses ou vendeur d’aspirateur, coach en tennis de table ou hypocondriaque, voici une galerie de personnages des plus savoureux qui pourraient bien remettre d’équerre vos zygomatiques en ces temps de covid…

Hitler, Pinochet, Khadafi, Dutroux, Ben Laden, Kim Jong-un, Hannibal Lecter, Dupont de Ligonnès ou encore Charles Manson… Des noms à vous coller l’angoisse pour perpète et au-delà. Sauf pour lui, lui l’avocat du diable, toujours prêt à défendre l’indéfendable, à faire passer un crime contre l’humanité pour une petite erreur de jeunesse, à mettre en avant l’artiste qui sommeille chez le plus ignoble et sanguinaire des dictateurs. Avec ses airs à la Jacques Vergès, le personnage de Tehem enchaîne les plaidoiries loufoques, ce qui ne manquera pas de rappeler aux plus anciens d’entre nous Le tribunal des flagrants délires, fameuse émission radiophonique satirique des années 80. Cent strips pour rire ! (Avocat du diable, de Tehem. Delcourt. 9,95€)

« Il ne joue pas dans les plus grands stades du monde, il ne touche pas un salaire mirobolant, il ne couche pas avec des top-models, il n’est pas l’égérie d’une grande marque, c’est… le footballeur du dimanche ». En une page et quelques lignes, le décor est planté. Après le vélo, Tronchet nous parle du football, du vrai football, celui qui se joue loin des caméras de télévision et des enjeux financiers. Avec son humour et son trait taillé à la serpe, l’auteur des fameux Raymond Calbuth, Les Damnés de la terre associés ou encore de La bite à Urbain enfile le maillot et chausse les crampons, comme il le fait tous les week-ends, pour nous embarquer dans un monde de passionnés. Une belle déclaration d’amour au ballon rond en une cinquantaine de pages et autant de gags. (Footballeur du dimanche, de Tronchet. Delcourt. 12,50€)

L’avantage avec Tebo, c’est qu’on en a généralement pour son argent, en l’occurrence ici un peu plus de 12 euros. L’auteur de Samson et Néon et de Captain Biceps poursuit son exploration de l’humour tendance déjanté et un brin scatologique avec Raowl dont voici le deuxième volume. Rien que le titre est un poème à lui seul, Peau d’âne, la princesse qui pue. Et c’est vrai qu’elle pue, une odeur de truite disent certains. De quoi passer inaperçue auprès de Raowl, sauveur en chef de princesses en détresse. Mais l’arrivée d’une nouvelle reine au château, maniaque de la propreté et prête à tout pour donner un bain à Peau d’âne oblige Raowl à intervenir… Et ça fait mal ! Tordant. (RaowlPeau d’âne, la princesse qui pue, de Tebo. Dupuis. 12,50€)

« Qu’est-ce que l’homme ? D’où venons-nous? Depuis quand existons-nous et comment avons-nous fait pour nous élever au-dessus de toute autre créature. Et pourquoi, au terme de millions d’années d’évolution, sommes-nous toujours aussi cons ? » voilà voilà, Ralf König a toujours le chic pour poser les bonnes questions… et accessoirement y répondre. En quelque 200 pages, l’auteur allemand nous rejoue l’évolution de l’humanité en plongeant deux spécimens particulièrement gratinés d’homo sapiens au milieu d’une colonie de chimpanzés quelque part en Afrique au temps du pléistocène, il  y a plusieurs millions d’années. Le choc des cultures… (Homo Erectus, de Ralf König. Glénat. 27,50€)

Le premier tome avait cartonné. Le second, sorti en octobre dernier n’a pas fait moins. Faut pas prendre les cons pour des gens figure parmi les best-sellers de la bande dessinée d’humour avec plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires vendus à chaque fois. Et que nous racontent Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud dans les pages de cet album ? La vie, tout simplement, mais la vie du côté absurde, où les déambulateurs sont devenus des armes de 2e catégorie, où le sigle HEC ne signifie plus Hautes Études Commerciales mais Hautes Études de Clochard, et n’y rentrent pas qui veut, où un couple de Parisiens parvient à faire construire un mur antibruit sur le littoral pour se protéger du bruit des vagues, où l’on soigne les bronchites en mangeant du poulet. Absurde, complètement absurde mais génial, tellement génial, Faut pas prendre les cons pour les gens pose un regard acide sur notre monde, de quoi faire passer les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. (Faut pas prendre les cons pour des gens 02, d’Emmanuel Reuzé. Fluide Glacial. 12,90€)

Lui aussi a fait un carton dès son premier volet sorti en mai 2018. Énorme le carton, aussi énorme que le personnage principal, le fameux Jacques Ramirez, qui n’a rien d’un super héros, rien d’un héros tout court, expert en aspirateurs chez Robotop le jour, suspecté d’être un assassin la nuit et surtout d’être impliqué dans un attentat contre sa propre société Robotop. Pourchassé par la police mais aussi par les hommes de main d’un dangereux cartel, Ramirez n’a plus le choix : il doit fuir. Jubilatoire ! (Il faut flinguer Ramirez, de Petrimaux. Glénat. 22,95€)

Dans le même esprit tarantinesque, voici Valhalla Hotel de Pat Perna et Fabien Bedouel chez Comix Buro, 64 pages d’action et autant de franche rigolade autour d’une galerie de personnages atypiques et de situations pour le moins décalées. Tout commence sur une route désertique du Nouveau-Mexique, Lemmy et son coach Malone sont en route pour la finale régionale du championnat de tennis de table d’Albuquerque quand leur voiture, une fiat 500, tombe en panne. En attendant de rejoindre un jour peut-être Albuquerque, nos deux protagonistes vont avoir tout le loisir de découvrir la charmante bourgade de Flatstone où se trouve le garage le plus proche. Flatstone, son shérif, homophobe et rustre, sa forte communauté allemande, son schnaps local et son motel, le Valhalla Hotel, tenu par Frau Winkler. De quoi passer un séjour au calme ? Pas tout à fait… (Valhalla Hotel, de Perna et Bedouel. Comix Buro –  Glénat. 14,95€)

Raconter son hyper-anxiété et parvenir à en faire rire ou du moins sourire, c’est le pari osé mais réussi de Théo Grosjean avec sa BD L’Homme le plus flippé du monde née sur les réseaux sociaux avant d’être adaptée en album. Et ça marche fort. Preuve en est son nombre d’abonnés sur Instagram, près de 150 000, preuve en est aussi l’accueil réservé aux deux tomes aujourd’hui disponibles en librairie. Comment expliquer ce succès ? Tout simplement parce que l’homme le plus flippé du monde tient autant de Théo Grojean que de nous tous. Qui ne s’est jamais senti mal à l’aise dans une soirée festive au point de se débiner discrètement ? Qui n’a jamais paniqué à l’idée de prendre la parole en public ? Qui n’a jamais tremblé devant le mot cancer ? Qui n’a pas la fin du monde au moment du premier confinement ? Bon, Théo Grosjean cumule toutes les angoisses du monde, on appelle ça de l’anxiété généralisée. Pour lui, comme pour nous, L’Homme le plus flippé du monde a au final quelque chose de thérapeutique. Essentiel ! (L’Homme le plus flippé du monde Tome 2, de Théo Grosjean. Delcourt. 15,50€)

Eric Guillaud

06 Fév

Cahiers Baudelaire d’Yslaire : suite et fin du work in progress

Attention collector ! Les éditions Dupuis viennent de sortir le troisième et dernier volet du work in progress d’un prochain album hommage à Charles Baudelaire signé Yslaire. De quoi nous faire amplement saliver en attendant sa publication dans trois petits mois…

Yslaire et Baudelaire, deux noms qui se marient rudement bien, deux noms connus et reconnus dans leurs arts respectifs à leurs époques respectives et qui se retrouvent associés sur la couverture d’un album de bande dessinée à paraître le 23 avril 2021, à l’occasion du bicentenaire de la naissance du poète.

Trois petits mois à trépigner mais les plus impatients peuvent d’ores et déjà avoir un avant-goût de la chose à travers trois magnifiques cahiers work in progress parus ces derniers mois aux éditions Dupuis. Le troisième vient tout juste de rejoindre les étagères de nos librairies préférées. Quarante huit pages ô combien sublimes, d’esquisses exquises, empreintes du fameux spleen baudelairien et guidées par la Vénus noire, Jeanne Duval, la mystérieuse muse de Baudelaire.

Dans un élan graphique bouillonnant, l’auteur de la mythique série Sambre y dépeint le poète maudit face à ses tourments, face à son génie aussi, un double plongeon au coeur de la création, la poésie et Les Fleurs du mal d’un côtéla bande dessinée et un album en travaux de l’autre.

Tirage limité à 2500 exemplaires, conception hyper soignée, un triptyque envoutant indispensable pour tous les amoureux de Baudelaire et/ou d’Yslaire.

Eric Guillaud

Cahiers Baudelaire, d’Ylslaire. Dupuis. 17,95€ le volume

Mademoiselle Baudelaire, album à paraître le 23 avril 2021

© Dupuis / Yslaire

04 Fév

Nouveauté 2021. Les amants d’Hérouvillle : une histoire un peu folle et complètement rock racontée par Yann le Quellec et Romain Ronzeau

On connaît tous plus ou moins la folle histoire du château d’Hérouville dans le Val d’Oise qui accueillit pour des enregistrements les plus grandes stars du rock dans les années 70. On connait finalement beaucoup moins l’histoire de ses hôtes, du compositeur Michel Magne et de sa femme Marie-Claude, les amants d’Hérouville. La voici…

La musique, ça les connaît et ça les titille. Yann le Quellec et Romain Ronzeau ont déjà collaboré autour d’un album sur l’air guitare, Love is in the air guitare, paru sous pavillon Delcourt en 2011 et aujourd’hui réédité.

Il n’est donc pas surprenant de les retrouver ici, réunis autour de cette histoire, un plongeon dans la mythologie rock avec l’un de ses lieux emblématiques, le château d’Hérouville.

Nous sommes dans les années 70, les studios d’enregistrement résidentiels, qui offrent le gite, le couvert et un supplément d’âme, ne sont pas monnaie courante à travers le monde. Celui-ci connaît très vite une notoriété internationale grâce à la détermination d’un homme, Michel Magne, grâce aussi à son sens de l’accueil et de la fête, grâce à sa générosité sans limite.

Le reste de la légende, ce sont les musiciens qui l’écrivent : Eddy Mitchell, David Bowie, Elton John, Bee Gees, Pink Floyd, Cat Stevens, T. Rex, Jethro Tull, Urah Heep… se succèdent entres ses murs pour enregistrer des albums aujourd’hui mythiques et donner des soirées à jamais gravées dans les annales comme ce fameux concert des Grateful Dead donné devant une centaine de convives dans les jardins du château en remplacement d’un concert que le groupe de rock américain devait donner à Auvers, annulé à cause de la météo.

Dans un bon format de plus de 250 pages, avec des planches colorées, dans un esprit tantôt pop, tantôt psyché, régulièrement agrémentées de photographies, de flash-backs sur la jeunesse et la carrière de Michel Magne, Les Amants d’Hérouville dépeint la folie du lieu et de ses habitants, des années de fête, de musique, d’énergie créative… un lieu de miracles.

Mais avant d’être l’histoire d’un lieu, aussi mythique soit-il, cet album raconte une histoire d’amour, de passion… entre un homme de quarante ans et une jeune femme de seize ans qu’il rencontre sur le bord d’une route de campagne, qu’il prend en autostop et finit par épouser en grande pompe.

Une histoire qui finit mal… forcément. Michel Magne était tout sauf un gestionnaire. Très vite, et malgré ses nombreuses musiques de films, le compositeur croule sous les dettes, les saisies et les regrets éternels. Tout vole en éclat, le studio, la musique, son bonheur… Michel Magne met fin à ses jours, un peu abandonné de tous…

Captivant sur le fond, attrayant par sa forme, Les amants d’Hérouville offre une belle histoire qui enthousiasmera les amoureux de la musique mais pas seulement. En bonus, un dossier réunissant postfaces de Costa-Gavras, Eddy Mitchell, Sempé et Bill Wyman (excusez du peu!), galerie de photos, reproductions d’oeuvres d’art signées Michel Magne, discographie complète et chronologie du château d’Hérouville entre gloire, abandon et renaissance.

Eric Guillaud

Les amants d’Hérouvillle, une histoire vraie, de Le Quellec et Ronzeau. Delcourt. 27,95€ (en librairie le 17 février)

© Delcourt / Le Quellec et Ronzeau

03 Fév

La série Mutafukaz se la joue western et on dit chapeau. Enfin plutôt Stetson !

À la tête de la série-phare de Label 619 et après une tentative de passage sur grand écran qui n’a hélas pas rencontré son public, les deux héros un peu foutraques de Mutafukaz reviennent sur leur côte ouest américaine adorée. Mais cette fois-ci cent trente-cinq ans en l’arrière, à l‘époque de la ruée vers l’or… et des aventures qui vont avec.

En plus de la culture hip-hop et de la société californienne, les deux créateurs de Mutafukaz n’ont jamais caché que l’une de leur grande source d’inspiration était ces fameux ‘buddy movies’ (littéralement, ‘films de potes’) qui ont fait le bonheur des vidéos clubs dans les années 80, vous savez ces paires souvent assorties de deux héros qui, a priori, n’ont rien en commun mais qui finissent quand même (toujours) par se trouver. Si vous ne voyez toujours, rematez vous pour la 67ème fois L’Arme Fatale ou 48 Heures et vous comprendrez…

Alors oui, le ressort dramatique entre Angelino l’éternel écorché vif à la recherche d’aventure et son acolyte gaffeur Vinz au visage de forme de crâne ultra-expressif a un goût de déjà-vu mais ça marche. En fait, cela marche même tellement bien qu’il peut être greffé sur n’importe quelle situation. Voire n’importe quelle époque… La preuve avec Mutafukaz 1886 dont le premier (sur cinq prévus, à un rythme mensuel) épisode sortira le 12 février. À la manœuvre, on retrouve encore une fois le scénariste Run, artiste multi-casquette (dessin, textes, business) à l’origine de Label 619, et cette fois-ci le dessinateur Hutt qu’on avait déjà repéré dans certaines aventures de Doggybags, la série ‘horrifique’ de Label 619.

© Label 619 – Run et Hutt

Cuisiné donc à la sauce ‘western’, Mutafukaz marche toujours aussi bien. Ce premier épisode fait pourtant bien attention à dévoiler juste ce qu’il faut pour allécher le chaland et le maintenir en haleine d’ici au prochain épisode : on y retrouve nos deux héros après qu’ils se soient improvisés chercheurs d’or. Après avoir (enfin) dégotté une petite pépite, le duo accompagné de leur âne décide d’aller dans la petite ville de Rias Rosas claquer leur pécule. Une séance de shopping et un duel dans la rue principale plus tard, ils croisent la route d’un étrange personnage qui s’intéresse de près à eux… 

Des références assumées au cinéma bis (notamment aux westerns spaghettis de Sergio Leone), une pincée de fantastique, un humour potache mais jamais vulgaire, des fausses pubs en forme de clin d’œil au récit… Tout ce qui fait la sève du Label 619 est présent, avec au dessin un vrai-faux nouveau venu qui se fond parfaitement dans le décor. C’est drôle, avec une vraie patte et ça joue à fonds la carte du périodique, jusqu’à son prix, très abordable. Bref c’est un peu comme si le film Cowboys Et Envahisseurs avait accordé ses violons avec un BO signée Snoop Dogg et ça donne juste envie de dévorer la suite, là tout de suite maintenant !

Olivier Badin

Mutafukaz 1886 – Chapter One de Run et Hutt. Label 619. 4,95€ (sortie le 12 février)

© Label 619 - Run et Hutt

© Label 619 – Run et Hutt

Brève de bulles. Love : quatre rééditions, un inédit et toujours le même souffle animal

À l’occasion de la sortie du cinquième tome de cette série animalière intitulée Love signée Bertolucci pour le scénario et Brrémaud pour le dessin, les éditions Vents d’Ouest ont réédité les quatre premiers volets parus initialement chez Ankama depuis 2011. L’occasion pour les amoureux de la faune de se délecter pleinement de ces histoires pas aussi love-love que pourrait le laisser penser le titre mais qui font partie de la vie sauvage. Après Le Lion, Les Dinosaures, Le Renard, Le Tigre, voici Le Molosse, une histoire muette de 88 pages qui nous embarque sur le continent australien au milieu des serpents, dingos, kangourous et autres ornithorynques locaux. Des récits entre documentaire et fiction. EG (Love, de Brrémaud et Bertolucci. Vents d’Ouest. 14,95€ le volume)

02 Fév

Quand Spider-Man dézinguait les (petites) bulles au quotidien

Outre-Atlantique, le format strips (BD sous forme de trois ou quatre cases maximum paraissant de façon quotidienne) était une énorme institution. Publié parfois simultanément dans une centaine de journaux à travers le pays, son lectorat se chiffrait en millions. Mieux : coincé en général dans les dernières pages entre le sport et la culture, il permettait surtout de toucher un public ultra-large, dont un bon nombre de gens qui, sinon, n’achetait jamais de BD. Le Tisseur ne pouvait laisser lui échapper toutes ses proies potentielles…

Alors bien sûr, lorsqu’on pense strips, on pense surtout à ces petites vignettes souvent humoristiques se savourant en trente secondes d’une traite, un genre à part entière qui permis à des séries stars telles que SNOOPY, CALVIN & HOBBES ou encore THE FAR SIDE de percer. Mais la tentation étant trop grande pour les éditeurs de comics de super-héros de ne pas s’y mettre non plus, surtout au moment ù les ventes de leurs sorties hebdomadaires ont commencé à sérieusement s’éroder. Et oui, quitte à reformater pour l’occasion certaines de leurs plus grosses stars…

MARVEL n’échappe bien sûr pas à la règle. Certes, ses éternels rivaux de DC les avaient déjà précédés trois décennies avant avec BATMAN et SUPERMAN sur un terrain déjà dominé par FLASH GORDON ou TARZAN mais pas grave, à la guerre comme à la guerre – surtout que la maison des idées met les petits plats dans les grands en convoquant ses héros les plus populaires du moment, dont CONAN, STAR WARS et donc SPIDER-MAN.

© Comics/Marvel / Stan Lee & John Romita Sr.

On en apprend d’ailleurs pas mal sur l’enjeu que tout cela représentait dans la très intéressante introduction de cette belle réédition, pour l’instant disponible en deux volumes couvrant la période allant de 1977 à 1981, avec un troisième a priori prévu. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le célèbre Stan Lee, qui avait pourtant délaissé le tisseur des années auparavant, s’est remis pour l’occasion à en écrire les scénarios, tout en faisant le forcing pour convaincre le grand dessinateur John Romita Sr de faire partie de l’aventure, malgré le rythme frénétique de travail que cela signifiait.

En France, la série fut parue pendant un temps dans Télé-Poche ( !) puis avait eu droit en 2007 à une première réédition aujourd’hui uniquement trouvable à prix d’or sur internet. Grâce à cette nouvelle version améliorée (notamment au niveau des couleurs et du contenu), on retrouve ici tout ce qui fait le charme, mais aussi le défaut majeur pour ses détracteurs, de ce format si atypique.

La contrainte principale ici, c’est bien sûr son rythme de parution. Avec quatre cases maximum (sauf le dimanche, où on avait alors droit à une pleine page), impossible de ne pas tomber dans un certain manichéisme. Il faut de l’action à tous les coins de rue, des ressorts dramatiques assez basiques et des histoires à la fois simples et en même temps permettant de nombreux rebondissements. En fait, le strip est un style en soit, alors on aime ou on n’aime pas, point.

© Comics/Marvel / Stan Lee & John Romita Sr.

Mais pour ceux qui aiment, c’est un régal. Déjà parce que le style très réaliste de Romita Sr est aussi très ancré dans cette période de la seconde moitié des années 70 et la ville de naissance de SPIDER-MAN, New York avec toutes les clins d’œil qui vont avec, plus en bonus un certain nombre de cameo de people de l’époque, répertoriés dans l’introduction. Ensuite, vu que cette série est totalement indépendante des séries dites ‘principales’ avec sa propre chronologie, Stan Lee s’est permis de rappeler plusieurs des grands méchants de l’écurie MARVEL – du DOCTEUR FATALIS (éternel rival des 4 FANTASTIQUES) en passant par le DOCTEUR OCTOPUS, le CAÏD ou KRAVEN LE CHASSEUR – histoire d’attirer le chaland. Un vrai casting quatre étoiles donc, allié à une restauration de haute volée avec papier épais et couverture couleur tout en respectant le format d’origine en horizontal…

En lançant en 2006 de superbes rééditions, publiées année par année, de la série SNOOPY, l’éditeur DARGAUD avait sans le savoir lancé de façon officieuse la réhabilitation du format strip en France. Un an après la sortie du premier volume des strips du BATMAN de Bob Kane chez URBAN COMICS (à quand le deuxième volume, tiens ?) et celui de STAR WARS chez DELCOURT, PANINI COMICS leur emboîte le pas et met la barre bien haute avec ces deux gros volumes (plus de 300 pages chacun) indispensables aussi bien pour les fans les plus mordus du Tisseur que pour les amateurs de ‘pop art’ populaire.

Olivier Badin

Amazing Spider-Man : Les Comic Strips 1977 – 1979 & 1979 – 1981 de Stan Lee et John Romita Sr. Panini Comics/Marvel. 39,95 euros.

21 Jan

Né à Nantes en 1923, le créateur des aventures de Michel Vaillant Jean Graton est décédé

C’était peut-être l’un des derniers géants de la bande dessinée franco-belge des années d’après-guerre. Avec Michel Vaillant, Jean Graton a contribué à faire de son art un art majeur. Il est décédé à Bruxelles à l’âge de 97 ans...

Jean Graton dans son studio au dernier étage de sa maison de l’avenue du Pérou à Bruxelles, vers 1990. © Ph. Graton / Jean Graton Foundation.

Combien de coureurs automobiles doivent leur vocation à Michel Vaillant ? Beaucoup. Depuis 1957, date de sa première apparition dans les pages du journal Tintin, le héros de Jean Graton a fait rêver plusieurs générations de lecteurs.

La suite ici…

20 Jan

Nouveauté 2021. Yellow Cab : Chabouté adapte le roman de Benoît Cohen et rend un bel hommage à la ville de New York

En 2014, Chabouté sortait Moby Dick et nous racontait la mer comme personne sans avoir mis une seule fois les pieds sur un bateau. En 2021, il publie Yellow Cab et signe un hommage incroyable à la ville qui ne dort jamais… sans y être allé un jour. On appelle ça le talent, paraît-il !

Ses buildings, ses rues, Central Park, sa statue de la Liberté, ses vendeurs de hot dogs… et ses taxis jaunes. Nul besoin d’être allé à New York pour que les images défilent dans notre tête à la moindre évocation de son nom.

Mais de là à la dessiner, la magnifier, comme le fait Chabouté, il y a un pas et forcément du talent. « Je n’ai jamais mis les pieds à New York, mais c’est une ville que je rêve, à travers ses clichés et les images de films ».

Et pour la mettre en images dans toute sa splendeur, verticale et horizontale, quoi de mieux qu’une histoire de chauffeur de taxi? Une histoire que l’on doit à Benoît Cohen, un réalisateur français parti chercher l’inspiration au volant d’un taxi new yorkais. Il aurait pu en tirer un film, il en fit un livre, Yellow Cab, aujourd’hui adapté en bande dessinée.

« New York est une ville tellement graphique que j’ai, dès la sortie de mon livre imaginé Yellow Cab en bande dessinée. Et j’ai tout de suite pensé au travail que Chabouté avait réalisé sur New York en association avec notre ami commun CharlÉlie Couture ».

Tout commence dans une école du Queens, Benoît doit y apprendre les rudiments, les comportements à adopter, Quelques heures de cours, un examen, pas mal de paperasseries et de tracasseries et voilà notre homme au volant de sa voiture, prêt à découvrir New York jusque dans ses bas-fonds, à transporter hommes, femmes, riches, pauvres, malades, fous, violents, amoureux, bizarres, suffisamment pour accumuler mille anecdotes, autant de témoignages, et trouver des pistes pour le film qu’il pensait alors réaliser.

À New York, les taxis sont jaunes mais les pages de Chabouté sont en noir et blanc. C’est sa marque de fabrique, son ADN. « Le noir et blanc sert les histoires que je raconte. C’est l’outil idéal pour mettre une ambiance en place, pour créer une atmosphère », nous confiait l’auteur lors d’une interview en 2014 autour du diptyque Moby Dick. Et c’est encore plus le cas ici, chacune de ses planches est un délice de détails qui font le New York que nous connaissons tous, que nous fantasmons tous, un délice de détails et un délice de gueules d’atmosphères qui défilent à l’arrière du taxi. Ma Gni Fi Que !

Eric Guillaud

Yellow Cab, de Chabouté. Vents d’Ouest. 22€

© Vents d’Ouest / Chabouté