17 Déc

Sélection officielle Angoulême 2023 : L’artiste à mi-temps de Timothée Ostermann chez Sarbacane

Depuis qu’il a découvert que la bande dessinée ne s’arrêtait pas à Tintin ou Astérix et pouvait se décliner en autobiographie, le Strasbourgeois Timothée Ostermann n’a de cesse de raconter le quotidien, les gens ordinaires, en se mettant lui-même en scène histoire, assure-t-il, de mieux parler des autres. C’est encore ce qu’il fait ici avec cet album drôle et touchant sorti en août dernier…

Voilà une autobiographie qui devrait rappeler pas mal de souvenirs aux étudiants qui sont passés par la case de l’assistant pédagogique, du pion pour faire plus simple. Timothée Ostermann est de ceux-là. L’auteur, qui avait déjà partagé avec nous son expérience dans un supermarché Leclerc à travers un roman graphique intitulé Voyage en tête de gondole, reprend ici la plume et les pinceaux pour nous plonger dans l’univers d’un lycée professionnel situé quelque part en Moselle, un lycée qu’on peut aisément deviner dans un quartier assez défavorisé, « bien loin du bahut de campagne petit bourgeois de blancs », pour reprendre les mots du personnage principal.

On serait tenté de rire dans un premier temps à l’écoute et à la vue de la bande d’ados qui animent les couloirs, en se disant que Timothée Ostermann a volontairement grossi le trait et caricaturé la vie quotidienne dans cet établissement. Mais finalement, l’album est plus profond que ça et montre comment une partie de la population, et notamment au sein même de l’éducation nationale, est laissée sur le bas-côté de la route avec, pour les aider à s’en sortir, des jeunes venus parfois d’un autre milieu mais tout aussi précaires, comme Timothée Ostermann, alors artiste à mi-temps. 

L’album met le doigt sur les inégalités sociales qui rongent notre société, sur la misère dans toute sa « splendeur », économique, sociale et culturelle, qui favorise l’émergence du racisme, de l’extrémisme et du complotisme.

Pas de panique, on a quand même le droit de rire de certaines situations pour le moins cocasses. Un auteur à suivre de très près notamment pour son graphisme très personnel et son sens de la narration.

Eric Guillaud

L’artiste à mi-temps, de Timothée Ostermann. Sarbacane. 28€

© Sarbacane / Timothée Ostermann

16 Déc

Sélection officielle Angoulême 2023 : Michel, la fin, les moyens, tout ça… de Pierre Maurel

Avec un prénom pareil, on ne peut décemment pas s’attendre à vivre ici les aventures d’un super-héros. Michel n’en est pas un. Ancien reporter radio, la quarantaine bedonnante, râleur mais profondément humain, il agit à son niveau et avec les moyens du bord pour tenter de façonner le monde à son idée…

Allez hop, tout le monde à la campagne. Marre de la ville et de son agitation permanente, Michel et Béa ont dégoté un nouveau petit nid d’amour en pleine nature, loin de tout, loin de ce monde de dingue. Ou presque ! Car sur la toute petite route qui serpente à quelques mètres de chez eux, se succèdent d’énormes convois exceptionnels chargés de yachts plus luxueux les uns que les autres. La route semble leur appartenir au grand damne des riverains qui se voient régulièrement bloqués et parfois empêchés d’aller travailler. Sans compter les accidents et les dégradations permanentes.

Comment ont-ils obtenu l’autorisation d’emprunter cette route ? Les protestations auprès du maire du village ne donnent rien. Michel, en bon reporter radio, flaire dans cette absurdité de proximité l’opportunité d’une enquête de fond et rien, pense-t-il alors, ne pourra l’empêcher de révéler si besoin la vérité, toute la vérité…

Pierre Maurel est un habitué des nominations à Angoulême puisque trois de ses livres ont déjà concouru en 2007, 2009 et 2019. Celui-ci, sorti en février 2022, est donc le quatrième et peut-être le bon, c’est en tout cas ce qu’on peut lui souhaiter tant cette série baptisée Michel, débutée par un one shot en 2006 avant d’être relancée en 2018, peut parler à tous et toutes, avec un personnage principal qui nous ressemble et des aventures proches de nos préoccupations quotidiennes. Avec humour et finesse, Pierre Maurel porte un regard aiguisé sur notre société contemporaine et l’argent roi. Un trait léger et plein de vie, une galerie de personnages hyper-attachants et une histoire qui nous raconte quelque chose, militante sans en avoir l’air. Que du bonheur !

Eric Guillaud

Michel, La fin, les moyens, tout ça…, de Pierre Maurel. L’Employé du moi. 18€

 

© L’Employé du moi – Maurel

13 Déc

Bloodstar ou quand Richard Corben se frotte au papa de Conan et fait des étincelles

Après HP Lovecraft et Edgar Allan Poe, le grand prix Angoulême 2018 Richard Corben s’est aussi logiquement attaqué en 1975 à l’adaptation d’une œuvre du créateur de Conan le Barbare, Robert E. Howard. Le résultat est un Bloodstar crépusculaire, aujourd’hui enfin réédité plus de quarante ans après une première édition française dans la collection Métal Hurlant.

Extrait de la couverture © Delirium – Richard Corben & Robert E. Howard

Par contre, soyons clairs : même si c’est le nom de Howard qui l’on voit en premier sur la couverture, nous avons bien affaire ici à une œuvre avant tout dominée par Corben. Certes, dans les cas de Poe et Lovecraft, il avait approché le corpus avec révérence, mettant son art avant tout au service des textes originaux, véritables monuments de la littérature fantastique de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Or dans le cas de Bloodstar, et plus précisément de la nouvelle qui l’a inspiré La Vallée du Ver parue initialement en 1934, c’est comme si, à l’inverse, il avait décidé de s’attaquer volontairement à une œuvre mineure et peu connue afin de mieux la modeler à sa guise.

© Delirium – Richard Corben & Robert E. Howard

Après, il n’avait pas trop le choix non plus, vu que les éditions MARVEL avait déjà racheté (cher) les droits des personnages les plus connus de Robert E. Howard, en premier lieu Conan bien sûr mais aussi Kull… Cela dit, les thèmes étaient taillés pour lui : après un cataclysme qui a ravagé le globe, la Terre est revenue à l’état sauvage, les survivants étant revenus à une sorte d’âge de pierre, vivant désormais en tribu. Sur son lit de mort, un vieil homme raconte l’histoire de Bloodstar, homme banni par les siens pour avoir osé aimer une femme qui ne lui était pas destinée mais qui, pourtant, décide les sauver de l’extinction.

En soit, cette histoire contient la quintessence de ce qui a toujours été le fil directeur de nombreuses histoires de Corben : un héros solitaire, un destin tragique et solitaire auquel il ne peut se soustraire, la lâcheté des hommes, la transmission etc. En fait, le dessinateur a tellement retravaillé et tellement imprégné de son style l’histoire originale, aussi bien sur le plan graphique qu’en terme de dramaturgie, que la ‘patte’ pourtant en général assez imposante de Robert E. Howard s’efface très vite, lui laissant ainsi toute la place et lui permettant d’accoucher d’un roman graphique avant l’heure de haute volée.

© Delirium – Richard Corben & Robert E. Howard

Bloodstar est donc du pur Corben, superbement servi ici par un travail de reproduction aux petits oignons, mettant plus que jamais tous ses jeux d’ombres et de lumière qu’il affectionnait tant grâce à un noir et blanc classieux. Même lorsque le tout bascule dans l’horreur cosmique, le récit est toujours porté par une espèce de souffle quasi-hollywoodien, surtout dans les pages en préambule où il décrit l’agonie du globe. Oui, du grand Corben, dans une grande édition, encore une fois grâce aux éditions Delirium qui continue avec sérieux de réhabiliter en France depuis 2013 ce grand maître la bande dessinée américaine d’après-guerre.

Olivier Badin

Bloodstar, de Richard Corben & Robert E. Howard. Delirium. 25€

06 Déc

King Of Spies : il n’est jamais trop tard pour faire le ménage

En 2006, la scène d’ouverture du film Casino Royale saluait non seulement l’arrivée de Daniel Craig dans le rôle de James Bond mais aussi d’un nouveau ton, plus réaliste, plus violent. Oui, un agent secret doit se salir les mains, tuer s’il le faut et obéir aux ordres, les soirées cocktails et les belles voitures restant en option. C’est également le constat de la nouvelle série du créateur de Kingsman à la violence débridée.

C’est une des idées derrière King Of Spies, la nouvelle œuvre du scénariste Mark Millar qui s’y connaît rayon services secrets, lui qui nous avait tant amusés avec Kingsman et les adaptations ciné qui allaient avec. Les codes sont donc respectés : le protagoniste principal Roland King est une sorte de super-agent à l’aise aussi dans un club feutré un verre de cognac à la main qu’avec une arme à la main, il a accès à quantité de gadgets plus mortels les uns que les autres et malgré le fait que cette mini-série ne compte que quatre épisodes, elle comptabilise un nombre impressionnants de fusillades et de morts.

Sauf que King, dont les beaux jours sont derrière lui, apprend en préambule qu’il a une tumeur au cerveau et qu’il ne lui reste que six mois à vivre. Il se rend alors compte un peu tard qu’en plus d’avoir ruiné sa vie de famille et d’avoir des enfants qui soit ne le connaissent carrément pas, soit refusent de lui parler, il a aussi pendant trop longtemps accepté de faire le sale job pour des puissants qui ne voulaient se salir les mains et trop souvent obéi sans réfléchir, quitte à éliminer des innocents. L’heure est donc venue de faire le ménage et ça va saigner. Beaucoup.

© Panini Comics / Mark Millar & Matteo Scalera

En businessman désormais très avisé, Millar a désormais une méthode bien rôdée qu’il applique ici aussi : la vente d’un concept commun, télé ou ciné plus BD. King Of Spies a donc été simultanément été mis sur les rails pour une série prévue sur une grande chaîne de streaming et une bande dessinée, avec ici le très talentueux Matteo Scalera aux dessins.

Le résultat est très dynamique et très cinématique, sorte de script avant l’heure bien aidé par le style frénétique de Scalera, dont on avait déjà remarqué la patte sur le White Knight Presents : Harley Quinn. Cela va à 400 à l’heure et cela ne retient à aucun moment ses coups, quitte à (volontairement) tombé dans l’excès d’hémoglobine. Millar n’est d’ailleurs clairement pas là pour faire réaliste, d’où un (anti)héros pourtant sexagénaire échappant à des centaines de soldats surentrainés lancés à sa poursuite, sautant d’un avion en flamme avant de déclencher son parachute au dernier moment ou kidnappant le pape en plein Vatican. On a en fait affaire à une sorte de synthèse de James Bond, Mission : Impossible et Fast & Furious en mode zapping, avec une (vague) réflexion sur l’âge et ce que l’on choisit de laisser aux siens comme héritage. Oui, les deux ne vont pas vraiment ensemble et c’est vrai que sur ce second sujet, Millar ne fait pas vraiment dans la finesse.

© Panini Comics / Mark Millar & Matteo Scalera

Mais cela n’empêche le ‘produit’ King Of Spies de réussir son objectif, devenir l’équivalent BD de ces gros blockbuster américain style True Lies qui ont bercé notre adolescence. Sauf qu’il le fait sans s’embêter avec le politiquement correct, le résultat affichant d’ailleurs une violence graphique ne faisant pas dans la dentelle. Mention spéciale au duo de tueurs frère/sœur attachés ensemble car le premier a perdu ses jambes et la seconde ses bras à cause de King.

Pas sûr d’ailleurs que la série télé qui va en découler puisse se permettre autant et bonne chance pour trouver l’acteur qui réussira à incarner ce King plein de contradictions, viril en même temps que vieillissant, classieux mais aussi infect, tour-à-tour violent et attendrissant etc. Raison de plus pour profiter de la BD !

Olivier Badin

King Of Spies de Mark Millar & Matteo Scalera. Panini Comics. 19 €

28 Nov

Festival d’Angoulême 2023 : les nouveautés et les sélections officielles en un clin d’œil

Le Festival international de la bande dessinée tenait ce matin sa traditionnelle conférence de presse afin de présenter le programme complet de la prochaine édition, une édition exceptionnelle, la cinquantième, qui se tiendra du 26 au 29 janvier 2023…

Les affiches du festival d’Angoulême 2023

Cinquante ans ! Cinquante ans que le festival d’Angoulême nous en mets plein la bulle. Et ce n’est pas fini. Cette nouvelle édition a été imaginée, explique les organisateurs, comme « une préfiguration du futur du Festival. Un futur reposant à la fois sur l’identité et l’héritage culturel de l’événement et des innovations destinées à intégrer les évolutions de la relation du public à la bande dessinée (lesquelles viennent elles-mêmes croiser celles de la société).Il s’agit par conséquent d’initier des développements destinés à s’affirmer dans les années à venir, avec, toujours comme but ultime, de renforcer la fonction de médiateur du Festival au service du 9e art ».

Et les pistes sont nombreuses, notamment cette année verra le jour un quartier manga avec lieu d’exposition et espace scénographié accueillant l’offre éditoriale des éditeurs spécialisés, un quartier jeunesse, un espace autour du marché de l’art, de nouvelles productions sur la chaine Twitch du festival ou sur le compte Tik Tok, des podcasts…

De façon plus classique, le festival fera la part belle aux rencontres, aux expositions (50 ans d’Angoulême, L’Attaque des Titans, Julie Doucet, Marguerite Abouet, Bastien Vivès, Druillet…) et remettra ses traditionnels Fauves. Les albums sélectionnés pour la compétition officielle ont été dévoilés ce matin :

Sélection officielle

Animan, d’Anouk Ricard (Exemplaire)
L’Arabe du futur 6, de Riad Sattouf (Allary)
L’Artiste à mi-temps, de Timothée Ostermann (Sarbacane)
Au-dessus l’odyssée, de Jason (Atrabile)
La Cendre et l’Écume, de Ludovic Debeurme (Cornélius)
La Couleur des choses, de Martin Panchaud (Çà et là)
La Dernière Reine, de Jean-Marc Rochette (Casterman)
Eden, de Sophie Guerrive (2024)
Hoka Hey !, de Neyef (Label 619)
Ils brûlent 1, d’Aniss El Hamouri (6 Pieds sous terre)
L’Institut des Benjamines, d’Anne Simon (Misma)
Je viens de loin mais je repars bientôt, de Smits et Zwart (Même pas mal)
Khat, de Ximo Abadia (La Joie de lire)
La Maison nue, de Marion Fayolle (Magnani)
Le Manoir de Chartwell, de Glenn Head (Delcourt)
La Mer à boire, de Blutch (2024)
Merel, de Clara Lodewick (Dupuis)
Métax, d’Antoine Cossé (Cornélius)
Michel, la fin, les moyens, tout ça…, de Pierre Maurel (L’Employé du moi)
Naphtaline, de Sole Otero (Çà et là)
Peau, de Clément et Versyp (Çà et là)
Petar et Liza, de Miroslav Sekulic Struja (Actes Sud)
Les Pizzlys, de Jérémie Moreau (Delcourt)
Poisson à pattes, de Blonk (Pow Pow)
La Princesse du château sans fin, de Shintaro Kago (Huber)
La Revanche des bibliothécaires, de Tom Gauld (2024)
Roxane vend ses culottes, de Maybelline Skvortzoff (Tanibis)
Le Secret de la force surhumaine, d’Alison Bechdel (Denoël)
Se rétablir #1, de Lisa Mandel (Exemplaire)
Spa, d’Erik Svetoft (L’Employé du moi)
La Terre, le ciel, les corbeaux, de Teresa Radice et Stefano Turconi (Glénat)
T’zée. Une tragédie africaine, d’Appollo et Brüno (Dargaud)
Under Earth, de Chris Gooch (Huber)
Une rainette en automne, de Linnea Sterte (La Cerise)
La Voix de Zazar, de Geoffroy Monde (Atrabile)
Work-life-balance, d’Aisha Franz (L’Employé du moi)

Sélection Éco-fauve Raja

Être montagne, de Jacopo Starace (Sarbacane)
La Forêt. Une enquête buissonnière, de Claire Braud (Casterman)
Immonde !, d’Elizabeth Holleville (Glénat)
Planètes 1, de Makoto Yukimura (Panini)
Sous le soleil, d’Ana Penyas (Actes Sud – L’An 2)
Les Trompettes de la mort, de Simon Bournel-Bosson (L’Agrume)
Vega, de Yann Legendre et Serge Lehman (Albin Michel)

Sélection Fauve Polar SNCF

Colorado Train, d’Alex Inker (Sarbacane)
Le Dormeur, de Rodolfo Santullo et Carlos Aón (Ilatina)
Gauloises, d’Igort et Andrea Serio (Futuropolis)
Hound Dog, de Nicolas Pegon (Denoël)
Lost Lad London, de Shima Shinya (Ki-oon)
Meurtre télécommandé, de Paul Kirchner (Tanibis)
Reckless. Éliminer les monstres, de Sean Phillips et Ed Brubaker (Delcourt)

Sélection Patrimoine

Fabulosas, de Nazario (Misma)
Fleurs de pierre, de Hisashi Sakaguchi (Revival)
Journal, de Fabrice Neaud (Delcourt)
Là-haut, non !, de Filippo Scozzari (Presque Lune)
Love & Rockets : Maggie la mécano, de Gilbert et Jaime Hernandez (Komics Initiative)
Ras le bol, de Cardon (Requins Marteaux-Super Loto)
White Boy, de Garrett Price (2024)

Sélection Jeunesse

Aujourd’hui, de Loïc Froissart (L’Articho)
Ana et l’entremonde 1, de Cy et Marc Dubuisson (Glénat)
Boubou et ses amis, de Yoon-sun Park (Biscoto)
Boys Run the Riot, de Keito Gaku (Akata)
De cape et de mots, de Flore Vesco et Kerascoët (Dargaud)
Félixe et la maison qui marchait la nuit, de Sophie Bédard (La ville brûle)
Les Contrées salées, de Hope Larson et Rebecca Mock (Rue de Sèvres)
Derrière le rideau, de Sara Del Giudice (Dargaud)
Horimiya, de Daisuke Hagiwara et Hero (Nobi Nobi)
La Longue Marche des dindes, de Léonie Bischoff (Rue de Sèvres)
La Concierge du grand magasin, de Tsuchika Nishimura (Le Lézard noir)
Ranking of Kings 1, de Sosuke Toka (Ki-oon)
Récréation, de Victor Hussenot (La Joie de lire)
Le Super Week-end de l’océan, de Gaëlle Alméras (Maison Georges)
The Magic Fish, de Trung Le Nguyen (Ankama)
Toutes les princesses avant minuit, de Quentin Zuttion (Le Lombard)
Violette contre Diablot 1, d’Emilie Clarke (Biscoto)
Voleuse, de Lucie Bryon (Sarbacane)

Sélection Fauve des lycéens

Animan, d’Anouk Ricard (Exemplaire)
Les Pizzlys, de Jérémie Moreau (Delcourt)
Ils brûlent 1, d’Aniss el Hamouri (6 Pieds sous terre)
T’Zée, une tragédie africaine, de Brüno et Appolo (Dargaud)
Naphtaline, de Sole Otero (çà et là)
La Terre, le ciel, les corbeaux, de Stefano Turconi et Teresa Radice (Glénat)
Eden, de Sophie Guerrive (2024)
Khat : journal d’un réfugié, de Ximo Abadia (La Joie de lire)
Poisson à pattes, de Blonk (Pow Pow)
Hoka Hey, de Neyef (Label 619)

Sachez enfin que si vous vous êtes passionné de BD et résidez en Nouvelle-Aquitaine, vous pouvez devenir juré du Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2023. Toutes les infos sont ici 

Eric Guillaud 

20 Nov

Qatar, le lustre et l’orient : Une BD documentaire d’Emmanuel Picq et Victor Valentini à lire avant, pendant, et après la Coupe du monde de football

Alors que la Coupe du monde de football vient de débuter, vous vous demandez peut-être encore ce qu’est exactement le Qatar et pourquoi son choix pour organiser l’événement footballistique a soulevé tant d’indignations et de polémiques à travers le monde occidental. Cette bande dessinée d’Emmanuel Picq et Victor Valentini peut vous éclairer…

Extrait de la couverture

Petit par la taille mais grand par l’influence. Un territoire de 11.586 km2, soit à peine la surface de l’Ile de France, et un PIB de 128.702 dollars par habitant, ce qui en fait le pays le plus riche du monde. En quelques années, à peine un quart de siècle, le Qatar est devenu un pays qui compte sur la scène internationale au point de candidater aux grands événements mondiaux que sont les Jeux Olympiques, le pays est en lice pour 2032, et bien entendu la Coupe du monde de football dont il obtient l’organisation le 2 décembre 2010.

Bien sûr, pour le Qatar, les enjeux ne sont pas seulement sportifs, ils sont aussi économiques, politiques et sociaux… C’est une façon d’assoir le pays dans un contexte géopolitique complexe et explosif et de lui donner une place de choix à l’échelle planétaire.

C’est l’histoire de ce petit émirat devenu grand que raconte le livre de Victor Valentini et Emmanuel Picq et notamment l’histoire récente, son influence grandissante dans le monde, ses liaisons dangereuses, ses stratégies en matière de politique intérieure et extérieure… et bien sûr ce véritable défi qu’a été pour le pays l’organisation du Mondial.

Stades, hôtels, autoroutes, aéroports, métro… En une dizaine d’années, le pays a transformé le pays à coup de dizaines de milliards de dollars, une marche forcée sans grande attention pour l’environnement et les droits de l’homme, ce qui bien sûr lui a valu de virulentes critiques de la part d’ONG et de certains pays occidentaux.

Docteur en science politique, spécialiste de la péninsule arabique à l’université de Clermont Auvergne, Victor Valentini propose ici une approche hyper documentée, didactique, mais jamais fastidieuse du sujet avec une mise en images relativement classique et réaliste d’Emmanuel Picq.

Eric Guillaud

Qatar, le lustre et l’orient, de Victor Valentini et Emmanuel Picq. Delcourt. 17,50€

© Delcourt / Picq & Valentini

16 Nov

Primordial, l’odyssée de l’espace ?

Le nouveau projet du duo Jeff Lemire (Black Hammer) et Andrea Sorrentino (Green Arrow) les voit s’attaquer cette fois-ci à la science-fiction, avec un passionnant et psychédélique – même si très déroutant – récit remettant en cause l’un des mythes fondateurs de la conquête spatiale, sur fond de guerre froide.

Le point de départ de Primordial est digne d’un épisode de X-Files et plaira d’entrée aux amateurs de théorie du complot : et si Laïka, premier être vivant mis en orbite par les Russes en 1957, n’était pas morte comme on l’avait supposé ? Surtout qu’on n’a jamais retrouvé son corps, le satellite dans lequel elle voyagea s’étant consumé dans l’atmosphère.

Mieux : et si cette chienne bâtarde récupérée dans les rues de Moscou avait été au final enlevée par une intelligence supérieure et attendait, quelque part, de revenir sur Terre ? Quatre ans plus tard, un professeur du MIT nommé Donald Pembrook, recruté à la base pour le programme spatial, se retrouve embarqué malgré lui dans la recherche de la vérité par une chercheuse russe, le tout sur fonds de guerre froide et d’espionnage. 

© Urban Comics / Jeff Lemire & Andrea Sorrentino

Même si le scénario, paranoïaque à souhait, réussit bien à retranscrire l’ambiance étouffante et pleine de faux-semblants de cette époque si particulière, la vraie réussite de Primordial tient dans son parti pris graphique audacieux. En fait, on suit deux histoires en parallèle : d’un côté, la quête de la vérité de Pembrook et de l’autre, la quête de Laïka, avant, pendant et surtout, après son voyage, alors qu’elle retrouve Abe et Baker, les deux singes envoyés par les américains dans la foulée.

© Urban Comics / Jeff Lemire & Andrea Sorrentino

Or chacune a une identité graphique très forte et distincte. Comme pour renforcer son côté ‘John le Carré’, l’odyssée de Pembrook en RDA fait très roman graphique, avec des teintes très monochromes, chaque case ressemblant presque à des photos. Or autant cette facette-là est volontairement austère et froide, autant le destin du canidé est, à l’inverse, une explosion perpétuelle de couleur et de pages déstructurées, où chaque détail semble jaillir de la page. Le résultat est d’abord déroutant car autant ce choix audacieux donne aux animaux une humanité et une âme touchantes, autant l’être humain, terne et souvent presque sans visage, y apparaît comme froid et cruel. Avec en sous-texte, une condamnation donc sans équivoque de l’expérimentation animale…

Alternant donc moments assez austères et verbeux et récit soudainement éclaté et kaléidoscopique, Primordial est une uchronie déroutante, assez contemplative, très conceptuelle (quitte à ce que l’on perde parfois un peu le fil) et en même temps, très originale et cosmique. Un vrai OVNI, dans tous les sens du terme.

Olivier Badin

Primordial de Jeff Lemire & Andrea Sorrentino. Urban Comics. 21 €

Le Chant du temps inversé : une mélodie d’amour signée Galaad

Ceux qui baignent dans la culture niponne auront reconnu derrière ce titre le nom d’une mélodie de The Legend of Zelda, une mélodie qui permet de ralentir le temps. Et c’est un peu le cas de cet album paru chez Dupuis, il nous invite à freiner un peu et prendre le temps de vivre d’une histoire d’amour universelle entre deux ados qui partagent la même passion pour les mangas, les jeux vidéos ou les animes…

Lui, c’est Paul, 17 ans pour les filles, un peu moins pour de vrai. Elle c’est Pandora, 18 ans. Lui est lycéen, elle vient de lâcher l’université et travaille dans la librairie de son oncle en attendant de savoir quoi faire dans la vie. Le Chant du temps inversé est le nom de cette librairie. C’est précisément là qu’ils se rencontrent. Le courant ne met guère longtemps à passer entre les deux qui partagent la même passion pour les mangas, les jeux vidéos, les animes et peut-être une vision de la vie.

Deux coeurs tendres un peu paumés dans notre monde, deux coeurs tendres qui se découvrent peu à peu. Pandora, derrière son apparence désinvolte, insouciante et extravertie, est bouleversée depuis la mort de son père. Son chagrin est immense et l’empêche de vivre sa vie pleinement, de tomber amoureuse par exemple. Cela pourrait-il être différent avec Paul ? Qui sait !

Difficile de sortir indemne de cette histoire qui l’air de rien aborde une question essentielle dans notre vie : quand s’arrête l’amitié et commence l’amour ? Galaad le fait avec poésie et sensibilité dans cette histoire à la Roméo et Juliette contemporaine.

Connu pour être le seul Corse dans le monde des comics américains, dessinateur notamment de la série Scales & scoundrels, Galaad change de style et signe ici son premier album en tant qu’auteur complet. Et la seule chose qu’on a envie de lui dire, c’est de continuer sur cette lancée, de continuer à nous troubler, nous bouleverser. Un trait gracieux, des personnages plus qu’attachants, des dialogues sobres et justes, des silences qui disent beaucoup… Le Chant du temps inversé est un pur bonheur à partager avec ceux qu’on aime.

Eric Guillaud

Le Chant du temps inversé, de Galaad. Dupuis. 20,95€

© Dupuis / Galaad

11 Nov

Not a New York love story : une histoire d’amour belle et tragique signée Julian Voloj et Andreas Gefe

Un homme, une femme, et New York pour témoin, Julian Voloj et Andreas Gefe nous embarquent pour leur premier album aux éditions Sarbacane dans une histoire d’amour qui commence comme elle finit, mal…

Le titre est à lui seul déroutant. This is or this is not a New york Story ? Telle est la question qui finalement nous hante jusqu’au bout du bout de l’album. Tout commence dans un cimetière. Un homme se recueille devant une tombe, rentre chez lui et retrouve sa femme. Le problème, c’est que cette femme, on le comprend assez vite, est censée être morte dans un accident. C’est d’ailleurs devant sa tombe qu’il se recueillait.

Alors, est-ce un rêve ? Un souvenir ? Un léger surmenage comme le suggère sa psy ? Peut-être un peu des trois mais les faits se répètent. Sa femme réapparaît dans son appartement, partage son quotidien, l’accompagne lors de ses promenades dans New York, à Coney Island, ils se parlent, ils se tiennent par la main, s’enlacent, s’embrassent… puis elle se volatilise.

Hors de question de vous dévoiler ici-même la fin de cette histoire mais on peut tout de même vous dire qu’elle se termine là où elle a commencé avec une explication qui devrait répondre à vos interrogations tout en en suscitant de nouvelles. Un scénario habile, une fin inattendue, une mise en images somptueuse avec de grandes cases qui invitent pleinement à suivre les protagonistes, peu de dialogues, un trait léger et des couleurs douces, Not a New York love story est assurément une belle histoire d’amour dans le New York d’aujourd’hui, troublante et émouvante.

Eric Guillaud

Not a New York love Story, de Voloj et Gefe. Sarbacane. 22€

© Sarbacane / Voloj & Gefe

08 Nov

Picsou et Titeuf, deux personnages qui valent de l’or

À ma gauche, Picsou, canard milliardaire acariâtre et pingre, à ma droite Titeuf, gamin des années 90, curieux, turbulent et blagueur. Entre les deux, un océan et 45 ans, de quoi en faire deux personnages bien différents. L’un et l’autre ont pourtant accompagné des générations de lecteurs et célèbrent ce mois-ci leur anniversaire respectif dans deux albums en or…

75 ans. Et toutes ses dents… en or. Picsou, le canard le plus riche au monde, oncle de Donald Duck, a été imaginé par Carl Barks en 1947, le 9 décembre très précisément, dans l’aventure Noël sur le Mont Ours.

Pour célébrer cet anniversaire, et les 50 ans de Picsou Magazine par la même occasion, Disney a multiplié les événements en 2022 : numéro anniversaire, concours de scénarios, mise en ligne d’un escape game numérique… et cerise sur le gâteau, un hors-série collector tout en or pour clore cette année festive. Au sommaire : de l’inédit avec des aventures signées Fabio Celoni, Marco Gervasio et Stefano Zanchi, et du patrimonial avec le meilleur de Carl Barks et de Don Rosa.

Picsou Magazine en chiffres, c’est aujourd’hui 559 numéros, un tirage de 135.000 exemplaires par mois, une audience de plus d’un million et demi de lecteurs.

© Disney / Celoni

Lui n’est pas vraiment pingre, il serait même généreux, en tout cas en bêtises de toutes sortes. C’est un gamin né dans les années 90, un gamin comme beaucoup d’autres, qui découvre la vie, l’amitié, les filles, l’amour sous les traits de crayon de son papa, l’auteur suisse Zep.

Il a aujourd’hui 30 ans, et pas un cheveu blanc sur sa mèche, pas une ride au coin de l’œil, pas un problème d’arthrose ou de mémoire, Titeuf, c’est la jeunesse éternelle, la cour d’école à perpète, les blagues de mioches en mode infini et au-delà. L’éternelle jeunesse ? Enfin presque. Car avec le quatorzième album, Titeuf grandit et entre dans le monde de l’adolescence avec de nouveaux questionnements mais toujours le même regard d’enfant sur notre monde d’adultes un peu barré quand même.

© Glénat / Zep

Pour fêter ces trente premières années, Glénat et Zep sortent un magnifique ouvrage, un livre d’or, réunissant sur près de 160 pages des illustrations parfois inédites, des planches de Titeuf, des aquarelles, croquis, affiches, photographies, commentaires de l’auteur et témoignages d’amis tels que Tebo, Jean-Jacques Goldman, Bigflo & Oli ou encore Jean-Claude Camano, éditeur.

Titeuf aujourd’hui, c’est 17 tomes publiés, plus de 20 millions d’albums vendus dans 25 langues, une série animée pour la télévision en 2001, un long métrage 3D en 2011, des adaptations en roman, des jeux vidéo, des jeux de société… et beaucoup beaucoup d’humour.

Titeuf et Picsou, 30 ans d’un côté, 75 de l’autre, deux héros qui valent assurément de l’or !

Eric Guillaud

Hors-série Picsou magazine collector 75 ans. Disney. 8,99€

Titeuf, le livre d’or, Glénat. 25€