Si le titre Forgotten Blade sonne comme, au choix, un jeu vidéo des années 90 ou comme la digression littéraire d’un jeu de rôle, ce n’est bien sûr pas innocent. Surtout connu pour ses séries d’animation (Gotham, Gremlins) le touche-à-tout américain Tze Chun réalise ici un grand écart plutôt réussi entre fantasy et science-fiction.
Voici le royaume des cinq rivières, monde hybride aussi technologique que moyenâgeux. Ruza dit ‘le crasseux’ y noie son désespoir dans l’alcool en espérant, un jour, trouvant enfin un adversaire « à sa mesure » pour résister aux assauts de son épée magique, la lame oubliée. Noa, elle, est une chamane dont le seul désir est de sauver l’âme de ses enfants, assassinés. Seule solution : rencontrer le Patriarche, être mystérieux que personne n’a jamais vu et qui est pourtant vénéré ici dans cette société très cadenassée comme un dieu. Les deux unissent leurs forces pour infiltrer la Citadelle, lieu de résidence supposée du dieu tout en ayant l’Inquisition à leurs trousses.
Forgotten Blade est très dense, c’est peu de le dire. Le tout est pourtant ramassé en un seul volume, alors qu’il y avait ici sûrement matière à donner naissance à une vraie saga et cette première réussite est due à son rythme nerveux et sa science du récit. Mais surtout, l’histoire réussit à nous emmener avec elle, tout en racontant deux quêtes personnelles pas si distinctes que cela. En fait, les personnages principaux cherchent toutes les deux une forme de rédemption dans un monde où la foi a été pervertie par les personnes mêmes qui étaient censées la protéger, transformant ainsi le récit en procès du fanatisme religieux. Et ce alors que le tout s’achève, justement, sur un acte de foi…
Une grande partie de la réussite revient au dessinateur d’origine serbe Toni Fejzula : son style hachurée et crayonnée sert parfaitement le propos, autant dans son humanité que dans ses passages les plus grandioses. Dans ses moments les plus baroques, comme lorsque les deux conspirateurs traversent cette rivière des douleurs rouge sang, sa façon de découper les planches et de jouer sur plusieurs dominantes chromatiques amplifie le côté épique de l’action. Â noter un beau cahier graphique en bonus, soulignant la finesse de son trait.
Aussi beau graphiquement que complexe sur le plan scénaristique, Forgotten Blade est donc une œuvre homérique, désespérée et en même temps pétrie par cette croyance inébranlable en l’être humain. Un vrai, beau récit fantastique.
Olivier Badin
Forgotten Blade de Tze Chun & Toni Fejzula. TKO Studios & Ankama. 22,90 €