10 Mai

Quand Chabouté s’empare du musée d’Orsay !

Après une virée à New York avec son album Yellow cab, Chabouté retrouve le sol de France, sa capitale et plus précisément l’un de ses hauts-lieux culturels, le magnifique musée d’Orsay, pour un récit poétique, une fenêtre ouverte sur l’art et la perception que nous en avons…

« Pourriez-vous m’indiquer où se trouve la Joconde ? ». Pas de chance pour ce visiteur, la Joconde est au Louvre et non au musée d’Orsay. On en entend de belles ici, on en voit des pas mal aussi. Toute la journée, des milliers de personnes défilent dans les salles du musée, des amoureux, des solitaires, des jeunes, des vieux, des connaisseurs, des curieux, des taiseux, des bavards, des respectueux, des désinvoltes et même des méprisants, collant ici leur nez sur une peinture, passant là un revers de main sur la cuisse d’une statue, jugeant, s’émerveillant, s’interrogeant…

Et puis, il y a les œuvres, immobiles, muettes. Du moins jusqu’à la fermeture des portes et la tombée de la nuit. Commence alors un étrange ballet. Bustes, sculptures, peintures s’animent, se parlent, échangent sur leur quotidien, déclarent parfois leur flamme, rêvent du monde extérieur… avant de reprendre la pose pour une nouvelle journée.

C’est une visite comme vous n’en ferez jamais, une visite au cœur du musée d’Orsay où il n’y a pas la Joconde, certes, mais où l’on peut croiser l’âme de Daumier, Caillebotte, Manet, Degas, Renoir, Courbet… et tant d’autres. Une visite qui tel un miroir nous renvoie une image, l’image d’un monde, notre monde.

Ainsi, par la magie du trait, les visiteurs deviennent les curiosités du lieu au point de se fondre parfois dans le décor au même titre que les œuvres d’art. Considéré comme l’un des maîtres du noir et blanc en France, amoureux de l’art et des gens, Chabouté poursuit ici de très belle manière son exploration de l’imaginaire avec une bonne dose d’observation, d’humanité bien sûr et un brin d’humour. Et ça ne fait pas de mal par les temps qui courent !

Eric Guillaud

Musée, de Chabouté. Vents d’Ouest / Musée d’Orsay. 23€

© Vents d’Ouest / Chabouté

08 Mai

La Petite lumière de Grégory Panaccione : un grand rayon de soleil en librairie

Chacune de ses œuvres est un régal de poésie, d’émotion, de générosités graphiques et de trouvailles narratives. C’est encore le cas avec cette adaptation du roman d’Antonio Moresco baptisé La Petite lumière aussi mystérieux que poétique…

« Je suis venu ici pour disparaître dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant ». C’est par ces quelques mots et une image, une grappe de bicoques accrochées à la montagne, que s’ouvre La Petite lumière. Dans le rôle principal, un vieil homme qui compte attendre là le repos éternel, loin de tout, loin de tous. Chaque soir, il s’installe devant ce paysage comme d’autres le feraient devant un tableau ou le petit écran. Et chaque soir, il assiste à la même scène : une petite lumière s’allume à la nuit tombée. Toujours au même endroit.

« Qu’est-ce que ça peut bien être, qui peut bien l’allumer ? », se demande-il. Une lumière qui filtre d’une maison ? Un réverbère ? Au beau milieu des bois ? Poussé par la curiosité, notre vieil homme décide de se rendre sur place. Il y découvre une petite maison et dans cette petite maison, un enfant.

© Delcourt / Panaccione

On aurait pu croire l’affaire réglée, le mystère résolu. Mais non, au contraire. L’enfant semble vivre seul ici, prépare lui-même ses repas, fait son linge, ses devoirs et est inscrit dans une école. Mais pas la même que les autres enfants ! Pour le vieil homme commence alors une dernière aventure…

Toby mon ami, Âme perdue, Match, Un Océan d’amour, Chronosquad, Quelqu’un à qui parler… Qu’il intervienne en qualité d’auteur complet ou non, qu’il propose une adaptation de roman ou non, Gregory Panaccione nous émerveille à chaque fois de sa griffe unique dans le paysage foisonnant du neuvième art.

© Delcourt / Panaccione

Transfuge du dessin animé, Français vivant en Italie, il nous offre ici une merveilleuse adaptation du roman d’Antonio Moresco, La Petite lumière, La Lucina en italien, première traduction en français, Prix de la Librairie Nouvelle 2014 et Prix des Rencontres à Lire de Dax 2015. 

Habitué d’une franche économie de mots, certains de ses romans graphiques sont muets, Gregory Panaccione fait passer par son trait expressif et vibrant toute la poésie et le mystère du récit ou chacun de nous pourra puiser ou non réflexions autour de la vie, du sens de la vie, de la vieillesse, de la solitude, de la mort… Une belle pépite !

Eric Guillaud

La Petite lumière de Grégory Panaccione. Delcourt. 27,95€

05 Mai

Monkey Meat : de la monnaie de singe ?

Une petite bouchée de viande de singes pour le déjeuner ? Allez-y, c’est si bon, si populaire. Et leur patron est si sympathique… Une satire féroce et très colorée qui marque l’arrivée d’une future star, Juni Ba.

Entre deux gros pavés MARVEL rentabilisés avant leur atterrissage dans les bacs, c’est une bonne nouvelle de voir PANINI donner ainsi sa chance à de nouveaux auteurs, surtout avec des auteurs aussi atypiques et en même temps rafraichissants comme Juni Ba.

Originaire de Dakar mais établi en France, c’est pourtant aux Etats-Unis que cet artiste multicartes (dessin, scénario) a d’abord dû se faire la main. Moralité, Monkey Meat est sa première œuvre traduite en français. Mais c’est un vrai coup de cœur.

© Panini Graphic Novel / Panini

On parle ici du portrait d’une entreprise délirante ayant fait fortune en vendant de la viande de singe (d’où le titre) en boîte et vivant en vase clôt sur sa propre petite île. On tient évidemment là une critique assumée du capitalisme débridée mais aussi une critique drôle, acide même et surtout très pop. Son approche visuelle, s’inspire aussi bien des mangas que des tags urbains multicolores aperçus dans les rues de Dakar ou des artistes ‘déviants’ comme Mike Mignola, le créateur de Hellboy. Mais on retrouve aussi ici beaucoup l’influence de Jamie Hewlett, le papa de Tank Girl mais surtout de la partie graphique de Gorillaz : même explosion de couleurs et même façon d’alterner mouvements frénétiques et poses dramatiques, amplifiées par les mensurations décalées de ses personnages.

© Panini Graphic Novel / Panini

Au total, cinq petites histoires, cinq scénarios plutôt simples décrivant des dessous peu reluisants (expérimentations animales, conditions de travail déplorables etc.) laissant toute latitude à Ba pour se lâcher complètement sur le plan graphique, quitte à saturer des pages entières. Résultat, une espèce d’OVNI flamboyant, à l’éthique encore très underground et en même annonçant l’arrivée d’un vrai auteur à part. ‘Première fournée’ dixit l’accroche de couverture ? On attend la suite !

Olivier Badin

Monkey Meat – Première Fournée de Juni Ba. Panini Graphic Novel. 24 euros

01 Mai

Frontier de Guillaume Singelin : un sacré voyage vers l’infini et au-delà

Vous êtes littéralement tombé sous le charme d’Hoka Hey! sorti il y a quelques mois ? Alors vous le serez une fois encore avec cet album publié sous les mêmes couleurs du Label 619. Pas de virée dans l’Ouest américain cette fois mais une échappée dans l’espace, un récit SF tout aussi fin et intelligent et qui plus-est présenté dans un écrin des plus raffinés. C’est le nouvel album de Guillaume Singelin…

Décidément, le Label 619 fait fort. Très fort. Avec des séries comme DoggyBags et Mutafukaz de RUN, des one shot tels que Carbone & Silicium de Mathieu Bablet ou Hoka Hey! de Neyef, pour ne citer que ceux-là, le petit label a définitivement imprimé sa marque sur le monde du neuvième art via des albums qui allient à chaque fois le plaisir de la lecture et la beauté de l’objet.

Frontier les rejoint aujourd’hui. Près de 200 pages d’une histoire à dévorer, un voyage spatial qui a muri pendant plus de 10 ans dans la tête de l’auteur avant de se retrouver sur le papier, poussé qu’il fut par une envie folle d’explorer l’univers de la science-fiction tout en conservant son trait expressif pas forcément adapté au genre, son découpage nerveux, ses décors léchés et ses personnages aux proportions particulières qui font aujourd’hui son style.

Dès les premières pages se dégagent une atmosphère graphique et un ton singuliers, Guillaume Singelin nous embarquant ici pour la face cachée et bien sombre de l’exploration spatiale avec d’un côté le monde impitoyable des multinationales bien décidées à exploiter les ressources de l’univers après avoir épuisé celles de la planète Terre et de l’autre un trio de personnages attachants, Ji-soo, une archéologue galactique, Camina, une mercenaire rangée des affaires, et Alex, un mineur né dans l’espace, trois naufragés de la conquête spatiale partageant un point commun : le refus d’un monde sans âme, copie conforme de ce qu’il était devenu sur la planète Terre, mercantile, ultra-capitaliste, déshumanisé et peu regardant pour la nature, sa flore, sa faune.

Frontier est l’histoire de ces trois personnages et d’un petit singe, échappé d’un laboratoire de recherche, lancés dans une fuite en avant. C’est un grand récit d’aventure mais c’est aussi un récit engagé, un plaidoyer pour la cause écologique et animale, une ode à la nature, un appel à la résistance, bref une histoire qui cherche avant tout à nous faire réfléchir sur notre monde et nos comportements actuels… avant qu’il ne soit trop tard. Captivant !

Eric Guillaud

Frontier, de Guillaume Singelin. Rue de Sèvres – Label 619. 21,90€

© Rue de Sèvres / Singelin

22 Avr

Forgotten Blade ou partir à la rencontre de Dieu, l’épée à la main

Si le titre Forgotten Blade sonne comme, au choix, un jeu vidéo des années 90 ou comme la digression littéraire d’un jeu de rôle, ce n’est bien sûr pas innocent. Surtout connu pour ses séries d’animation (Gotham, Gremlins) le touche-à-tout américain Tze Chun réalise ici un grand écart plutôt réussi entre fantasy et science-fiction.

Voici le royaume des cinq rivières, monde hybride aussi technologique que moyenâgeux. Ruza dit ‘le crasseux’ y noie son désespoir dans l’alcool en espérant, un jour, trouvant enfin un adversaire « à sa mesure » pour résister aux assauts de son épée magique, la lame oubliée. Noa, elle, est une chamane dont le seul désir est de sauver l’âme de ses enfants, assassinés. Seule solution : rencontrer le Patriarche, être mystérieux que personne n’a jamais vu et qui est pourtant vénéré ici dans cette société très cadenassée comme un dieu. Les deux unissent leurs forces pour infiltrer la Citadelle, lieu de résidence supposée du dieu tout en ayant l’Inquisition à leurs trousses.

Forgotten Blade est très dense, c’est peu de le dire. Le tout est pourtant ramassé en un seul volume, alors qu’il y avait ici sûrement matière à donner naissance à une vraie saga et cette première réussite est due à son rythme nerveux et sa science du récit. Mais surtout, l’histoire réussit à nous emmener avec elle, tout en racontant deux quêtes personnelles pas si distinctes que cela. En fait, les personnages principaux cherchent toutes les deux une forme de rédemption dans un monde où la foi a été pervertie par les personnes mêmes qui étaient censées la protéger, transformant ainsi le récit en procès du fanatisme religieux. Et ce alors que le tout s’achève, justement, sur un acte de foi…

© TKO Studios & Ankama / Tze Chun & Toni Fejzula

Une grande partie de la réussite revient au dessinateur d’origine serbe Toni Fejzula : son style hachurée et crayonnée sert parfaitement le propos, autant dans son humanité que dans ses passages les plus grandioses. Dans ses moments les plus baroques, comme lorsque les deux conspirateurs traversent cette rivière des douleurs rouge sang, sa façon de découper les planches et de jouer sur plusieurs dominantes chromatiques amplifie le côté épique de l’action. Â noter un beau cahier graphique en bonus, soulignant la finesse de son trait.

© TKO Studios & Ankama / Tze Chun & Toni Fejzula

Aussi beau graphiquement que complexe sur le plan scénaristique, Forgotten Blade est donc une œuvre homérique, désespérée et en même temps pétrie par cette croyance inébranlable en l’être humain. Un vrai, beau récit fantastique.

 Olivier Badin

Forgotten Blade de Tze Chun & Toni Fejzula. TKO Studios & Ankama. 22,90 €

19 Avr

Replay Mémoires d’une famille de Jordan Mechner : parce que la vie n’est pas toujours un jeu vidéo

Comme une histoire qui se répète, Replay nous embarque sur un siècle de vies, d’amour et de haine, de rêves et de tourments, de création et de destruction, à travers l’épopée familiale de Jordan Mechner qui signe ici sa première bande dessinée. Un coup d’essai qui a tout du coup de maître…

Le nom de Jordan Mechner ne dit peut-être rien aux fans du 9e art et pour cause, il s’agit là de sa première bande dessinée. Mais si j’écris Prince of Persia, je vous vois tous, pour peu que vous soyez gameur dans l’âme, lever les mains et les yeux vers le ciel dans un même élan de révélation. Oui, Jordan Mechner est le créateur de ce jeu d’aventure et de plate-forme mettant en scène un prince qui tente désespérément d’atteindre la sortie de son château depuis maintenant 34 ans.

Ce jeu vidéo, c’est toute la vie de Jordan Mechner. Enfin presque toute sa vie. Parce que l’homme a bien évidemment eu une vie privée, familiale, amoureuse, qu’il partage ici en remontant sur trois générations dans un savant jeu de flashbacks.

De l’Autriche de la fin des années 30, que son grand-père finira par fuir pour rejoindre Cuba, à son installation à Montpellier pour le développement d’une énième édition de Prince of Persia, en passant par ses propres débuts de game designer à San Francisco ou la jeunesse de son père au Touquet pendant l’occupation allemande, Jordan Mechner raconte mine de rien un siècle de petites histoires bousculées par la grande, le nazisme, la guerre, l’exil ou la mort pour les juifs, l’exode, l’éclatement des familles, les bombardements, la peur, l’amour, l’intime et l’universel. Avec pour chaque génération, comme une répétition de l’histoire, un « replay » : l’expatriation.

Passionnant de bout en bout, Replay est aussi l’occasion de suivre les coulisses de la création d’un jeu vidéo culte comme Prince of Persia, et d’en découvrir les vicissitudes, le tout dans une mise image d’une très grande finesse. Magnifique !

Eric Guillaud

Replay, Mémoires d’une famille, de Jordan Mechner. Delcourt. 29,95€ (en librairie le 26 avril)

© Delcourt / Mechner

 

17 Avr

Les Fusibles de Safieddine et Doisneau ou l’histoire d’une transmission à l’épreuve de l’expatriation

Après Yallah Bye et Monsieur Coucou, le scénariste Joseph Safieddine, en compagnie ici du dessinateur Cyril Doisneau, s’appuie une nouvelle fois sur son histoire familiale et ses origines libanaises pour nous offrir une fiction plus vraie que nature sur la transmission et l’identité…

Ne cherchez pas le nom des deux pays dans lesquels se déroule cette histoire proposée aux éditions Dupuis, vous ne le trouverez pas. Le scénariste Joseph Safieddine l’a voulu ainsi avec un objectif clair : parler non pas du Liban et de la France, parce qu’il s’agit tout de même bien de ces pays-là, mais de sentiments universels.

De même, plutôt que de retracer sa propre histoire, l’auteur ayant des origines libanaises, Les Fusibles est construit comme une fiction mais une fiction qui sent le vécu à toutes les pages.

« Il me semble qu’en prenant une certaine distance… », explique Joseph Safieddine, « j’arrive mieux à cerner mon sujet. Finalement, la fiction me permet de parler de choses plus personnelles, de laisser l’inconscient s’exprimer, sans être inhibé par le besoin de coller à mon histoire familiale. La fiction, c’est très puissant ! Si j’écrivais une autobiographie, je risquerais d’être trop dans le contrôle ».

Et que raconte Les Fusibles ? Une histoire effectivement universelle d’expatriation, de déracinement, de transmission de culture, d’identité. Quand il était jeune, Abel s’était donné pour mission avec ses copains de remettre en marche les compteurs électriques lors des quotidiennes coupures de courant, une façon d’aider les gens du quartier, une façon aussi pensait-il de sauver son pays.

Pourtant, Abel finit par fuir ce pays, son pays, fuir la violence, les incertitudes économiques, les conditions de vie difficiles. Dans son pays d’accueil, il devient entrepreneur dans le domaine des réalités virtuelles avec un certain succès, il fonde une famille, a une fille. Un modèle d’intégration ! Jusqu’au jour où son ami de jeunesse Georges débarque et avec lui une foule de questions et de souvenirs. Mais aussi une mauvaise nouvelle : le père d’Abel est gravement malade…

Abel qui avait jusque-là joué les fusibles entre ses deux vies, ses deux pays, tenant chacune et chacun à bonne distance doit se résoudre à regarder son passé et transmettre un peu de son histoire, desa culture, de son identité à sa fille qui le réclame depuis tant d’années…

Un récit principalement en noir et blanc avec quelques touches de couleurs ici et là et dans un trait semi-réaliste, simple, rond et humoristique voulu pour alléger le propos. Une histoire universelle et intemporelle !

Eric Guillaud

Les Fusibles de Safieddine et Doisneau. Dupuis. 25€

© Dupuis / Safieddine & Doisneau

11 Avr

Plagiat! en version remasterisée : un sacré coup de jeune pour la BD de Goffin, Schuiten et Peeters

On aurait pu croire à un plagiat mais non, il s’agit bel et bien de la réédition dans une version remasterisée et sous pavillon Anspach du livre de Goffin, Schuiten et Peeters, publié en son temps aux éditions Humanoïdes Associés et couronné Grand Prix RTL de la meilleure BD en 1990…

C’est un temps que les moins de 20 ans et même les moins de 30 ans ne peuvent connaître, un temps où la ligne claire chère à Hergé et Jacobs revenait en force sous les pinceaux d’auteurs aussi talentueux que Swarte, Ted Benoit, Yves Chaland, Serge Clerc… et Alain Goffin que l’on retrouve ici dans une de ses œuvres majeures, Plagiat!, éditée originellement en 1989 aux éditions Humanoïdes Associés.

Comme il l’a déjà fait pour son album Le Réseau Madou que l’on présente comme un classique de la renaissance de la ligne claire, Alain Goffin offre ici une remasterisation complète de Plagiat! avec à l’arrivée des pages entièrement retracées, remises en couleur et relettrées. Un sacré lifting visible dès la couverture et rattrapant au passage quelques fautes de goûts propres aux années 80. Même la robe de chambre de notre héros pris un coup de jeune.

Plagiat! 1989 (Humanoïdes Associés) et Plagiat! 2023 (Anspach)

Du côté de l’histoire, signée par le tandem Schuiten et Peeters (Les Cités obscures), bien évidemment, rien n’a changé. Plagiat! raconte l’histoire d’un peintre, Chris Van Meer, dont le succès booste l’esprit créatif. Le monde des arts est à ses pieds, la gent féminine aussi. Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où un artiste sorti de nulle part devient la nouvelle coqueluche des amateurs avec des œuvres qui ressemblent étrangement aux siennes. Dans un geste de colère, Chris Van Meer détruit ses propres tableaux. Pour lui, c’est le début de la fin, une lente descente aux enfers commence…

Plagiat! 1989 (Humanoïdes Associés) et Plagiat! 2023 (Anspach)

Histoire intemporelle qui nous transporte dans le monde de l’art et notamment de l’art moderne Plagiat! retrouve ici incontestablement un nouveau souffle, rien ne laissant présager de son âge si ce n’est peut-être la houpette du personnage principal. Pour le reste, le plaisir de lecture est là et bien là, les couleurs se faisant un peu plus discrètes dans cette nouvelle version nous permettent d’admirer au mieux le trait d’Alain Goffin qui fait de cet album un trésor de la ligne claire. L’encart de sept pages qui concluait l’album et avait marqué les esprits en s’inscrivant comme une pièce du scénario est toujours présent, augmenté d’une dizaine de pages portant sur le livre, son histoire, sa renaissance et contenant moult illustrations, recherches graphiques, découpages…

Eric Guillaud

Plagiat!, de Goffin, Schuiten et Peeters. Anspach. 17€

© Anspach / Goffin, Schuiten & Peeters

10 Avr

Tintin de A à Z, un délicieux abécédaire signé Patrice Leconte

Vous pensez que tout a été dit et écrit sur l’œuvre culte d’Hergé ? Raté ! Le réalisateur des Bronzés Patrice Leconte a sorti sa plus belle plume pour nous concocter un abécédaire qui pourrait bien vous surprendre et vous amuser. Une approche très personnelle par un véritable inconditionnel des aventures de Tintin…

Patrice Leconte a un rêve : adapter Les Bijoux de la Castafiore au cinéma. Mais, comme il le reconnaît lui-même ici et là, l’affaire patine sérieusement pour de sombres et complexes histoires de droits.

En attendant de voir une Castafiore plus vraie que nature riant de se voir si belle en son miroir, Patrice Leconte se fait plaisir – et nous fait plaisir – avec ce petit abécédaire aussi délicieux que facétieux.

De A comme Alcazar à Z comme Zorrino, en passant par C comme Castafiore ou Cinéma, D comme Dupond Dupont, H comme Haddock ou encore W comme… comme… Whisky bien sûr, le réalisateur butine à l’envie dans la série culte pour s’arrêter sur des personnages, des expressions, des lieux, des insultes, des gags, des faits, des évidences ou non qui font tout le charme des aventures de Tintin.

Ajoutez à cela une plume alerte, un ton léger et drôle, une mise en page sobre et soignée, une iconographie judicieusement sélectionnée et finalement assez copieuse ainsi qu’une couverture qui nous ramène aux Bijoux de la Castafiore et vous aurez compris que cet abécédaire-là a toute sa place dans votre bibliothèque ou mieux sur votre table de chevet, que vous soyez tintinophile averti ou non.

Eric Guillaud

Tintin de A à Z, de Patrice Leconte. Moulinsart / Casterman. 19,95€

09 Avr

Gone with the Wind : l’adaptation d’un monument de la littérature américaine par Pierre Alary (INTERVIEW)

S’attaquer à un tel chef d’œuvre de la littérature et du cinéma réunis ne manque pas d’audace. Pourtant, Pierre Alary l’a fait et bien fait, nous offrant à l’arrivée un magnifique album au dos toilé rouge du plus bel effet…

Gone with the Wind. Autant en emporte le vent en bon français est une expression vieille comme le monde ou presque mais c’est surtout le titre d’un film de Victor Fleming sorti en 1939 et avant ça encore celui d’un roman de Margaret Mitchell paru en 1936.

L’adaptation que voici est le fruit d’un auteur séduit par le décorum du western ou plus largement du 19e siècle américain, époque qu’il a déjà pu aborder dans son album précédent, Don Vega, une variation autour du légendaire cavalier masqué Zorro.

Mais l’histoire n’est pas la même, pas question ici d’un justicier solitaire ou presque mais d’une jeune femme, Scarlett O’Hara, fille d’un riche propriétaire sudiste, élevée au milieu d’une armada d’esclaves plus dévoués les uns que les autres.

© Rue de Sèvres / Alary

L’histoire est connue, Scarlett O’Hara est amoureuse d’un certain Ashley Wilkes qui est promis à une autre femme. Durant des années, elle tente tout de même de le conquérir. Sans y parvenir. La guerre de Sécession passe par là, ruinant sa famille. Elle doit trouver de l’argent pour sauver la plantation, envisage un temps de devenir la maîtresse de Rhett Butler qui a des vues sur elle depuis longtemps mais finit par épouser l’ex-futur mari de sa sœur au porte-monnaie bien joufflu. Vous suivez ?

Bref, une histoire d’amour et de guerre, une histoire d’argent aussi dans un contexte de fin du monde ou plus exactement de fin d’un monde, celui du Sud esclavagiste.

Alors bien sûr, avec nos yeux et nos oreilles d’aujourd’hui, on peut juger le roman profondément raciste. L’éditeur de la version anglaise a d’ailleurs préféré ajouter dans la nouvelle édition du roman cet avertissement :

«Autant en emporte le vent comprend des éléments problématiques, notamment la romantisation d’une époque choquante de notre histoire et des horreurs de l’esclavageLe roman inclut la représentation de pratiques inacceptables, des représentations racistes et stéréotypées et des thèmes, une caractérisation, un langage et une imagerie troublants»

© Rue de Sèvres / Alary

De quoi nous refroidir ? De quoi refroidir toute velléité de lecture ou mieux d’adaptation ? Pour Pierre Alary, les choses sont claires. « Loin de moi l’idée de vouloir disculper Margaret Mitchell de quoi que ce soit mais j’ai pris cette histoire comme celle d’une famille avec une représentation du sud de l’époque et je pense une représentation d’une certaine forme d’opportunisme et de capitalisme ».

Si le livre n’est pas un chef d’œuvre de style comme le reconnaît Pierre Alary, son intérêt est ailleurs : « Ce sont les personnages qui m’ont donné envie de faire cette adaptation, le jeu entre Scarlett O’Hara et Rhett Butler, cette espèce de duel permanent, est exceptionnel. Et puis, oui, j’avais également envie de voir pourquoi il y avait tous ces débats autour du roman. Finalement, en tant que lecteur, je pense que tout ce qu’on reproche au livre est un peu exagéré, par rapport à des situations plus récentes aux États-Unis ou ailleurs, quand tu vois par exemple qu’on peut tuer des mecs dans la rue en s’asseyant dessus (affaire George Floyd, ndlr).

© Rue de Sèvres / Alary

« Ce qui est reproché au livre, c’est cette espèce de complaisance envers l’esclavagisme, le fait de montrer des esclaves plutôt heureux de leur sort. Mais il ne faut pas oublier, que ce roman est une représentation de la réalité, pas la réalité ».

Sans vouloir entrer dans la polémique, s’interroger sur un éventuel retrait du livre des catalogues, comme le fut le film de la plate-forme de streaming HBO Max au lendemain du meurtre de George Floyd, on peut légitimement s’interroger sur le travail d’adaptation. Pierre Alary est resté fidèle au roman mais avec nuance.

« Quand tu adaptes un livre, il est intéressant de sentir que tu as des choses à y mettre et à faire passer. J’ai par exemple tout de suite gommé cet accent « petit nègre » qui pour le coup me semblait humiliant, j’ai aussi évité certains mots qui me gênent de par mes convictions. Le second tome sera un peu plus politisé puisqu’on abordera des choses comme le KKK. Je vais passer par le personnage de Rhett Butler, qui est un peu la fenêtre sur le monde moderne, pour amener des choses qui me correspondent un peu plus »

© Rue de Sèvres / Alary

Passer d’un roman de plus de 1000 pages à une bande dessinée qui n’en comptera que 300 sur 2 volumes à l’arrivée est une belle performance que l’on peut doublement saluer ici, tant sur le plan du travail purement d’adaptation scénaristique que de la mise en image elle-même. Gone with the Wind, en anglais pour des histoires de droits, a été entièrement réalisé à l’ordinateur, ce qui confère à l’ensemble une belle homogénéité. Beau boulot !

Eric Guillaud

Gone with the wind, de Pierre Alary d’après le roman de Margaret Mitchell. Rue de Sèvres. 25€