28 Août

Pages d’été. Sultana : un album complètement rose mais pas vraiment Barbie

Si vous faites partie de ceux et celles qui doutent du message féministe véhiculé par le film Barbie, alors voici qui devrait vous remettre sur le bon chemin, Sultana a beau avoir du rose et que du rose sur toutes ses pages intérieures, le message ne fait ici aucun doute…

Sarah est une jeune Marseillaise de 35 ans, sans crush, sans enfants, sans chats, bref libre comme l’air. Enfin presque ! Elle doit tout de même travailler de temps en temps pour payer son loyer, un « boulot de merde » comme elle aime se le répéter. Sarah est livreuse.

« Et comment ça se fait que t’as pas d’enfant ? » 

La question revient comme un boomerang. Et un « petit mari pour l’année prochaine ? ». De quoi lui immiscer lentement le doute dans son esprit. Et si la finalité de la vie, c’était effectivement de faire comme la majorité des femmes ? Avoir un enfant, un homme, un foyer ?

Alors elle cherche l’âme sœur sur Tinder, elle teste, s’interroge, beaucoup, jusqu’au jour où une diseuse de bonne aventure lui suggère : « si tu arrêtes de te poser la question… et de te mettre la tête à l’envers… alors la question arrêtera d’être un problème ! ».

Ne plus se poser de question, prendre la vie comme elle est, comme elle vient, l’accepter et surtout s’accepter, ne pas chercher à faire comme la voisine. Voilà le message de Sultana, refuser le diktat de la norme, de la bienséance, s’offrir une autre vie, sa vie, en laissant parler ses aspirations plutôt que les injonctions d’une société forcément patriarcale.

Alors oui, toutes les pages de l’album, 144 au total, sont en noir et rose mais la couverture, elle, annonce la couleur, une histoire vraie avec des vrais préoccupations féministes sous le soleil de Marseille.

Eric Guillaud

Sultana, de Lili Sohn et Elodie Lascar. Steinkis. 22€

© Steinkis / Sohn & Lascar

26 Août

Pages d’été. Les Boules : une histoire d’amitié sur fond de série Z

Tout juste sortie aux éditions 6 Pieds sous Terre, la nouvelle production d’Antoine Bréda nous emmène sur le tournage d’un film érotico-fantastique des plus affligeants histoire d’explorer les thèmes de l’amitié et de l’amour avec légèreté et humour…

Dans les remerciements, l’auteur Antoine Bréda, écrit : « Merci à ma maman et mes deux soeurs qui même si elles n’aiment pas mes histoires, me soutiennent quand même ».

La formule est attendrissante mais on comprend que les histoires d’Antoine Bréda ou du moins cette histoire puissent déranger voire déplaire. De par le dessin toujours différent, toujours singulier, souvent simpliste mais charmant ou de par le scénario légèrement foldingue, une sombre histoire de tournage de film plus ou moins porno, plus ou moins SF, en tout cas plus nanar qu’autre chose avec un titre qui en dit long : Les Aventures d’Adrix le destructeur, empereur des 9 galaxies. Ça ne s’invente pas !

« Taisez-vous esclaves. Et excitez mon galactique phallus avec vos organes buccaux de l’espace »

Et au centre de cette joyeuse tambouille, un personnage, Fred, qui ne parvient pas à dire à sa dulcinée qu’il tient le premier rôle dans un film porno, pardon « un film ouvert d’esprit » comme dirait la réalisatrice. Alors, forcément, lorsqu’elle l’apprend par accident, qu’elle apprend par la même occasion l’existence d’une scène finale prévoyant qu’une sorcière urine sur son Fred jusqu’ici adoré, les choses ne peuvent que tourner vinaigre. Mais Fred et Anne, la fameuse réalisatrice, se sont jurés de donner vie à ce film au mauvais scénario écrit par un ami d’enfance récemment décédé.

Inutile de brandir le carré blanc, il n’y a aucune scène que la morale pourrait réprouver dans les 96 pages de l’album, non, simplement des hommes et des femmes habillés, et même costumés, tentant de mettre en boîte un film qui n’a assurément ni queue ni tête simplement par amitié…

Eric Guillaud

Les Boules, d’Antoine Bréda. 6 Pieds sous terre. 16€

© 6 Pieds sous terre / Bréda

22 Août

Pages d’été. Inoubliables de Fabien Toulmé, des histoires qui donnent le goût des autres…

Depuis 2014 et son premier album, Fabien Toulmé ne cesse de nous enchanter avec des récits toujours gorgés d’humanisme. Après Ce n’est pas toi que j’attendais, Les deux vies de Baudouin, L’Odyssée d’Hakim ou encore Suzette ou le grand amour, l’auteur revient avec Inoubliables, des tranches de vies racontées avec une empathie et une pudeur exemplaires.

Lorsque sort Ce n’est pas toi que j’attendais en 2014, personne ne connaît vraiment Fabien Toulmé, encore ingénieur le jour et auteur la nuit. Il a bien publié quelques travaux dans des magazines comme Spirou ou Lanfeust Mag et participé à l’aventure collective Les Autres gens lancée par Thomas Cadène mais rien de plus !

Dans ce premier long récit au titre particulièrement cinglant, Fabien Toulmé nous raconte sa relation avec sa fille trisomique, une autobiographie poignante qui va profondément marquer les esprits et pas seulement ceux confrontés de près ou de loin à ce handicap.

© Dupuis / Toulmé

Une petite dizaine d’années et une poignée d’albums plus tard, Fabien Toulmé s’est imposé dans le monde du neuvième art comme un auteur incontournable au travail reconnaissable entre tous, qu’il aborde la fiction, le témoignage ou la biographie. L’Odyssée d’Hakim parue en trois tomes a reçu en 2021 le Prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage, un prix mérité tant on y retrouve sa signature faite de tendresse, d’humanité, d’empathie et, je dirai, de simplicité, peut-être de pudeur.

© Dupuis / Toulmé

Inoubliables s’inscrit dans le même créneau que L’Odyssée d’Hakim, le projet est d’ailleurs né dans son ombre.

« J’avais planté les toutes premières graines il y a quelques années… », explique Fabien Toulmé, « en lançant des appels à témoin sur les réseaux sociaux. Je voulais travailler sur la parole, faire émerger des histoires pleines d’émotions comme on en porte tous. J’en ai donc recueilli un certain nombre mais ça me paraissait difficile d’en faire des albums complets. Et puis est arrivée ma rencontre avec Hakim, et là on a carrément fait trois tomes et plus de 800 pages. Les autres graines sont restées à terre… ».

Pas définitivement ! Ces graines ont fini par éclore donnant six témoignages d’hommes et de femmes récit dans ce premier tome, chacun racontant le moment le plus marquant de sa vie. Émilie, Marie, Grégory, Marine, Kévin, Beatriz, des gens comme vous et moi, des héros de l’ordinaire avec tous et toutes un parcours plus ou moins difficile, des traumatismes, des regrets, des loupés… jusqu’au jour où…

© Dupuis / Toulmé

Chacune de ces histoires aurait pu donner lieu à un album tant elles sont riches et pleines de leçons mais en les compilant ainsi dans un – premier – volume, Fabien Toulmé illustre aussi la diversité des parcours de vie, la diversité du monde et atteste de son goût pour les autres. Essentiel !

Eric Guillaud

Inoubliables (tome 1), de Fabien Toulmé. Dupuis. 23€ (en librairie le 15 septembre)

19 Août

Pages d’été. Oliphant, un incroyable récit de survie en milieu hostile

Paru en mars dernier, cet album de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier nous embarque pour l’Antarctique au cœur d’une expédition qui vire au cauchemar et ne trouve son salut que par la détermination d’un homme, le capitaine Oliphant. Nous sommes en 1914, tandis que la guerre fait rage en Europe, quelque part dans le pôle sud, des hommes se retrouvent seuls face à la nature, face à eux-mêmes. Une incroyable épopée inspirée d’une histoire vraie…

« Comme une amande dans une barre de chocolat ». C’est la situation dans laquelle se trouve le bateau du capitaine Oliphant parti pour l’Antarctique et finalement pris dans la glace. Rien de désespéré pour le capitaine qui en a vu d’autres, beaucoup d’autres. Il suffit juste d’attendre, d’hiverner, quelques mois et la glace devrait finir par se fragmenter et permettre à nouveau la navigation.

Mais la coque ne supporte pas la pression des plaques de glace. Et après quelques mois passés là au milieu de nulle part, le bateau finit par prendre l’eau et disparaître dans les abysses, laissant son équipage sur la glace.

Commence alors une autre histoire, une histoire de résistance physique et psychologique à la situation forcément critique et aux éléments extrêmes. Décidé à ne laisser personne mourir ici, le capitaine entraine ses hommes dans une traversée de la banquise longue et périlleuse suivie pour une partie d’entre eux d’une traversée de l’océan jusqu’à la Géorgie du sud d’où ils pourront organiser les secours…

© Futuropoliis / Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier

Ce récit signé Loo Hui Phang est inspiré d’une histoire réelle, celle d’Ernest Shackleton, grande figure de l’exploration en Antarctique, et plus précisément de l’expédition Endurance du nom du bateau, une expédition qui tourna au cauchemar mais de laquelle tout le monde revint vivant. Une épopée incroyable que Pascal Bertho et Marc-Antoine Boidin avaient déjà adapté en bande dessinée en 2009 mais dans un registre factuel et graphiquement réaliste.

Benjamin Bachelier, au dessin, propose quant à lui une approche beaucoup plus picturale frôlant à plusieurs reprises l’abstraction, un dessin à la gouache, des couleurs directes, un trait épais, spontané, nerveux, en mouvement, presque habité, des décors de glaces époustouflants et oppressants, tout est fait pour happer le lecteur, 250 pages à couper le souffle.

Oliphant est une grande aventure en terre hostile mais c’est aussi une aventure intérieure, une exploration de l’âme humaine à travers une galerie de personnages aux caractères trempés mais à la fragilité et à la peur évidentes face à la nature. « Tous les hommes ont une peur… », dit le capitaine Oliphant, « C’est la dépasser qui fait leur grandeur ».

Pure fiction ? Biographie cachée ? Documentaire ? L’album est un peu tout ça en même temps, Il propose aussi une approche scientifique avec l’explication de certains phénomènes naturels comme l’aurore polaire, la circulation thermohaline, le pôle magnétique ou encore les ondes de Rossby. Bref, un livre qui promet de l’évasion, de la réflexion et de l’instruction. Que demander de plus ?

Eric Guillaud

Oliphant, de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier. Futuropolis. 36€

17 Août

Pages d’été. Michel et la bataille des Dombarelles, une ode à la résistance en circuit court

Michel fait sa rentrée. Et pas à moitié ! Après Michel, la fin, les moyens, tout ça…, sorti en 2022, la petite maison d’édition L’Employé du moi publie le 18 août une nouvelle aventure de notre reporter baptisée Michel et la bataille des Dombarelles ainsi qu’une intégrale réunissant les trois premiers tomes de la série. De quoi se remettre en jambes pour la rentrée sociale…

Avec sa bouille ronde, son front dégarni, ses cheveux en pétard, ses grosses lunettes noires, sa bedaine et sa barbe de trois jours, Michel n’a pas franchement la tête d’un héros. Il n’a pas non plus l’étoffe d’un militant. Et pourtant !

Et pourtant, depuis maintenant 5 ans et autant d’albums, le personnage de Pierre Maurel transmet à travers ses aventures un regard affûté, critique et parfois amusé sur notre société contemporaine avec un fil rouge commun à tous les albums : la solidarité et la résistance.

Résister tous ensemble au rouleau compresseur du capitalisme, aux exploiteurs, aux affameurs, aux pollueurs, aux épuiseurs de ressources et plus largement aux emmerdeurs en tout genre qui profitent et s’enrichissent sur le dos des sans-papiers, des sdf, des smicards et des chômeurs.

Vous l’aurez compris, Michel, sans être un porte-étendard de la colère sociale est devenu au fil des pages, au fil des albums, un témoin de la colère qui gronde face à tous les désastres qui s’annoncent, économiques, sociaux, environnementaux.

Plus proche de l’anti-héros que du héros, un type finalement ordinaire, comme vous et moi, Michel résiste au rouleau compresseur capitaliste par des actions de proximité, des combats en circuit court, au bout du jardin, au coin de la rue, sur la colline d’en face.

Dans sa dernière aventure, Michel et la bataille des Dombarelles, notre reporter radio s’attaque à gros, très gros, une firme américaine détenue par le milliardaire Elon Musk, pardon Mölen Skum, désireuse d’exploiter le sous-sol de son village qui serait farci de zebrium, un minerai utilisé pour fabriquer des batteries. Dans la campagne, l’heure est au combat, une ZAD s’installe sur les terres pressenties par la société américaine…

Au fil des 80 pages du livre, on retrouve tout ce qui a fait le succès de la série, quatre fois sélectionnée à Angoulême tout de même, à savoir une bonne dose de critique sociale saupoudrée de comédie. Une bonne couche d’humanisme sur la sauvagerie du capitalisme !

Et pour tous ceux qui auraient loupé les aventures précédentes, L’employé du Moi publie concomitamment une intégrale réunissant les trois premiers albums, Les Temps modernes, Fils des Âges farouches et Le Grand schisme, bref une bonne petite après-midi de lecture.

Eric Guillaud

Michel et la bataille des Dombarelles, de Pierre Maurel. L’Employé du moi. 19€

Michel tête de cortège, intégrale de Pierre Maurel. L’Employé du moi. 29€

© L’Employé du Moi / Maurel

12 Août

Pages d’été. Judee Sill : le destin tragique d’une artiste oubliée

Sorti en avril dernier, l’album Judee Sill du tandem Canales – Iglesisas était passé en dehors de mon écran radar. Il faut dire que le nom de Judee Sill ne me disait absolument rien et que la couverture psychédélique ne m’avait franchement pas titillé l’œil. Et pourtant…

Mieux vaut tard que jamais, c’est donc à la faveur de l’été et d’un peu plus de temps de cerveau humain disponible que j’ai remonté cet album du fin fond de la pile de livres à lire urgemment pour enfin l’ouvrir et comprendre de quoi il parlait.

Judee Sill. Ce nom m’était parfaitement inconnu jusqu’à ce jour. Comme il l’était des auteurs avant que l’un d’entre eux ne tombe sur une recommandation Spotify et un morceau en particulier : The Kiss. Il n’en fallut pas plus pour que l’homme, Juan Díaz Canales pour ne pas le nommer, curieux devant l’éternité, commence des recherches au sujet de l’artiste, sans grand succès de prime abord.

« Toute sa vie baignait dans une espèce de brouillard, et les quelques îlots de lumière étaient souvent contradictoire », dira le scénariste.

Alors, Juan Díaz Canales mène l’enquête avec très vite l’idée de raconter son histoire en BD. « C’était même devenu une question de justice : je voulais la remettre en lumière ».

Avec ses parts d’ombre ! Car oui, Judee Sill ne fut pas qu’une musicienne talentueuse qui sortit deux albums au début des années 70 et connut une petite heure de gloire. Elle fût aussi au cours de sa jeunesse tumultueuse une braqueuse, ce qu’il l’amena en maison de redressement, elle se prostitua, elle fit de la prison, et surtout, elle fut addicte à toutes les drogues, ce qui finira par la perdre !

En 1979, alors qu’elle était sortie de tous les écrans radar, son corps est retrouvé à son domicile, Judee Sill serait morte d’une overdose. C’est là que commence et se termine l’histoire de cet album au scénario bâti sur le peu d’articles et d’interviews disponibles, un récit qui n’a nécessairement pas la prétention d’offrir une reconstruction fidèle de sa vie, tant les zones d’ombre sont nombreuses.

« C’est la raison pour laquelle… », explique Juan Díaz Canales, « la structure du livre essaye de refléter les difficultés que nous avons éprouvées. Elle illustre notre désorientation, notre déception, dans cette quête des différentes pièces manquantes du puzzle qu’est la vie de Judee Sill ».

Quoiqu’il en soit, entre reconstitution fidèle et comblements fictionnels, Juan Díaz Canales, scénariste de Blacksad et repreneur des aventures des Corto Maltese, signe ici un scénario solide, déroulant un chapelet de flashbacks à partir du décès de Judee Sill pour nous raconter ce destin hors du commun et pour le moins tragique.

Au dessin, son compatriote Jesús Alonso Iglesias propose un graphisme de caractère à l’image de l’artiste oubliée, un trait épais et saillant, des couleurs qui nous embarquent littéralement dans les années 70, psychédéliques à souhait, bref un album qui plaira à tous les amateurs de musique et bien évidemment de bande dessinée. Un bon moment de lecture et une artiste à redécouvrir !

Eric Guillaud

Judee Sill, de Jesús Alonso Iglesias et Juan Díaz Canales. Dupuis. 25€

© Dupuis / Iglesias & Canales

10 Août

Pages d’été. Le printemps prochain : portrait attachant d’une femme au foyer chinoise

C’est toujours avec une certaine fébrilité qu’on tourne les pages d’un nouveau titre des éditions çà et là tant la maison s’est fabriquée au fil des ans et des albums une sacrée réputation dans le milieu du neuvième art compilant des morceaux de vie d’ici ou d’ailleurs, d’Argentine ou d’Iran, du Maroc ou de Chine. Et c’est justement en Chine que nous convie Le Printemps prochain pour un portrait de femme tout en finesse et subtilité…

Le printemps prochain s’ouvre sur un portrait, une photo de mariage, deux silhouettes sans visage. Ce pourrait être chacun de nous, c’est ici la tante de l’autrice, une femme chinoise comme certainement des millions d’autres, posant aux côtés de son mari. C’est son histoire que raconte ce roman graphique.

Et c’est précisément par ce mariage que commence l’histoire écrite et mise en images par Liu Yun, un mariage arrangé comme cela se pratiquait majoritairement par le passé, de moins en moins aujourd’hui.

Pas de place pour les sentiments, peu importe la compatibilité ou non des caractères, l’existence ou non d’une attirance physique… le mariage est la norme sociale et la routine post-mariage de rigueur.

© Éditions çà et là / Liu Yun

« Toutes ces petites tâches qui remplissent les journées tombaient sur elle, comme une bruine incessante ».

Cuisine, ménage, linge… Ainsi se résume le quotidien de la tante, des corvées qui lui reviennent et dont elle s’acquitte avec volontarisme surtout lorsque la fête du printemps arrive et réunit toute la famille.

Elle met alors les petits plats dans les grands ne quittant plus sa cuisine tandis que les hommes fument et discutent au salon. Et s’il lui reste un peu de temps, la tante fabrique des pompons qui lui permettent de gagner un peu d’argent…

« Est-ce le bonheur qu’elle souhaitait, dans sa prison dorée ? », s’interroge la narratrice. Pas certain ! Elle accepte pourtant son sort et contribue à transmettre la tradition, s’inquiétant de savoir si les jeunes filles de la famille vont à leur tour bientôt se marier.

© Éditions çà et là / Liu Yun

Mais les temps ont changé. Les jeunes ne veulent justement plus se marier, encore moins avec une personne qu’ils n’ont pas choisie…

« Voilà à quoi ça sert que les filles fassent des études : elles ne veulent plus se marier ! », regrette la tante.

Au-delà de poser un regard tendre sur la vie de sa tante, Liu Yun met en lumière un monde qui change, à la fois fortement attaché à la tradition et confronté à une certaine modernité ou une modernité certaine, en tout cas une inéluctable libération des mœurs. Un portrait sensible et doux comme le printemps porté par un graphisme délicat, presque évanescent, et une mise en couleurs parcimonieuse mais judicieuse.

Ce premier roman graphique de Liu Yun est un travail de fin d’études, initialement publié en 2021 sur les réseaux sociaux, couronné par plusieurs prix dont le Prix du meilleur roman graphique des Comics Festival Awards de Pékin. Un second projet est en cours. Une autrice à suivre…

Eric Guillaud

Le Printemps prochain, de Liu Yun. Éditions çà et là. 20€ (en librairie le 18 août)

06 Août

Pages d’été. Les Philanthropes aux poches percées, l’imposante adaptation d’un classique de la littérature ouvrière par les soeurs Rickard

Vous n’avez peut-être jamais lu ou même entendu parler du livre de Robert Tressell paru au début du XXe siècle, alors voici une belle occasion de vous rattraper grâce à la bande dessinée de Scarlett et Sophie Rickard, une formidable adaptation qui montre combien les réflexions développées dans ce livre il y a plus de cent ans sont encore pertinentes de nos jours…

Roman posthume paru en 1914, Les Philanthropes aux poches percées est l’œuvre de l’Irlandais Robert Tressell, écrivain mais également peintre en bâtiment et décorateur qui exerça en Afrique du Sud et en Angleterre, notamment à Hastings.

Livre explicitement politique et socialiste qui inspira et inspire encore aujourd’hui nombre d’auteurs et de politiciens, même s’il est plus souvent recommandé que lu faute à sa densité et parfois sa complexité, Les Philanthropes aux poches percées se vendit à plus d’un million d’exemplaires faisant de lui le premier roman de la classe ouvrière. George Orwell, lui-même, le décrivit comme un morceau d’histoire sociale et un livre que tout le monde devrait lire. C’est dire !

© Delcourt / Robert Tressel, Scarlett & Sophie Rickard

Maintes fois réédité, porté au théâtre, à la radio, à la télévision, le voici aujourd’hui adapté en roman graphique, l’occasion pour nous tous de découvrir les idées développées par Tressell dans une version plus accessible mais fidèle à l’œuvre originale comme le précisent les autrices, les soeurs Scarlett et Sophie Rickard. Un très bel ouvrage de près de 350 pages édité avec soin par les éditions Delcourt en avril dernier qui nous dresse un tableau de la vie sociale, politique, économique et culturelle de la Grande-Bretagne au début du XXe siècle.

© Delcourt / Robert Tressel, Scarlett & Sophie Rickard

On y parle du monde ouvrier, de pauvreté, de religion, de Dieu, du capitalisme, d’oppression du peuple, de résistance, de lutte des classes, d’idéal socialiste… des thématiques qui entrent bien évidemment en résonance avec les questionnements soulevés dans notre société contemporaine.

« Nous avons choisi… », expliquent les sœurs Rickard dans une interview accordée au site Broken Frontier « d’adapter ces histoires en raison de leur pertinence durable et des messages poignants qu’elles contiennent pour les lecteurs modernes. Les histoires ont été écrites il y a plus d’un siècle, mais les thèmes sous-jacents sont tout aussi applicables à nos vies modernes ».

© Delcourt / Robert Tressel, Scarlett & Sophie Rickard

Parfaitement documenté avec la volonté affichée d’être historiquement irréprochable, merveilleusement mis en images avec une galerie de personnages incroyable, un trait réaliste en tout point minutieux et des clins d’œil à l’art graphique de l’époque, Les Philanthropes aux poches percées est une petite pépite qui se savoure page après page, doucement, tout doucement.

Tout commence dans une grande maison bourgeoise en pleine restauration à Mugsborough, petite ville imaginaire. À tous les étages s’échinent des ouvriers peintres sous l’œil d’un patron aucunement philanthrope. Le décor est planté. Au centre, un certain Owen qui va tenter d’éveiller tout ce beau petit monde à la politique et notamment à l’idéal socialiste…

Eric Guillaud

Les Philanthropes aux poches percées, de Scarlett et Sophie Rickard d’après le livre de Robert Tressell. Delcourt. 27,95€

04 Août

Pages d’été. Aquaman plonge au plus profond des abysses pour un délire visuel cauchemardesque

Soyons honnêtes : le personnage d’Aquaman n’a jamais été très populaire en France. Ne passez pourtant pas à côté d’Andromeda, variante horrifique sublimée par son approche visuelle hors norme et psychédélique.

Toujours dans l’ombre de Namor, l’autre roi des mers mais sous la bannière MARVEL lui, Aquaman fait partie de ces héros mal aimés ou mal compris. Les auteurs de cette nouvelle aventure semble l’avoir eux-mêmes intégré, car après une brève apparition dans l’introduction, il n’arrive qu’assez tardivement dans l’histoire et reste globalement assez mutique, presque en retrait. Non en fait, la vraie star ici, c’est la mer. Mais la mer comme un grand ensemble noir, méconnue, froid et surtout dangereux.

Après avoir détecté un objet volant non identifié s’abimer au milieu de nulle part dans l’océan pacifique avant de couler par 4,000 mètres de fonds dans un lieu nommé le point Némo, on découvre une structure extra-terrestre déjà sur place. Un groupe de scientifiques est donc envoyé incognito à bords d’un sous-marin expérimental pour découvrir ce qu’il en est et prendre contact avec de potentiels êtres venus d’ailleurs. Mais non seulement ce vaisseau tombé du ciel suscite pas mal de convoitise mais il a en plus réveillé quelque chose, tapie au fin fonds des océans. Une chose qui réveille ce qu’il y a de pire en nous et qui pousse Aquaman a revenir de son exil…

© Urban Comics – DC Comics / Christian Ward & Ram V

Assez classique dans la forme avec ses petits relents de X-Files et d’Independance Day, c’est vraiment dans la forme qu’Andromeda prend ses distances avec les comics standards. Graphiquement parlant, le dessinateur Christian Ward réalise ici une véritable performance. Son sens du décadrage et surtout ses couleurs très vives éclatent les pupilles et contrebalancent parfaitement son style sinon assez froid et calculé, donnant à chaque scène une ambiance propre.

En plus, comme le scénariste d’origine indienne Ram V mélange flashbacks, réflexions intérieures et hallucinations, on parcourt une bonne partie de l’histoire comme on parcourait un rêve. Ce qui ne fait d’ailleurs que renforcer la paranoïa ambiante, chaque personnage finissant d’ailleurs par douter de l’autre… Ou de lui-même. On parle bien d’horreur mais d’horreur psychologique, une horreur plus suggérée que montrée, ce qui la rend encore plus effrayante.

© Urban Comics – DC Comics / Christian Ward & Ram V

Andromeda est donc un choc visuel au service d’un récit complexe, mais aussi la réinvention très réussie d’un personnage a priori mineur de la galaxie DC Comics, confronté ici à une véritable menace cosmique qui parlera sûrement aussi aux amateurs de HP Lovecraft.

Olivier Badin

Aquaman – Andromeda de Christian Ward & Ram V. Urban Comics/DC Comics. 17 €

01 Août

Pages d’été. Ceux qui me touchent : de l’amour, de l’art et du cochon

Ne le cherchez pas dans l’immédiat sur les étals de votre librairie préférée, Ceux qui me touche ne sortira officiellement que le 23 août. Nous avons cependant eu le privilège de découvrir l’album en avant première, de quoi vous mettre l’eau et pourquoi pas l’art à la bouche…

Fabien rêvait de devenir artiste, il travaille finalement dans un abattoir, regardant défiler toute la journée des centaines de carcasses de cochons, la « grande fabrique de viande » comme il l’appelle. Aude, de son côté, bosse dans un hôpital public au service des soins palliatifs, à voir mourir les petits vieux les uns après les autres avec « de moins en moins de moyens pour les soulager ».

Bref, rien de vraiment folichon dans leur vie professionnelle. Et côté perso, ce n’est pas beaucoup mieux. Fabien et Aude ne se voient pas, se croisent à peine, juste le temps d’échanger quelques mots. Leur seule lumière ? Élisa, cette fille qu’ils ont eu tant de mal à avoir. Insémination artificielle, fécondation in vitro, plusieurs fausses couches et puis le miracle… Aujourd’hui, Élisa a 5 ans.

© Grand Angle / Marie & Bonneau

Alors bien sûr, avec la petite, plus question de jouer les artistes. Il faut payer le loyer, régler les factures. Pour Fabien, le boulot à l’abattoir qu’il pensait provisoire prend des allures de définitif. Jusqu’au jour où il tombe sur un cochon tatoué. Pas le genre de marque pour identifier l’éleveur, non, un tatouage, un vrai, réalisé avec une intention artistique. 

Ce cochon-là sera le dernier pour lui. Marre du sang, marre de l’odeur, marre de donner la mort. Fabien rend son tablier et embarque la bête, persuadé que celle-ci va changer le cours de sa vie…

© Grand Angle / Marie & Bonneau

Après Ceux qui me restent, un album réalisé en 2014 sur la thématique de la maladie d’Alzheimer, Damien Marie et Laurent Bonneau se retrouvent autour d’une histoire qui interroge, nous interroge, sur l’existence, le sens qu’on veut ou qu’on peut lui donner. On y parle de mal être au travail, de relation père-fille, d’amour, de destin, de changement de vie, d’engagement, de solidarité, de passion, d’art et de cochons, rien que ça, avec un scénario qui reste malgré tout très digeste et une mise en images singulière, un trait vif tendance croquis relevé par une bichromie évolutive. Une histoire qui devrait en toucher plus d’un !

Eric Guillaud

Ceux qui me touchent, de Damien Marie et Laurent Bonneau. Grand Angle. 24,90€ (en librairie le 23 août)