04 Août

Pages d’été. Aquaman plonge au plus profond des abysses pour un délire visuel cauchemardesque

Soyons honnêtes : le personnage d’Aquaman n’a jamais été très populaire en France. Ne passez pourtant pas à côté d’Andromeda, variante horrifique sublimée par son approche visuelle hors norme et psychédélique.

Toujours dans l’ombre de Namor, l’autre roi des mers mais sous la bannière MARVEL lui, Aquaman fait partie de ces héros mal aimés ou mal compris. Les auteurs de cette nouvelle aventure semble l’avoir eux-mêmes intégré, car après une brève apparition dans l’introduction, il n’arrive qu’assez tardivement dans l’histoire et reste globalement assez mutique, presque en retrait. Non en fait, la vraie star ici, c’est la mer. Mais la mer comme un grand ensemble noir, méconnue, froid et surtout dangereux.

Après avoir détecté un objet volant non identifié s’abimer au milieu de nulle part dans l’océan pacifique avant de couler par 4,000 mètres de fonds dans un lieu nommé le point Némo, on découvre une structure extra-terrestre déjà sur place. Un groupe de scientifiques est donc envoyé incognito à bords d’un sous-marin expérimental pour découvrir ce qu’il en est et prendre contact avec de potentiels êtres venus d’ailleurs. Mais non seulement ce vaisseau tombé du ciel suscite pas mal de convoitise mais il a en plus réveillé quelque chose, tapie au fin fonds des océans. Une chose qui réveille ce qu’il y a de pire en nous et qui pousse Aquaman a revenir de son exil…

© Urban Comics – DC Comics / Christian Ward & Ram V

Assez classique dans la forme avec ses petits relents de X-Files et d’Independance Day, c’est vraiment dans la forme qu’Andromeda prend ses distances avec les comics standards. Graphiquement parlant, le dessinateur Christian Ward réalise ici une véritable performance. Son sens du décadrage et surtout ses couleurs très vives éclatent les pupilles et contrebalancent parfaitement son style sinon assez froid et calculé, donnant à chaque scène une ambiance propre.

En plus, comme le scénariste d’origine indienne Ram V mélange flashbacks, réflexions intérieures et hallucinations, on parcourt une bonne partie de l’histoire comme on parcourait un rêve. Ce qui ne fait d’ailleurs que renforcer la paranoïa ambiante, chaque personnage finissant d’ailleurs par douter de l’autre… Ou de lui-même. On parle bien d’horreur mais d’horreur psychologique, une horreur plus suggérée que montrée, ce qui la rend encore plus effrayante.

© Urban Comics – DC Comics / Christian Ward & Ram V

Andromeda est donc un choc visuel au service d’un récit complexe, mais aussi la réinvention très réussie d’un personnage a priori mineur de la galaxie DC Comics, confronté ici à une véritable menace cosmique qui parlera sûrement aussi aux amateurs de HP Lovecraft.

Olivier Badin

Aquaman – Andromeda de Christian Ward & Ram V. Urban Comics/DC Comics. 17 €

01 Août

Pages d’été. Ceux qui me touchent : de l’amour, de l’art et du cochon

Ne le cherchez pas dans l’immédiat sur les étals de votre librairie préférée, Ceux qui me touche ne sortira officiellement que le 23 août. Nous avons cependant eu le privilège de découvrir l’album en avant première, de quoi vous mettre l’eau et pourquoi pas l’art à la bouche…

Fabien rêvait de devenir artiste, il travaille finalement dans un abattoir, regardant défiler toute la journée des centaines de carcasses de cochons, la « grande fabrique de viande » comme il l’appelle. Aude, de son côté, bosse dans un hôpital public au service des soins palliatifs, à voir mourir les petits vieux les uns après les autres avec « de moins en moins de moyens pour les soulager ».

Bref, rien de vraiment folichon dans leur vie professionnelle. Et côté perso, ce n’est pas beaucoup mieux. Fabien et Aude ne se voient pas, se croisent à peine, juste le temps d’échanger quelques mots. Leur seule lumière ? Élisa, cette fille qu’ils ont eu tant de mal à avoir. Insémination artificielle, fécondation in vitro, plusieurs fausses couches et puis le miracle… Aujourd’hui, Élisa a 5 ans.

© Grand Angle / Marie & Bonneau

Alors bien sûr, avec la petite, plus question de jouer les artistes. Il faut payer le loyer, régler les factures. Pour Fabien, le boulot à l’abattoir qu’il pensait provisoire prend des allures de définitif. Jusqu’au jour où il tombe sur un cochon tatoué. Pas le genre de marque pour identifier l’éleveur, non, un tatouage, un vrai, réalisé avec une intention artistique. 

Ce cochon-là sera le dernier pour lui. Marre du sang, marre de l’odeur, marre de donner la mort. Fabien rend son tablier et embarque la bête, persuadé que celle-ci va changer le cours de sa vie…

© Grand Angle / Marie & Bonneau

Après Ceux qui me restent, un album réalisé en 2014 sur la thématique de la maladie d’Alzheimer, Damien Marie et Laurent Bonneau se retrouvent autour d’une histoire qui interroge, nous interroge, sur l’existence, le sens qu’on veut ou qu’on peut lui donner. On y parle de mal être au travail, de relation père-fille, d’amour, de destin, de changement de vie, d’engagement, de solidarité, de passion, d’art et de cochons, rien que ça, avec un scénario qui reste malgré tout très digeste et une mise en images singulière, un trait vif tendance croquis relevé par une bichromie évolutive. Une histoire qui devrait en toucher plus d’un !

Eric Guillaud

Ceux qui me touchent, de Damien Marie et Laurent Bonneau. Grand Angle. 24,90€ (en librairie le 23 août)

26 Juil

Pages d’été. Future Shocks : quand Alan Moore faisait déjà du Alan Moore

Comme tout le monde, le scénariste Alan Moore a dû faire ses armes. Et quelle meilleure école que celle de 2000 AD, le magazine renégat anglais servant déjà de refuge au très cinglant Judge Dredd ? Toutes les premières histoires du maître sont désormais réunies dans un seul et même volume bien acide.

Avant la starification, avant le look de gourou mystique et avant Watchmen ou V Pour Vendetta, Alan Moore était un artiste complet, assurant à la fois les dessins mais aussi le scénario. Ce qui ne l’a pas empêché de galérer à imposer sa vision déjà assez complexe, même si très référencée. L’introduction très documentée qui ouvre cette rétrospective (une habitude chez Delirium) permet d’ailleurs de découvrir certains de ses dessins touffus publiés dans la seconde moitié des années 70 dans d’obscurs fanzines. On y découvre un Alan Moore dessinateur aimant beaucoup Métal Hurlant et ses plus célèbres auteurs comme Philippe Druillet. Le trait y est encore un peu hésitant mais les obsessions, qui bientôt formeront la clef de voûte de son œuvre, sont déjà bien présentes.

Victime en quelque sorte de son côté méticuleux, l’auteur s’est rendu compte à un moment que dessiner ne serait-ce qu’une seule planche lui demandait un temps fou et qu’il était beaucoup plus productif à l’écriture, d’où son choix à partir de 1980 de s’y consacrer. Cela tombe bien, le porte-étendard de la contre-culture BD outre-Manche, et avatar (assumé) de Métal Hurlant, 2000 AD est alors perpétuellement à la recherche de nouveaux talents. Il a même sa propre rubrique permettant de les ‘tester’, Future Shocks. Sur le modèle de La Quatrième Dimension par exemple, un Monsieur loyal extra-terrestre malicieux du nom de Tharg y présente des histoires en format court, au ton en général cinglant et ironique et à la conclusion bien souvent amère.

Les fans le savent, ce genre d’exercice est un grand classique de la bande-dessinée d’horreur et de science-fiction et on pourrait aussi citer Les Contes De La Crypte par exemple. Or Moore connaît ses classiques sur le bout des doigts, il en maîtrise déjà largement la grammaire et il se sent donc ici instantanément à l’aise. Autre gros avantage, il est assisté aux dessins par de jeunes aux dents longues (dont Ian Gibson et Alan Davis, futurs piliers du magazine) heureux de pouvoir profiter de l’espace de liberté offert par 2000 AD pour se lâcher complètement.

Les 32 récits signés par Alan Moore sous la bannière Future Shocks  et parus entre 1980 et 1983 constituent la moitié de ce recueil. Plutôt malins, ils prouvent combien il a excellé d’entrée à dépeindre cette petite galerie de monstres gesticulant dans des décors pourtant a priori galvaudés dans le genre comme la fin du monde, la dystopie ou encore la conquête intergalactique. Non seulement son humour (très) féroce colle parfaitement à l’état d’esprit frondeur du magazine mais en plus, il se permet, déjà, de rajouter ce petit surplus de méchanceté, jamais gratuite mais féroce. Pointent d’ailleurs déjà certaines des thématiques qu’ils explorent aujourd’hui, comme la vanité creuse de ses contemporains, le consumérisme à tout prix ou la bêtise crasse des militaires.

Mais au-delà de ce petit jeu de massacre assez réussi, la seconde partie du recueil va plus loin. Notamment en offrant une paire d’histoires centrées autour des paradoxes temporels. On y voit ce alors tout juste trentenaire commencer à s’affranchir de certaines règles de narration pour mieux tracer son propre sillon, avec une sorte de mélange frappant de poésie et de paranoïa parfaitement illustrée par l’histoire L’Homme Réversible où, comme son titre l’indique, le narrateur (re)vit sa vie à l’envers, jusqu’à retourner au néant dont il est issu.

Profitant d’une superbe restauration classieuse, nous avons là la preuve supplémentaire que 2000 AD recélait dans les années 80 un incroyable vivier de talent mais aussi qu’Alan Moore a su très tôt faire ce petit pas de côté qui le différencie de ses contemporains. Un petit bijou de SF corrosif !

Olivier Badin

Future Shocks : L’Intégrale d’Alan Moore et collectif. Delirium. 26 €

© Delirium / Moore

23 Juil

Pages d’été. Vermines, un voyage sous tension dans les coulisses de la réalité

Après In Memoriam, le scénariste Mathieu Salvia poursuit son chemin aux éditions Dupuis avec une nouvelle série baptisée Vermines, un thriller fantastique admirablement mis en images par Johann Corgié…

Marcus Garner n’a rien d’un ange ! Mais alors vraiment rien. Membre d’un gang de la Nouvelle-Orléans, le jeune-homme a toujours eu la gâchette facile. De quoi lui assurer une mort précoce. Et de fait, un beau jour, Marcus se fait à son tour tuer par balles au volant de sa voiture. Pas de place au paradis, direction l’enfer ou du moins une autre forme d’enfer, un monde parallèle, caché, que l’on appelle les coulisses de la réalité et où évoluent sorcières, monstres et autres bestioles peu sympathiques.

Pris en charge par une vermine, une vraie, Marcus va devoir apprendre à vivre et survivre dans cette autre réalité en espérant un jour retourner d’où il vient…

Pas le temps de souffler dans ce premier volet de Vermines, Mathieu Salvia dont on a déjà pu mesurer l’efficacité de l’écriture dans l’album In Memoriam publié aux mêmes éditions Dupuis signe ici un scénario dense mêlant action, fantastique, gore et humour dans le décor d’une Louisiane éternelle magnifiquement restituée par le trait hyper-dynamique et assuré de Johann Corgié.

Eric Guillaud

Vermines tome 1, de Mathieu Salvia et Johann Corgié. Dupuis. 15,50€

© Dupuis / Salvia & Corgié

22 Juil

Pages d’été. Family Tree : un récit sur la famille entre thriller paranoïaque et fable écologique

Comment réagir en tant que famille face à l’adversité et la maladie dans un monde sur le point d’imploser ? Après Little Monsters, le scénariste Jeff Lemire questionne une nouvelle fois les liens familiaux avec, en fond de toile, la société américaine de la fin des années 90 et sa dépression ambiante.

Un ‘family tree’, cela veut dire avant tout dans la langue de Shakespeare ‘arbre généalogique’. Cette expression fait donc référence à nos racines : d’où venons-nous ? Qui sont nos ancêtres ? Que nous ont-ils transmis comme patrimoine génétique et autre ? Une thématique nous amenant très rapidement à la notion de famille, de nos liens nous unissant à nos parents mais aussi, plus globalement, à la société dans laquelle tout cela s’inscrit.

Le rapport avec ce graphic novel, signé par le très côté Jeff Lemire, dont on vous vantait déjà les mérites il n’y a pas si longtemps avec le premier tome 1 glaçant de la série Little Monsters aux thèmes assez proches ? Et bien même si ce récit nerveux est avant tout un road trip ancré dans une ambiance post-apocalyptique et violente, c’est avant tout l’histoire d’une famille. Complètement dysfonctionnelle, monoparentale, avec un père ayant officiellement déserté les siens, un adolescent en échec scolaire et un grand-père réapparaissant soudainement… Mais une famille quand même.

© Panini Graphic Novels / Lemire et Hester

Tous se retrouvent lorsque la petite dernière, Megan se retrouve soudainement atteinte par une maladie la transformant peu à peu en arbre. Difficile de comprendre ce qui lui arrive, surtout lorsque les membres d’une secte obscure, armés jusqu’aux dents, tentent à tout prix de lui faire peau, persuadés qu’elle provoquera la fin du monde si elle survit. Une seule solution : courir, toujours et encore. Et essayer de tendre l’oreille pour entendre le père de la petite fille, mort mais pas vraiment car vivant par l’intermédiaire d’une main-arbre greffée sur le bras du grand-père…

© Panini Graphic Novels / Lemire et Hester

Bien sûr, présenté comme ça, cela ressemble un peu à un grand n’importe quoi. Mais en fait non, malgré de nombreux allers-retours chronologiques dans sa seconde partie et des hommes-arbres ressemblant beaucoup trop aux Ents, ces créatures sorties de l’imagination de Tolkien pour Le Seigneur Des Anneaux. Au bout du récit, il n’est pas évident non plus de savoir exactement quel est le propos de Lemire : thriller paranoïaque ? Fable écologique ? Récit sur la famille ? Un peu de tout ça en fait. Mais aussi complexes soient-ils, les rapports humains sont forts ici. Et les personnages ont chacun le temps de se développer à leur rythme, d’affronter leurs propres démons et donc de devenir attachants, notamment grâce au trait fin de Phil Hester mais aussi à l’écriture de Lemire. 

Olivier Badin

Family Tree de Jeff Lemire et Phil Hester. Panini Graphic Novels. 32

21 Juil

Pages d’été. Marée blanche : une histoire stupéfiante sur toute la ligne

Qui n’a jamais rêvé de tomber sur un trésor, le genre de trésor qui peut vous changer la vie pour l’éternité et au-delà ? C’est précisément l’aventure arrivée à Théo, Laurent, Paul et Jordan, quatre marins pêcheurs de l’Ile d’Yeu. Mais ce trésor-là va très vite se révéler encombrant…

Encombrant ? Très encombrant ! L’histoire commence au large de l’Ile d’Yeu sur un petit bateau de pêche baptisé Fargo. Théo, Laurent, Paul et Jordan sont partis comme tous les jours ou presque exercer leur métier de marins pêcheurs quand ils aperçoivent en pleine mer, flottant sur l’eau, une quarantaine de ballots qui se révèleront être autant de kilos de drogue. De la blanche !

« Ça représente un paquet de pognon tout ça… », se disent-ils, une fois les ballots remontés à bord. Un paquet de pognon et surtout un paquet d’emmerdes.

À vue de nez, 2 millions d’euros, pas moins, une petite fortune pour nos quatre lascars qui auraient mieux fait de remettre tout ça à l’eau. Mais que voulez-vous, la tentation est trop grande…

« Vous comprenez ? C’est pas notre métier qui nous fera rouler sur l’or, nous… avec les traites du bateau et de la maison à payer… »

Mais on ne s’improvise pas dealer, encore moins dealer en gros et les regrets risquent bien d’être éternels pour tous les membres de l’équipage…

Il suffit d’ouvrir un journal de temps en temps pour comprendre que les marées blanches, autrement dit les échouages de ballots de cocaïne sur nos côte, sont finalement assez régulières. Gaël Séjourné s’en est inspiré pour nous offrir un polar qui finit forcément pas très bien mais non dénué d’humour. C’est à la fois léger et un peu féroce, un scénario bien bâti, un dessin réaliste de bonne facture, des couleurs qui nous plongent sous le soleil vendéen. Bref, une bonne lecture pour la plage…

Eric Guillaud 

Marée blanche, de Gaël Séjourné. Delcourt. 15,95€

© Delcourt / Séjourné

10 Juil

Pages d’été. Red Room, le gore ultime jusqu’au malaise

La culture snuff movies, la violence gratuite et la fascination qu’elle exerce sur nous. Voici le terrain très sensible sur lequel Ed Piskor (Hip Hop Family Tree) ose s’aventurer ici, nous tendant un miroir révélant nos pires pensées, non sans une certaine complaisance…

Jusqu’au malaise. En plus de repousser un peu plus les limites de ce qui est acceptable ou pas dans le cadre d’une bande dessinée, l’auteur américain Ed Piskor joue avec son lecteur, tel le réalisateur controversé Gaspard Noé avec son très perturbant film Irréversible : est-ce que tu vas oser ? Oui, vas-tu aller jusqu’au bout de ce récit éprouvant ? Allez, avoue, n’es-tu pas un peu voyeur, et donc complice ? Ces questions-là, Red Room les balance d’une façon faussement négligente sur la table avant de nous regarder d’un air sardonique, nous défiant d’apporter une réponse…

Ces ‘chambres rouges’ évoquées dans le titre, ce sont ces salons virtuels, accessibles uniquement sur le dark web où, après avoir payé en bitcoins, des internautes peuvent assister et même commander à distance des séances de tortures… Voire plus. Mythe urbain ? Théâtre grand guignol où des acteurs ou actrices prétendent souffrir pour soutirer le maximum d‘argent à leurs cliente en recherche de sensations fortes ? Ou véritable zone de non-droit où les pires pulsions peuvent être assouvies ?

© Delcourt / Ed Piskor

Dans le récit de Piskor, ces antichambres de l’enfer existent bien. Pire, elles sont montées comme de véritables entreprises où seuls comptent les profits et comment satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante. Dans ce premier volume (sur trois prévus), on retrouve quatre histoires indépendantes et en même temps interconnectées. Quatre récits très perturbants, pas uniquement à cause de ce style graphique en noir et blanc rappelant autant Vince Locke que, bizarrement, une sorte de Robert Crumb réactualisé et où la violence est plus que stylisée, même sublimée.

© Delcourt / Ed Piskor

Non, le plus dur est d’accepter (ou pas) de s’en prendre plein la tronche. Pas étonnant d’ailleurs que le tout ait été carrément interdit dans plusieurs pays. Piskor ne prend aucune pincette, met la triple dose de gore et martyrise à l’extrême le corps humain, tout en plaçant ci et là des références à la culture horrifique avant tout cinématographique (Hostel, Saw, Massacre à la tronçonneuse etc.) comme si il lui fallait prouver malgré tout quelque chose. Autre élément du malaise : aucun personnage à sauver, ou presque. Tous sont vils, détestables, haineux et en même temps minables, jusqu’à la nausée.

© Delcourt / Ed Piskor

Red Room – Le Réseau Antisocial est une véritable épreuve. Et en même temps, rarement bande dessinée n’est allée aussi loin dans l’exploration de la partie la plus bestiale et la plus haineuse de la psyché humain. Mais il est dur, voire impossible, de savoir ici où s’arrête la dénonciation et où commence la complaisance gratuite et malsaine. Mais c’est probablement le but… Il faut donc choisir son camp lecteur, te voilà prévenu. Et attention à ne pas glisser sur les hectolitres de sang et les viscères qui tapissent le sol.

Olivier Badin

Red Room – Le Réseau Antisocial d’Ed Piskor. Delcourt. 23,95 €

Pages d’été. Monsieur Apothéoz ou la poisse de père en fils

Il n’y a pas de date de péremption pour les bons bouquins et celui-ci, sorti il y a un peu plus de six mois, en est assurément un. Pour leur première collaboration, Julien Frey et Dawid nous offrent une comédie savoureuse au casting bien senti. En route pour la poisse…

Théo Apothéoz est né sous une mauvaise étoile, du moins en est-il persuadé. Il faut dire que dans la famille, on s’est spécialisé dans la tragédie depuis plusieurs générations. Précisément, depuis que l’arrière-grand-père a décidé de quitter son île grecque d’Agormós pour la France.

Malchance, guigne, poisse… mais attention pas la poisse du quotidien, plutôt la poisse des grands jours.

© Vents d’Ouest – Frey & Dawid

« Tout ce que nous entreprenions se terminait par une magnifique catastrophe ». Alors, pourquoi s’évertuer à avoir des rêves, des projets ? Théo se laisse porter, vit de petits boulots, loge dans l’appartement de son père devenu alcoolique, pense un temps changer de nom pour conjurer le sort avant que la justice rejette sa demande et lui conseille d’aller de l’avant.

Aller de l’avant, c’est bien là le souci de Théo. Il en est incapable, comme paralysé. Et côté amour, c’est pire encore. Théo n’a pas été capable de déclarer sa flamme à celle qu’il aime depuis toujours, la belle Camille. Et de s’en mordre les doigts…

© Vents d’Ouest – Frey & Dawid

Et la vie passe ainsi jusqu’au jour où son père meurt brutalement. Pas le temps de sombrer dans le chagrin, l’appartement était en viager. Si l’acquéreur apprend le décès, Théo est à la rue. De quoi finir cette histoire en apothéose ? De quoi surtout le secouer un bon coup et secouer en même temps la poisse qui lui colle à la peau depuis sa plus tendre jeunesse…

Sorti en janvier de cette année, Monsieur Apothéoz est un délice de comédie sucrée-salée qui amuse mais surtout amène à réfléchir sur la vie, notre vie, entre réussites et échecs, espoirs et désillusions.

Eric Guillaud

Monsieur Apothéoz, de Julien Frey et Dawid. Vents d’Ouest. 19€

09 Juil

Pages d’été. Harry Dickson, la résurrection d’un héros

Même si ses aventures à l’anglaise peuvent avoir parfois un petit côté suranné, Harry Dickson a le charme discret de ces héros intemporels, indémodables. Doug Headline, Luana Vergari et Onofrio Catacchio ne s’y sont pas trompés en décidant de lui redonner vie dans une nouvelle adaptation en bande dessinée. Un premier album réussi…

Il a un nom qui sonne comme un promesse d’enquête policière trempée dans l’encre du fantastique, Harry Dickson, le personnage apparu dans une série policière néerlandaise au début du XXe siècle, repris et rendu célèbre par le romancier belge Jean Ray a connu plusieurs adaptations en BD, une première aux éditions Dargaud de 1986 à 2003 avec Christian Vanderhaeghe et Pascal Zanon aux manettes, une seconde chez Soleil Productions de 1992 à 2008 avec Richard D. Nolane et Olivier Roman, sans compter la série Dick Hérisson, dessinée et scénarisée par Didier Savard et présentée comme un hommage plus qu’une adaptation de l’œuvre de Jean Ray.

Cette nouvelle série inaugurée avec l’épisode Mysteras est donc la troisième véritable adaptation des nouvelles, Doug Headline, Luana Vergari et Onofrio Catacchio réunissant avec bonheur tous les ingrédients qui ont fait la renommée de l’œuvre, à savoir du crime, de l’énigme et une bonne dose de fantastique, avec en bonus une mise en images sublime, élégante, proche de la ligne claire, et une palette de couleurs rétro qui contribue largement à l’atmosphère diabolique du récit. Certains penseront aux aventures de Blake et Mortimer, d’autres à celles de Fantomas mais Harry Dickson gagne ici ses propres galons et n’a franchement pas à souffrir de la comparaison.

Enfin, signe d’une attention toute particulière de la part de l’éditeur, l’album présente un magnifique dos rond à l’ancienne et un grand format idéal pour se plonger dans l’histoire et apprécier notamment le travail des auteurs sur les décors, notamment sur cette étrange tour où tout commence…

Eric Guillaud

Mysteras, Harry Dickson tome 1, de Doug Headline, Luana Vergara et Onofrio Catacchio. Dupuis. 15,95€

© Dupuis / Doug Headline, Luana Vergara & Onofrio Catacchio