13 Déc

Rencontre avec Bruno Bazile, dessinateur de l’adaptation en BD des Enquêtes de Victor Legris

Dessinateur des Aventures de Sarkozix, de la biographie dessinée de Charlie Chaplin et d’une bonne vingtaine d’albums supplémentaires, l’auteur nantais Bruno Bazile publie aux éditions Phileas l’adaptation d’un roman policier dans le Paris du XIXe siècle avec la Tour Eiffel pour témoin…

© F3 / Eric Guillaud

Nous l’avions rencontré en novembre 2O19 à l’occasion de la sortie d’une biographie dessinée consacrée à une grande étoile du cinéma, Charlie Chaplin. Changement de décor, changement de personnage, Bruno Bazile revient avec l’adaptation du premier roman des Enquêtes de Victor Legris, une saga policière historique à succès écrite à partir de 2003 par Liliane et Laurence Korb sous le pseudonyme de Claude Izner.

Bruno Bazile en signe le dessin sur un scénario du très prolifique Jean-David Morvan. Enquête policière autour d’une série de meurtres intervenant durant l’exposition universelle de Paris, Mystère rue des Saints-Pères est aussi une belle histoire d’amour dans le Paris de l’époque, un Paris merveilleusement bien recréé par la magie du coup de crayon élégant de Bruno Bazile.

Qui est Victor Legris ? Victor Legris est un passionné de livres anciens d’une trentaine d’années, propriétaire de la librairie L’Elzévir rue des Saints-Pères à Paris. Alors que l’exposition universelle bat son plein, que la foule se presse pour découvrir la Tour Eiffel, qu’on lui propose une place de chroniqueur littéraire dans un nouveau journal baptisé Le Passe-Partout, Victor Legris est interpelé par une série de morts inexpliquées qui se révèlent être des crimes. Intrigué, Victor Legris décide de mener l’enquête…

Pour évoquer ce nouvel album, nous avons donné rendez-vous à Bruno Bazile dans son atelier du côté de Rezé. À notre arrivée, Bruno était en plein travail sur le deuxième tome de la série qui sortira dans quelques mois.

L’Interview ici…

Sélection officielle Angoulême 2022 : Le Grand vide de Léa Murawiec

Attention jeune talent ! Pour son premier album de bande dessinée, Léa Murawiek bouscule les codes de la BD pour nous offrir un récit d’une très grande singularité tant au niveau du graphisme que du scénario. De quoi se jeter dans Le Grand vide avec elle…

On sait combien la vie tient parfois à un fil, dans cet album elle tiendrait plutôt à une pensée. Manel Naher est une jeune femme ordinaire, un peu trop peut-être, qui passe son temps à dénicher des récits d’aventure dans une vieille librairie pour s’évader du monde dans lequel elle vit, une espèce de mégalopole où chacun doit se battre contre l’anonymat en affichant son nom telle une publicité.

Plongée dans ses livres, Manel se fait oublier de tous, de quoi disparaître à jamais.

Car oui, dans le monde dystopique que nous dépeint Léa Murawiek, si personne ne pense à vous, alors vous n’avez plus de présence et vous mourez. C’est aussi simple que cela. Manel va l’apprendre à ses dépens. En pleine rue, une crise cardiaque, direction l’hôpital.

« Votre présence était quasiment nulle, votre cœur ne l’a pas supporté »

Pour les médecins, les choses sont claires. Seul un traitement intensif peut lui permettre de s’en sortir, d’autant qu’un homonyme, chanteuse très célèbre dont le tube Mon nom sur toutes les lèvres fait un carton, accapare les pensées de toutes et tous. Et ce traitement intensif ? Boites de nuit, réunions de famille, déjeuners d’affaires… bref des sorties, des rencontres, de quoi faire du lien social… et retrouver un peu de présence, d’existence aux yeux des autres et donc d’espérance de vie. Mais Manel ne rêve que d’une chose : rejoindre le grand vide, un espace où la popularité ne décide pas de votre vie ou de votre mort.

Paru en aout dernier, Le Grand vide a fait sensation dans le milieu du neuvième art et au-delà par la singularité et la force qui se dégagent du scénario, par la formidable élasticité du trait et le dynamisme des planches. Passée par l’école Estienne à Paris puis l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, Léa Murawiek écrit cette première bande dessinée au cours d’une résidence de deux ans à la Cité de la Bande dessinée. Elle y met toutes ses influences, le manga bien sûr, mais aussi la bande dessinée européenne expérimentale et alternative d’où elle est issue. Aucun doute, en l’espace d’un livre, Léa Murawiek s’est fait un sacré nom dans le neuvième art et on n’est pas près de l’oublier. Vertigineux !

Eric Guillaud

Le Grand vide, de Léa Murawiek. Editions 2024. 25€

© 2024 / Léa Murawiek

12 Déc

Fauve d’Or Angoulême 2022 : Écoute, jolie Márcia de Marcello Quintanilha

Né à proximité de Rio de Janeiro, installé depuis de nombreuses années à Barcelone, Marcello Quintanilha n’a jamais cessé de raconter à travers ses récits la société brésilienne et notamment les couches les plus populaires. C’est encore le cas aujourd’hui avec Écoute, jolie Márcia publié aux éditions ça et là, ce récit haut en couleur et en verbe nous emmène dans le monde des favelas à travers le quotidien d’une femme ordinaire ou presque …

Marcia est infirmière dans un hôpital près de Rio. Son salaire ne lui permet pas de vivre dans les somptueux appartements avec vue imprenable sur la mer qu’elle fréquente à l’occasion de soins à domicile mais Marcia n’est pas du genre à se plaindre, ni même à jalouser.

Avec son ami Aluisio et sa fille Jacqueline, née d’une précédente union, elle vit dans une favela, paisiblement, jusqu’au jour où sa fille commence à fréquenter les membres d’un gang. Entre la mère et la fille, la tension monte jusqu’à devenir explosive, envoyer Aluisio à l’hosto et Jacqueline en prison…

Autodidacte et de fait assez libre dans sa façon d’aborder les choses tant d’un point de vue narratif que graphique, Marcello Quintanilha signe ici une bande dessinée très colorée, pleine de vie et de frénésie autour d’une femme ordinairement héroïque ou héroïquement ordinaire qui n’hésite pas à affronter le danger par amour de sa fille.

L’album dépeint la société brésilienne dans sa réalité crue, les inégalités, la misère, la drogue, mais il offre surtout le très beau portrait d’une femme qui ne se laisse pas faire, forte, dévouée pour les autres, confrontée malgré elle à la violence du monde. C’est aussi l’histoire d’une relation intense entre une mère et sa fille comme on pourrait en connaître ailleurs, ce qui confère au récit son côté universel.

Un scénario très maîtrisé et rythmé, un graphisme vivant, des couleurs surréalistes, des personnages attachants, des dialogues très actuels et très fluides, Écoute, jolie Márcia est un album qui vous happe, vous transporte, vous retient du début à la fin, rien d’étonnant que Marcello Quintanilha soit considéré comme l’un des auteurs phares de la bande dessinée brésilienne. 

Lauréat du Prix du polar à Angoulême en 2016 pour l’album Tungstène, auteur de cinq autres ouvrages aux éditions çà et là, Marcello Quintanilha reçoit aujourd’hui le Fauve d’or 2022 à Angoulême. 

Eric Guillaud

Écoute, jolie Márcia, de Marcello Quintanilha. Éditions ça et là. 22€

© Ça et Là / Marcello Quintanilha

Sélection officielle Angoulême 2022 : Le Jeune acteur de Riad Sattouf

Alors oui, il a fait la Une des plus grands médias, il a été invité partout où il faut être invité, on en cause dans les meilleures soirées de la capitale, et pas seulement celles de l’ambassadeur, un peu comme si Riad Sattouf était L’AUTEUR de bande dessinée du moment, le seul, l’unique, celui qu’il faut avoir lu avant de mourir pour ne pas avoir l’air trop crétin ici-bas et tout là-haut. Est-ce mérité ? Réponse ici…

« J’adooooore Riad Sattouf ! « . Parlez bande dessinée avec quelqu’un qui ne s’y intéresse pas ou peu et vous pourriez bien obtenir cette réponse. Parlez bande dessinée avec quelqu’un qui est un passionné de la première heure, et vous pourriez bien obtenir la même réponse. On est bien obligé de le reconnaître, Riad Sattouf fait l’unanimité ou presque !

Ça peut en chatouiller certains mais c’est comme ça et ceux qui auraient eu tendance à résister à l’appel de L’Arabe du futur ou des Cahiers d’Esther devraient logiquement finir par craquer, peut-être cette fois avec Le Jeune acteur, dernier opus paru de la star du 7e et 9e art réunis.

Alors, justement, ce nouvel opus ? Franchement, c’est drôle, c’est fin, ça se lit sans fin et c’est même instructif. Parfaitement, oui, instructif. Derrière l’histoire du jeune Vincent Lacoste, un collégien de 14 ans à l’époque qui découvre la vie en même temps que le cinéma, Riad Sattouf nous invite dans les coulisses d’un film, en l’occurrence Les Beaux gosses, partageant les différentes étapes de son élaboration, depuis les castings jusqu’à la soirée des César où Les Beaux gosses reçut le Prix de meilleur premier film en 2010, en passant bien évidemment par le tournage en lui-même, la sortie en salles, les incontournables premières…

Et plutôt que de raconter tout ça de son seul point de vue à lui, Riad Sattouf sous sa casquette d’auteur BD a choisi de le faire du point de vue de Vincent Lacoste, un parti pris scénaristique judicieux qui rend la chose beaucoup plus légère, avec une bonne couche d’autodérision façon Vincent Lacoste, et qui permet surtout d’évoquer a vie privée de l’acteur, le collège, la famille, les filles… et sa réaction face à sa célébrité naissante.

Riad Sattouf rêvait de s’inscrire dans la filiation Truffaut / Léaud avec son égérie Vincent Lacoste, ce livre est une façon pour lui, comme il le déclare dans une interview accordée au magazine dBD, de continuer à le suivre et l’accompagner.

Le Jeune acteur n’est pas un album qui va révolutionner le neuvième art mais il n’en reste pas moins Incontournable pour les fans de BD, de cinéma et les autres…

Eric Guillaud

Le jene acteur 1, de Riad Sattouf. Les Livres du futur. 21,50€

© Les Livres du Futur / Sattouf

08 Déc

Vous adorez la BD ? Devenez membre du jury qui décernera en janvier le Fauve, Prix du Public France Télévisions – Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême !

Vous êtes un lecteur ou une lectrice passionné(e) de bande dessinée, vous habitez en Nouvelle Aquitaine et vous aimeriez devenir juré d’un prix littéraire ? Alors posez votre candidature pour être membre du jury du Fauve – Prix du public France Télévisions qui sera décerné à l’occasion du prochain festival d’Angoulême ! Comment faire ? On vous explique tout ici…

Décerné par des lecteurs et très convoité par les éditeurs, le Prix du public du Festival de la BD d’Angoulême (FIBD) avait été mis en sommeil lors de l’édition 2019. Cette disparition n’aura été que de courte durée. Le 1er février 2020, à l’occasion de la 47e édition du Festival, un jury composé de neuf téléspectateurs décernait le premier prix du public France Télévisions à Chloé Wary pour son album Saison des roses paru aux éditions FLBLB. Rebelote en 2021, malgré la crise sanitaire et l’annulation du festival, le Fauve – Prix du public France Télévisions était remis à Léonie Bischoff pour l’album Anaïs Nin

Cette année encore, France Télévisions s’associe au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême pour ce prix prestigieux et vous offre la possibilité de devenir l’un des neuf membres du jury.

Comment ça fonctionne ?

De la sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée, un comité de journalistes et spécialistes de la littérature de France Télévisions en retiendra une sélection de huit titres.

Ensuite, c’est à vous de voter !

Suite à cet appel à candidatures, 9 téléspectateurs seront sélectionnés et les huit bandes dessinées leur seront offertes en lecture. Ce jury de lecteurs se réunira le vendredi 29 janvier au matin, dans les coulisses du Festival pour délibérer, voter et élire  l’heureux/euse lauréat(e) du Prix du Public France Télévisions ! Il sera décerné lors de la cérémonie de remise des prix du Festival le soir même.

Ne tardez plus, écrivez-nous une lettre bien argumentée et exposez les raisons pour lesquelles vous voulez participer à cette nouvelle aventure. Parlez de vous, de votre passion pour la bande dessinée, aussi bien que de vos derniers coups de cœur littéraires…

Pour poser votre candidature, c’est ici

Sélection officielle Angoulême 2022 : Du Bruit dans le ciel de David Prudhomme

Raconter son enfance, c’est une bonne idée, très partagée dans le milieu de la bande dessinée depuis quelques années. Mais faut-il encore avoir quelque chose à raconter et mieux, une façon de le raconter. De ce côté-là, l’auteur David Prudhomme a tout bon…

Un goût d’éternité. Ou presque ! Juin 2021, David Prudhomme et son fils Joachim rendent visite aux grands-parents installés à Grangeroux près de Châteauroux. C’est ici dans ce petit bout de France un peu perdu que David passe sa jeunesse. À son fils, il raconte les années passées loin du bruit du monde, loin de la révolution permanente, dans un immobilisme d’apparence.

Car oui, même si tout se fait moins brutalement qu’ailleurs, les choses ici aussi évoluent, doucement, presque imperceptiblement. La campagne laisse place à un monde rurbain, avec sa rocade, ses ronds-points, ses lotissements, ses pavillons, ses rues aux noms de chanteurs de variété. Un vrai hit parade !

Même la fameuse base militaire avec son aérodrome, longtemps occupée par une armée américaine qui imprègne fortement le paysage et la géographie des environs, finit en partie par se reconvertir dans le civil.

Avec des avions, toujours, dans les airs et sur le tarmac, pour des transports de troupes ou de matériels, pour des essais ou, plus tard, pour y trouver un refuge le temps de la crise du coronavirus.

© Futuropolis / Prudhomme

Soudain, plus un atterrissage, plus un décollage, plus un avion en mouvement hormis l’Airbus de la Présidence française, à l’entrainement. Du bruit dans le ciel, malgré tout…

Dans ce récit autobiographique, David Prudhomme fait côtoyer l’intime et l’universel, le quotidien dans ce qu’il a de plus ordinaire et la grande histoire du monde, dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre, un monde où parfois le temps s’emballe, parfois semble se figer. Un moment. Un silence. Avant que le bruit ne reprenne…

À l’instar d’un Davodeau ou d’un Rabaté, avec qui d’ailleurs il a eu l’occasion de travailler, David Prudhomme appartient à cette catégorie d’auteurs qui manie aussi habilement la plume que le pinceau pour nous parler de la vie, de notre vie, de la société, ddu monde, avec intelligence et humanité, avec lucidité et délicatesse.

Au fil des 200 pages que compte ce livre, pas un moment d’essoufflement de la part de l’auteur, pas une once d’ennui pour le lecteur, David Prudhomme tient fermement les ficelles d’un scénario bâti autour du souvenir, de la nostalgie, un peu, de l’humour, pas mal, et de l’amour, beaucoup. L’amour pour ses proches, pour ceux qui les entourent, pour les gens d’une façon générale. Assurément l’un des plus beaux albums de l’année 2021.

Eric Guillaud

Du Bruit dans le ciel, de David Prudhomme. Editions Futuropolis. 25€

07 Déc

René.e aux bois dormants d’Elene Usdin Grand Prix ACBD 2022

L’Association des Critiques et Journalistes de Bande Dessinée (ACBD) a finalement choisi l’album d’Elene Usdin, René.e aux bois dormants, pour son Prix 2022. Un album que nous vous avions présenté il y a quelques semaines…

Extrait de la couverture © Sarbacane / Usdin

René.e aux bois dormants est un magnifique album de 272 pages signé Elene Usdin, artiste française qui a débuté comme peintre pour le cinéma et illustratrice de presse et de livres jeunesse. René.e est son premier roman graphique.

Il s’en dégage une atmosphère très particulière, un univers très coloré, très créatif où le quotidien le plus sombre côtoie le surnaturel le plus débridé. Aux origines du récit, ce qu’on appelle au Canada la rafle des années 60 : l’enlèvement de milliers d’enfants autochtones à leur communauté d’origine pour les faire adopter par des familles des classes moyennes blanches. 

René est l’un d’eux. Il a dix ans, a été adopté, habite au dixième étage d’un immeuble dans une grande ville. Il ne ressemble pas à sa mère, les enfants de son âge le rejettent. Ils disent qu’il a été acheté.

Alors, René se laisse happé par les rêves. En pyjama, il part à la recherche de sa peluche Sucre Doux qui s’est enfui. Les rêves l’entraînent dans un univers peuplé d’étranges créatures au contact de qui il se métamorphose lui-même, devenant tour à tour fille, chatte ou arbre.

Et peu à peu, page après page, rencontre après rencontre, la déambulation de René révèle le drame qu’il a vécu. Un voyage entre mythe et réalité, un récit sombre et intense, un graphisme coloré, assurément un choc visuel.

Eric Guillaud

René.e aux bois dormants, d’elene Usdin. 29,50€

© Sarbacane / Usdin

Sélection officielle Angoulême 2022 : Alerte 5 de Max de Radiguès

Après Orignal, La Cire moderne, Bâtard ou encore Simon et Louise, Max de Radiguès est de retour et s’attaque cette fois à la SF. Et sans surprise, avec un égal bonheur.

Alerte 5 raconte comment une attaque terroriste commise contre un vol habité déclenche le passage en alerte 5, le niveau maximum en matière de sécurité, sur tous les sites et dans toutes les missions en lien avec les agences spatiales.

Sur la base martienne, les cinq astronautes reçoivent les consignes face aux menaces extérieures mais aussi intérieures. L’un d’entre eux, Amir, est musulman et donc suspect aux yeux de l’administration…

De la SF comme vous n’en verrez pas beaucoup usant d’un contexte très contemporain, les attentats islamistes et les réflexes racistes. Une histoire singulière, un dessin simple, minimaliste, mais rudement efficace !

Eric Guillaud

Alerte 5, de Max de Radiguès. Casterman. 15€

© Casterman / Radiguès

06 Déc

Morgue pleine : Cabanes adapte une aventure d’Eugène Tarpon, détective privé imaginé par Jean-Patrick Manchette

Après Nada, La Princesse du sang et, Fatale, Max Cabanes poursuit son exploration, mieux son appropriation de l’univers de Manchette avec jamais très loin de lui Doug Headline, le propre fils de l’écrivain, pour un résultat bien évidemment savoureux…

© Dupuis / Manchette & Cabanes

Eugène Tarpon, ça vous cause ? Les prostituées du quartier l’appellent Bogart mais pour être franc Tarpon n’a pas vraiment la classe de l’acteur. Non, Tarpon serait même tout le contraire. Dans la vie, Tarpon était gendarme. Jusqu’à ce qu’il tue un manifestant. Une bavure. Depuis, il joue au détective privé. Il a ouvert son propre cabinet du côté du quartier des Halles à Paris mais les clients ne se battent pas devant la porte. Les enquêtes se font rares, un divorce par-ci par-là, un comptable qui ne sait plus compter… de quoi perdre la foi et décider un beau jour de tout quitter pour retourner chez sa maman.

C’est à ce moment précis que débarque une jeune et jolie fille dans son bureau répondant au doux nom de Memphis Charles. Sa colocataire a été égorgée. Et plutôt que d’appeler les flics qui pourraient l’accuser du meurtre, elle déboule chez Eugène… qui aurait été bien inspiré de ne pas mettre son nez là-dedans. Mais bon, on ne se refait pas…

© Dupuis / Manchette & Cabanes

Vous dire que l’adaptation est ici fidèle ou pas, j’en serais fichtrement bien incapable pour la simple et bonne raison que je n’ai pas lu les livres de Jean-Patrick Manchette et notamment ceux mettant en scène le personnage de Tarpon (je sais c’est mal!), à savoir Morgue pleine et Que d’Os!. Mais l’album, et c’est bien ici ce qui nous importe, est un très bon polar, haut en couleurs mais sacrément noir dans le fond, alliant un scénario dense, et un peu bavard à mon goût, une voix off, celle du héros, omniprésente, une ambiance années 70 bien sentie, un trait vif, sanguin, et bien sûr un personnage principal au charisme de fou, un mec qu’on a envie de suivre plus longtemps.

Après Nada, La Princesse du sang et, Fatale, Max Cabanes poursuit avec bonheur son appropriation de l’univers de Manchette. Doug Headline, le propre fils de l’écrivain, n’est pas crédité en couverture mais a bien mis la main à la patte ou le doigt sur la gâchette pour aider à l’adaptation de Morgue pleine comme il l’avait fait sur les adaptations précédentes. C’est racé, c’est violent c’est bon, très bon, à en souhaiter l’adaptation rapide de Que d’Os!. En attendant, vous pouvez ranger les flingues et courir chez votre libraire le plus proche.

Eric Guillaud

Morgue pleine, de Cabanes et Manchette. Editions Dupuis. 22€

02 Déc

Parce que la folie des hommes donnera toujours naissance à plus de monstres…

Les monstres du titre, ce sont eux, nous, tout le monde. Fresque monumentale de 364 pages sur la folie des hommes, Monstres ne signe pas que le grand retour du trop souvent négligé Barry Windsor-Smith, c’est aussi l’un des romans graphiques les plus puissants de l’année 2021.

Extrait de la couverture © Delcourt / Barry Windsor-Smith

Barry Windsor-Smith est une exception, un électron libre dont ce volumineux roman graphique apparaît presque comme l’œuvre testamentaire. C’était surtout jusqu’à peu un auteur quasiment porté disparu qui, ici, réussit un brillant comeback à l’âge de soixante-douze ans.

Pour les fans de comics, cet anglais restera avant tout cet orfèvre au style presque préraphaélite et raffiné, tranchant fortement avec le reste de la production Marvel lorsqu’il fut choisi par le scénariste Roy Thomas pour illustrer la toute première série Conan en 1971. Même s’il n’en dessinera que les vingt-quatre premiers épisodes, citant le rythme « trop frénétique » de parution pour expliquer sa lassitude, il marquera de sa patte délicate la série, laissant le tôt baigner dans une atmosphère mystérieuse et envoûtante. Hélas, il disparaît par la suite progressivement des écrans radars, ne cachant pas sa désillusion face au marché « dévorant » des comics, ne laissant pas assez de place à l’artistique selon lui.

© Delcourt / Barry Windsor-Smith

Monstres est d’ailleurs né d’une désillusion, un script a priori écrit d’abord pour la série HULK où il voulait explorer les potentiels traumas d’enfance de Bruce Banner qui auraient pu expliquer, en partie, sa transformation en géant vert fou furieux. Le refus de Marvel l’a forcé à réécrire progressivement l’histoire sur une période de plus quinze ans pour aboutir à un impressionnant volume qui ne cesse de surprendre le lecteur tout en dressant petit-à-petit un portrait d’une noirceur absolue de l’âme humaine, sentiment renforcé par le noir et blanc ultra-classieux et marqué de forts contrastes choisis par l’auteur.  

Le titre et la toute première partie de l’histoire semblent pourtant d’abord presque mensongers. L’histoire commence lorsqu’on découvre et suit Bobby Bailey, jeune orphelin visiblement perdu et borgne qui se porte volontaire pour un programme top-secret de l’armée visant à créer un ‘super soldat’ du nom de Prométhée. Un point de départ ultra-classique rappelant forcément nombre de ‘naissances’ de super-héros célèbres : l’un des personnages n’est-il pas fier de montrer à son fils sa collection de comics des années 60 dessinée par Jack Kirby ? Captain America n’est-il pas né le jour où le maigrichon mais patriote Steve Rodgers a accepté de boire un sérum expérimental visant le même but ? 

© Delcourt / Barry Windsor-Smith

Sauf que le parallèle s’arrête là : alors que l’expérimentation tourne mal, on découvre que le scientifique qui en est à l’origine est en fait un ancien nazi réfugié aux USA. Pendant ce temps-là, l’officier recruteur qui a signalé le futur cobaye aux services secrets commence à avoir des remords, sentiment renforcé par ses visions de médium, don qu’il a légué à sa petite fille. Et lorsqu’il réussit finalement à faire évader Bailey, celui-ci est devenu un monstre grotesque de 4 mètres de haut, sorte de Frankenstein des temps modernes à la laideur absolue. Â partir de cette évasion, Windsor-Smith remonte ensuite le temps pour revenir au trauma originel de Bailey, celui qui lui a fait perdre son œil alors qu’il n’était qu’un enfant mais qui était, déjà, lié au projet Prométhée.

© Delcourt / Barry Windsor-Smith

Malgré ses fréquents aller-retours entre plusieurs époques et ses longs dialogues, il fait preuve ici d’un vraie sens de la narration et surtout d’une attention peu commune aux détails, jusqu’à peaufiner les tapisseries au mur ou la collection de tubes à essai au troisième plan dans le laboratoire. Au-delà de cette façon de raconter très cinématographique, l’auteur fait surtout en sorte que dessins et scénario exaltent tout à tour subtilement ce qu’il y a de plus beau mais aussi de plus laid chez l’être humain. Monstres est aussi une dénonciation désespérée mais brillante de la façon dont de pauvres hères sont manipulés par le pouvoir en place pour asseoir leur soif de conquête, où comment il y a toujours des monstres pour donner naissance à d’autres monstres. Puissante, désespérée mais graphiquement et dramatiquement intense, voici sûrement l’une des plus belles BD de l’année 2021.

Olivier Badin

Monstres de Barry Windsor-Smith. Delcourt. 34,95 euros