20 Sep

La BD fait sa rentrée. Le Jour où j’ai rencontré Ben Laden ou le périple afghan de deux jeunes français raconté par Jérémie Dres

Comment peut-on partir pour l’Afghanistan, se retrouver dans un camp d’entrainement et rencontrer Ben Laden en 2001, année des attentats sur le sol américain ? Réponse ici avec ce livre de Jérémie Dres réalisé d’après les souvenirs de deux Français, Mourad Benchellali et Nizar Sassi…

Comment peut-on se laisser embarquer dans une telle histoire, se retrouver dans un pays en guerre comme l’Afghanistan, dans un camp d’entrainement où on ne ménage pas les hommes, avec pour horizon de se battre et pourquoi pas de se porter candidat à un attentat suicide ?

Faut-il avoir des prédispositions ? Faut-il être en guerre contre soi-même ou contre le monde entier ? Non, et c’est le premier enseignement de ce livre paru chez Delcourt et signé Jérémie Dres. Mourad Benchellali et Nizar Sassi sont deux jeunes garçons ordinaires, non radicalisés.

Le père de Mourad était agent d’entretien à Renault avant de devenir imam prêchant au départ un islam traditionnel avant de basculer dans un islam plus conservateur. Mais pour autant, Mourad n’était pas très religieux dans l’âme. Nizar, lui, a été nourri aux séries américaines, Starsky et Hutch, Deux Flics à Miami... Il en a gardé une passion pour les armes à feu et pour le métier de policier qu’il n’exercera finalement pas. Le seul point commun entre les deux : le quartier des Minguettes.

« Il fallait grandir au milieu de tout ça, se construire une carapace » (Nizar)

© Delcourt / Jérémie Dres

Alors oui, le père du premier s’est peut-être radicalisé, jusqu’à se retrouver à secourir les musulmans bosniaques en pleine guerre de Bosnie. Oui, le second a travaillé dans la sécurité à défaut de devenir policier. Mais l’Afghanistan pour eux, ce n’était qu’une occasion de voyager, de jouer aux aventuriers.

« Je voulais faire quelque chose de grand, devenir un bonhomme, avoir mon moment de gloire » (Nizar)

© Delcourt / Jérémie Dres

Et les voilà partis tous les deux, sans conviction religieuse – ils n’y allaient pas pour le djihad – mais avec beaucoup de naïveté et d’ignorance. Direction l’Angleterre, Finsbury Park, « la capitale de l’islam radical », précise Nizar. Et puis c’est le grand départ, une première étape à Islamabad au Pakistan, avant de rejoindre Peshawar à la frontière, puis enfin l’Afghanistan, Jalalabad, Kandahar et pour finir le camp militaire Al Farouq où ils découvrent vraiment ce pour quoi ils sont là.

« On m’avait vendu un stand de tir où tu défourailles tranquille. Je me retrouve dans un camp militaire qui forme des tueurs » (Nizar)

Un embrigadement de première pour faire d’eux de parfaits petits soldats ! Ils y apprennent le maniement des armes sur fond de lecture du coran et y rencontrent effectivement Ben Laden lors d’une visite en juillet 2001. On est alors à quelques semaines des attentats sur le sol américain. Au moment de repartir pour la France, c’est le 11 septembre, les frontières se ferment, les Américains interviennent, Mourad et Nizar se retrouvent bloqués. Plusieurs semaines de planque et de marche dans les montagnes leur seront nécessaires pour quitter le pays. Mais ce n’est pas la fin de leurs ennuis…

Alternant flash-backs et rencontres avec Mourad et Nizar où il se met lui-même en scène, Jérémie Dres raconte le parcours incroyable des des deux hommes, un parcours qui passe par l’Afghanistan, c’est la destination de ce premier volet, mais aussi par les geôles de Guantanamo, comme nous le verrons dans la suite et fin de ce témoigage en tome 2. une bande dessinée à faire circuler le plus largement possible !

Eric Guillaud

Le jour où j’ai rencontré Ben Laden, de Jérémie Dres. Delcourt. 23,95€

17 Sep

Le magazine Spirou rend hommage au scénariste Raoul Cauvin

Le prochain numéro du magazine Spirou, en kiosque mercredi 22 septembre, rend hommage à l’une de ses grandes figures, le scénariste Raoul Cauvin, scénariste des Tuniques Bleues décédé le 19 août 2021…

Blutch et Chersterfield la larme à l’oeil jurant qu’ils ne quitteront jamais leur Raoul. C’est sur ce dessin du compère de toujours Willy Lambil que s’ouvre l’hommage au scénariste dans le magazine Spirou numéro 4354 du 22 septembre 2021. Une bonne vingtaine de pages dans lesquelles se relaient pour un dessin, une planche ou une petit mot Fabcaro, Fabrice Erre, Saive, Jorge Bernstein, Terreur graphique, Clarke, Zidrou, Achdé et tant d’autres, des amis, des collègues, des fans de la première heure.

Et il le mérite bien notre Raoul. Depuis la fin des années 60, lui et Salvérius dans un premier temps, lui et Lambil très rapidement, vont donner au journal Spirou quelques-unes de ses plus belles pages à travers les aventures du sergent Chesterfield et du caporal Blutch, deux nordistes plongés dans la guerre de Sécession. Quelques-unes de ses plus belles pages et une petite touche antimilitariste bienvenue. N’oublions pas que nous sommes en 1968 et que l’esprit contestataire gagne du terrain un peu partout, y compris dans ce journal destiné à la jeunesse.

Les Tuniques Bleues à la Cauvin, c’est 64 albums, des milliers de pages d’aventure, des millions d’albums vendus… et aujourd’hui une série mythique, une référence dans le monde du neuvième art.

Merci Spirou, merci Raoul.

Eric Guillaud

16 Sep

INTERVIEW. Deux auteurs français au générique du Batman Day prévu ce samedi

Mathieu Gabella

Ce samedi aura donc lieu le Batman Day, avec en point d’orgue la réalisation d’une fresque en direct entre 14 et 18h au Carrousel du Louvre. Seront présents pour une séance de dédicace le dessinateur Thierry Martin et le scénariste Mathieu Gabella, les seuls français à avoir participé à l’anthologie sortant pour l’occasion : Batman The World.

L’idée est plutôt originale. Batman The World donne la parole à quatorze équipes venues de quatorze pays différents (Brésil, Pologne, Japon etc.) pour leur donner l’occasion d’offrir leur vision du justicier masqué qu’ils font ainsi voyager à travers le monde. Pour la France, ce sont Thierry Martin et Mathieu Gabella qui se sont lancés dans l’aventure et on a demandé à ce dernier comment il s’est attaqué à un tel mythe du neuvième art.

Comment vous êtres vous retrouvés embarqués dans cette aventure ? Surtout qu’a priori, très peu de français se sont frottés au personnage de Batman…

Mathieu Gabella. C’est avant une histoire d’amitié. Je connaissais le directeur éditorial d’Urban Comics François Hercouët depuis une quinzaine d’années, époque à laquelle j’étais publié chez Delcourt et où il travaillait alors. Nous étions restés en contact et je lui ai tendu la perche plusieurs fois, sur le thème de ‘si un jour une opportunité se présente, n’hésites pas à penser à moi’. Et donc lorsque les américains lui ont parlé de ce projet d’anthologie, il a pensé à moi.

© Urban Comics/DC Comics – Batman The World

Qui a eu l’idée d’utiliser le personnage de Catwoman, avec laquelle Batman a toujours eu une relation ambiguë ?

Mathieu Gabella. C’est le premier dessinateur qui devait, à la base, devait réaliser l’histoire avec moi mais qui a dû céder sa place pour une histoire de planning. Il a beaucoup insisté et en fait, cela m’a tout de suite poussé à aller dans une certaine direction et le scénario s’est écrit tout seul par la suite car Catwoman amenait avec elle deux éléments essentiels, le côté cambriolage mais aussi romantique. On a d’ailleurs scripté leur interaction comme une sorte de ballet nuptial. 

Y avait-il un cahier de charges imposé par les américains ?

Mathieu Gabella. Un seul, il fallait que cela se passe en France. Mais pour le reste, ils ont été très cools et ont juste fait quelques aller-retour sur le script et deux ou trois détails –pour les dialogues, ils ne voulaient par exemple pas trop Batman et Catwoman s’interpellent par leurs véritable noms par exemple, mais c’est tout. J’ai choisi le décor du Louvre que je voulais un décor très vertical, plein de mystères, un peu gothique mais aussi typiquement français. Et comme le lieu est cité aussi dans les derniers films, cela me paraissait cohérent.  

Le costume de Batman, le Louvre, le côté mystérieux… Impossible de ne pas penser à personnage de Belphegor rendu célèbre par une adaptation télé avec Juliette Gréco…

Mathieu Gabella. Et le clin d’œil est volontaire, bien sûr !  

© Urban Comics/DC Comics – Batman The World

Le format court, dix pages, était-il particulièrement contraignant ?

Mathieu Gabella. J’avais en fait commencé par ce genre d’exercice, à l’époque chez l’éditeur Petit-à-Petit où je mettais en images des paroles de chansons ou des poèmes sur quelques pages. Mais cela faisait longtemps que je n’en avais pas fait. En même temps, je ne savais que je ne pourrais pas faire mon Dark Knight Returns (référence au pavé référentiel de Frank Miller) non plus donc je suis volontairement parti sur quelques idées clefs un décor unique. Après, c’est plus facile lorsque tu traites un personnage aussi connu car je n’ai pas besoin de réexpliquer qui il est ou ses motivations, tu peux entrer directement dans le dur.

Etais-tu un familier de l’univers Batman ?

Mathieu Gabella. Je ne suis pas ce que l’on pourrait appeler un fan absolu, je ne suis pas du genre à acheter tout ce qui sort. Mais disons que j’ai vu tous les films, joué à tous les jeux et lu tous les grands arcs narratifs. J’ai bien aimé par exemple ce que le scénariste Geoff Johns a apporté à la mythologie par exemple. Et je salive régulièrement devant les lego Batman si cela compte ! (petits rires)

Pas trop de pression ?

Mathieu Gabella. Franchement, non car je n’ai jamais eu trop de complexe pour être sincère. C’est comme lorsque j’ai accepté de scénariser un Conan (Au-delà De La Rivière Noire, sorti en 2018), on m’a dit ‘attention, les fans les plus acharnés sont très attachés aux récits d’origine, c’est casse-gueule !’ alors que je n’étais plus le plus gros fan du monde de ce personnage. Dans les deux cas, je voulais me faire plaisir et c’est pour ça que je fais ce métier. Et de toutes façons, tu ne peux jamais contenter tout le monde donc le plus important est de suivre ce que toi tu as envie de faire et advienne que pourra.

Propos recueillis par Olivier Badin

Batman The World, collectif. Urban Comics/DC Comics. 18

Le programme du Batman Day ici 

15 Sep

La BD fait sa rentrée. #J’Accuse…! : un ovni éditorial signé jean Dytar

Films, téléfilms, bandes dessinées, livres d’histoire ou romans… l’affaire Dreyfus n’a jamais quitté notre espace médiatico-culturel depuis plus d’un siècle. Rien d’étonnant tant elle a eu un retentissement national et international sans commune mesure. Jean Dytar nous en apporte aujourd’hui une autre vision avec un livre surprenant dans la forme et dans le fond, plus qu’un regard sur l’affaire en elle-même, #J’Accuse…! pose en fait un regard sur le traitement de l’affaire à la lumière de nos moyens de communication et d’information actuels et nous interroge par là-même sur l’état du débat public contemporain…

Un sacré bouquin et un sacré boulot ! Pour réaliser #J’Accuse…!, Jean Dytar a dû lire quantité de livres d’histoire sur le sujet mais aussi éplucher la presse de l’époque et les témoignages, nombreux. Avec l’envie au bout du compte de « jouer avec un dispositif hybride, entre les médias contemporains (numériques ou télévisuels) et la presse du XIXe siècle ».

Premier regard sur l’album, première surprise, #J’Accuse…! est présenté dans un coffret qui, une fois ouvert, figure un mix de machine à écrire et d’ordinateur portable. On ouvre le livre et, deuxième surprise, l’album a été imprimé sur du papier proche du journal. De son côté, le dessin réaliste en noir et blanc rappelle par ses hachures les gravures de presse qui ont fait les beaux jours des suppléments illustrés. Les dialogues sont extraits de textes authentiques et enfin chaque planche est ornée d’une interface à la google avec une barre de recherche et un petit + pour accéder, en scannant la page, à de nombreux documents numériques complémentaires.

© Delcourt / Dytar

On connaît tous l’affaire dans les grandes lignes, il est vrai qu’on la redécouvre ici sous un autre angle grâce notamment aux nombreux témoignages repris ici, ceux de Mathieu Dreyfus qui s’est battu jusqu’au bout pour innocenter son frère Alfred mais aussi d’Émile Zola ou Bernard Lazarre, l’un des premiers dreyfusards.

« A titre personnel, j’ai été stupéfait par la modernité de bien des aspects de cette histoire, tant dans la toile de fond idéologique (…) que sur le plan des processus médiatiques »

© Delcourt / Dytar

L’affaire Dreyfus a-t-elle fait le buzz à l’époque ? Les fakes news, les théories du complot ont-elles exacerbé le débat, radicalisé les positions ?  « J’ai eu envie de creuser la question, avec en tête un désir de mettre en scène l’arène agitée du débat public »

Car oui, au-delà de l’affaire et de son traitement, Jean Dytar met l’accent sur une société française morcelée qui ne parvient plus aujourd’hui à débattre sans que cela ne tourne au pugilat.

Une approche singulière et passionnante de l’une des plus grandes affaires judiciaires devenue une affaire d’état.

Eric Guillaud

#J’Accuse…!, de Jean Dytar. Editions Delcourt. 29,95 euros

L’info en + : Le Musée Dreyfus qui sera inauguré fin octobre à Médan présentera une exposition entièrement dédiée à l’album de Jean Dytar.

12 Sep

La BD fait sa rentrée. Les Grands cerfs, un hymne à la nature signé Gaétan Nocq d’après le roman de Claudie Hunzinger

Il en a sous le capot ce Gaétan Nocq. Ou sous la plume si vous préférez. C’est ce que je me disais à la lecture de son premier album Soleil brûlant en Algérie. C’est ce que je me dis aujourd’hui encore en découvrant Les Grands cerfs, un magnifique album qui porte la griffe des éditions Daniel Maghen et offre le rôle principal à la nature…

Soleil brûlant en Algérie, Capitaine Tikhomiroff, Le Rapport W, et aujourd’hui Les Grand cerfs, chaque album de Gaétan Nocq est un sacré voyage doublé d’une rencontre. Cette fois, pas de retour dans notre passé, il nous emmène dans les Vosges d’aujourd’hui pour retrouver une femme, Claudie Hunzinger, artiste plasticienne et romancière.

Avec son mari, elle s’est installée dans une ancienne métairie isolée au coeur de la forêt pour « fuir le bruit des hommes » et surtout vivre la nature, sentir ses odeurs, partager le territoire des animaux sauvages et notamment des cerfs. De cette expérience, elle en a écrit un livre, Les Grands cerfs, publié en août 2019 aux éditions Grasset. L’héroïne se prénomme Pamina, son mari, Nils, des personnages fictifs, une part d’imaginaire pour une histoire vraie.

C’est en écoutant L’Heure bleue, l’excellente émission de Laure Adler sur France Inter, que Gaétan Nocq découvre l’existence de ce livre et son auteure. Le plaidoyer qu’il entend, « un plaidoyer à la fois poétique et alarmant sur l’état de la nature sauvage aujourd’hui », dira-t-il le touche, l’intrigue même. Au point qu’il décide d’adapter le roman en bande dessinée. Et le résultat est là ! Enfin presque. Le livre, qui devait sortir fin août, ne sera finalement disponible dans toutes les bonnes librairies que le 23 septembre. Un petit souci à l’impression, me souffle-t-on dans l’oreillette.

© Editions Daniel Maghen / Nocq

Quoiqu’il en soit, Gaëtan Nocq signe ici un magnifique ouvrage, très certainement une fidèle adaptation – j’avoue ne pas avoir lu le roman de Claudie Hunzinger –  avec un parti pris autour de la couleur surprenant mais assumé, des teintes bleues et rouges qu’il défend par son souhait « d’exprimer un climat, un état psychologique ».

Et ça fonctionne, Les Grand cerfs, la bande dessinée comme le roman, nous parle de l’amour que porte cette jeune femme pour la nature sauvage, prête à passer ses nuits dehors à l’affût, pour apercevoir les cerfs, « on suit Pamina dans son travail de repérage, sa quête de traces, d’indices de renseignements ». Il nous parle aussi du travail de l’ONF, l’Office National des Forêts, qui se doit de réguler avec les chasseurs leur population.

« Beaucoup de choses m’ont interpellé dans son roman, le lieu, ce monde à part, cette vallée des Vosges, la découverte de la nature sauvage, un « roman de grand air » comme elle le dit. Mais ce n’est pas Bambi, c’est un roman qui s’ancre dans le réel et qui interroge notre monde contemporain ».

Parce que la beauté a toujours côtoyé la cruauté, Les grands cerfs n’offre pas une fin heureuse. C’est en tout cas une histoire qui nous ouvre les yeux sur la richesse, la diversité, de la faune sauvage de nos forêts et qui nous apprend beaucoup sur nous-mêmes.

Eric Guillaud

Les Grands cerfs, de Gaétan Nocq. Editions Daniel Maghen. 29€

© Editions Daniel Maghen / Nocq

09 Sep

Tananarive ou l’aventure en héritage, un récit de Sylvain Vallée et Mark Eacersall

Le dessinateur Sylvain Vallée rêvait de prendre une année sabbatique, de s’éloigner un peu de la bande dessinée, jusqu’au jour où il reçoit le scénario de Mark Eacersall et en tombe raide dingue pour la simple et bonne raison qu’il mettait en scène deux vieillards. Bingo ! Tananarive est l’un des plus beaux albums de l’année. Une histoire à la fois intime et universelle, douce et dingue, dramatique et poétique…

Bon, on ne va pas vous faire languir sur le coup, vous obliger à lire cette chronique jusqu’à la dernière ligne, on vous le dit d’entrée, l’album de Sylvain Vallée et Mark Eacersall est un pur bonheur, un gros chef-d’oeuvre, le genre de bouquin qui vous fait aimer encore plus la bande dessinée. De la première à la dernière page, tout est un régal, les dialogues, les dessins, le découpage, le rythme, les couleurs et bien sûr l’histoire.

L’histoire justement, celle d’un notaire, Amédée, le chauve avec son imper et son faux air de Jérôme K Jérôme Bloche, vous savez le détective de Dodier, ici en version retraité. Cette ressemblance tombe bien parce que le notaire, enfin l’ex-notaire, se transforme dans le récit en détective. C’est pour ça qu’il a ressorti l’imper. Pour faire vrai. Et la petite Triumph cabriolet sport qui va bien. L’aventure avec un grand A ne se vit pas avec un monospace tout de même.

© Glénat /Vallée & Eacersall

Tout commence un soir chez Jo, son ami le plus proche. Sa maison est en face de la sienne. Tous les deux refont le monde à la façon du film Un Singe en hiver avec Gabin et Belmondo. Un verre à la main, Jo raconte sa vie d’aventurier, Diên Biên Phu, la Mer rouge, les pirates, les Guaranis… devant un Amédée conquis. Qui en redemande. Mais il est 11 heures, et il ne faut pas rater le sommeil de 11 heures lui dit Jo. La suite demain. Mais le lendemain, Jo meurt d’une crise cardiaque, laissant Amédée dans le plus grand désarroi. Prêt lui aussi à se laisser mourir.

Et puis non ! Amédée se ressaisit et décide de partir à la recherche des héritiers. Pas de testament, pas d’enfants connus. Amédée va devoir retrouver les traces de l’état civil de son ami, aller à Madagascar où il disait être né avant de voyager partout à travers le monde. Madagascar ? Non, finalement, ce sera Charleville. C’est marqué sur l’acte de décès, en toutes lettres : « Monsieur Joseph Gaston Seigneur, né à Charleville ». Celui qu’il croyait connaître par coeur avait ses petits et grands secrets. Et Amédée n’a pas fini d’en apprendre sur son ami…

© Glénat /Vallée & Eacersall

Magistral ! je vous le disais. Sylvain Vallée et Mark Eacersall mettent en scène une aventure humaine à la fois pleine de poésie, de sagesse et de drôlerie entre deux septuagénaires, le premier qui n’a pas franchement profité de la vie, pépère avant l’heure, et le second, qui l’a passée à travestir la réalité, fantasmer un destin d’aventurier au long cours Tananarive parle de l’amitié bien sûr, de la mort un peu, de la vie beaucoup, de ce qu’on en fait, de ce qu’on laisse en héritage. Un tourbillon d’émotions !

Eric Guillaud

Tananarive, de  Sylvain Vallée et Mark Eacersall. Glénat. 19,50€

07 Sep

La BD fait sa rentrée. Bob Morane est de retour en BD pour sauver le monde et ses fidèles lecteurs avec lui 

Alors que son créateur Henri Vernes vient de tirer sa révérence (à 102 ans !), « le vrai héros de tous les temps » Bob Morane, lui, revient en BD après une absence de cinq ans. Et ici, après une modernisation ratée, retour aux fondamentaux !

Il aura juste eu le temps d’écrire la préface. Quelques mois seulement son décès, l’ex-journaliste et prolifique auteur a donc pris sa plume pour passer le témoin en quelque sorte aux scénaristes Christophe Bec et Corbeyran et au dessinateur Paolo Grella et saluer en eux de « vrais lecteurs de Bob Morane ». Un petit texte imprimé en préambule de ce ‘reboot’ en quelque sorte de la série – un beau ‘1’ s’affiche sur la tranche – qui donne le ton, avec justesse.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que cette nouvelle aventure a lieu en 1952, le tout premier roman de Bob (à l’époque on disait plutôt ‘Robert’) Morane La Vallée Infernale ayant été publié par Marabout Junior en 1953. Tout comme le fait que style de Grella est ouvertement très proche de celui de William Vance, aux manettes entre 1968 et 1979, période à laquelle la série était au sommet de sa popularité.

© Soleil / Bec, Corbeyran, Grella et Gérard

L’objectif est ici clair : retrouver ce même mélange d’aventures exotiques, de pulps et de science-fiction, un peu rétro mais avec une noirceur supplémentaire assumé. Et histoire de bien enfoncer le clou, on a même convoqué pour l’occasion l’ennemi numéro un du héros, l’Ombre Jaune dont les traits ici plus proches que jamais de feu l’acteur Yul Brunner. Aux couleurs, Sébastien Gérard donne aux montagnes et aux forêts d’Indochine où l’action se déroule une teinte verdâtre et mystérieuse. Bref, c’est plutôt réussi.

Certes, après une longue introduction, il y a quelques raccourcis et la conclusion est, disons, un peu précipitée (manque de pagination ?), tout comme ce virage à 90° dans l’horreur cosmique en fin parcours pas très bien négocié. Mais Les 100 Démons de L’Ombre Jaune assume son côté série B à l’ancienne. Et au diable le réalisme ! Le plaisir que l’on a toujours tiré de ce type de héros comme Bob Morane ou Doc Savage sortant vainqueurs des pires vilenies est avant tout un plaisir de gamin et là, on est servi. Accessoirement, on sent aussi l’aventurier enfin de retour sur de bons rails après quelques errements et ça promet pour la suite, ta ta ta !

Olivier Badin

Les 100 Démons De L’Ombre Jaune, de Christophe Bec, Corbeyran, Paolo Grella et Sébastien Gérard. Soleil. 14,95€

© Soleil / Bec, Corbeyran, Grella et Gérard

05 Sep

Le retour de Corto Maltese : hérésie ou coup de génie ?

Ce n’est pas la première fois qu’un héros de papier survit à son créateur, ce n’est pas non plus la première fois que Corto Maltese repart à l’aventure depuis la disparition d’Hugo Pratt. Alors pourquoi tant d’amour et de haine autour de cet « album événement » sorti chez Casterman et signé Martin Quenehen et Bastien Vivès ?  Réponse ici…

Le secret a été bien gardé jusqu’au jour de sa sortie, le 1er septembre. Ou presque ! Les plus avertis des amateurs de bandes dessinées ont pu bénéficier de quelques fuites ici ou là. Mais rien qui ne pouvait atteindre le grand public, celui à qui s’adresse ce nouvel album.

Car Corto Maltese n’est pas n’importe quel héros de papier. C’est l’un des plus intemporels, des plus populaires, des plus appréciés et bien au-delà du seul petit monde du Neuvième art. Comme Lucky Luke, Spirou, Astérix, Blake et Mortimer, Blueberry ou encore Tif et Tondu, qui ont tous fait l’objet de reprises, Corto appartient aujourd’hui à notre imaginaire collectif et de fait à nous tous avec l’image qu’on s’est faite de lui, qu’on garde de lui.

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Lui donner une nouvelle vie, comme l’ont fait précédemment Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero et aujourd’hui Martin Quenehen et Bastien Vivès est assez casse-gueule. Forcément, quelque chose ne collera pas à cette image que nous avons du personnage, forcément, il n’y aura pas la même musique, la même poésie, le même coup de crayon.

Et c’est là à mon avis le coup de génie de Vivès et Quenehen, garder l’essence des aventures de Corto, l’ADN du personnage, mais s’éloigner totalement du graphisme de Pratt et de la période, le début du XXe siècle, dans laquelle se déroulent toutes ses aventures depuis La Ballade de la mer salée sorti en 1975 jusqu’à en 1992, et même sous les trois albums du tandem Canales / Pellejero. Océan noir se déroule en 2001 avec un Corto rajeuni, plutôt beau gosse, une allure actuelle avec tout de même ses légendaires rouflaquettes et sa boucle d’oreille.

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Vivès et Quenehen, ne sortent quand même pas de nulle part, le premier est l’auteur d’une vingtaine de one-shots et de plusieurs séries dont Lastman, le second, ancien producteur d’émissions à France Culture, romancier, est devenu scénariste de bande dessinée avec un autre album dessiné par Bastien Vivès, Quatorze juillet.

Alors bien sûr, ce parti pris graphique – Vivès a tout de même un trait singulier – et scénaristique ne peut effectivement pas plaire à tout le monde et bien évidemment les gardiens du temple sont montés au créneau et s’offusquent. Petit florilège :

« Arrêtez ce massacre », « Corto est mort avec Hugo Pratt », « Vous faites quoi la prochaine fois ! Corto contre Batman !? », « Le personnage de Corto est lié à son époque et ses références culturelles… Le mettre à notre époque c’est trahir tout ce qu’il est »…

© Casterman / Pratt, Vivès & Quenehen

Bref, les griefs sont nombreux, les louanges le sont tout autant. Alors, le meilleur moyen d’aborder cet album est de bien garder à l’esprit que Vivès et Quenehen n’ont en rien l’ambition de remplacer Hugo Pratt. Ce n’est pas possible ! Ce qu’ils souhaitent, c’est offrir une autre perspective de l’oeuvre, une réinterprétation, et quelque part rendre hommage au génie de Pratt.

Et de ce côté-là, c’est réussi. Océan noir nous embarque dans une très belle aventure, où l’on retrouve tout le magnétisme, le romantisme du personnage avec un casting de premier choix, Rasputine bien sûr et des femmes, pas mal de femmes, qui mènent la danse comme souvent dans les aventures de Corto et trimbalent notre héros de Tokyo à Lima au Pérou à la recherche d’un trésor.

Pour répondre à la question de cette rubrique, l’album de Vivès et Quenehen n’est absolument pas une hérésie, plutôt un coup de génie, en tout cas un album qu’il faut impérativement avoir dans sa collection Corto Maltese. Inutile de vous précipiter, il y en aura pour tout le monde, l’objet serait tiré à plus de 100 000 exemplaires.

Eric Guillaud

Corto Maltese, Océan noir, de Vivès et Quenehen. Casterman. Disponible en deux versions, cartonné et en couleur à 35€, souple et en noir et blanc à 22€

01 Sep

La BD fait sa rentrée. Et si l’attentat du 11 septembre avait été évité…

Comme on pouvait légitimement s’y attendre, à l’approche du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre refleurissent au rayon BD les albums sur ce thème. Comme celui-ci, une très belle réédition en intégrale de trois albums initialement parus dans la collection Jour J en 2017…


« Happy 2005 » inscrit en lettres lumineuses sur les tours jumelles : l’image aurait pu faire le tour du monde, la Une des médias, elle ne fera que la couverture de ce récit signé Duval, Pécau, Blanchard et Kordey, une uchronie comme le sont tous les épisodes de cette série publiée par Delcourt et portant le nom générique de Jour J.  Publié initialement en trois volumes en 2017, le récit repose sur une interrogation : et si les attentats du 11 septembre avaient pu être évités ?

Et de fait, ils auraient pu être possiblement évités si on avait en l’occurrence écouté un homme, John Patrick O’Neil, agent puis directeur assistant du FBI, avant de devenir le chef de la sécurité du WTC en 2001, quelques jours avant les attentats qui lui coûteront la vie comme à des milliers d’autres hommes et femmes.

Une uchronie ? Non, jusqu’à ce point du récit, ce n’est que vérité et ironie. Lui, la sommité de l’antiterrorisme qui avait comme le rappelle le dossier placé en ouverture de l’album, découvert dans les années 90 à la fois l’existence d’Al-Qaïda, de son dirigeant Ben Laden et de l’opération Bojinka, laquelle prévoyait le détournement d’avions pour les précipiter sur des cibles civiles dont le WTC, meurt dans l’attentat le plus sidérant de notre époque, un attentat qui allait changer le cours de l’histoire.

Et si l’attentat n’avait pas eu lieu, et si O’Neil n’était pas mort le 11 septembre, et s’il avait gagné son combat contre le terrorisme. L’uchronie est là. 11 septembre raconte ce qui aurait pu se passer et ce qui nous aurait été épargné. Un récit qui a du peps embarqué par le dessin à fort caractère du Croate Igor Kordey.

Eric Guillaud 

Jour J, 11 septembre, par Duval, Pécau, Blanchard et Kordey. Delcourt. 19,95€

28 Août

La BD fait sa rentrée. Bons baisers de Limón, premier roman graphique du Costaricain Edo Brenes

S’il y a bien quelque chose d’universel, ce sont les histoires et les secrets de familles. Bons baisers de Limón se déroule au Costa Rica, il aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. L’album n’en reste pas moins une belle découverte et un voyage singulier…

Pour ceux qui ne le sauraient pas, comme moi quelques minutes avant d’écrire ces lignes, et de fait vous épargner une recherche sur Google, Limón, à la fois province et ville, se situe sur la côte caraïbe du Costa Rica.

L’auteur, Edo Brenes, en est originaire. Il vit aujourd’hui à Cambridge au Royaume Uni. Dans ce roman graphique, il met en scène un jeune homme prénommé Ramiro vivant en Angleterre et revenant sur ses terres avec l’idée d’écrire un livre sur les membres de sa famille qui ont vécu à Limón dans les années 40 à 50. Vous l’aurez compris, sans être présentée comme une autobiographie, Bons baisers de Limón est largement inspiré de sa vie.

Arrivé chez sa mère, il déniche quantité de photos dans une vieille malle du grand-père. Elles seront le point de départ de ses recherches et de ses rencontres…

Pour un premier roman graphique, Edo Brenes nous surprend vraiment par sa maîtrise de la narration et du graphisme. Personne ne sera étonné à la lecture de son livre qu’il adore Chris Ware. Il se dit aussi inspiré pour cet album par Giuseppe Tornatore (Cinema Paradiso) et Wong Kar-Wai (In the Mood for Love). Bref, que de bonnes influences pour un récit qui se savoure tranquillement, allongé sous un palmier ou non. Page après page, on se prend à aimer cette famille et à se prendre pour l’un des siens. Pas d’aventure avec un grand A ici, juste des tranches de vie ordinaires déroulées sur un mode tendrement nostalgique. On adore !

Eric Guillaud

Bons baisers de Limón, de Edo Brenes. Casterman. 23€ ( en librairie le 8 septembre )

© Casterman / Brenes