11 Jan

Esad Ribic ou comment sublimer le tragique chez les super-héros

Esad Ribic ne rentre dans aucun moule. Ce croate, qui fêtera cette année ses cinquante ans, détonne aussi bien par son style très sculptural que par son parti-pris graphique à la fois majestueux et froid. Et comme il se fait très rare ces dernières années, préférant se consacrant à la réalisation de couvertures, chacune de ses sorties est un mini-événement en soit. Ça tombe bien, il y en deux ce mois-ci !

Aussi talentueux qu’il soit par contre, cela ne l’empêche de se ‘rater’ parfois… Comme avec cette nouvelle adaptation de la série Les Éternels, à l’occasion de la sortie de l’adaptation cinématographique sortie un peu en catimini en France en Novembre dernier. Il faut dire que sur le vieux continent, la série est loin d’avoir l’aura qu’elle a aux Etats-Unis.

 l’origine, Les Éternels est une création du ‘king of comics’ Jack Kirby, la superstar absolue de la maison MARVEL. Kirby était intouchable dans les 60’s (Quatre Fantastiques, Thor, Captain Americaetc.) mais après s’être fâché avec MARVEL, il avait filé à la concurrence avant de revenir finalement quelques années au bercail. Publié en 1976, Les Eternels est peut-être sa dernière grande œuvre. On y découvre une race d’être immortels (ces fameux éternels donc) crées par des extra-terrestres il y a un million d’années dans le but alors avoué de faire évoluer ensuite l’espèce humaine. Mais leur conflit avec les plus génétiquement instables déviants, leurs cousins en quelque sorte, les obligent à se cacher pendant des siècles, jusqu’à ce qu’ils soient redécouverts par hasard.

Pour faire simple, jamais avant ou après Kirby (qui signait ici aussi le scénario) n’a été aussi mystique, jonglant avec des concepts assez complexes tournant autour de l’immortalité, de l’ordre du cosmos et ce genre de choses assez fumeuses. On ne comprenait pas tout mais c’était beau, très beau car rarement le King n’avait été aussi emphatique.

© J.M. Straczynski et Esad Ribic

Et bien avec cette nouvelle mini-série de cinq épisodes tous réunis pour cette version française, c’est un peu la même chose. Le scénariste Kieron Gillen a beau essayer à la fois de réinventer la mythologie tout en y restant fidèle, les longues plages de dialogues assez abscons – avec d’incessantes références antérieures au récit que seuls les initiés comprendront – risquent de décourager même les plus braves. Même le d’habitude très expansif Ribic semble un peu étriqué dans cet univers bavard malgré les couleurs très chatoyantes et où les quelques scènes d’actions ou l’intervention du super-méchant Thanos ne semblent avoir été rajoutés que pour tenter de raviver l’intérêt général.

Non, en fait, si on veut vraiment prendre la pleine mesure du croate, il faut se jeter sur Silver Surfer : Requiem, édité qui plus est en version grand format. Il fallait au moins ça pour s’en prendre plein les mirettes et ainsi assister à la mort de l’un des personnages les plus christiques si l’on peut dire de MARVEL et ancien héraut de Galactus le mangeur de planète.

© Kieron Gillen et Esad Ribic

C’est simple, avec Loki et Thor : Le Massacreur de Dieu, ceci est sûrement LE chef d’œuvre de Ribic, un chant du cygne (littéralement) aux accents tragiques presque shakespeariens et d’une force émotionnelle intense. Presque un comble, tant la critique récurrente qu’on entend à propos du croate est justement le côté parfois trop figé et donc peut-être un désincarné de ses dessins.  Sauf qu’ici, tout a été fait pour magnifier son style majestueux. Il faut dire que le scénario est (volontairement) des plus minimaliste : atteint d’une sorte de cancer et se sachant condamné, le surfeur d’argent décide ici en quelque sorte de solder les comptes et d’aller revoir son monde natal une dernière fois avant de mourir.

© Kieron Gillen et Esad Ribic

Ce n’est pas pour rien que le quatrième de couv’ parle d’une édition « qui met en valeur les (…) peintures de l’artiste ». Parce qu’on parle bien ici de véritables peintures, où cet être impassible au corps intégralement chromé et lancé à travers l’espace sur sa planche cosmique devient des plus émouvants alors qu’il apprend petit-à-petit à accepter son destin. Impossible d’ailleurs de ne pas penser au mythique La Mort De Captain Marvel sorti en 1982 et où le scénariste Jim Starlin avait réalisé un récit introspectif aussi tragique qu’émouvant et où le héros mourait, déjà, d’un cancer.

Pas de bastons épiques, pas de convulsions scénaristiques et encore moins de coups de théâtre. Juste un dessinateur au sommet de son art et un personnage stoïque face à son destin. Chef d’œuvre !

Olivier Badin

Le Éternels : Seule La Mort Est Éternelle de Kieron Gillen et Esad Ribic. 20,99€.

Silver Surfer : Requiem de J.M. Straczynski et Esad Ribic. 28€.

06 Jan

Nouveauté 2022. Mezkal, un road trip jubilatoire et impétueux de Kevan Stevens et Jef

Quand le rêve américain tourne au cauchemar, mieux vaut tailler la route le plus loin possible et sans se retourner, à l’image du héros de Kevan Stevens et Jef dans ce road trip sous amphétamine. Mais l’ailleurs n’est pas forcément plus enviable…

Entre son boulot qui part en vrille, sa mère qui se suicide et les huissiers qui rappliquent pour l’alléger de sa part d’héritage et qui plus-est lui réclamer 31000 dollars d’impayés…  rien ne va plus pour Vananka Darmont. Alors, autant enfiler le dernier costard qui lui reste, attraper sa guitare et tailler la route…

« Le rêve américain, on m’a proposé de m’le mettre dans le cul. J’ai accepté »

Ce n’est pas très classe mais c’est ainsi qu’il voit les choses. Et il n’a pas franchement tort tant le pays qu’il va traverser n’a rien d’un rêve, tout d’un cauchemar. Direction El Paso, la frontière avec le Mexique. Des milliers de personnes tentent de la passer chaque jour pour rejoindre les États-Unis, lui veut aller de l’autre côté à Ciudad Juárez. Pas vraiment une ville pour faire du tourisme…

« Dès que je suis arrivé dans cette ville, trois opportunités assez cool se sont offertes à moi : me buter, me faire buter ou me barrer le plus rapidement possible ».

C’est la dernière solution qu’il choisit. Direction cette fois le désert mexicain. Et c’est comme ça qu’il débarque chez la jeune et séduisante Leila qui vit avec son frère et son grand-père loin de tout et de tout le monde. Enfin pas tant que ça. Une bande de gus à la mine franchement patibulaire vient rapidement troubler l’amour naissant entre les deux tourtereaux. Pour Vananka, les ennuis ne font que commencer…

Jef au dessin (Corps et Âme, Geronimo) et Kevan Stevens au scénario signent en ce tout début d’année une BD qui a du chien, du mordant, avec de belles dentitions, beaucoup de poussière, de sueur et d’action, mais aussi un peu d’amour et de poésie sauvage dans un monde de brutes épaisses. Près de 200 pages à fond la caisse, un récit coincé entre le cauchemar américain et l’enfer des cartels.

Eric Guillaud

Mezkal, de Kevan Stevens et Jef. Editions Soleil. 26,50€

© Soleil / Stevens & Jef

04 Jan

BD. Résolution n°1 : Lily Cane arrête de fumer

Faire du sport, manger des légumes, ne plus télétravailler en pyjama, ranger sa chambre… En ce mois de janvier, tout le monde y va de sa bonne résolution. Pour Lily Cane, héroïne de cet album paru chez First Éditions, ce sera l’arrêt du tabac, un parcours du combattant raconté par la Nantaise Bénédicte des Mazery et le Dr Dan Belhassen…

C’est décidé. Le tabac ne passera plus par elle. Elle, c’est Lily Cane, la quarantaine, deux enfants, des années de tabagisme, un nombre incalculable de tentatives de sevrage et une décision ferme et définitive prise un beau soir autour d’un verre de vin et de quelques amis fumeurs : la clope, c’est fini !

Enfin bientôt. Pour Lily, direction le cabinet du docteur Harry Danani dont la méthode de sevrage tabagique serait vraiment originale. Pas question de la, de vous, de nous culpabiliser, le sevrage est ici pratiqué et décrit avec une approche scientifique qui commence par s’intéresser au mécanisme de la dépendance psychologique et physique.

Au fil de ses rendez-vous médicaux et d’un quotidien oscillant entre une belle détermination et quelques phases de découragements, Lily Cane partage avec nous les différentes étapes du sevrage jusqu’aux premiers bienfaits.

Mieux que le tabac froid, ce livre sent le vécu. Rien de moins étonnant puisque derrière les personnages fictifs de Lily Cane et du Dr Harry Danani se cachent Bénédicte des Mazery et le Dr Dan Belhassen, les auteurs du livre. Un récit autobiographique ou presque donc, conçu pour aider d’autres fumeurs en informant mais aussi en amusant. Personnellement, je ne fume plus depuis de longues années mais aucun doute que ce livre peut avoir pour certains l’effet d’un patch.

Eric Guillaud

Lily Cane arrête de fumer, de Dan Belhassen, Bénédicte des Mazery. First Editions. 15,95€

© First Éditions / Belhassen & des Mazery

31 Déc

2021 : une année en BD

À quelques heures de fêter 2022, petit retour en arrière. Douze mois, autant de BD qui ont marqué l’année 2021.

Janvier. Demain peut-être

Mieux vaut tard que jamais ! Plus encore lorsqu’on a le talent d’Amaury Bündgen qui publie en ce début d’année sa toute première bande dessinée, un récit de science-fiction influencé par le manga, le comics et la bande dessinée européenne. L’homme a 48 ans et visiblement un bel avenir dans le milieu…

> Ion Mud, d’Amaury Bündgen. Casterman. 25€ 

Février. Un Spirou cinq étoiles

La couverture annonce la couleur, Pacific palace est un album de toute beauté. Mais ce n’est pas là la seule qualité du livre, Christian Durieux nous a concocté une histoire comme il en a le secret, belle et sensible. Une aventure de Spirou et Fantasio comme vous n’en avez jamais lue…

> Le Spirou de Christian Durieux. Pacific Palace, Dupuis. 16,50€

Mars. Tombé du ciel

Attention talent ! Fabien Roché atterrit sur la planète BD avec une enquête méticuleuse sur le premier humain, une femme, ayant été touché par une météorite. Une histoire vraie, un album renversant…

> La météorite de Hodges, par Fabien Roché. Delcourt. 18,95€

Avril. Beau comme un poème !

Yslaire fait son retour chez l’éditeur de ses débuts avec un livre hommage à l’un des plus grands poètes français, Baudelaire, dont on célèbre en ce mois d’avril le bicentenaire de la naissance…

> Mademoiselle Baudelaire, d’Yslaire. Dupuis. 26€

Mai. Un peu d’histoire

Elle s’appelait Louise Pikovsky, avait 16 ans, pensait que l’avenir lui appartenait. Mais en janvier 1944, elle est déportée et gazée à Auschwitz. En 2010, une correspondance entretenue avec une de ses professeurs est retrouvée au fond d’un placard. Elle est à l’origine de cette bande dessinée…

> Si je reviens un jour – Les Lettres retrouvées de Louise Pikovsky, de Lambert et Trouillard. Des Ronds dans L’O. 20€

Juin. Le temps des amours

Depuis 2014, date de son premier album paru chez Delcourt, Fabien Toulmé construit une œuvre singulière et forte qui nous raconte le monde et l’intime. Avec ce nouvel opus, l’auteur évoque l’amour, le couple, l’engagement, à travers l’histoire et la rencontre de deux générations, une grand-mère et sa petite fille. En voiture Suzette…

> Suzette ou le grand amour, de Fabien Toulmé. Delcourt. 29,95€

Juillet. Coup de chaud !

Quand le crime devient une affaire de famille, la tragédie n’est jamais loin, en l’occurrence au bout des 300 pages de ce récit très noir et poisseux magnifiquement mis en images par Sean Phillips dont le trait sombre est ô combien mis en valeur par les couleurs du fiston Jacob Phillips…

> Un Été cruel, de Ed Brubaker et Sean Phillips. Delcourt. 29,95€

Août. Complètement rock’n’roll

Scénario, dessin, dialogues, découpage, couleurs, Valhalla Hotel est typiquement le genre de bouquin qui vous nettoie le cerveau. Peu de bla-bla, beaucoup d’action et d’humour. Jouissif !

> Valhalla Hotel, de Perna et Bedouel. Glénat / Comix Buro. 14,95€

Septembre. Les héros font leur rentrée

Ce n’est pas la première fois qu’un héros de papier survit à son créateur, ce n’est pas non plus la première fois que Corto Maltese repart à l’aventure depuis la disparition d’Hugo Pratt. Alors pourquoi tant d’amour et de haine autour de cet « album événement » sorti chez Casterman et signé Martin Quenehen et Bastien Vivès ?  Réponse ici…

> Corto Maltese, Océan noir, de Vivès et Quenehen. Casterman. 22€

Octobre. Un conte pour les grands

Libérer une princesse ! Qui pourrait refuser une telle mission surtout lorsque la princesse en question est d’une beauté incroyable. Arzhur n’a pas refusé, il s’est même empressé d’aller à son secours. Mais la vie n’a parfois rien d’un conte de fée…

> Ténébreuse, de Mallié et Hubert, couleurs de Bruno Tatti. Éditions Dupuis. 19,95€

Novembre. La tête dans les étoiles

Les pieds sur Terre, la tête dans l’imaginaire, le scénariste Pat Perna, accompagné du dessinateur Fabien Bedouel, revisite l’histoire de la conquête de la Lune façon fake news avec pour objectif une bonne dose de divertissement et un brin de réflexion…

> Kosmos, de Pat Perna et Fabien Bedouel. Éditions Delcourt. 27,95€

Décembre. La révolte gronde

Son parcours est jalonné de petits et grands chefs-d’œuvre, des albums qui ont marqué le neuvième art sans forcément faire d’éclats, plutôt insidieusement, comme une évidence. Il revient avec Sous les galets la plage, une histoire d’amour entre un jeune homme de très bonne famille et une voleuse de résidences secondaires, deux héros en révolte contre la France cadenassée des années 60…

> Sous les galets la plage, de Pascal Rabaté. Éditions Rue de Sèvres. 25€

Eric Guillaud

27 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Sous les galets la plage, de Pascal Rabaté

Son parcours est jalonné de petits et grands chefs-d’œuvre, des albums qui ont marqué le neuvième art sans forcément faire d’éclats, plutôt insidieusement, comme une évidence. Il revient avec Sous les galets la plage, une histoire d’amour entre un jeune homme de très bonne famille et une voleuse de résidences secondaires, deux héros en révolte contre la France cadenassée des années 60…

Les Pieds dedans, Un Ver dans le fruit, Ibicus, La Marie en plastique, Les Petits ruisseaux ou encore La Déconfiture : en un peu plus de 30 ans de carrière, Pascal Rabaté a signé une bonne quarantaine d’albums qui, à l’instar d’un Davodeau ou d’un Prudhomme, s’intéressent le plus souvent aux gens vrais, aux gens ordinaires, dans un contexte lui-aussi souvent ordinaire. Parce que le quotidien, si on y regarde bien, est aussi source d’aventure humaine.

En détournant pour le titre de l’album un fameux slogan de mai 68, Pascal Rabaté donne le ton de son nouvel album dès la couverture. Sous les galets la plage est un gentil coup de pied dans la bienséance d’une société pré-soixante-huitarde, bloquée sur ses principes. La femme au foyer, l’homme au turbin ou à la guerre, les enfants dans le droit chemin, ni artistes, ni homos, les cheveux bien coupés, de belles études et un beau mariage.

Sous les galets la plage brise la chaîne. Les héros de Rabaté ont envie de vivre, d’être heureux, amoureux. D’un côté, Albert, jeune-homme bien sous tous rapports, promis à un bel avenir dans l’armée comme papa, de l’autre Odette, née de la collaboration horizontale, voleuse opportuniste.

Rien dans leurs gènes, dans leurs origines ne les rapproche, ils vont pourtant se croiser, s’aimer et se révolter contre l’ordre établi.

Nous sommes à Loctudy dans le sud du Finistère en 1962. C’est la fin de l’été, les résidences secondaires se vident de leurs occupants, une aubaine pour Odette et son gang qui se sont fait une spécialité de visiter les maisons inoccupées et d’en repartir avec meubles, bibelots et autres marchandises.

De son côté Albert profite avec ses amis de l’absence de ses parents pour vider la cave à vin de la maison et traîner tard sur la plage. C’est là qu’ils font la rencontre d’Odette, une rencontre qui aura pour Albert le parfum de la liberté, de l’amour et de la révolte…

À l’image des deux protagonistes représentés en couverture, ce nouvel opus de Pascal Rabaté ne peut que laisser le lecteur avec un incroyable sentiment de plénitude, comblé par le graphisme épuré, élégant, par les couleurs très légères qui ne font ici que mettre en valeur le trait précis en noir et blanc de l’auteur, par les ambiances sombres magnifiquement rendues, par les personnages forcément attachants, les dialogues exquis et bien évidemment l’histoire en elle-même qui laisse entrevoir un joli mois de mai 1968 entre les cases. Dans les esprits, dans les corps, déjà, la révolte gronde…

Eric Guillaud

Sous les galets la plage, de Pascal Rabaté. Éditions Rue de Sèvres. 25€

© Rue de Sèvres / Rabaté

23 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : Les Fleurs de cimetière de Baudoin

Alors qu’il approche des 80 printemps, Edmond Baudoin revient avec un volumineux album de près de 300 pages à L’Association dans lequel il retrace sa vie, ses amours, ses emmerdes… Son chef-d’œuvre ? Peut-être bien, même si lui-même ne croit pas au chef-d’œuvre

« La vie elle-même est un brouillon de vie »; fait dire Edmond Baudoin à son personnage dans les pages de ce live. Il explique ainsi qu’il ne croit pas au chef-d’œuvre. Certes, sa vie n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, on en a connu des plus extraordinaires, des plus extravagantes, des plus flamboyantes, mais c’est sa vie, une vie d’homme, une vie d’auteur, figure importante du neuvième art même s’il reste peu connu du grand public, avec des livres souvent intimistes au trait noir épais, charbonneux, aux thèmes existentiels, à l’approche exigeante et poétique. Baudoin est un artiste, libre, un poète du trait et de l’écriture.

Dans ce nouvel opus, baptisé Les Fleurs du cimetière, du nom de ces fameuses tâches de peau qui apparaissent avec l’âge, Baudoin nous parle de sa jeunesse, de ses parents, de son frère Piero qu’il adorait, de sa famille, de ses amours, de l’amour en général, de ses voyages, de son travail d’auteur, de la vieillesse, du corps qui change, de la maladie, de la vie, de la mort. Des pensées, des confidences très intimes, parfois même un peu crues mais jamais déplacées.

Les 288 pages que comptent cet album paru en juin dernier peuvent effrayer par leur densité, par le mélange d’illustrations, de textes et de bandes dessinées, par les multiples typographies, les ratures qui parsèment les textes, mais passée la surprise, plus on avance dans les pages, plus il est difficile de décrocher tant ce que nous raconte Baudoin parle forcément à chacun de nous. Sa vie effectivement n’est pas un chef-d’œuvre, peut-être un brouillon, mais quel brouillon !

Eric Guillaud 

Les Fleurs de cimetière, de Baudoin. L’Association. 30€

© L’Association / Baudoin

21 Déc

Action, aventure, fantastique, heroic fantasy… L’ultime sélection de bandes dessinées jeunesse à glisser sous le sapin de Noël

Aïe aïe aïe, Noël est en vue et vous séchez définitivement sur le cadeau du cousin de la fille de l’oncle José ? Pas de panique, voici rien que pour vous et les millions de gens dans la même situation une sélection de bandes dessinées orientées jeunesse. Mais rien n’empêche de les offrir à des grands, voire très grands…

On commence avec Abby et Welton, un récit complet signé Anaïs Halard et Giorgia Casetti aux éditions Delcourt, un récit qui nous embarque pour l’Angleterre victorienne, dans un vieil hôtel tenu par monsieur Brickhouse. La jeune Abby y séjourne avec sa mère qui ne manque pas une occasion de la réprimander. Il faut dire que notre héroïne n’a rien de la classique jeune fille de bonne famille vouée à se marier et tenir une maison. Ce qu’elle cherche avant tout, c’est l’amour ! Et justement, ce Walton dont le portrait traîne dans une chambre ferait bien l’affaire. Abby enlace le tableau et l’embrasse jusqu’à redonner vie à ce Walton, Walton White, fantôme de son état, qui va très vite se révéler insupportable. Amour, humour et fantastique au menu de cet album, le tout avec un graphisme très plaisant.  (Abby et Walton, de Halard et Casetti. Delcourt. 14,95€)

Les héros ne meurent jamais vraiment et survivent parfois à leurs créateurs. Michel Vaillant en est un bel exemple avec cette nouvelle série d’aventures reprises par une équipe talentueuse après le raccrochage de Philippe Graton. Scénario, graphisme… tout a été repensé, revu et corrigé pour offrir au personnage une seconde vie. Et ça marche ! Pikes Peak est le dixième volet de cette Saison 2 comme l’a baptisé l’éditeur, un dixième volet qui prend de la hauteur, 4300  mètres exactement. Pour la première fois, le pilote engage une Vaillante sur la Pikes Peak Hill Climb, plus connue sous le nom de course vers les nuages, dans la montagne de Pikes Peak aux États-Unis. 1440 mètres de dénivelés, 156 virages, des précipices à finir pétrifiés et une course de folie… (Pikes Peak, Michel Vaillant tome 10, de Lapière, Benéteau et Dutrueil. Dupuis. 15,95€)

Action avec Les Géants dont le quatrième volet est sorti en octobre dernier. Direction la Chine où le géant Alyphar et ses Cerbères ont détruit totalement deux centrales nucléaires créant la panique au sein de la population qui craint des retombées radioactives. Et malheureusement, le reste du monde n’est pas à l’abris. Partout, les Cerbères sèment le chaos au profit d’Alyphar. Mais tout n’est peut-être pas perdu, sept enfants aux capacités naturelles hors normes et liés à d’immenses créatures vont tout faire pour sauver la planète… (Les Géants, tome 4, de Christ, Drouin, Lylian. Glénat. 10,95€)

Les éditions Casterman, Jungle… et aujourd’hui Delcourt, les adaptations de La Ferme des animaux de George Orwell se suivent et ne se ressemblent pas même si l’histoire bien évidemment est toujours la même, la révolte des animaux dans une ferme da la campagne anglaise. Une adaptation au scénario bien ficelé et au dessin d’une belle lisibilité…  (La Ferme des animaux, de Rodolphe et Le Sourd d’après l’œuvre de George Orwell. Delcourt. 10,95€)

Septième et dernier volume de cette série signée Mathieu Reynès qui remporte depuis le départ un certain succès auprès des jeunes filles. Il faut dire que l’héroïne que l’on a pu découvrir dès novembre 2015 dans les pages du journal Spirou puis à partir de janvier 2016 en album est dotée d’un sacré tempérament et d’un pouvoir surnaturel qui fait fantasmer, à savoir la télékinésie, faculté métapsychique hypothétique de l’esprit qui permettrait d’agir directement sur la matière. Ça peut aider à déplacer des montagnes. Harmony, c’est de la SF pour tous plutôt bien écrite et mise en images.  (Harmony tome 7, de Reynès. Dupuis. 12,50€)

26 albums en 24 ans d’existence, 10 millions d’exemplaires vendus, 48 albums spin off et bientôt un podcast, l’univers imaginé par Christophe Arleston et Didier Tarquin en 1994 est aujourd’hui tentaculaire et fait partie des plus gros succès de la bande dessinée. Après une petite pause de dix ans histoire pour les auteurs de prendre l’air et combattre la lassitude, Lanfeust fait son retour pour un nouvel opus avec les mêmes ingrédients que les précédents, un savant cocktail d’humour, d’action et de magie. Dans ce nouvel épisode, après avoir sauvé le monde, Lanfeust retrouve un peu d’anonymat en reprenant son métier de forgeron. Mais tout ceci pourrait bien être qu’une couverture…  (La Forêt noiseuse, Lanfeust de Troy tome 9, de Arleston et Tarquin. Soleil. 14,95€)

Après Cosey, Tebo, Trondheim ou encore Loisel, c’est au tour de Jean-Luc Cornette et de Thierry Martin de nous proposer leur aventure de Mickey dans la fameuse collection lancée par les éditions Glénat il y a maintenant cinq ans et qui compte aujourd’hui 15 titres. Mickey et les mille pat est un très bel album au dos toilé rouge du plus bel effet et au beau format de 80 pages dont 4 de recherches graphiques. Il réunit quatre récits qui débutent pareillement au seuil de la petite maison de Mickey, quatre, autant de saisons qui défilent ici depuis le printemps jusqu’à l’hiver. Les histoires sont savoureuses, le dessin gentiment rétro, l’album incontournable pour les amoureux du personnage. (Mickey et les mille pat, de Thierry Martin et Jean-Luc Cornette. Glénat. 19€)

Héros à l’ancienne, Guy Lefranc est un journaliste-reporter né en 1952 dans les pages du journal Tintin sous la plume et le pinceau de Jacques Martin, déjà créateur de la fameuse série Alix. Depuis, nombre de dessinateurs et de scénaristes se sont succédé pour lui offrir à ce jour 32 aventures, autant de mystères à résoudre pour notre héros plongé au cœur des années 50. Dans ce nouvel épisode, Lefranc part à la recherche d’un panneau du retable de l’Adoration de l’Agneau mystique, un chef-d’œuvre de la peinture flamande dérobé dans le un musée de Gand. Un voyage dans le monde de l’art et de ses faussaires. (Les Juges intègres, Lefranc tome 32, de Corteggiani et Alvès. Casterman. 11,95€)

27 ans d’existence, 17 albums, plus de dix millions d’exemplaires vendus, un spin-off du même acabit baptisé Game Over, des adaptations en série animée, en jeux vidéo, en jeux de cartes, une multitude de produits dérivés… la série Kid Paddle est un vrai phénomène éditorial, et ce depuis de nombreuses années. Pourquoi un tel succès ? Tout simplement parce que l’auteur, Michel Ledent, aka Midam, a su créer un personnage d’aujourd’hui, passionné de jeux vidéo et de monstres en tout genre, souvent gluants et visqueux. On ne change pas une formule qui a fait ses preuves, ce nouvel album est à l’image des précédents, une succession de gags gentiment gore sur une ou deux pages. (Tattoo compris, Kid Paddle 16, de Midam, Dupuis. 10,95€)

Panique au château ! À en croire un messager introduit auprès du prince et de son mari, les animaux du royaume se révolteraient, refusant dorénavant de se laisser « bouffer la viande sur le dos ». De quoi en tomber du trône, envoyer la garde pour remettre tout ce beau monde dans le droit chemin et éviter une overdose de soupe de légumes à la cour. Plutôt que la garde, finalement, c’est le chambellan du château, Robilar pour vous servir, qui va tenter de reprendre les choses en main…  Lancée en septembre 2020, cette série de David Chauvel au scénario et Sylvain Guinebaud au dessin, s’amuse à détourner les contes et autres romans populaires comme ici La Ferme des animaux. Une série aussi rusée que le personnage principal, bourrée d’humour, d’action et de dialogues savoureux à double lecture. Pour les petits et les plus grands ! (Fort Animo, Robilar ou le maistre chat tome 3. Delcourt. 15,50€)

Une sélection de BD à offrir pour les plus grands ? C’est ici…

Eric Guillaud

20 Déc

Sélection officielle Angoulême 2022 : L’Américain de Loïc Guyon

Abuser des séries américaines télévisées peut-il nuire à la santé ? À défaut d’avoir la réponse, Loïc Guyon a pris le parti de s’en amuser dans son nouvel album avec un personnage complètement accro à une série ringarde qui va littéralement faire irruption dans son quotidien de petit Français ordinaire..

« Un gros clown attardé qui casse la gueule aux méchants ennemis des Ricains … De la pâtée pour demeurés ». Oualid est formel, L’Américain est une série pour ceux qui n’ont par le cerveau arrivé à maturité.

Oui mais voilà, son pote Francis adore cette série. Il n’en loupe pas un épisode. Pire encore, lorsqu’il n’est pas scotché devant son téléviseur, il refait les épisodes précédents autour d’un verre avec Marvin, le troisième larron de la bande. De quoi exaspérer sa petite amie Claire qui travaille pour deux et le supplie tous les jours de chercher un boulot.

Mais non, Monsieur attend de trouver l’inspiration pour écrire son chef-d’oeuvre. Alors forcément, c’est un peu tendu à la maison.

« Je pensais emménager avec toi, Francis ! Pas avec L’Américain »

Sur l’oreiller, Francis promet à Claire de faire un effort. Mais L’Américain, comme par magie, sort du petit écran, sonne à la porte de l’appartement de Francis et lui confie une malette à protéger coûte que coûte pendant que lui continue à combattre les méchants ennemis des États-Unis, arabes, nazis et autres communistes…

© Sarbacane / Guyon

Avec cet album sorti en avril dernier, son premier en tant que dessinateur ET scénariste, Loïc Guyon s’amuse de l’addiction que provoquent certaines séries, notamment américaines, en confrontant deux univers, les super-héros d’un côté, défenseurs de la veuve et de l’orphelin, gardiens d’une certaine idée de l’Amérique, et les héros à l’européenne, plus proches de la réalité du monde. On rit beaucoup en suivant le super-héros et ses aventures explosives et surréalistes, on rit aussi avec Francis et son côté anti-héros, à côté de la plaque, sur son nuage.

On rit mais bien évidemment L’Américain est aussi une critique virulente de l’Amérique vendeuse de rêves et de fantasmes.

Coté graphisme, L’Américain surprend par sa mise en page ultra-dynamique avec des dessins façon illustrations, libérés du gaufrier et du carcan des vignettes, un style graphique ou plus exactement deux styles graphiques qui se répondent selon que l’on est dans les aventures du super-héros ou celles de Francis, un trait vif dans les deux cas. Un album largement recommandé à l’arrivée !

Eric Guillaud

L’Américain, ce Loïc Guyon. Éditions Sarbacane. 26€

© Sarbacane / Guyon

16 Déc

L’heure du dragon, la dernière et très épique addition à la série d’adaptations en BD des aventures de Conan le barbare par le scénariste d’Elric

Du drame, de l’action digne d’un blockbuster américain, un méchant XXL, un ton plus sombre que jamais… L’heure du dragon est l’une de aventures les plus grandioses du cimmérien et Glénat, qui s’est lancé dans l’adaptation de l’œuvre de Robert E. Howard depuis 2018, ne pouvait pas passer à côté. Et c’est réussi !

Le plus intéressant dans cette série d’adaptations est la diversité qu’elle offre. En plus de livres tous indépendants les uns les autres (aucune obligation d’acheter toute la série pour tout comprendre), chaque nouvelle entrée est confiée à un nouveau couple de scénariste/dessinateur qui apportent donc à chaque fois ‘leur’ patte aux aventures du cimmérien. Un choix éditorial plutôt intelligent car malgré la myriade d’adaptations préexistantes, cela permet de varier les ambiances et ainsi de passer par exemple en terme de style graphique d’un Conan parfois limite manga (Les Clous Rouges) à un autre, plus rêveur (La fille du géant du gel). La greffe ne marche pas toujours mais elle a le mérite de permettre à chacun d’imprimer leur marque et surtout de montrer que plus de quatre-vingt-dix ans après sa première apparition, il y a encore quelque chose à dire sur le barbare le plus réputé de la fantasy.

© Glénat / Blondel, Sécher, d’après Robert E. Howard

L’Heure du dragon est son seul roman que Howard a consacré à son héros, tous les autres textes, nombreux, étant des nouvelles paru entre 1935 et 1936. Il est à la base paru sous forme d’un feuilleton dans la célèbre revue Weird Tales qui a aussi révélé HP Lovecraft. Pour les fans, c’est aussi celui qui introduit l’un des ‘méchants’ les plus terrifiants du bestiaire Conan si l’on peut dire, un nécromancien maléfique du nom de Xaltotun, ressuscité 3,000 ans après sa mort par des hommes louchant sur le trône d’Aquilonie, trône occupé presque accident par un Conan devenu donc roi presque malgré lui.

© Glénat / Blondel, Sécher, d’après Robert E. Howard

Comme il est très bien expliqué dans le texte inclus en bonus, L’heure du dragon est une quête, Conan partant à la recherche du cœur d’Ahriman, source du pouvoir de Xaltotun qu’il doit donc détruire pour vaincre son adversaire. Une sorte de quête du Graal donc mais en beaucoup plus sombre mais toute aussi mystique. L’énorme avantage avec Howard est que les aventures qu’il a créées se passent toutes à des époques différentes de la vie de son héros et la version présentée ici est inédite : plus âgé, barbu et ployant presque sous le poids de ses responsabilités en tant que souverain, il n’est plus ici le jeune barbare parti à la conquête du monde et dénué d’attaches. Quant au récit lui-même, son envergure, ses thèmes (la potentielle destruction de toute vie par le Mal incarné, un peuple mise en esclavage etc.) et sa violence exigeaient de solides auteurs à la barre.

D’où le choix très judicieux de faire appel au scénario à Julien Blondel qui a prouvé avec sa brillante adaptation de la sage d’Elric (cousin pas si éloigné que ça de Conan) chez le même éditeur en quatre tomes qu’il était l’homme de la situation. Surtout lorsqu’il est allié comme ici au style très détaillé de Valentin Sécher (La caste des Méta-Barons) qui donne à l’ensemble un côté très adulte. Bref, un cru de très haut niveau pour une série qui ne cesse de se bonifier avec le temps !

Olivier Badin

Conan le cimmérien : l’heure du dragon de Julien Blondel et Valentin Sécher, d’après Robert E. Howard. Glénat. 12,50 euros.

© Glénat / Blondel, Sécher, d’après Robert E. Howard

15 Déc

Tarzan ou l’aventure avec un grand A, pleine de pulp !

Tarzan fait partie de héros emblématiques que tout le monde connaît… Sans vraiment le connaître. Le pagne, Cheeta, la jungle, Jane tout ça, ok. Mais qui se souvient vraiment du roi de la jungle tel qu’il avait été inventé et défini par l’auteur anglais Edgar Rice Burroughs en 1912 ? Le scénariste Christophe Bec fait sûrement partie de ses happy few et cela se sent dans cette nouvelle adaptation porté par un souffle épique.

Extrait de la couverture © Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

Ce nouveau récit, après un premier tome en Mars dernier racontant la genèse du héros, est l’adaptation en BD de Tarzan au centre de la Terre, roman paru initialement en 1930. La particularité du texte original ? C’est l’un des premiers crossover du genre, Burroughs y mélangeant son héros le plus connu (Tarzan) et l’une de ses autres séries, Pellucidar.

Le thème central de la saga Pellucidar est assez simple : la Terre est creuse et qu’en son sein vit toute une faune et des hommes ‘figés’ en quelque sorte à l’époque préhistorique. Bien que parti initialement à la recherche d’une mythique cité d’or, Tarzan décide d’aller au pôle Nord pour y découvrir l’entrée censée y être cachée de ce monde perdu pour sauver son ami explorateur, parti plusieurs mois à sa découverte et disparu depuis.

© Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele

Paris à la Belle Epoque, un duel au petit matin, un dirigeable, une cité mystérieuse remplie de goules, des dinosaures monstrueux… On navigue ici en plein univers pulp – du nom de ces magazines bon marché vendus entre les deux guerres plein de récits de récits d’aventures et de fantasy – et c’est assumé, comme si Indiana Jones rencontrait Jurassic Park et un univers sorti de l’imagination de Jules Vernes. Mais le choix des dessinateurs se révèle assez judicieux. Rob de la Torre, pour la première partie et Stefano Raffaele, pour la seconde, ont tous les deux un style très réaliste mais aussi assez sombre, où le roi de la jungle devient une espèce de barbare à la Conan à la musculature idoine et surtout à l’attitude de prédateur limite inquiétante. Cette version de Tarzan a donc beau s’exprimer comme un lord et conserver un pragmatisme très viril, à aucun moment il ne cherche à cacher ou adoucir son animalité, bien au contraire. Une approche qui confère au récit une authenticité et une tension bienvenues.

Même si on préfère le trait plus fin et adulte de la Torre à celui, moins sombre te précis de Raffaele, cette nouvelle adaptation est en tous cas une belle réussite, doublée d’un hommage à une forme de récit d’aventures un peu rétro mais racé et complètement dépaysant.

Olivier Badin

Tarzan au centre de la Terre de Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele. Soleil. 16,95 euros.

© Soleil / Christophe Bec, Rob de la Torre & Stefan Raffaele