Après la guerre d’indépendance des États-Unis et la Seconde Guerre mondiale, Steve Cuzor nous entraîne sur un autre champ de bataille, celui de la guerre de Sécession, avec l’adaptation d’un grand classique de la littérature de guerre américaine, The Red badge of courage de Stephen Crane…
Ne vous est-il jamais arrivé de vous interroger sur l’homme ou la femme que vous auriez pu être pendant la Seconde Guerre mondiale ? Collabo ou résistant(e) ? Lui se demande quel homme il sera demain quand il faudra se lever et se lancer dans la bataille, sa première bataille. Héros ou déserteur ?
Lui, c’est Henry Fleming, un jeune gars de la campagne qui décide un beau jour de quitter sa mère et sa ferme pour s’engager dans l’armée fédérale. C’est la guerre de Sécession.
« Passer son temps derrière le cul d’une mule n’a jamais fait rêver personne. »
Mais la vie de soldat est bien loin de répondre à ses attentes. Lui qui rêvait de dépasser sa condition et de devenir quelqu’un aux yeux des autres enchaîne les corvées de patates, les manœuvres et les fausses alertes. Jusqu’au jour où la bataille est annoncée avec certitude pour le lendemain.
Et de se poser des questions :
« Tu voudrais savoir si tu seras capable de rester dans le rang quand les premiers tirs vont s’abattre (…), si tu auras les tripes de ne pas fuir comme un lâche ? »
La bataille en question est celle de Chancellorsville, l’une des plus importantes de la guerre de Sécession. Fidèle au roman de Stephen Crane, moins connu de ce côté-ci de l’Atlantique qu’aux États-Unis où il est considéré comme un classique de La littérature de guerre, Steve Cuzor donne peu d’informations sur le contexte. Même le nom de la bataille n’est pas donné, simplement subodoré par les connaisseurs. Car l’essentiel est ailleurs !
Le vrai combat mis en images ici est un combat intérieur. Celui d’un homme qui s’interroge face à la peur, face à la mort, face à la bêtise d’une obéissance aveugle. Entre ses démons et les sudistes, que choisira-t-il d’affronter ? Quel homme décidera-t-il de devenir ou pas ? S’enfuira-t-il dans le premier sous-bois ou fera-t-il face à son destin ? C’est toute la question du roman et de son adaptation.
Et pour approcher au plus près la réalité de la guerre, toucher l’horreur du bout des yeux, Steve Cuzor, par un savant jeu de cadrages, nous place, nous lecteurs, au même niveau que ces combattants, quasiment épaule contre épaule, de quoi ressentir la trouille au ventre du voisin quand les canons se font entendre ou sentir la pointe des baïonnettes d’un ennemi rendu invisible par la fumée des explosions.
L’auteur nous avait déjà bluffés avec Cinq Branches de coton noir sorti il y a maintenant cinq ans et réalisé avec Yves Sente au scénario, il récidive seul cette fois avec ce western d’un nouveau genre, un récit qui met en lumière les pensées du protagoniste et nous interroge au plus profond de nous même. En cela, Le Combat d’Henry Fleming est un récit universel mais aussi un éclairage différent sur une guerre que l’on connaît finalement assez peu et qui a laissé une plaie ouverte dans la société américaine.
Graphiquement, on retrouve avec un immense plaisir le trait réaliste et dynamique de l’auteur associé à un découpage fluide et à une mise en couleurs minimaliste en monochromie, déjà expérimentée dans Cinq branches de coton noir, de quoi juste faire ressortir le magnifique travail d’encrage réalisé par l’auteur.
À l’instar de son album précédent, Le combat d’Henry Fleming existe en trois versions, une classique à 26€, une édition spéciale au tirage limité à 1499 exemplaires avec frontispice inédit imprimé sur papier d’art numéroté et signé à 39€, et une édition de luxe en noir et blanc au tirage limité à 1515 exemplaires à 45€. Dans tous les cas, un album indispensable !
Eric Guillaud
Le combat d’Henry Fleming, de Steve Cuzor. Dupuis. 26€ (en librairie le 9 février)