Je ne pense pas qu’en son temps, dans les années 90, Journal ait été un immense succès commercial mais il marquait à coup sûr une nouvelle étape dans l’histoire de la bande dessinée francophone tant par son approche autobiographique foncièrement intime que par le thème abordé sans tabous : l’homosexualité mais pas que…
« Je crois qu’on n’a pas fait mieux que le journal intime pour se discréditer aux yeux des autres ». Ainsi s’exclame l’auteur dès les premières pages de ce Journal, reprenant très certainement là les propres paroles de celui qui sera le fondateur et directeur de sa première maison d’édition, Loïc Néhou d’Ego comme X.
Mais Fabrice Neaud est plutôt du genre à assumer ses choix, à circuler à visage découvert comme il dit, à refuser en tout cas de se soumettre aux dictats d’une société normative.
Alors, après y avoir bien réfléchi et écouté les uns et les autres, Fabrice Neaud se lance dans un journal en bande dessinée où il raconte dans le détail sa vie de jeune homme dans une ville de province des années 90, ville qu’il ne nomme jamais mais que chacun aura reconnue.
Il y décrit avec précision, sans la moindre censure et avec la ferme volonté d’aller plus loin que ce qui s’était fait jusque-là en bande dessinée, sa quête personnelle de l’amour, les coups d’un soir, les coups qu’il aurait souhaité plus durables, sa passion pour le dessin, son regard sur la création, son quotidien de précaire, sa vie d’homo, les railleries, les hypocrisies, l’homophobie, les violences parfois… livrant toute son âme brute, tous ses doutes, ses peurs, ses rêves au regard du monde, ou du moins du monde du neuvième art.
Le premier volet de son journal parait chez Ego comme X en 1996 et reçoit l’Alph’Art coup de cœur au festival d’Angoulême en janvier 1997, le second suit en 1998, le troisième en 1999 et le quatrième en 2002.
Et puis… Plus rien ! Ou si bien sûr, des albums ici et là, notamment des albums de science-fiction, des travaux pour des revues ici et là, une vie au minimum social, des années de dépression et au bout du chemin le retour à la vie, à sa vie.
« Je n’ai jamais cessé de dessiner des pages autobiographiques durant ces vingt années d’absence éditoriale sur le sujet », explique-t-il dans une interview.
Vingt ans de silence autobiographique et Fabrice Neaud revient sur le devant de la bulle, avec la réédition – splendide – des trois premiers tomes, le quatrième est prévu pour septembre. Et surtout avec un nouveau cycle baptisé Le Dernier sergent dont le premier volet est annoncé pour 2023.
« Les quatre tomes à venir du Dernier sergent relateront la période vécue entre 1998 et 2002, recouvrant à la fois la plus grande part de ma réalisation du journal mais surtout faisant la part belle à la figure d’Émile / Antoine, le fameux dernier sergent dont le narrateur tomba amoureux, sans retour (encore un !). J’y parlerai aussi davantage de ma famille ainsi que de mon rapport naissant à la bande dessinée professionnelle. Tout cela devrait donc être encore plus primesautier et désopilant que le fut Journal ».
On n’en doute pas un instant… une autobiographie qui est aussi une radiographie de notre monde d’avant, celui qui n’avait pas de téléphone portable ou si peu et qui n’avait pas encore connu l’essor fantastique d’internet… Une autre époque ? Presque…
Eric Guillaud
Journal, de Fabrice Neaud. Delcourt. Volume 1&2, 22,95€. Volume 3, 34,95€.