30 Juin

Spirou, L’espoir malgré tout : suite et fin de la saga menée de main de maître par Émile Bravo

Unanimement saluée par la presse, les professionnels et le public, couronnée d’un Fauve Prix de la série lors du festival d’Angoulême 2022, la saga d’Émile Bravo trouve son dénouement dans un quatrième album qui parie sur l’espoir, malgré tout…

Spirou et Fantasio responsables du déraillement d’un train allemand convoyant une unité de blindés ? Ils auraient pu. Ils en étaient chargés. Mais même en temps de guerre, la chose reste inconcevable de la part de ces deux personnages. Et pourtant, un train va effectivement dérailler et tomber au fond d’un ravin devant leurs yeux emplis d’effroi. Tout ça grâce à un concours de circonstance et à la finesse du scénario d’Émile Bravo qui sauve ici l’honneur des deux personnages sans pour autant les mettre à contre-courant de l’histoire.

Les Allemands en déroute, les Alliés défilant dans Bruxelles, ce cinquième album est placé sous le signe de l’espoir. La victoire n’est plus qu’une question de temps et Spirou fait tout pour rester humain, face à l’ennemi nazi, face aussi aux collaborateurs d’hier devenus par enchantement des résistants de la première heure.

Rester humain, c’est bien là son objectif, aujourd’hui comme hier. Au début de la guerre et donc au début de cette très belle saga, Émile Bravo lui faisait dire dans un dialogue avec Fantasio : « Tu sais bien qu’une guerre est un abattoir. Nous aurions pour devoir de retourner à la barbarie ? Tuer nos semblables, tu te rends compte ? »

Après cinq années de guerre, d’horreurs en tout genre, Spirou n’a pas changé, il reste un fanatique oui mais un fanatique de la vertu, un héros ordinaire plongé dans l’extraordinaire avec pour mission d’aider les autres, pas un super-héros, pas un super-résistant, juste un super-humaniste.

À l’instar du Journal d’un ingénu, cette saga permet à Émile Bravo d’apporter certaines réponses concernant le personnage. Qu’a-t’il fait pendant la guerre ? Comment s’est-il comporté et positionné ? Aurait-il pu être résistant ? Dans la vraie vie, le journal Spirou a continué de paraître pendant la guerre jusqu’à son interdiction par les Allemands en septembre 1943.

Est-ce cette interdiction ou autre chose, quoiqu’il en soit, les éditions Dupuis ne seront pas inquiétées par l’épuration et pourront rapidement reprendre la publication du journal, avec un héros-titre aussi irréprochable que le Spirou de Bravo.

Une saga magnifique, une fiction à haute valeur de témoignage sur les heures les plus sombres de notre histoire contemporaine.

Éric Guillaud

Spirou, L’espoir malgré tout, d’Émile Bravo. Dupuis. 13,50€

@ Dupuis / Bravo

28 Juin

Copra de Michel Fiffe ou la réinvention baroque et inattendue des comics de super-héros

Après le très étonnant festival de ‘body horror’ qu’était Panorama, DELIRIUM reprend une nouvelle fois son bâton de pèlerin et publie pour la première fois en France LE chef d’œuvre du ‘renégat’ Michel Fiffe, son Suicide Squad à lui (les références y sont légions) avec sa vision, forcément torturée et bizarre, d’une équipe de super-héros.

Il n’est pas si étonnant que ça d’apprendre qu’en 2012 Michel Fiffe a dû auto-publier les premiers épisodes de cet OVNI. Le postulat de départ est pourtant presque classique – une équipe de super-héros foutraques employés en sous-marin par le gouvernement tombe dans un traquenard dans une mission foireuse et se retrouve bombardés ennemis publics numéro un. Mais aussi bien dans le fonds que dans la forme, rien ne l’est vraiment.

C’est surtout le trait qui secoue, d’abord : atypique, presque enfantin par moments mais avec ses choix d’angles complètement biscornus et surtout sa mise en couleur à même le papier, le résultat prend un malin plaisir à prendre le contrepied totale d’une industrie où la standardisation à marche forcée et la mise en couleur par ordinateur a fini par tout uniformiser. Fiffe, lui, a repris les choses là d’où elles étaient parties. Â sa façon, il rend ainsi hommages aux maîtres comme Steve Ditko (le papa de Spiderman en 1962) dont il retrouve le sens de l’épuré à l’extrême. Oui, le résultat risque d’en déboussoler certains mais la patte, unique, est là.

@ Delirium / Fiffe

Même traitement de cheval avec la narration ou même dans le cadrage. Il n’y a pas de règles. Fiffe peut ainsi passer sept pages à illustrer une course-poursuite endiablée sans ajouter une seule ligne de dialogue ni même un seul bruitage, tout comme il peut aussi sans vergogne ‘tuer’ l’un de ses personnages principaux quasiment sans prévenir, comme pour mieux rappeler au lecteur que c’est lui le maître du jeu. Ces ‘héros’ n’en sont d’ailleurs pas vraiment, ont des sales gueules, un passé parfois troubles, des super-pouvoirs pas tout le temps si supers et ne semblent pas comprendre qu’ils sont ballotés par le destin.

Copra de Michel Fiffe

Facile de comprendre le coup de cœur de Laurent Lerner de DELIRIUM pour l’œuvre de Michel Fiffe : dans une industrie de comics où à part quelques rares exceptions les petits nouveaux sont condamnés à trop souvent à vivre dans l’ombre des géants d’hier, Fiffe lui trace sa voie et montre qu’avec les mêmes ingrédients, une autre voie est possible. La preuve avec ces deux premiers volumes, traduits pour la première fois en français alors que la série originale, elle, est toujours en cours de publication sur le continent Nord-Américain.

Olivier Badin

Copra de Michel Fiffe, volume 1 & 2. Delirum. 24€

22 Juin

Une vie en dessins : Tome et Janry à l’honneur de cette très belle collection de monographies

Dans la Série Une Vie en dessins, voici plus exactement deux vies en dessins, un très beau livre des éditions Dupuis associées à Champaka consacré au tandem longtemps indissociable Tome & Janry, animateurs de la série Spirou pendant de longues années et créateurs de l’enfant terrible de la bande dessinée, Le Petit Spirou…

Bien sûr, Franquin restera Franquin et sa griffe primordiale dans les aventures de Spirou et Fantasio et plus largement dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge mais Tome et Janry ont eux aussi imprimé de très belle façon les aventures du héros en costume de groom.

Tout d’abord, en en reprenant les rênes au début des années 80 pour quatorze albums, moins que Franquin mais plus – pour l’instant – que tous les autres auteurs s’étant risqués à l’entreprise, quatorze albums qui ont marqué les lecteurs de l’époque avec des personnages rajeunis qui nous embarquaient pour des péripéties à travers le monde, de New York à Moscou en passant par l’Australie. Ensuite, en imaginant un nouvel héros qui allait très très vite connaître un immense succès, Le Petit Spirou, le vieux Spirou en somme mais quand il était petit.

Dix-huit albums au compteur, des titres qui nous font encore rire, Dis bonjour à la dame !, Tu veux mon doigt ? ou T’as qu’à t’retenir !, et surtout une galerie de personnages de génie pour des gags bien évidemment irrésistibles, autant de regards à la fois tendres et critiques sur notre société et ses tabous. Une BD jeunesse assez révolutionnaire à l’époque !

Dans cet ouvrage co-édité par Dupuis et Champaka sont réunis plus de 200 planches originales scannées, nombre d’illustrations couleur et bien évidemment des extraits d’interviews des auteurs, le dessinateur Janry et le scénariste Tome décédé en 2019. Un très beau livre, un travail de présentation remarquable et une collection qui s’étoffe sans fautes de goût avec des volumes consacrés à Chaland, Walthéry, Frank Pé, Hubinon, Batem et donc aujourd’hui Tome & Janry.

Eric Guillaud

Une Vie en dessins, de Tome & Janry. Dupuis – Champaka Brussels. 55€

© Dupuis – Champaka / Tome & Janry

13 Juin

Overseas highway : Fred Druart et Guillaume Guéraud à fond la caisse

Un garagiste aux tendances suicidaires, une gamine qui multiplie les petits boulots dans une vie qui n’a rien d’un long fleuve tranquille, une rencontre au sommet pour une descente en enfer, attachez vos ceintures, Overseas highway pourrait bien vous secouer un peu….

Extrait de la couverture © Glénat / Druart & Guéraud

Elle n’a pas son permis, n’y connaît rien en mécanique, peu importe, Sarafian, ex-pilote automobile à la tête d’un petit garage à Miami a décidé de l’embaucher. Il faut dire que la jeune femme, Stacy de son prénom, vient de le sauver d’une tentative de suicide dont on évitera ici de raconter le déroulé tant cela vous paraitrait improbable.

Mais Stacy, préposée dans un premier temps au nettoyage des voitures, va rapidement prendre du galon et le volant dans cette histoire qui sent plus l’argent sale que l’huile de vidange. Le garage sert en effet de façade au blanchiment d’argent de la Cuban American National Foundation, une puissante fondation de l’extrême droite cuba-américaine, « une organisation terroriste… », précise Sarafian, « financée par l’argent de la drogue et le trafic d’armes avec le soutien logistique de la CIA et la bénédiction du Congrès des Etats-Unis ».

Bref, le petit business de notre homme vivote tant bien que mal jusqu’au jour où par un concours de circonstance, Stacy se retrouve au volant d’un bolide sur l’overseas highway direction Key West avec un paquet de flouze dans le coffre et de sombres gugusses aux fesses…

Dans la lignée de Il Faut flinguer Ramirez ou de Valhalla Hotel, voici Overseas highway, sur un scénario de Fred Druart et Guillaume Guéraud et une mise en images de Fred Druart, un polar plein d’embrouilles et de gens peu fréquentables, de caisses américaines et de course-poursuites sur l’autoroute qui relie Miami à Key West par-delà la mer. Divertissant !

Eric Guillaud

Overseas highway, de Fred Druart et Guillaume Guéraud. Glénat. 19,95€

© Glénat / Druart & Guéraud

10 Juin

Dans la boîte : un récit autobiographique de Lénaïc Vilain dans les coulisses d’Amazon, pardon Zamazon

Après RAS en 2013, Sécurité Open Your Bag en 2017, l’auteur Lénaïc Vilain retrouve une nouvelle fois l’autobiographie et le récit d’une expérience professionnelle, hier le quotidien d’un veilleur de nuit dans un hôtel ou celui d’un agent de sécurité à la Tour Eiffel, aujourd’hui le quotidien d’un préparateur de commandes chez le leader de la vente en ligne. De quoi retrouver le sourire ?

Extrait de la couverture – @ Delcourt – Vilain

Oui, il a le sourire… le carton. Pour Lénaïc, c’est une autre histoire. Il faut dire que le nouveau job qu’il vient de dégoter n’est pas à proprement parler un job de rêve. Packer, c’est le nom du poste, autrement dit préparateur de commandes chez Zamazon. Zamazon avec un Z comme vous l’aurez noté, une lettre très à la mode en ce moment et surtout une lettre qui évite à l’auteur de préciser que toute ressemblance avec une entreprise existante ou ayant existé serait purement fortuite.

Bon, Zamazon avec un Z donc, est leader dans le domaine du e-commerce et emploie dans ses immenses entrepôts des centaines de petites mains pour préparer, envelopper et envoyer avec amour vos petits achats. Le boulot n’est effectivement pas emballant, la fiche de paie pas vraiment non plus, quant à la vie de l’entreprise, n’en parlons pas. c’est proche du zéro… avec un Z !

Mais l’expérience de Lénaïc a au moins l’avantage de nous faire rentrer dans les coulisses d’un monde tant décrié où l’on retrouve la culture des start-up à l’américaine avec par exemple quelques « messages motivants » placardés sur les murs tels que « work hard, have fun, make history ». Bon, pour le « fun » on repassera, pour le « make history », ce n’est pas gagné, par contre pour le « work hard » là pas de souci, c’est bon.

Ours en peluche, ampoules basse consommation, smartphones, disques ou vibromasseurs, c’est bien le seul aspect varié du taf, pour le reste, Lénaïc emballe à tour de bras, pardon packe du verbe packer, seul devant son poste en respectant les règles sanitaires, deux mètres de distance, le masque sur le nez, covid oblige. Et quand il y a une sous-charge de travail, pas de souci, on vous donne un balai…

Avec légèreté et humour, Lénaïc Vilain dépeint, de son trait vif façon croquis et de son immense talent d’observateur des petits riens qui font le grand tout, le quotidien de cet entrepôt et de ces employés en nous interrogeant par la même occasion sur le monde merveilleux de l’entreprise et de la consommation de masse. On rit mais pas que…

Eric Guillaud 

Dans la boîte, de Lénaïc Vilain. Delcourt. 14,95€

@ Delcourt – Vilain

 

05 Juin

Spawn, trente ans passés au service du démon

Méga-star de la BD ‘dark fantasy’ des années 90, SPAWN fête cette année son trentième anniversaire. L’occasion de revenir là où tout a commencé avec cette parfaite mise en bouche pour les néophytes de plus de 400 pages dantesques, dans tous les sens du terme.

Extrait de la couverture © Delcourt / Todd McFarlane

Le neuvième art adore regarder dans le rétroviseur. Mais autant la BD des années 40 aux années 70 a désormais une patine indéniable et un vrai public, autant les deux décennies qui ont suivi sont encore un peu bloquées dans le triangle des Bermudes, comme si on refusait de se dire que, oui, tout cela s’est passé il y a désormais plus de trente ans… On a donc un peu oublié que le canadien Todd McFarlane et surtout son personnage fétiche SPAWN (‘rejeton’ dans la langue de Shakespeare) a régné sans partage dans la première moitié des 90’s sur le monde de la BD indé US. Un rayonnement dû aussi bien à la capacité de ce démon à bousculer les codes très politiquement correct d’alors (le ‘héros’ était à la base un salaud vérifié dont le boulot était d’assassiner pour le compte du gouvernement avant de signer un pacte avec le Diable) qu’à l’excellent sens du business de McFarlane qui, très tôt, a diversifié ses activités avec du merchandising, des jeux vidéo, des pochettes d’albums de rock/metal (Korn, Iced Earth etc.) et autres.

© Delcourt / Todd McFarlane

Bon, au final, cette insolente domination n’a pas vraiment dépassé les années 2000. Beaucoup pense d’ailleurs que sa chute a été provoquée par une très foireuse (et encore, on reste poli) première adaptation ciné en 1997. McFarlane lui-même l’a avoué à moitié et il n’a de cesse de vouloir réparer ce tort depuis. Décidé à repasser par la case ciné (il aurait un nouveau script de prêt, avec l’acteur Jamie Foxx dans le rôle-titre) il profite du trentième anniversaire de la ‘marque’ pour la relancer. D’où ce beau recueil réunissant les quinze premiers épisodes de la série. Et c’est la baffe.

Certes, il y a d’abord ce casting prestigieux, McFarlane ayant invité ses ‘copains’ Alan Moore, Neil Gaiman ou Frank Miller a scénarisé chacun un épisode. Mais surtout c’est dans la forme qu’on se rend compte à quel point SPAWN a complètement redistribué les cartes des comics de super-héros : couleurs foisonnantes, pleines pages dantesques et sens du récit grandiloquent s’autorisant de nombreuses sorties de pistes. Le style McFarlane, c’est celui de tous les superlatifs. En même temps, comment faire autrement avec une telle matière ?

© Delcourt / Todd McFarlane

Le plus frappant chez lui, c’est le décalage entre le style graphique parfois presque cartoonesque et le propos ultra-nihiliste. Entre une société pourrie jusqu’à la moelle, des méchants plus pervers les uns que les autres (le dessinateur ose même briser un tabou en mettant en scène un tueur d’enfants, clairement inspiré par le tueur-en-série John Wayne Gacy) et un gouvernement corrompue, SPAWN en devient presque beauté avec sa plastique maléfique envoûtante. Mais avant d’être revêtu de ce costume intégral, de cette longue cape rouge et de ses chaînes volantes, il était Al Simmons, super soldat qui avait accepté de faire le sale job sans trop se poser de questions. Assassiné par les siens, il a alors passé un marché de dupe avec le démon Malebolgia : son âme et la promesse de mener les troupes de l’enfer lors du prochain Armageddon, à condition de pouvoir revoir sa femme. La série commence par sa renaissance et la découverte progressive de ses pouvoirs mais aussi du prix qu’il va devoir payer…

© Delcourt / Todd McFarlane

Violent aussi bien sur le plan psychologique que graphique, voire carrément gore dans certains cas, SPAWN a imposé d’entrée un style bien à lui, encore très actuel trente ans après. Tout est acéré, criard, hypertrophié avec des personnages qui ont des ‘gueules’ comme on dit. Mieux : on se rend compte à quel point avec sa patte a priori outrancière ce petit poucet de l’édition a fini par imposer une nouvelle norme que les géants MARVEL et DC COMICS, d’abord réfractaires, vont finir par adopter, faisant prendre à leur tour à leurs séries un virage plus ‘adulte’.

SPAWN, c’est la nouvelle BD indé des 90’s, noire et ultra-réaliste, qui prend le pouvoir. Mais aussi le parfait reflet de la génération X qui l’a porté aux nues. C’est surtout l’avènement d’un auteur et d’un style XXXL très excessif qui résonne encore aujourd’hui. Â noter pour les collectionneurs que contrairement à la première réédition en intégrale de 2006, cette version contient les épisodes 9 et 10, plus une postface assez révélatrice où McFarlane a ressorti des placards les tous premiers croquis de travail du personnage, alors qu’il était encore adolescent.

Olivier Badin

Spawn – édition spéciale 30ème anniversaire, de Todd McFarlane. Delcourt. 39,95

02 Juin

Famille nombreuse, famille heureuse… 4 BD qui vous donneront envie de fonder un foyer… ou pas !

La famille comme terrain d’aventure. De plus en plus de bandes dessinées croquent le quotidien du premier cercle social que la vie nous offre pour le meilleur et parfois le pire… En voici quatre, on y parle d’amour, de filiation, d’éducation, d’adolescence, de conflit de générations…

Six à la maison ! C’est le titre de ce premier volet de la série Une Famille épatante sorti aux éditions Soleil et signé Sophie Ruffieux. Six mais en comptant le chat qui – il est vrai –  tient pas mal de place dans la vie quotidienne de tout ce petite monde. Mais il n’est pas le seul à tenir de la place. Les enfants, le conjoint, le boulot, l’éducation, le ménage, le boss, la cuisine, la belle-mère, les cadeaux qui n’en sont pas, les kilos qui sont en trop, les courses, les courses encore, les courses toujours… oui, voilà le quotidien d’une famille vraiment épatante, un peu comme la vôtre ou la mienne, un quotidien croqué à l’origine pour le magazine Femme Actuelle et aujourd’hui publié en album. Drôle, frais et tellement vrai, ça vous parlera forcément ! (Six à la maison, Une Famille épatante (tome 1), de Ruffieux. Soleil. 17,95€)

Cette famille-là est moins nombreuse, pas de chat, ah si un chat, posé sur le canapé, pas d’homme en tout cas, d’un côté une mère de famille, de l’autre une adolescente, une famille monoparentale dans toute sa splendeur plongée dans une joute verbale permanente. L’amour, les injonctions sociétales, les fondements de la féminité, les problèmes de pilosité, l’obsolescence programmée de la femme… Tout passe à la moulinette de l’humour, à ne plus savoir qui, de la mère ou de la fille, est la plus adulte ! (Mère, fille & Co, de Delacroix. Delcourt. 13,50€)

Les ados, justement. Pas toujours facile de les comprendre même si nous l’avons tous et toutes été un jour. Alors plutôt que de passer à côté des choses, voici un livre dont l’objectif est clairement d’aider les parents à mieux cerner cette période de l’enfance parfois compliquée, dernière étape avant l’âge adulte. Sur un ton là-aussi humoristique histoire de dédramatiser, Agathe de Lastic et Soledad Bravi, aidées par le professeur de psychologie Grégoire Borst, croquent leur quotidien, leur comportement, leurs émotions dans une suite de situations tels que le réveil, le déjeuner, les premières soirées alcoolisées, les lendemains de fête… Une observation fine et drôle mais pas que puisque les auteures apportent des conseils. Et si vraiment, après avoir lu ce livre, vous ne comprenez toujours pas vos enfants, alors un dico des ados est disponible en fin d’ouvrage. Alors, inutile de mettre la mif en PLS, ce livre est de ouf pour tous ceux qui ne veulent pas mourir bouffon. (Dans la tête de mon ado, d’Agathe de Lastic et Soledad Bravi. Vents d’Ouest. 16,50€)

Avant d’avoir des ados à la maison et peut-être d’avoir une famille nombreuse, il faut passer par l’année zéro, l’année de tous les bouleversements, l’année marquée par la venue au monde d’un premier enfant. C’est le thème abordé dans cet album d’Anna Roy et Mademoiselle Caroline mettant en scène Madeleine, 27 ans, sage-femme de profession et de passion, enceinte depuis cinq mois au début du récit. Elle a bau connaître les bébés et la maternité pour les côtoyer au quotidien, les doutes, la peur et parfois même les regrets sont son quotidien. Anna Roy, scénariste, raconte ici son expérience mise en image par Mademoiselle Caroline. On y suit son quotidien, entre suivis de la grossesse, préparation à la naissance, accouchement, retour à la maison, dépression post-partum, tensions dans le couple, nuits courtes, journées longues, copain qu’on ne voit plus… et au bout du bout du bout, un peu de bonheur ! (Année zéro, d’Anna Roy et Mademoiselle Caroline. Delcourt. 23,95€)

Eric Guillaud

30 Mai

La Fortune des Winczlav : Jean Van Hamme et Philippe Berthet poursuivent l’exploration des origines de Largo Winch

On le pensait rangé des BD mais non, Jean Van Hamme continue ce qu’il a toujours merveilleusement réussi à faire, à savoir nous raconter des histoires, et notamment celle de Largo Winch ou plus exactement celle de ses ancêtres. Le deuxième volet de la trilogie La Fortune des Winczlav vient de paraître. Nous sommes en 1910 quelque part dans l’état de l’Oklahoma et les origines de l’empire Largo Winch se précisent…

Extrait de la couverture © Dupuis / Van Hamme & Berthet

Souvenez-vous, tout a commencé du côté du Monténégro en 1848 avec un jeune médecin, Vanko Winczlav, obligé de fuir son pays après avoir soutenu une insurrection paysanne contre la tyrannie du prince-évêque. Nous l’avons suivi jusqu’en Amérique où il s’est marié et a trouvé un job d’infirmier avant de se retrouver en prison pour exercice illégal de la médecine, son diplôme n’étant pas reconnu de l’autre côté de l’Atlantique.

Ce nouvel opus débute en 1910, le fils de Vanko, Milan, a fait fortune dans le pétrole avant de mourir dans un ouragan et laisser son propre fils Thomas sans le sou. Pas pour longtemps…

Le pétrole, l’alcool, la politique… les origines de l’empire Largo Winch se précisent dans ce deuxième des trois volets prévus. Toujours pas l’ombre d’un Largo mais un Thomas Winczlav qui change son nom en Thomas Winch et une naissance annoncée, celle de Nerio Thomas Milan Winch qui n’est autre que le père de Largo…

Parler de Largo sans Largo aurait pu passer pour une hérésie, une ineptie. Il faut pourtant avouer que Jean Van Hamme et Philippe Berthet se sortent à merveille de l’exercice avec une saga qui nous fait survoler les siècles, les guerres, les migrations, la ruée vers l’or noir, la prohibition… le tout sous un scénario particulièrement limpide et un dessin pour le moins léché, une ligne claire que l’auteur qualifie de « ligne noire ». On ne s’en lasse pas !

Eric Guillaud

Tom et Lisa, La Fortune des Winczlav (tome 2/3), de Van Hamme et Berthet. Dupuis. 15,95€

© Dupuis / Van Hamme & Berthet

27 Mai

Conan et Marvel, c’est fini ? Pas tout à fait…

La nouvelle est tombée : quatre ans après avoir récupéré la licence officielle de l’œuvre de Robert E. Howard et de son héros le plus célèbre Conan, Marvel va cesser de publier les adaptations des aventures du Cimmérien.

Extrait de la couverture © Marvel / Panini Comics – Collectif

La (longue) histoire d’amour entre MARVEL et Conan n’est plus. En 1970, lorsque l’éditeur historique des Quatre Fantastiques et de Spiderman décide, sous l’impulsion de son scénariste Roy Thomas, de racheter les droits d’adaptation de Conan le barbare, ce héros rustre aux milles aventures n’a plus vraiment la côte. Star des pulps – ces magazines bon marché à destination des adolescents et spécialisés dans le fantastique, l’horreur ou les thrillers – dans les années 30, la mort prématurée de son créateur Robert E. Howard, la mauvaise gestion de son héritage littéraire et le désamour progressif du public l’avait relégué depuis longtemps semble t’il au rang de vestige du passé.

Mais sous la plume de Thomas et le trait onirique du dessinateur britannique Barry Windsor Smith, il devient alors un personnage de bande dessiné fascinant. Un électron libre au sein d’un univers d’heroic fantasy plein de sorciers, de créatures malfaisantes et royaumes fracturés à l’unique but : survivre.

Lorsqu’en 1973 John ‘Big John’ Buscema (Thor, Quatre Fantastiques) prend la succession de Windsor Smith, il amène avec lui un côté plus sanglant et plus adulte. La série devient alors l’une des plus populaires de la Maison des Idées. Mais après des années de succès, la sortie de sa très réussie adaptation cinématographique (starring Arnold Schwarzenegger !) coïncide, hélas, avec le départ de Buscema en 1982. Conan peine alors à retrouver sa fougue d’avant, délaissé de plus en plus par le public.

© Marvel / Panini Comics – Collectif

En 2003, l’éditeur indépendant DARK HORSE (Sin City, Hellboy) récupère la licence et le relance complètement, notamment en travaillant avec des auteurs de la jeune génération, comme Tomas Giorello ou Cary Nord. Sauf que quinze ans plus tard, au moment de renégocier le contrat, MARVEL surprend tout le monde en revenant dans la danse et fini par ramener le barbare ‘à la maison’.

Depuis 2018, en plus de nouveaux titres réguliers, l’éditeur s’est lancé dans une campagne de réédition impressionnante, sortant tous les trimestres ou presque des intégrales (les fameux ‘omnibus’) de 800 pages ou plus des deux grandes séries qui ont fait son bonheur dans les années 70 (Conan The Barbarian et The Savage Sword Of Conan). L’annonce la semaine dernière du choix des ayants droit de cesser leur collaboration avec MARVEL afin d’éditer eux-mêmes leurs propres comics ou autres produits dérivés a donc fait l’effet d’une petite bombe.

© Marvel / Panini Comics – Collectif

Même si l’avenir du cimmérien est encore flou – une série NETFLIX serait prévue, entre autres – on n’en a malgré tout pas tout à fait fini avec lui. Primo, PANINI conserve les droits en France et devrait donc le suivre dans ses nouvelles aventures. Et secundo, il y a encore dans les cartons quelques belles sorties de prévu… Dont ce beau King-Size Conan en grand format (comme le titre l’indique), un recueil contenant six nouvelles histoires courtes indépendantes les unes des autres.

Beau clin d’œil pour les fans, la deuxième du lot Suite Et… Début a été scénarisée par Roy Thomas lui-même qui a accepté de sortir de sa semi-retraite pour l’occasion. Il en a profité pour écrire le prologue du tout premier épisode de la série Conan The Barbarian, un demi-siècle plus tard. Mais le plus joyau de cette collection est la magnifique histoire sans texte signée Esad Ribic qui ouvre le bal. Vingt planches d’une épopée sauvage, mettant en scène un jeune Conan à l’œil vif et déjà déterminé à s’en sortir coûte que coûte. En plus d’avoir intégralement réalisé seul cette prouesse technique (dessin, scénario, couleurs) magnifique, le croate réussi ici à retrouver le souffle épique et sauvage des œuvres d’Howard… Sans une seule ligne de texte lisible.

Les spéculations vont déjà bon train parmi les fans pour savoir qui accompagnera Conan dans ses nouvelles aventures. On espère juste que parmi les dessinateurs présents dans ce King-Size Roberto de la Torre (Tarzan) et Ribic seront invités au banquet pour croiser de nouveau le fer avec lui…         

Olivier Badin

King-Size Conan, collectif. Marvel/Panini Comics. 20

© Marvel / Panini Comics – Collectif

24 Mai

Soixante printemps en hiver d’Aimée De Jongh et Ingrid Chabbert : il n’y a pas d’âge pour la liberté

Même pas prendre le temps de souffler ses 60 bougies et tout plaquer, homme, enfants et petits enfants. Tout plaquer pour enfin vivre comme elle l’entend, comme elle en a décidé. C’est l’histoire de Josy, l’héroïne de cet album signé par la Française Ingrid Chabbert pour le scénario et la Néerlandaise Aimée de Jongh pour le dessin…

© Dupuis / De Jongh & Chabbert

Tout le monde est là, son mari bien sûr, ses deux enfants et ses petits enfants, tous réunis pour le fameux gâteau d’anniversaire et les bougies. 60 bougies, soixante printemps en plein hiver. Mais Josy n’a pas l’intention de les souffler. Au lieu de cela, elle annonce à toute sa petite famille qu’elle part.

Sa valise est prête, elle sort le van Volkswagen du garage et la voilà partie sur un air de Bashung, Le Nuit je mens, devant la famille médusée.

Direction l’aventure, enfin pas trop loin quand même, Josy trouve refuge sur une aire de parking où elle fait la connaissance d’une autre naufragée de la route et de la vie, Camélia. La jeune femme vit seule avec son fils de 8 mois dans une caravane après avoir fui un mari volage.

Une histoire d’amitié est née entre Josy et Camélia mais c’est une autre histoire qui attend Josy, une histoire d’amour, une vraie histoire d’amour avec une autre femme. Elle rêvait d’un nouveau départ, elle est servie…

Impossible de ne pas se remémorer Lulu femme nue d’Etienne Davodeau même si l’histoire s’en éloigne avec ce changement – tardif – d’orientation sexuelle pour l’héroïne. Pour le reste, Soixante printemps en hiver est un bel album humaniste où l’on croise beaucoup de femmes et très peu d’hommes, une BD qui nous parle de liberté, d’amour, de sexe, au-delà des tabous, au-delà de la bienséance imposée par la société patriarcale, le tout avec une mise en images classique mais pleine de charme réalisée par la talentueuse Aimée de Jongh, auteure précédemment de Jours de sable, Le Retour de la Bondrée ou encore Taxi!.

Eric Guillaud

Soixante printemps en hiver, d’Aimée De Jongh et Ingrid Chabbert. Dupuis. 23€