12 Sep

Big John Buscema : un gros pavé consacré à l’un des maîtres absolus de l’univers Marvel

CapturebigjohnIl aurait fêté ses quatre-vingt dix ans en décembre prochain. Décédé en 2002, John Buscema fut un monstre de la culture comics, lui qui a rencontré dès 1948 Stan Lee et qui entra chez MARVEL en 1966, juste au moment où après des années de crise, l’industrie redécolle à nouveau, lui offrant un nouvel âge d’or auquel, véritable stakhanoviste, il contribuera largement. Cet épais ouvrage retrace son parcours.

Alors hagiographique, ce livre l’est (forcément ?) un peu mais c’est un peu la nature de l’exercice. Autre bémol, histoire de vider nos tiroirs d’entrée : une traduction pas toujours bien adaptée, certes réussie sur le plan grammaticale bien sûr mais dont certaines tournures de phrases un chouia rigides gâche parfois la lecture. Mais on chipote. Parce que pour le reste, à part ses toutes premières publications (pour d’obscures raisons de droit ?), visuellement c’est un véritable festin où planches définitives et colorisées et croquis plus ou moins finalisés du maître de toutes les séries par lesquelles il est passé se côtoient, parfois sur une pleine page. Et c’est du lourd.

Déjà, on retrouve cette exigence dans le choix du papier, bien épais, et dans les iconographiques. De plus, l’auteur connaît à fonds son sujet et cela se voit. On revient notamment sur son enfance, son entrée (difficile) dans le monde des comics et comment cet admirateur absolu de Michel-Ange et fils d’immigrés italiens s’est fait tout seul. Certes, le ‘style’ Buscema reste pour toujours attaché à un certain état d’esprit des années 70. Et on voit combien le grand manitou de l’esprit MARVEL des origines Jack Kirby l’a influencé, même s’il a su s’en détacher par la suite. Mais ses références culturelles (l’homme ayant toujours affirmé préférer les récits mythologiques à la BD traditionnelle), son style très emphatique et son sens du dramatique ont marqué toute une génération de lecteurs, surtout qu’il a dessiné bon nombre de personnages emblématiques, des Avengers aux Quatre Fantastiques, en passant par Spider-Man ou Captain America.

Mais tout l’intérêt de ce superbe objet, en plus de pouvoir mesurer sur plus de 300 pages comment ce boulimique de travail a évolué en près de 50 ans de carrière, est de pouvoir réévaluer certains de ses travaux, comme cette trop brève série sur Le Surfeur D’Argent écrite avec Stan Lee, abandonnée au bout de dix-huit numéros par manque de succès. Ou comment ses années en tant que graphiste dans la pub aux débuts des 60’s ou avec Roy Thomas sur la série Conan le Barbare lui a permis progressivement de s’affranchir du style parfois trop policé des super-héros (qu’il affirmait, apparemment, d’ailleurs détester !) pour quelque chose de plus brut, sensuel et sombre, bref adulte. On découvre même que pendant un temps, ce type qui visiblement ne savait pas dire non, a donné dans les romans graphiques à l’eau de rose… Alors certes, le terme est un peu galvaudé mais on peut vraiment parler d’ouvrage exhaustif. Ou, traduction un chouia moins lettrée, juste un truc foutrement d’indispensable pour tout fan de comics digne de ce nom.

Olivier Badin

Big John Buscema, collectif, Urban Comics, 328 pages, 39 euros

10 Sep

Kérosène : le photographe Alain Bujak et l’auteur de BD Piero Macola donnent la parole aux manouches

Couv_307948C’est un endroit où personne ne devrait logiquement vivre, coincé entre une déchetterie et la base militaire aérienne B118 de Mont-de-Marsan, la plus active de France. 3000 soldats, 20 000 mouvements d’avions par an et du kérosène qui vous dégringole dessus en permanence. Non, personne ne devrait y vivre, pourtant la maison de Marie s’y trouve, et à côté d’elle d’autres familles, d’autres maisons, formant le plus ancien camp de gitans de France…

« De la graine de vauriens, des cambrioleurs, des voleurs de cuivre, des bagarreurs mal rasés qui sillonnent les routes de France et de Navarre à bord de grosses bagnoles tractant d’énormes caravanes. Des gens peu fréquentables, dont il faut se méfier et qui n’apportent que des ennuis… ».

Ces mots-là, nous les avons tous entendus un jour ou l’autre. Claquant comme une évidence. Alors, beaucoup d’entre eux se sont isolés et beaucoup d’entre nous les ont évités. Au point aujourd’hui de vivre chacun dans l’indifférence totale, deux mondes qui ne se voient pas, ne se parlent pas, d’un côté les manouches, de l’autre les gadjos et au milieu une rivière de préjugés, de méfiances et d’ignorances.

En arrivant au camp, le photographe Alain Bujak se remémore lui aussi ces mots. Et d’autres encore. Il est venu ici pour enquêter sur le prochain démantèlement du camp arès le rachat du terrain par l’armée et le relogement des manouches dans des habitations plus traditionnelles pour une vie forcément plus standardisée.

Marie est la première personne que rencontre Alain Bujak. Un passage obligé. Elle vit dans le camp de rond depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle y a vécu le racisme ordinaire, la misère, l’exclusion, la solitude. Mais elle y a aussi vécu de belles choses. En 60 ans et plus, Marie a largement eu le temps d’installer ses petites habitudes et d’engranger les souvenirs.

Comment réagit-elle à ce déménagement ? Comment tous voient-ils l’avenir ? Pourront-ils conserver leur manière de vivre, leur identité ? Leur culture ne risque-t-elle pas de se diluer dans un quotidien « normalisé » ? C’est à toutes ces questions et beaucoup d’autres que le photographe espère trouver des réponses en interrogeant les manouches.

Kérosène nous raconte cette enquête avec les dessins de Piero Macola, les photographies – une trentaine – d’Alain Bujak et un objectif clair : donner la parole aux manouches et garder la trace de cette histoire humaine. Une bande dessinée soutenue par Amnesty International.

Eric Guillaud

Kérosène, par Alain Bujak et Piero Macola. Éditions Futuropolis. 21€

© Futuropolis / Bujak & Macola

© Futuropolis / Bujak & Macola

03 Sep

Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied : une petite gourmandise poétique signée Pascal Rabaté et Alain Kokor

Couv_306446Plutôt que la déprime, Alexandrin a choisit la rime. Et même si la rue est son quotidien, la mendicité son gagne-pain, rien jamais rien ne peut l’empêcher de trouver le bon mot, le bon vers, au bon moment. Plus qu’un exercice, c’est une discipline, une façon de vivre…

« C’est ce jeu avec les mots qui me tient debout… C’est cette quête du beau qui m’évite de rester à genoux… ». Alexandrin ne parle pas en alexandrins mais en vers assurément, et ce du matin au soir, quelques soient les circonstances, le contexte et l’orientation du vent. Sans domicile fixe, Alexandrin fait du porte à porte pour proposer sa poésie contre quelques menues monnaies, il arpente ainsi les rues de la ville au hasard des rencontres, en change lorsque plus rien ne l’y retient.

Faire sonner les mots est devenu son obsession et son unique richesse.

« Bonjour mon brave monsieur, j’espère ne point vous déranger sous ces cieux. Je me présente, Alexandrin de Vanneville, poète des campagnes et des villes, arpentant les chemins de terre et de bitume, par le vent et par la pluie, sans me taire et sans amertume, je survis en proposant ma poésie »

Vendre sa poésie, rester libre, sans attaches, sans femme, sans enfants… Alexandrin est seul et heureux de l’être jusqu’au jour où son chemin croise celui de Kevin, un jeune garçon qui a fui son foyer pour cette même envie de liberté. Alexandrin en fait pour un temps son auxiliaire, son « contrat à durée indéterminée en mendicité » comme il l’appelle.

C’est un drôle de personnage que nous ont imaginé Alain Kokor et Pascal Rabaté, oui un drôle de gus que l’on croirait arrivé tout droit d’un autre siècle avec son accoutrement, ses bonnes manières et ses vers. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une histoire contemporaine, une ode à la poésie, une invitation à la vie, un album magnifiquement écrit et mis en image par deux auteurs de très grand talent, réunis pour la première fois. Les rimes sont sublimes et drôles, le trait de Kokor comme toujours délicat et presque évanescent se marie à merveille avec l’histoire. Bref, pour ne plus être chagrin, lisez Alexandrin!

Eric Guillaud

Alexandrin ou l’art de faire des vers à pied, de Pascal Rabaté et Alain Kokor. Éditions Futuropolis. 22€

© Futuropolis / Rabaté & Kokor

© Futuropolis / Rabaté & Kokor

02 Sep

Broussaille : le deuxième et dernier tome de l’intégrale est dans les bacs

9782800170190_1_75Un peu de poésie pour la rentrée. Et ce sont les éditions Dupuis qui s’y collent avec le deuxième volet de l’intégrale consacrée au héros de Frank Pé et Bom : Broussaille.

Un deuxième et dernier volet hélas puisque la série lancée dans les pages de Spirou en 1978 compte uniquement cinq albums et deux hors-série, tous désormais réunis dans cette intégrale avec en bonus de nombreuses illustrations, des récits courts ainsi qu’un dossier.

En parlant de rentrée, c’est justement sur une histoire courte consacrée à l’école que s’ouvre cette intégrale, une histoire publiée en septembre 1987, il y a tout juste 20 ans, mettant en scène un Jean Rostand jeune, déjà très brillant et curieux de la vie. Il n’est pas encore le biologiste et écrivain célèbre mais les auteurs rappellent qu’il écrira quelques années plus tard :« La recherche scientifique est la seule poésie qui soit rétribuée par l’état ». 

Entre Jean Rostand et Broussaille, il n’y aurait que quelques pas selon l’éditeur. En tout cas, c’est toujours un immense plaisir de se replonger dans les histoires de ce personnage attendrissant qui quitte la bande des gros nez à partir de l’album La Nuit du chat pour une physionomie beaucoup plus réaliste. Il perd notamment son énorme touffe de cheveux très 70’s pour une coupe pétard beaucoup plus branchée à l’époque.

Le look de Broussaille évolue mais les histoires gardent leur magie, Frank Pé et Bom explorant le territoire de l’intime, de la poésie et du merveilleux avec une infinie délicatesse. Unique !

Eric Guillaud

Broussaille, L’Intégrale tome 2 (1988 – 2002), de Frank Pé et Bom. Éditions Dupuis. 35€

© Dupuis / Frank et Bom

© Dupuis / Frank et Bom

31 Août

Book of Death : le livre des géomanciens

bookLes ‘crossovers’ (collusion de plusieurs univers au sein d’un même volume) étant l’une des grandes spécialités des comics, on voyait mal comment l’éditeur spécialisé dans le genre Valiant allait y échapper, surtout à l’heure où ses productions sont ENFIN traduites en Français. Paradoxalement, cet imparfait Book of Death à la conclusion hélas un peu bâclée vaut presque plus par ses (généreux) bonus.

Au centre de ce tome une nouvelle fois volumineux (300 pages) se trouve le Guerrier Éternel, peut-être le personnage le plus maudit de l’univers Valiant car condamné, comme son nom l’indique, a ne jamais mourir et à traverser les âges pour protéger Gaia (en gros, la Terre mais perçue comme une entité consciente) et surtout sa géomancienne, sorte de mystique à laquelle elle est liée et dont la survie et qui ici apparaît sous a forme d’une jeune fille boudeuse et impatiente. Au passage, cette idée d’une humanité dont le destin dépend de la planète sur laquelle elle vit sans que cela l’empêche pour autant de la piller sans compter est d’ailleurs l’une thématique récurrente chez Valiant, sorte de variante écolo aux pays des super-héros si vous préférez…

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, baron & Reber

Ici, les rôles sont quasi-inversés vu que le gentil est le méchant, enfin, ce que en tous cas les autres héros de l’écurie Valiant que l’on retrouve ici (X-O Manowar, Ninjak et Live Wire entre autres) croient : que le Guerrier Éternel défend une géomancienne qui ne contrôle pas ses pouvoirs et qui sème donc mort et destruction sur son passage, alors qu’en fait ce sont là les agissements d’un autre géomancien, capturé par un sorcier maléfique. Un scénario assez manichéen donc mais transfiguré par ces visions d’un possible futur apocalyptique si les prophéties du livre des géomanciens s’accomplissent. Des images chocs avec pas mal de combats au programme qui ne rattrapent pas, hélas, la faiblesse de certains personnages (Ninjak, par exemple, à qui Valiant a consacré trois volumes dont on parlera bientôt, apparaît aussi bourrin que buté) et une fin ratée car bien trop facile et surtout expédiée en quelques planches, comme si la montagne accouchait un peu d’une souris.

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

© Valiant Comics / Venditti, Gill, Braithwaite, Baron & Reber

Non, une fois n’est pas coutume, c’est dans les bonus que ‘Book of Death’ fait la différence. Pas forcément avec cette opulente galerie de croquis ou ce petit prologue de trois pages initialement paru sur le web, non, mais bien dans ces quatre ‘spin-off’ d’une vingtaine de planches qui, individuellement, imagine la mort de quatre des héros de la galaxie Valiant. Or si celui consacré à Harbinger par exemple est trop bavard, le récit de la fin de Bloodshot est à classer parmi les meilleurs de cet éditeur car à la fois beau, mélancolique et d’une incroyable force émotionnelle. Vingt-cinq pages qui valent presque à elles seules l’achat, même si la porte d’entrée pour néophytes au vaste monde Valiant attendue n’est pas hélas vraiment au rendez-vous.

Olivier Badin

Book of Death par Robert Venditti, Robert Gill, Doug Braithwaite, David Baron et Brian Reber, Valiant Comics, éditions Bliss. 24,50€

La révolte des terres : Koza et Marion Mousse mettent en image le premier acte collectif de résistance à l’occupant nazi

Capture d’écran 2017-08-29 à 14.36.01 Je ne sais pas vous mais moi j’aime bien que les choses soient claires. Quand on m’annonce un album de Maximilien le Roy et de Félix Brune, j’aime assez à l’arrivée qu’il soit signé Maximilien le Roy et Félix Brune, et non Koza et Marion Mousse. Sinon, ça me perturbe !

Ça me perturbe et me donne envie d’en savoir plus. Une recherche rapide sur internet permet de constater que tout le monde est aussi perdu que moi. Selon les sites, l’album est attribué à Le Roy et Brune, Koza et Mousse ou encore – une variante – à Le Roy et Mousse. Du côté réseaux sociaux, pas plus d’infos. S’agit-il d’un simple changement de noms? Et si oui pourquoi ? Ou d’un changement d’auteurs ? Mystère…

Bon, assez perdu de temps comme ça, la « blague », s’il s’agit d’une blague, échappera de toute façon à la plupart des lecteurs qui s’intéresseront surtout – ou pas – à l’histoire de cet album. Et de côté-là, elle – l’histoire – a au moins le mérite d’être plus simple. La Révolte des terres nous raconte le premier acte collectif de résistance français à l’occupant nazi. Il ne s’agit pas d’un guet-apens, ni d’un sabotage mais d’une grève, tout simplement serais-je tenté d’écrire, une grève qui va toutefois bloquer un secteur industriel stratégique pour l’armée allemande car c’est tout le bassin minier du Pas de Calais qui va se révolter à la fois contre les conditions de travail et par patriotisme.

Pas de bras ? Pas de charbon. Pas de charbon ? Pas d’énergie pour faire tourner la machine de guerre ! Les ouvriers le savent et prennent le risque de violentes représailles qui ne vont d’ailleurs pas tarder. Direction les camps de déportation et pour certains la mort…

En un peu plus d’une centaine de pages, Koza et Mousse ou Le Roy et Brune – vous choisissez – nous racontent un acte d’héroïsme incroyable, surtout en ce début d’occupation allemande où les résistants sont encore très très rares. Une idée intéressante mais une mise en image et une narration pas toujours convaincantes. Dommage !

Eric Guillaud

La Révolte des terres, de Koza et Mousse. Éditions Casterman. 18€

© Casterman / Koza & Mousse

© Casterman / Koza & Mousse

30 Août

Le néo-Japon de Rai : le cauchemar de Philip K. Dick réinventé au XXXXIe siècle

rai 1Pas facile de se faire une place au soleil quand la plage est squattée depuis plusieurs décennie par deux géants qui n’ont laissé que des miettes aux autres. Après, les écuries MARVEL et DC COMICS pèsent un tel poids dans l’imaginaire populaire US depuis si longtemps qu’il faut limite être maso pour se lancer dans l’aventure… Pourtant, Valiant Comics réussit cet exploit et Rai est sûrement l’une de ses plus belles créations.

Pourtant, maso, VALIANT COMICS l’a été et il l’a payé cash, avec des débuts difficiles et une mise en sommeil forcé à la fin des années 90 pour cause de dettes abyssales. Au point qu’il a fallu attendre 2013 pour en voir les premières traductions françaises et 2015 pour qu’un nouvel éditeur, BLISS, prenne enfin les choses en main comme il se doit, aboutissant depuis peu à de nombreuses sorties attestant de la richesse d’un catalogue au milieu duquel Rai – attention, avis purement subjectif ! – trône presque sans pareil.

Nous sommes en 4001 et au Néo-Japon, sorte de gigantesque satellite crée à partie d’une portion de la Terre arrachée à la gravité et qui tourne autour d’une planète désormais ravagée par les guerres successives, règne Père, intelligence artificielle suprême devenue indépendante. Pour protéger une population asservie sans vraiment sans rendre compte, il a crée le Rai, ‘gardien du peuple’ en partie humain qui peut instantanément se téléporter partout pour sauver la veuve et l’orphelin. Sauf qu’après avoir découvert la vérité sur ses origines et que derrière cette belle façade se cache un monde totalitaire où chaque désir est cadenassé, le dernier de sa lignée décide de se rebeller…Rai 2

La thématique très Freudienne du ‘tuer le père’ est très populaire dans les comics donc en soit, Rai ne sort pas, a priori des sentiers battus et son univers cyberpunk rappelle invariablement ‘Blade Runner’ dont on attend d’ailleurs bientôt la suite au cinéma. Sauf que même si cette saga conséquente (deux fois 300 pages) étalée en douze chapitres sur deux volumes (plus un nombre négligeable de bonus revenant, entre autres, sur les origines du héros) met un certain temps à vraiment décoller, elle révèle un souffle sans pareil. Une grande partie du mérite revient à l’illustrateur Clayton Crain qui avait déjà repeint en noir la sage ‘Ghost Rider’ et dont le style épique et en même temps racé entre yakuza intergalactique et science-fiction crépusculaire a l’emphase nécessaire. Surtout qu’il est soutenu par un très intéressant travail sur les couleurs, à la fois éclatantes et en même temps avec toujours cette sous-teinte bleue froide, presque digitale qui colle si bien à cet univers post-apocalyptique, même cette approche quasi-numérique et parfois un peu trop figé ne sera pas du goût de tout le monde.

© Valiant Comics / Kindt & Crain

© Valiant Comics / Kindt & Crain

Et puis il y a aussi ce scénario d’abord faussement manichéen qui prend petit-à-petit pas mal d’épaisseur et s‘amuse à brouiller les cartes. On ne sait plus assez vite par exemple si l’on est désolé ou dégoûté par ces citoyens qui acceptent sans sourciller d’être abreuvé de propagande abrutissante ou de se voir imposer en guise de compagnons des androïdes nous ressemblant en tous points les ‘positrons’ pour mieux juguler la natalité. Ou encore comment aborder ce personnage principal qui apparaît d’abord comme une sorte de figure christique complice involontaire d’un système totalitaire, surtout le storytelling met donc un certain temps à prendre sa vitesse de croisière. Mais une fois dedans, difficile d’en sortir, même si les références abondent (Isaac Asimov, Philip K. Dick). Surtout qu’on a droit à quelques combats absolument dantesques qui auraient eu toute la place sur le film ‘Pacific Rim‘ de Guillermo del Toro, notamment les duels entre Rai et son créateur, pour parler à nos plus bas instincts.

Bref, de la science-fiction ambitieuse ET à la patte graphique assez unique. On vous disait bien qu’il y avait quelques belles pépites du côté de ce petit poucet, alias Valiant…

Olivier Badin

Rai (en deux volumes) de Matt Kindt et Clayton Crain, Valiant Comics, éditions Bliss. 28€

28 Août

Le dessinateur américain Miles Hyman nommé Chevalier des Arts et des Lettres

Capturehyman

Le Ministère de la Culture et de la Communication a accordé aujourd’hui le titre de Chevalier des Arts et des Lettres à l’auteur et dessinateur Miles Hyman. Une cérémonie de remise de distinction aura lieu à une date ultérieure, présidée par Bénédicte de Montlaur, conseillère culturelle de l’Ambassade de France à New York.

Miles Hyman s’est dit « surpris et ému » à l’annonce de sa décoration, évoquant la grande importance de la culture française dans son œuvre : « J’ai la chance de vivre et de travailler dans ce pays qui inspire des artistes du monde entier depuis des siècles, qui donne une si grande importance à la création artistique sous toutes ses formes. La diversité des personnes décorées par l’Ordre des Arts et des Lettres souligne l’importance du rayonnement culturel français à l’échelle internationale.  Pour ma part, je tiens à remercier tous ceux — artistes, écrivains, éditeurs, directeurs artistiques et galeristes — qui ont guidé et inspiré ma création depuis plus de trente ans. Ces personnes remarquables m’ont formé, ont fait de moi l’artiste que je suis aujourd’hui. Recevoir cette distinction, en plus de tout ce que la France m’a déjà offert, représente pour moi un honneur immense. Je suis infiniment touché pour cette reconnaissance de mon travail ».

Considéré comme le plus francophile des illustrateurs américains, Miles Hyman vient de signer dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis Le coup de Prague avec le scénariste Fromental, une histoire d’espionnage dans la Vienne de l’après-guerre mettant en scène le scénariste Graham Greene venu faire des repérages dans la capitale autrichienne pour son film Le Troisième homme.

27 Août

Gold Star Mothers : les autres héros de la guerre de 14-18

goldStarsMothersElles n’ont pas affronté le feu nourri de l’ennemi, n’ont pas vécu le quotidien des tranchées, la boue, les rats, les morceaux de cadavres charriés par les pluies, elles n’ont pas senti l’odeur de la mort. Mais le fait d’avoir perdu un mari, un frère ou un fils sur les champs de bataille de l’autre côté de l’Atlantique en ont fait des héroïnes de la Grande guerre. Et l’état américain, reconnaissant, leur offre quelques années plus tard un aller-retour pour le vieux continent le temps d’un recueillement sur la tombe des Sammies morts au combat…

Lorsque la boucherie de la Grande guerre s’achève, 116 000 soldats américains ont perdu la vie dans les tranchées et autour. Autant de corps à rapatrier – ils le sont pour moitié – ou à enterrer sur place. Et de l’autre côté de l’Atlantique, des femmes, des mères, des soeurs, qui entament un long et douloureux travail de deuil.

Dix ans après la fin du conflit, le Congrès américain vote un budget afin de permettre à ces femmes américaines de se recueillir sur la tombe de l’être aimé. L’association des Gold Star Mothers encadre ces expéditions qui durent à chaque fois un mois. On en compte une dizaine au total entre 1928 et 1933, 6654 femmes américaines en bénéficient.

C’est dans l’une des ces expéditions que nous plonge le livre de Catherine Grive et Fred Bernard, au milieu de ces femmes qui ont pour noms Mrs Hartfield, Mrs Vanderbilt, Clara Throckmorton ou encore Jane Smith, l’héroïne principal, et sa mère.

Les auteurs nous racontent la traversée en bateau, les affinités qui se créent ou non entre les femmes, les quelques jours à Paris qui ressemblent plus à un séjour touristique qu’à un pèlerinage, le recueillement dans les cimetières américains du côté de Verdun… mais aussi et surtout, ce qui ne se voit pas, le chagrin de toutes ces femmes si différentes les unes des autres mais unies par l’épreuve.

Auteur complet, responsable et coupable de quelques pépites du livre jeunesse et de la bande dessinée (Une aventure de Jeanne Picquigny, La Tendresse des crocodiles, La Patience du tigre…), Fred Bernard nous embarque pleinement dans l’histoire grâce à son trait léger, presque frissonnant, parfait pour nous parler des années 30. Le scénario est écrit par Catherine Grive, publicitaire, productrice d’émissions de radio à France Culture, écrivaine, traductrice et dorénavant auteure de bande dessinée.

Un éclairage instructif sur un sujet peu connu tout au moins de ce côté-ci de l’Atlantique.

Eric Guillaud

Gold Star Mothers, de Catherine Grive et Fred Bernard. Éditions Delcourt. 16,95€

© Delcourt / Grive & Bernard

© Delcourt / Grive & Bernard

22 Août

Pages d’été. Sonora et Marshal Bass, deux westerns sinon rien !

1aa543f744863b30b4b2b83ee697a224C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Ces deux albums-là ont été publiés en même temps début juin aux éditions Delcourt, deux westerns qui sentent la sueur et la poudre, Sonora d’un côté réalisé par Pécau et Dellac, Marshal Bass de l’autre, de Macan et Kordey.

Barbet, Gervais et Fauchevent. Trois noms, trois excellentes raisons pour Maximilien Bonnot de débarquer en Californie. Nous sommes en 1851, en pleine ruée vers l’or, mais vous l’aurez compris, ce n’est pas le précieux métal jaune qui a attiré le jeune Français jusqu’ici. Maximilien Bonnot est venu plus prosaïquement pour se venger. Trois ans auparavant, son frère et ses amis ont été sauvagement massacrés par le sergent Barbet, les caporaux Gervais et Fauchevent, sur les barricades de la révolution française, celle de 1848. Maximilien s’est juré de ne jamais oublier son frère et ses amis de lutte et de retrouver ces trois-là pour les envoyer en enfer. Et c’est plutôt bien parti… ffce3150610eb17a9f59d5cc42ccba3bUn premier épisode qui promet pas mal d’action ! (Sonora, de Pécau et Dellac, 14,95€)

Changement de décor pour ce premier opus d’un diptyque mettant en scène le premier marshal afro-américain Bass Reeves ici rebaptisé River Bass. Après avoir échappé de justesse à la corde, Bass se voit proposer un poste d’adjoint au colonel Terrence B. Helena avec pour objectif d’arrêter un gang de noirs dirigé par un blanc qui se fait appeler Milord. S’il arrive à infiltrer le fameux gang, Bass Reeves ne fait pas longtemps illusion, se fait démasquer et doit alors faire face à la violence du gang et de son chef. Avec un graphisme et un scénario gonflés à la testostérone, et de magnifiques couleurs, Marshal Bass nous embarque pour une chevauchée haletante dans l’Ouest américain. Macan et Kordey n’en sont pas à leur première collaboration, tous deux s’étaient déjà retrouvés autour de Soldier X, une série de comics publiée chez Marvel, ainsi que sur Nous, les morts, série en 4 volets publiée chez Delcourt. (Marshal Bass, de Macan et Kordey. 14,95€)

Eric Guillaud

RSS