02 Oct

« Il y a chez moi depuis toujours une double injonction : cacher et révéler » : rencontre avec Ludovic Debeurme à l’occasion de la sortie d’Epiphania

Ludovic Debeurme appartient à cette catégorie d’auteurs qui explorent les voies parfois inconnues ou peu empruntées du médium bande dessinée, quelque part entre autobiographie et onirisme, réalisme et fantastique. Mes Ailes d’homme, Lucille, Le grand autre, Renée, Un Père vertueux et aujourd’hui Epiphania, son oeuvre est complexe, ambitieuse, exigeante, à la fois intimiste et universelle, en tout cas reconnaissable entre mille. La marque d’un grand du neuvième art !

Et comme pour tous les grands, il s’avère aventureux de proposer à Ludovic Debeurme une interview pile au moment de la sortie d’un de ses albums. Sans cesse en déplacement pour des séances de dédicaces ou des vernissages, L’auteur a tout de même pris le temps nécessaire pour répondre à cette interview. Prenez à votre tour le temps de la lire et de trouver les clefs pour comprendre son univers, découvrir sa vision de la BD, de la musique, de l’art en général, des hommes, de la vie plus largement. C’est passionnant…

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Un journaliste du Monde disait de ton album Le Grand autre qu’il intimidait « par son épaisseur, plus de 300 pages, son titre, qui reprend un concept lacanien, mais surtout par son univers dérangeant… ». Tu as conscience de faire une bande dessinée pas forcément très accessible ?

Ludovic Debeurme. Il y a chez moi depuis toujours une double injonction : cacher et révéler.

Quelque chose de mon passé, de mon enfance, de mon histoire personnelle a dû être si puissamment problématique et envahissante que je passe beaucoup d’énergie à la cacher à mes propres yeux en l’habillant de manteaux aux allures plus respectables.

L’art est un habillage qui n’est pas toujours là pour rendre plus beau, mais avant tout rendre visible ce qui – contrairement aux idées reçues – n’est pas invisible, mais si visible qu’il nous brûlerait les yeux.

Alors j’en fais une histoire cryptée. Un code avec le lecteur. Il n y a pas de clefs miracles pour ouvrir les portes de mes histoires. J’ai essayé de construire pour chacun de mes livres, une serrure aux formes multiples et mouvantes, afin que chaque lecteur puisse y trouver ce qu’il vient chercher, tant qu’il se laisse un peu prendre – volontairement – à mon piège. Si tout se passe bien, possible que le voyage déplace légèrement la conscience de celui qui en a pris le train. Je n’ai pas d’autres ambitions que ce déplacement.

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La chronique de l’album ici

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Ton nouvel album, Epiphania, met en scène des millions de fœtus qui impactent notre planète, un peu comme une pluie de météorites, s’enfoncent dans la terre où ils vont poursuivre leur gestation. Comment peut-on avoir une idée aussi surprenante ? Faut-il prendre beaucoup de psychotropes ou juste avoir un imaginaire hyperactif ?

Ludovic Debeurme. C’est souvent une telle idée, très graphique qui me vient à l’esprit et qui guide le reste. Je crois bien que ce qui est venu en premier lieu c’est l’image de ces têtes à moitié ensevelies, dont seul les yeux et le haut de la tête sortaient de terre. Un mouvement vers le haut, le monde, prêtes à l’habiter, peut-être le coloniser. À partir de cette image initiale, je cherche l’histoire qui pourrait l’entourer. Celle qui amène à cette image flash, et celle qui continue et propose le devenir de cette vision initiale.

Il faut, pour que je retienne une telle image qu’elle s’inscrive profondément en moi. Qu’elle se loge dans tous les interstices. Qu’elle épouse tout à fait ma psyché. En somme que je la reconnaisse comme étant la parfaite illustration de qui je suis à cet instant. Un être entre terre et ciel, à moitié plongé dans l’inconscient, la matrice, et l’autre moitié le regard en observation du monde.

Comment l’image arrive ? Je n’en sais rien. Souvent le matin alors que je me réveille !

© Casterman / Debeurme

© Casterman / Debeurme

La part autobiographique n’est pas négligeable dans ton œuvre, on le sait. Est-ce toujours le cas ici ?

Ludovic Debeurme. Oui et non, je n’ai pas eu, par exemple, des doutes aussi forts avant la naissance de mon enfant, contrairement à David. Je l’aimais avant qu’il apparaisse au monde ! Mais la façon dont la précarité, la fragilité de l’être qui vient de naître bouleverse David et balaie d’un coup ses moindres doutes, comme une injonction extrêmement puissante à s’occuper du nouveau-né si fragile et dépendant de son parent, c’est quelque chose que l’on vit tous à la naissance d’un enfant. Parfois l’amour est déjà là, parfois il vient avec le temps. Parfois il nous foudroie.

Je voulais par exemple rendre compte de ce sentiment qui est plus fort que toutes les lois, tous les doutes. Je sais que certains ne ressentent pas cela. Donc oui, je fais part de quelque chose de personnel mais qui a tout de même une part très universelle. Ce qui compte ici, c’est que l’enfant soit un monstre. Un hybride. Mi-homme mi-animal. L’enfant qui arrive est toujours à la fois un autre que nous, un étranger mais aussi notre semblable, notre chair.

J’ai pris cette exemple pour illustrer une part autobiographique dans le récit, mais il y en a d’autres. Je m’autorise dans les récits à me nourrir de tout ce qui rendra le récit plus juste et plus percutant. Mon histoire. Celle de mes proches. Les drames qui me hantent, les miens comme ceux du monde. Mais autour de tout cela, le ciment c’est l’imaginaire. C’est toujours lui qui a le dernier mot pour façonner dans un sens ou l’autre l’histoire.

La question de la colonisation de notre imaginaire par notre système ultra-libéral est une question centrale du livre

On dit souvent que tes livres sont marqués par la psychanalyse, les mondes oniriques, les fantasmes. Il y aussi un regard aigu sur la vie me semble-t-il.

Ludovic Debeurme. Je suis fasciné par le monde qui m’entoure, les gens en premier lieu. Leurs manières, leurs voix, leurs paroles. La façon dont ils interagissent. Leur laideur comme leur beauté. Et clairement je ne mets pas derrière les mots beau et laid, les critères habituels de notre société.

Ce qui rend beau c’est toujours l’humanité qui transparaît à travers la peau, les gestes. Il y a dans la singularité des corps, ce qu’on appelle souvent la laideur ou la disgrâce, la vraie marque de l’originalité. Qu’est-ce que ces corps en mouvement racontent sur leur intériorité, c’est cela qui me fascine. La quasi impossibilité que le corps a de mentir sur ce qu’il est en profondeur ; ça, c’est la marque d’une vraie créativité.

La norme me rend toujours extrêmement triste ; comme s’il manquait là l’humain et son désir propre, aspiré par ce que la société de consommation induit fortement de négation de l’être. On ne peut pas imaginer un être qui désirerait autre chose que ce qui lui est proposé de préfabriqué, pré-imaginé pour combler en apparence ses désirs et qui serait un bon consommateur.

La question de la colonisation de notre imaginaire par notre système ultra-libéral est une question centrale du livre. C’est l’axe qui sous-tend les trois tomes. Ces hybrides sont une proposition de revoir le corps, re-imaginer notre rapport au monde. Ils sont une apparition, une Epiphanie de ce terrain caché, notre imaginaire repoussé au loin dans notre inconscient noué, afin de laisser tant de place aux images formatées qui obscurcissent le monde. Des images qui ont toute l’apparence du libre et du beau, c’est cela qui est pervers. La publicité – nourrie des théories originelles d’un Edward Bernays – vend de ce rêve impossible, base de toutes les frustrations et du malaise contemporain. Mais en réalité, la publicité n’est plus le seul endroit contaminé par le système ultra libéral de notre bon capitalisme hégémonique, l’art lui-même souffre de ce conformisme. Toutes ces images nous hantent, prennent la place de nos désirs comme un écran enivrant. Jamais l’image ( et je mets derrière le terme image, bien d’autres choses que ce seul média ) n’a été autant protéiforme et libéré en apparence.

Mais nous, où sommes-nous derrière elle ? C’est ce « nous » que je scrute et cherche en regardant le monde, mes compatriotes humains. Car quand je le trouve, il me rassure et me redonne confiance. La folie des uns et des autres me nourrit. Car une forme de folie est une vraie preuve tangible de la créativité des hommes envers l’implacable rouleau-compresseur qui les normalise à son profit. Être un peu fou, c’est résister. Et je ne parle pas de la folie dépressive qui hante nos populations devant la précarité grandissante de notre planète. Je parle de la folie qui nous rend unique les uns aux regards des autres.

© Casterman / Debeurme

© Casterman / Debeurme

Moi je n’invente rien, je regarde les gens, je regarde les fleuves et les forêts, les océans, je ne fais rien d’autre que ce qu’ont fait tous les peintres de tous temps.

J’ai écrit dans ma chronique que l’album parle d’écologie, de paternité, de tolérance et d’amour. J’aurai dû ajouter « dans un monde de brutes » parce que l’univers que tu dépeins fait assez peur tout de même.

Ludovic Debeurme. Mais notre monde tel que nous le fabriquons, ou plutôt tel que nous le démembrons aujourd’hui fait peur ! Il ressemble de plus en plus à un moribond aveugle qui ne verrait pas ses propres blessures. Demandez à des adolescents ce qu’ils pensent de leur avenir. Si certains sont encore protégés en apparence par un puissant dénis, la plupart portent des mots très clairs et directs sur l’inquiétude lié au futur, même immédiat. Pour qui sait entendre, les mots sont là. Et ils dépassent largement l’inquiétude liée au monde du travail. L’inquiétude est globale. Il souffle un vent d’apocalypse. Seuls quelques fous pensent qu’ils vont s’en tirer à coup de solutions court-termistes.

Moi je n’invente rien, je regarde les gens, je regarde les fleuves et les forêts, les océans, je ne fais rien d’autre que ce qu’ont fait tous les peintres de tous temps.

Et je vois qu’il est grand temps d’imaginer autre chose. Plein de gens proposent depuis un bon moment déjà des solutions très concrètes et sensées pour tenter d’inverser le cours des choses sur le long terme. Moi, en tant qu’artiste je peux montrer ce que je vois, mais aussi et surtout tenter de remettre du singulier et de l’imaginaire dans le social. Car nous avons besoin de cette créativité pour nous réinventer et sortir du carcan soyeux dans lequel on nous a bercé jusqu’ici.

On évoque souvent  Burns ou Clowes parmi tes influences. Moi je voudrais savoir quelle a été ta première lecture marquante, celle qui a peut-être changé le cours de ta vie ?

Ludovic Debeurme. Mes premières lectures d’enfant, c’est à la fois Spirou, Tintin, Pif, Astérix et Obélix, mais aussi les pieds Nickelés, Reiser, Gébé et son surréalisme engagé qui me fascinait tant. À l’adolescence, vers 15 ans, je découvre Will Eisner qui joue avec les genres BD, illustration, roman, documentaire. Jean-Claude Forest, qui me dit à travers ses livres que l’improvisation à sa place dans la BD.  Moebius et son major Fatal qui vont aussi dans ce sens. Je me mets à faire alors des pages sans bords de cases, improvisées. Pas si loin finalement de choses que j’ai publiées 15 ans plus tard.

Et puis je découvre Crumb, c’est mon dieu alors. Un ami avec qui je dessine passe des vacances tous les étés chez lui. Il nous rapporte des dessins de Crumb, ça nous rend dingue. Et puis à la même époque je découvre aussi le trait épais et à la fois rigide et souple de Burns. Cette façon de jouer avec les canons publicitaires américains pour les pervertir me fascine. Cette ligne épaisse qu’on retrouve dans certains Comics, ou bien chez Chris Ware, ce monolithisme pose un monde dans le marbre.

Mais je me sens pour tout dire bien plus influencé par des artistes comme Otto Dix, les frères Chapman, la peinture flamande et son rapport si libre au corps. Ce sens du grotesque, du trivial. Que l’on retrouve chez Crumb d’ailleurs, parle à mes origines belges peut-être ! Voilà pour citer quelques noms dans le domaine de l’image dessinée et peinte. Mais il faudrait parler de littérature, de cinéma, de philosophie, d’économie, de psychanalyse. Et bien-sûr de musique. Je ne me sens pas plus influencé que ça par les arts graphiques. C’est une partie d’un tout.

© Casterman / Debeurme

© Casterman / Debeurme

Illustration de presse, vidéo, peinture… Tu as toujours baigné dans l’art d’une manière générale. Qu’est-ce qui t’a finalement amené à la bande dessinée ? Pourquoi ce médium plutôt qu’un autre ?

Ludovic Debeurme. Et bien en réalité je n’ai jamais réellement choisi là BD plus que le reste. J’ai été longtemps illustrateur et je le suis encore parfois. Je peins. Je crée des installations. Je joue de la musique. J’écris. Je fais tout ça presque en même temps. Mais il se trouve que le temps que nécessite l’élaboration d’un album de BD est considérable. Possible que je passe un peu plus de temps, de fait, à faire de la BD. Mais je n’en suis même pas sûr. J’ai besoin de jouer de la musique tous les jours. Ça prend du temps !

Mais je dois dire tout de même, que la BD réunit deux choses qui m’ont toujours été chères, et ce depuis ma plus lointaine enfance : inventer des histoires et dessiner. J’ai toujours eu besoin de ces deux mondes ; sans eux je ne survivrai pas. Avec la BD je peux les conjuguer dans le même lieu.

Comme tu le soulignes, tu es musicien par ailleurs. En quoi la musique peut-elle influencer ton travail graphique et inversement ?

Ludovic Debeurme. Il y a tellement de porosités. Le rythme par exemple. La BD c’est du rythme.

Mais au-delà des parallèles directs, je pense que c’est l’ouverture d’esprit que demandent l’un et l’autre en permanence ; la nécessité d’être là dans l’instant, intensément, qui est le lien le plus fort. Cette exigence nourrit les deux pratiques en continu. Avancer dans l’une, c’est avancer dans l’autre.

Quels sont en BD et en Musique les albums qui t’ont récemment enthousiasmé ?

Ludovic Debeurme. Ha, c’est dur comme question ! Je vois des choses belles, j’en entends. Mais enthousiasmé … Ça fait un moment que je ne l’ai pas été réellement.

En ce moment ce qui m’enthousiasme ce sont des gens comme Gilles Bœuf. Ils disent notre monde. Il n’est ni catastrophiste ni donneur de leçon, mais il nous donne le pouls de notre planète. Il faut l’écouter. On a besoin d’écouter des gens comme lui. C’est vital.

L’avenir proche de Ludovic Debeurme, c’est quoi ?

Ludovic Debeurme. Le deuxième tome d’Epiphania ! Je fais tout pour qu’il sorte début 2018.

Merci Ludovic. Propos recueillis par Eric Guillaud le 27 septembre 2017. 

La chronique de l’album ici

© Casterman / Debeurme

© Casterman / Debeurme

01 Oct

Mulo : un polar sous le crachin breton signé Pog et Le Bihan

lz5kBQTxEMySBOOUzzpOysBMZeVLfRHG-couv-1200Lorsque Mulo débarque en Bretagne, il pleut à ne pas laisser un mammifère dehors. Mais peu importe, Mulo n’est pas venu jusqu’ici pour se réchauffer le poil et faire du tourisme balnéaire. Et puis, c’est bien connu, le mauvais temps ne dure jamais ici…

« Ni le beau temps d’ailleurs », lui confie le conducteur qui vient de le prendre en auto-stop. Que vient faire le jeune-homme par ici à pareille saison ? C’est à cause d’une lettre lâche-t-il, pas une lettre d’amour, non, plutôt une lettre anonyme, « une affaire personnelle ». On n’en saura pas plus mais Mulo, qui a grandit dans un orphelinat et ignore tout de ses origines, a rendez-vous avec son passé quelque part sur une île de la région. Un passé qu’il ne connaît pas mais qu’il va découvrir et qui devrait nécessiter un peu de ménage… 

Un héros mi-âne mi-jument, des chiens, des chats, des cochons, des singes.. Bien sûr, qui dit polar animalier dit Blacksad ou Canardo et il y a de ça dans Mulo. Mais pas que! Pog et Cédrick le Bihan nous plongent dans un univers 100% BZH avec ses embruns, son crachin, ses phares, ses petits ports de pêches, ses conserveries et… son trafic de drogue. Oui, il faut bien que quelque chose vienne troubler la tranquillité bretonne. Un récit dynamique, formé de très courts chapitres et complété par un cahier graphique de 12 pages bien utile pour admirer le coup de crayon du Breton Cédrick le Bihan.

Eric Guillaud

Crachin breton, Mulo (tome 1), de Pog et Le Bihan. Éditions Dargaud. 15,99€

L’info en +

Cédrick le Bihan signera l’album samedi 7 octobre à la librairie Kroki à Angers, 16 rue louis de Romain, à partir de 14h

© Dargaud / Pog et Le Bihan

© Dargaud / Pog et Le Bihan

Le Meilleur ami de l’homme : une comédie grinçante de Nicoby et Tronchet

9782800171616-couv-M800x1600 Sa femme veut le quitter, son aide ménagère polonaise supporte l’Olympique de Marseille et sa maîtresse ne lui laisse aucun répit. Bref, tout va mal ou presque dans la vie de Vincent Renard, et ce n’est qu’un début…

« Vous avez la carte Champion ? », demande la caissière. « En ce moment pas trop », répond Vincent Renard. Voilà toute la vie de notre protagoniste, proctologue de profession, résumée en un échange. Entre sa femme qui veut le quitter mais avant ça trouver un amant, sa fille qui doit ignorer tout du projet de divorce, sa femme de ménage qui ne jure que par l’OM, « PSG aux chiottes », et sa maîtresse dont l’appétit sexuel nécessite quelques ébats à la hussarde dans les lieux publics, Vincent Renard voit sa vie partir en vrille, pour ne pas dire en c… !

Et ce n’est rien à côté de ce qui va lui arriver en rencontrant par hasard, lors d’un match du PSG justement, son un ami d’enfance Kévin Delafosse. Enfin un ami, c’est vite dit, disons plutôt une catastrophe ambulante qui l’a toujours vénéré au point de copier ses faits et gestes, au point aussi de tenter de lui ravir autrefois ses conquêtes fémnines. Comme Cécile. Aaah… la belle Cécile !

Justement Cécile, Vincent Renard aimerait tant la revoir. Et quelque chose lui dit que Kévin Delafosse sait où elle se trouve. Alors forcément, ça aide à supporter ses blagues débiles et son intrusion brutale dans une intimité déjà sous tension.

Le message est clair : méfiez-vous de vos amis d’enfance ! Car s’ils (re)débarquent dans votre vie, ce n’est pas forcément parce qu’ils vous veulent du bien. Je ne sais pas si les auteurs Nicoby et Tronchet ont vécu pareil scénario mais leur album sent le vécu à plein nez. Ils y ont bien évidemment ajouté leur touche personnelle faisant de cette comédie un petit bijou d’humour caustique dont Tronchet s’est fait une spécialité, lui le père de quelques figures essentielles de la bande dessinée francophone comme Jean-Claude Tergal ou Raymond Calbuth. Et comme à son habitude, Tronchet gratte là où ça fait mal, mettant en scène ces petits travers humains qui font la grande richesse de notre monde. Un très bon scénrario emmené par le dessin tout en spontanéité et finesse de Nicoby. Génial !

Eric Guillaud

Le Meilleur ami de l’homme, de Nicoby et Tronchet. Éditions Dupuis. 19€

© Dupuis / Nicoby et Tronchet

© Dupuis / Nicoby et Tronchet

27 Sep

La Dame de fer : une histoire de potes dans l’Angleterre thatchérienne

790546_01Tournée générale ! La vieille Maggy vient de passer l’arme à gauche et ça se fête. Surtout ici, à Kingsdown, petite ville de la côte sud de l’Angleterre située à quelques encablures de Douvres où la politique d’austérité de la Première ministre britannique a fait des ravages et laissé des traces…

Tournée générale donc et c’est le patron du pub, David, qui paye, un patron heureux de voir enfin disparaître ce satané personnage des écrans radar. « Mesdames, c’est un grand jour pour l’Angleterre ! on va fêter ça et ce sera pour la maison! ». C’est vrai qu’il a de quoi être heureux le patron. Et de se rappeler ses souvenirs de jeunesse quand la Maggy tenait le pays d’une main de fer et que ses deux potes, Abby et Owen, partageaient encore son quotidien avant de devoir migrer pour Londres dans l’espoir de trouver un job.

Mais qu’importe, Margaret Thatcher est aujourd’hui morte et enterrée, pas mal d’eau a coulé sous les ponts et de bière à la pompe, l’heure est aux retrouvailles. David monte un stratagème pour faire revenir ses deux amis d’enfance à Kingston. Ils se retrouvent tous autour d’une autre dame de fer, une vieille bécane – une Norton Manx pour les connaisseurs – qui a bercé et accessoirement promené leurs fesses sur les routes de la région. Ensemble, ils décident de relancer l’économie du village en créant un camping écolo bobo. C’est à la mode et c’est une belle revanche sur la vie !

Non, La Dame de fer n’est pas une énième biographie sur la mère Thatcher mais une histoire d’amitié dans l’Angleterre thatchérienne et post-thatchérienne. Plus souvent au dessin qu’au scénario, Michel Constant signe ici les deux avec réussite et nous offre un récit à la fois intimiste et universel autour d’une génération marquée par le punk rock. À lire en écoutant The Jam, The Stranglers et ça passe bien aussi avec The Only Ones.

Eric Guillaud

La Dame de fer, de Michel Constant. Éditions Futuropolis. 15€ 

© Futuropolis / Constant

© Futuropolis / Constant

 

23 Sep

Manhattan murmures : une échappée silencieuse dans New York signée Giacomo Bevilacqua

81U5AFFOcDLOù iriez-vous si vous aviez le besoin absolu d’une bonne cure de silence et d’isolement ? Sam, lui, a choisi New York. Une destination qui peut surprendre mais l’anonymat des grandes villes peut aussi donner le sentiment d’être seul au monde. Et libre…

« Ça ferait un bon titre de chanson. Une chanson dont les basses surpasseraient la mélodie. A écouter à fond, baffles dirigées vers le plancher. Pour en ignorer la musicalité, la mélodie. Pour n’en écouter que les vibrations et le rythme ». Oui, ça ferait un bon titre de chanson mais Manhattan murmures n’est pas une chanson, c’est une bande dessinée qui nous embarque finalement avec autant d’émotions dans ce qui est l’âme de New York. Et cette bande dessinée est signée Giacomo Bevilacqua, un auteur italien qu’on a pu découvrir de ce côté-ci des Alpes avec Panda aime paru chez Delcourt en 2013.

Pas de panda dans cette nouvelle histoire mais un homme, Sam, photographe de profession, à la tête d’un quotidien online, bien décidé à vivre pendant deux mois à Manhattan avec une règle simple : ne jamais parler à un autre être humain. Une sorte de défi qui doit nourrir un papier pour son journal et lui faire oublier une rupture amoureuse.

Et il y parvient, sans trop de difficulté, tout au moins au début, découvrant et nous faisant découvrir New York d’un autre oeil, d’une autre oreille. Au bas des buildings, Sam est seul au milieu du monde, seul avec ses pensées, ses souvenirs, ses blessures. Un récit introspectif qui nous plonge au plus profond de l’âme du photographe et nous offre en même temps de beaux instantanés de la ville. Une belle balade.

Eric Guillaud

Manhattan murmures, de Giacomo Bevilacqua. Éditions Vents d’Ouest. 20€

© Vents d'Ouest / Bevilacqua

© Vents d’Ouest / Bevilacqua

19 Sep

Frnck, Harmony, les Cochons dingues, Super Caca, Marie-Lune… Les héros de la BD jeunesse ont aussi fait leur rentrée.

hzMT7AAbpa7UfgInkjqvM6HWRyeY0deX-couv-1200Frnck est de retour, cinq petits mois seulement après un premier volume qui en a surpris plus d’un, à commencer par les hommes préhistoriques  et les mammouths qui ont vu débouler dans leur environnement un gamin de 13 ans qui ne ressemble à rien de connu pour eux. Et pour cause, Frnck, je sais c’est difficile à prononcer mais vous pouvez l’appeler Franck, est un ado d’aujourd’hui, moderne, jean, baskets rouges au pied, du genre à avoir tout le temps le nez sur les écrans. Sauf que là, dans la préhistoire, il n’y a pas de réseau, pas d’internet, pas de Facebook… bref la galère. Et justement, qu’est-il venu faire dans cette galère remplie de bestioles monstrueuses, d’hommes poilus qui mangent les voyelles et de jolies filles, enfin surtout d’UNE jolie fille qui ne le lâche plus depuis son arrivée ? Hein ? Alors ? Franck est simplement tombé dans une faille spatiotemporelle qui l’a propulsé jusqu’à la préhistoire. cochonsDinguesSi vous voulez en savoir plus, lisez le premier tome et sinon jetez-vous sur celui-ci, c’est toujours aussi poilant! Le Baptême du feu, Cossu et Bocquet, Dupuis, 10,95€

Eux n’ont rien de préhistoriques, quoique, ce sont Les Cochons dingues de Laurent Dufreney et Miss Prickly, des cochons d’Inde qui dorment, grignotent, dorment, grignotent, dorment, grignotent… bien au chaud dans le salon de la maison hôte. Un vie bien remplie troublée par l’arrivée d’un petit nouveau tout gris qui s’appelle César et se pose beaucoup de questions sur sa condition d’animal. Son objectif : s’évader. Enfin, après le repas et la caresse de la maîtresse… Les Cochons dingues, Dufreney et Miss Prickly, Delcourt, 10,95€

AgoChangement de style avec Harmony qui clôt son premier cycle avec un troisième volet intitulé Ago. Les jeunes filles adorent cette héroïne de Mathieu Reynès que l’on a pu découvrir en novembre 2015 dans les pages du journal Spirou puis en janvier 2016 en album. Le sacré coup de crayon de l’auteur, l’intrigue mystérieuse à souhait, la mise en scène particulièrement efficace et le caractère bien affirmé de l’héroïne ont fait de la série un succès d’édition. Tout avait commencé dans la cave d’une maison perdue au milieu des bois. Enfermée, Harmony se réveille. Elle est amnésique mais découvre très Dream-ballvite qu’elle est dotée d’un pouvoir surnaturel, la télékinésie. Ago, Harmony (tome 3), Reynès, Dupuis, 12€

Super Caca est de retour et avec lui Luca, le jeune garçon qui l’a inventé ou plus précisément rêvé lors d’un test d’admission à l’école de l’imaginaire. Oui je sais ça peut surprendre. Super Caca est un gros caca mais attention un caca qui sent la fraise. Et ça change tout parce que Super Caca et Luca ne vont plus se quitter de l’année scolaire et devoir affronter les épreuves et les rêves des autres ! Malgré ce que pourrait laisser penser le titre de la série, Super Caca n’a rien de débile et encore moins de scatologique ! Dream Ball, Super Caca (tome 2), Mourier, Silas, Sierro, Delcourt, 11,50€Capture d’écran 2017-09-19 à 19.31.23

Marie-Lune nage dans le bonheur. Ou presque ! Pour ce neuvième album, les parents de notre ado aux cheveux rose bonbon se sont remis ensemble, ça c’est le côté positif. Mais la famille s’est agrandie, un bébé, un garçon qui monopolise un peu trop l’attention. « Il est tellement mignon, il est tellement chou ». Pour Marie-Lune, hyper-méga jalouse, ça devient insupportable mais son attention va très vite se reporter sur Mathieu son ex-futur petit ami. Le problème, c’est que Pénélope, la nouvelle-ex-copine de Mathieu – vous suivez? – ne le sait pas encore… Un univers très coloré et une héroïne très très branchée devenue la coqueluche des pré-ados. Je nage (presque) dans le bonheur!, Marie-Lune (tome 9), Douyé et Yllya, Vents d’Ouest, 10,50€

Eric Guillaud

17 Sep

On Mars : Sylvain Runberg et Grun dessinent un futur possible pour l’humanité

81SI9ym80+LAprès avoir colonisé tout ce qu’il y avait à coloniser sur Terre, et au passage dilapidé toutes les ressources disponibles, l’homme doit se résigner à trouver un autre os à ronger et accessoirement un nouveau gîte d’accueil. Et pourquoi par Mars ? C’est le parti pris de Sylvain Runberg et Grun dans ce très bel album paru aux éditions Daniel Maghen. En route pour 2132… 

Coloniser Mars oui, ruiner la population terrienne non ! Les services RH et financiers n’auront pas à sortir la calculette et remuer le chiffon rouge des ETP, vous savez ces fameux équivalents temps plein qui régissent aujourd’hui la vie des entreprises, l’idée est toute trouvée : envoyer tous les repris de justice y bâtir la nouvelle colonie, une main d’oeuvre qui coûte absolument rien, nada, et qui ne discute pas, ne demande rien. Le rêve quoi ! Et ça bétonne dur comme ça depuis 20 ans maintenant. Une dizaine de cités dômes sont en construction pour les colons libres, des habitats confortables, agréables et autosuffisants en énergie, bref le bonheur pour tous… sauf bien sûr pour les condamnés à l’exil.

« Ça vous aura pris plus de six mois pour arriver ici… Ça ne vous prendra pas vingt-quatre heures pour comprendre comment fonctionne le plus grand camp de travail jamais construit dans notre système solaire. »

Jasmine Stanford est flic. Ou plutôt, elle était flic jusqu’à ce qu’elle foire une mission en tuant une gamine de 15 ans. Pour elle, ce sera 20 ans. 20 ans à casser du caillou et couler le béton pour les autres sur la planète rouge. Les conditions de travail sont rudes, il y a souvent des accidents, des morts, les violences entre prisonniers sont quotidiennes et l’environnement général n’est pas franchement idéal pour se refaire une opinion toute neuve sur l’humanité…

L’avantage avec cet album de Sylvain Runberg et Grun, c’est que vous n’avez nullement besoin pour comprendre l’intrigue d’avoir absorbé et digéré tout ce qui se fait en science fiction depuis des décennies. Aucune culture spécifique n’est demandée et, franchement, ça fait du bien. On repart de la base, le scénario est simple mais pas simplet et les planches de Grun, grand admirateur de Moebius, ancien designer de décors et de personnages dans une société de production de jeux vidéos, sont tout simplement magnifiques. Un cahier graphique en fin d’album, réunissant grandes illustrations en couleur et recherches graphiques, permet d’admirer plus encore son immense talent. Une histoire prévue en trois volumes. On attend la suite avec une très grande impatience!

Eric Guillaud

On Mars (tome 1) de Sylvain Runberg et Grun. Éditions Daniel Maghen. 16€

© DM / Runberg & Grun

© DM / Runberg & Grun

14 Sep

Epiphania : une fiction génialement cauchemardesque signée Ludovic Debeurme chez Casterman

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Ludovic Debeurme est un auteur rare et précieux qui s’est fait connaître du public ou plus restrictivement du public amateur d’une bande dessinée exigeante et parfois dérangeante, voire déroutante, avec l’album Lucille paru chez Futuropolis, Prix Goscinny en 2006, Essentiel du festival d’Angoulême en 2007. Onze ans et quelques albums plus tard, Ludovic revient avec Epiphania, un récit fantastique qui nous parle d’écologie, de paternité, de tolérance et d’amour…

Jeanne veut un enfant, David n’en veut pas. Il préfère jouer de la musique que changer des couches. Rien que l’idée d’être père lui fait faire des cauchemars. Le couple est en péril. Pour sauver ce qui reste à sauver, Jeanne et David acceptent de s’inscrire à un « Love Training Camp », un camp d’entrainement à l’amour. Sur une île. Mais à peine débarqués, à peine exposé le souci qui les amène ici et les éloignent l’un de l’autre, un tsunami géant ravage l’île et globalement la planète.

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retrouvez l’interview de l’auteur ici

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Jeanne disparaît. David survit. Et lorsque les eaux se retirent, les survivants découvrent des millions de foetus plantés dans la terre. Des êtres hybrides, mi-hommes mi-bêtes. David en trouve un dans son jardin et l’adopte. Lui qui se refusait d’être père le devient, un père affectueux et protecteur d’un monde qui sombre dans la violence et la haine, prêt à s’autodétruire…

Si vous avez aimé comme moi Lucille et la suite, Renée, deux albums respectivement parus en 2006 et 2011 chez Futuropolis, ou ses deux derniers albums, Trois fils et Un Père vertueux chez Cornélius, alors vous aimerez logiquement Epiphania dont le premier des trois volets annoncés vient de sortir.

Avec son graphisme dépouillé, un univers que certains jugent proche de Charles Burns, avec une touche de Daniel Clowes serait-on tenté d’ajouter, Ludovic Debeurme marque le neuvième art d’une empreinte indélébile, fantasque et ambitieuse, à l’image des auteurs appartenant à ce qu’on qualifie de Nouvelle bande dessinée, apparue au tournant du siècle. Ludovic Debeurme n’utilise pas le médium bande dessinée, il le réinvente, explore de nouvelles voies. Et c’est bien là l’essentiel. Magnifique !

Eric Guillaud

Epiphania, de Ludovic Debeurme. Éditions Casterman. 22€

© Casterman / debeurme

© Casterman / debeurme

13 Sep

Pauvre Jean-Pierre et Les Gens honnêtes : deux intégrales rigoureusement indispensables

697JqbzDzEi5cX5Qo7ObbIJkUQ53RZGO-couv-1200Je sais, le porte-monnaie va être encore mis à rude épreuve ce mois-ci tant les sorties sont nombreuses et pour certaines indispensables. C’est le cas de Pauvre Jean-Pierre de Grégory Mardon et des Gens honnêtes de Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat, deux albums parus chez Dupuis…

On commence a avec le Pauvre Jean-Pierre, une intégrale qui réunit les trois premiers albums de Mardon chez Dupuis, parus entre 2004 et 2006, les trois albums qui m’ont en fait permis de découvrir l’auteur. Il avait à l’époque déjà publié Vagues à l’âme aux Humanoïdes Associés et Cycloman chez Cornélius mais la trilogie aujourd’hui rassemblée sous le titre Pauvre Jean-Pierre vont le faire connaître du grand public et le propulser au rang d’auteur incontournable. Après une bonne vingtaine d’albums parmi lesquels L’Echappée chez Futuropolis, L’Extravagante comédie du quotidien chez Dupuis ou encore et tout dernièrement Prends soin de toi chez Futuropolis, l’intégrale que voici permet de nous relancer dans les pas de Jean-Pierre, du pauvre Jean-Pierre.

« Je me présente, Jean-Pierre Martin, ni grand, ni petit, ni beau, ni moche, je suis un individu moyen. Je rêve d’excès et de démesure, de déséquilibre et de sensations fortes. Je rêve de me sentir en vie mais je reste là, bien au milieu, imperturbablement raisonnable ».

Personnage central mais pas unique, Jean-Pierre nous permet de croiser et de suivre les ADxLfYDjLuMEwGl74SAmhVMUZHPwzWEz-couv-1200trajectoires de tout un tas de protagonistes, des hommes et des femmes tou(te)s plongé(e)s dans le bain de la vie urbaine offrant une photographie de notre société sans pareille, à la fois caustique et souriante, douce et poétique, Il y a du Monsieur Jean dans l’esprit, du Blutch dans le trait, et du génie dans l’air ! (Pauvre Jean-Pierre, de Mardon, Dupuis, 32€)

On reste dans la chronique du quotidien avec l’intégrale Les Gens honnêtes qui réunit les quatre volets existants, autant de petits bijoux de sensibilité, de tendresse et d’humanité publiés originellement entre 2008 et 2016 et signés par deux grands messieurs de la BD, Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat.

En héros de l’ordinaire cette fois, Philippe, la cinquantaine, une vie paisible, une femme, des enfants, une maison… jusqu’au jour où il apprend son licenciement. Patatras, tout s’écroule autour de lui, sa femme le quitte, il perd sa maison, plonge dans l’alcool avant de finalement se raccrocher à la vie, d’enchaîner les petits boulots, de retrouver une petite amie…

Le parcours accidenté d’un homme honnête en près de 300 pages. C’est beau, c’est intelligent et c’est émouvant. (Les Gens honnêtes, de Durieux et Gibrat, Dupuis, 35€)

Eric Guillaud

12 Sep

La Vallée du diable d’Anthony Pastor : embarquement pour la Nouvelle-Calédonie des années 20

Capture d’écran 2017-09-06 à 22.41.27Impossible de passer à côté de cette magnifique couverture qui promet à elle-seule voyage et aventure. Et de fait, dès les premières pages du récit d’Anthony Pastor paru aux éditions Casterman nous voilà propulsés aux antipodes, dans la Nouvelle-Calédonie des années 20…

1925 exactement. En Europe, les blessures de la grande guerre ne sont toujours pas cicatrisées et la vie difficile pousse certains à émigrer vers d’autres horizons. Blanca, Florentin, Pauline et Arpin sont de ceux-là. Ils ont décidé de fuir leur Savoie natale où ils ne trouvent plus leur place pour rejoindre la Nouvelle-Calédonie, promesse d’une nouvelle vie.

Mais depuis cinq ans qu’ils y ont débarqué, Blanca, Florentin, Pauline et Arpin ont largement eu le temps de déchanter. La Nouvelle-Calédonie est toujours en phase de colonisation. La population indigène est dans sa grande majorité parquée dans des réserves d’où elle peut uniquement sortir pour travailler. Exploités dans les fermes par les colons, réquisitionnés par l’administration pour certains travaux de force, maltraités d’une façon générale, réprimés à la moindre rébellion, les Kanak assistent impuissants à la main mise des Blancs sur les terres calédoniennes.

Totalement étrangers à cet univers colonial, les quatre Savoyards ne supportent pas le climat de tension permanente, les violences, les injustices flagrantes et le racisme qui gangrènent la Nouvelle-Calédonie. Et le mariage entre Pauline et Arpin n’y change rien, la nouvelle vie tant espérée n’a franchement pas le goût du bonheur.

Au delà de l’histoire de ces quatre migrants savoyards que l’on avait déjà pu suivre dans un album précédent intitulé Le Sentier des reines (éd. Casterman), Anthony Pastor nous raconte toute l’horreur de la colonisation qui ne prendra fin finalement qu’après la seconde guerre mondiale. Un passé pas si lointain qui a forcément laissé des traces sur ces lointaines terres de France. Sur un peu plus de 120 pages, Anthony Pastor déroule un scénario habile emporté par un mise en scène assez classique mais efficace, un graphisme époustouflant et des couleurs qui nous restituent parfaitement l’atmosphère. Un récit judicieusement complété par un dossier d’Isabelle Merle, historienne au CNRS et conseillère historique sur l’album.

Eric Guillaud

La Vallée du diable, d’Anthony Pastor. Éditions Casterman. 20€

© Casterman / Pastor

© Casterman / Pastor

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