L’Homme aux bras de mer, l’itinéraire d’un pirate somalien raconté par Thomas Azuélos et Simon Rochepeau

L-homme-aux-bras-de-merC’est une histoire qui a d’abord fait la Une des journaux. Une histoire de pirates mais pas du genre à faire rêver les garçons en culotte courte. Pas de capitaine Crochet ici, pas plus d’îles caraïbéennes mais des Somaliens poussés à des extrémités par la pauvreté…

Cette histoire là, c’est d’abord celle d’une famille française originaire de Vannes  qui navigue au large de la corne d’Afrique en avril 2009 quand cinq pirates somaliens prennent d’assaut son voilier, le Tanit. Un commando marine intervient. Deux pirates sont tués, le skipper est victime d’une balle française.

Les trois autres pirates sont ramenés en France pour y être jugés. Ils risquent la perpétuité pour  « détournement de navire par violence ou menace, arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes commis en bande organisée ».

C’est là que commence une autre histoire, celle de cette bande dessinée écrite par Simon Rochepeau et Thomas Azuélos. Ils y racontent l’itinéraire de l’un des trois pirates ramenés en France. Il s’appelle Mohamed, est détenu dans la prison de Ploemeur en Bretagne où il a juste le droit à un avocat commis d’office… et aux visites de Marion qui compte lui apprendre le français.

Maryvonne est comptable de formation, au chômage, bientôt en fin de droit. Alors pourquoi tient-elle absolument à apprendre le français à des étrangers emprisonnés ? Son mari ne la comprend pas. Mais pour elle, c’est simplement naturel. Et peu importe ce que Mohamed a fait. D’ailleurs elle ne l’apprendra que plus tard de la bouche même de son mari. Pour l’instant, l’urgence est à l’enseignement du français, pour qui’l puisse comprendre, qu’il puisse se défendre et qu’il puisse raconter sa vie d’avant, pourquoi et comment il a un jour basculé dans la piraterie.

L’Homme aux bras de mer est une bande dessinée documentaire comme on aime, un livre essentiel qui ne juge pas mais raconte l’humain prêt aux pires horreurs comme au meilleur. Au delà de l’itinéraire de Mohamed le pirate, Thomas Azuélos et Simon Rochepeau rendent hommage à ces hommes et ces femmes qui accompagnent, aident, portent à bout de bras les étrangers qui arrivent en France à la recherche d’un doux pays qui serait aussi le leur.

Eric Guillaud

L’Homme aux bras de mer, de Thomas Azuélos et Simon Rochepeau. Éditions Futuropolis. 22€

© Futuropolis / Azuélos & Rochepeau

© Futuropolis / Azuélos & Rochepeau

18 Oct

Je n’ai pas lu « Astérix et la Transitalique » mais je vous en parle quand même !

Au cas où vous ne le sauriez pas encore, c’est demain, oui jeudi 19 octobre, que sort la nouvelle aventure – la 37e – du tandem gaulois le plus célèbre de la planète BD, Astérix et Obélix, intitulée « Astérix et la Transitalique ». Et tout le monde est dans les starting-blocks…

IMG_1316

Enfin quand je dis tout le monde, c’est pas tout à fait vrai. Pour tout vous dire, je l’avais moi-même complètement oublié. Je suis passé à côté des 20h qui n’ont pas manqué de lui être consacré et des papiers de fond dans la presse écrite nationale voire internationale, généraliste et même économique. C’est tout simplement par hasard que je suis tombé sur ces palettes vides, que dis-je, sur ce trône à la gloire de nos amis gaulois, qui devra dès demain supporter les 5 millions d’exemplaires fièrement annoncés par l’éditeur (enfin pas uniquement dans ce magasin de Loire-Atlantique mais partout en France) et repris avec délice par l’ensemble des médias béats d’admiration devant tant de 0 pour un tirage de BD, des BD qui d’ordinaire, mis à part peut-être au moment d’Angoulême, intéressent guère ces mêmes médias.

Je vous l’annonce tout de suite, je ne fais pas partie des journalistes méritants qui ont eu la chance – ou la malchance – de le recevoir et de le lire en avant-première. Je ne peux donc pas vous dire ce que j’en pense précisément, s’il est vraiment phénoménal ou totalement banal, mais je reste estomaqué devant le nombre d’albums imprimés et par la mise en place totalement monstrueuse et on peut le dire déplacé de cette nouveauté quand on voit tous ces albums qui mériteraient chaque année un peu, un tout petit peu, de cette mise en lumière, dans la presse ou dans les commerces.

Alors oui bien sûr, on me rétorquera facilement qu’Astérix peut faire l’effet d’une locomotive ou d’une fusée et tirer les autres vers des sommets jamais atteints, que grâce à lui, grâce à quelques autres héros de cette dimension, le secteur de la BD se porte bien.

Mais je pense surtout qu’il cache une production extrêmement riche et variée, et qu’il faudrait à chacun un peu plus de curiosité pour la découvrir, l’explorer, et ne pas en rester à la gondole qui trône – déjà – à l’entrée de votre magasin préféré.

Eric Guillaud

17 Oct

Les folles aventures de Spirou contées par les Nantais Yoann et Vehlmann

Il y a d’un côté les mythiques aventures de Spirou et Fantasio immortalisées en album, il y a aussi quantité d’histoires courtes spécialement écrites pour le journal Spirou qu’on pourrait imaginer perdues pour l’éternité. Pas toujours heureusement !

IMG_1314

Il y a d’un côté les mythiques aventures de Spirou et Fantasio immortalisées en album, il y a aussi quantité d’histoires courtes spécialement écrites pour le journal Spirou qu’on pourrait imaginer perdues pour l’éternité. Pas toujours heureusement !

La suite ici

16 Oct

BD, artbook, cinéma… Zombillénium sort le grand jeu !

9782800147215-couv-M420x900Au tout début du début du commencement, Zombillénium était une série de bande dessinée imaginée par Arthur de Pins et publiée dans le journal Spirou. Aujourd’hui, Zombillénium devient un long métrage d’animation en salle le 18 octobre…

Trois albums, trois petits albums, auront suffit à faire de Zombillénium un phénomène de la BD et de ses personnages les nouvelles coqueluches des jeunes lecteurs et lectrices du journal Spirou.

Tout commence en octobre 2008 lorsque Frédéric Niffle, rédacteur en chef du journal, propose à Arthur de Pins de faire la couverture du spécial Halloween. L’auteur, plus connu dans le monde de la bande dessinée pour ses pin-ups que pour ses monstres, accepte. Bingo. « Je me suis beaucoup amusé à imaginer toute une galerie de monstres dans un cimetière. Frédéric s’est rendu compte que ça me plaisait, et il m’a proposé de développer l’univers pour en faire un album ».

Des zombies c’est bien, mais des zombies qui tiennent un parc d’attractions c’est mieux, c’est même excellemment mieux. Et voilà notre Arthur de Pins délaissant les formes avantageuses de ses pin-ups pour une galerie de monstres.

ZtJjGPrvSe0b2hc40TKERfCphxzAIgDi-couv-1200Trois tomes sont d’ores et déjà disponibles. La série en comptera six au final « et je sais comment ça se termine! », annonce Arthur de Pins.

Il sait comment ça se termine, pas nous. Et il faudra attendre encore un peu pour le savoir… Le troisième et dernier album en date est sorti en 2013, depuis, Arthur de Pins travaille sur l’adaptation de la BD en film d’animation. « J’ai passé au moins un an à ne faire que ça. C’était très nouveau pour moi. J’ai dû lire plein de livres, voir des conférences, regarder énormément de films, parce que le scénario au cinéma, c’es presqu’une science exacte, ça ne s’improvise pas ».

Le film sort en salle le 18 octobre. Les éditions Dupuis profitent de cette mise en avant pour rééditer le premier volet de la série, Gretchen, augmenté d’un dossier de 8 pages autour de son univers et de son adaptation cinématographique, ainsi qu’un magnifique artbook intitulé L’art de Zombillénium réunissant les interviews des principaux intervenants sur le film, des recherches graphiques, des photos, des extraits du storyboard et – plus rare – du colorboard.

Eric Guillaud (propos d’Arthur de Pins extraits de Zombillénium la BD du film)

L’art de Zombillénium, de Arthur de Pins. Éditions Dupuis. 32€

Zombillénium la BD du film, de Arthur de Pins. Éditions Dupuis. 14,50€

15 Oct

Hermann signe un Jeremiah… sans Jeremiah !

dWsCTERvvUCtdy7ff8fImp3gzwDf0D7U-couv-1200Un Jeremiah sans Jeremiah mais avec Kurdy, son fidèle acolyte qui depuis 35 albums et tout de même 38 ans l’accompagne dans ses aventures. Mais pas d’inquiétude, Jeremiah n’est pas mort, son ombre bouge encore…

Un album de Jeremiah sans Jeremiah, c’est un peu comme un album de Lapinot sans Lapinot, sauf que les aventures de Lapinot sans Lapinot existent et s’appellent Les formidables aventures sans Lapinot. Rien de tel ici, les aventures de Jeremiah sans Jeremiah s’appellent toujours Jeremiah. Et pour cause, il ne s’agit là que d’un épisode isolé qui va permettre à Hermann d’explorer – et de nous faire découvrir par la même occasion – un pan de la vie de Kurdy, son deuxième héros, avant sa rencontre avec Jeremiah.

Pas d’inquiétude, l’univers mis en place dans La Nuit des rapaces, le premier tome de la série paru en 1979, est en tout point respecté, à commencer par le contexte d’un monde dégénéré post-apocalyptique résultant d’une vision assez sombre de l’auteur sur le genre humain.

Et l’histoire ?

Elle est simple. Notre Kurdy, alors adolescent, débarque sans prévenir dans un coin paumé où se côtoient une vielle femme un peu allumée, Mama Olga, qui rêve de s’offrir une piscine, et un camp de rééducation dans lequel est emprisonné son ami Chorizo. Sa mission : libérer l’ami. Pour se faire, il accepte de jouer la mule pour la vieille paysanne et ses amis patibulaires. La drogue rentre, l’argent sort et tout le monde est content. Ou presque…

Sans rentrer dans les détails et raconter la fin, cette aventure devrait permettre à tous ceux qui connaissent bien la série et se posent quantité de questions sur le caractère de Kurdy, je n’en fais pas vraiment partie, de trouver quelques réponses.

Et Jeremiah ?

No stress, Jeremiah devrait être de retour très rapidement. Aucun risque à priori que la série parte en vrille, Hermann est quelqu’un d’assez pragmatique. « Le problème avec les longues séries… », expliquait-il récemment à un confère de Culturebox, « est qu’on peut perdre les idées. La veine s’épuise et on tourne en rond. Un phénomène d’usure. Mon seul juge sont les lecteurs. Si les ventes de Jeremiah reculent alors je jetterai l’éponge. Sinon je continue ». Vous n’êtes pas encore parti l’acheter ?

Eric Guillaud

Kurdy Malloy et Mama Olga, Jeremiah (tome 35), de Hermann. Éditions Dupuis. 12€

Capture d’écran 2017-10-14 à 14.08.56

13 Oct

Calypso : un Cosey qui sent bon l’encre et la papier

Il sent bon ! Oui je sais, ça va vous paraître étrange de commencer une chronique comme ça mais je ne sais pas pourquoi, en le prenant entre mes mains, j’ai ressenti une envie soudaine et irrépressible de plonger mon nez entre ses pages, avant même d’y jeter mes yeux. Le nouvel album de Cosey sent bon l’encre et le papier…

IMG_1303

Bon, je sais que ça ne suffit pas à en faire un bon album, alors je me suis repris, j’ai refermé le livre le temps de contempler la couverture. Puis d’entreprendre sa lecture. Avec une surprise de taille, le nouveau Cosey est en noir et blanc. Sublime ! Mais quand même…

Je ne me souviens absolument pas d’avoir lu un jour un album de Cosey en noir et blanc. Pourtant, j’en ai lu des Cosey, depuis Jonathan jusqu’au Bouddha d’Azur, en passant par À la recherche de Peter Pan ou Le Voyage en Italie. Il me semble même que la couleur faisait partie de son adn, de son oeuvre, de sa signature, des couleurs toujours douces et au service de l’histoire.

Bref, avec Calypso, le Grand Prix du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2017, président de fait de l’édition 2018, créé la surprise en allant là où personne, moi en tout cas, ne l’attendait pas vraiment.

Cosey en noir et blanc, c’est comme Corto Maltese en couleur, enfin un peu, ça surprend au début, on a l’impression d’être trompé. Et les yeux s’habituent, les neurones aussi, on redécouvre le trait qui a fait le succès de l’auteur suisse, puis cette façon de raconter les histoires, là c’est unique, c’est du Cosey et rien d’autre. On peut imiter sa touche graphique, on n’arrivera jamais à faire du Cosey dans le texte.

Mais que raconte Calypso me direz-vous ? Une histoire à la Cosey. Et je ne vous en dirai pas plus sauf peut-être qu’on y parle d’amour, de cinéma, du temps qui passe… Ne lisez surtout pas de synopsis avant, Calypso nous embarque à son rythme dans une très belle histoire. De quoi se dire que le neuvième art a encore de beaux jours devant lui… Merci pour ce bonheur Monsieur Cosey !

Eric Guillaud

Calypso, de Cosey. Editions Futuropolis. 20€

11 Oct

Les super héros oubliés d’avant-guerre de Centaur Publishing reviennent à la vie grâce à une poignée de fans français et grâce aussi à Jean-Michel Ferragatti

CouvertureLa forte popularité des pulps dans l’avant-guerre de Roosevelt et l’arrivée des premiers super-héros ont suscité beaucoup de vocations dans l’Amérique des années 30. Et même si l’Histoire n’a retenu depuis que les mastodontes DC et MARVEL (créées respectivement 1934 et 1939), nombreuses ont été les éphémères maisons d’éditions à se lancer sur ce juteux marché. L’une d’entre elles s’appelait Centaur Publishings mais malgré plus d’une vingtaine de titres différents lancés entre 1933 et 1942, elle a fini par mordre la poussière à cause de problèmes de distribution. Alors que ses personnages sont tombés dans le domaine public en 1992, une poignée de passionnés français ont décidé de ressusciter certains de ses héros les plus emblématiques pour deux volumes regroupant à la fois anciens numéros d’époque et nouvelles aventures inédites réalisées spécialement pour l’occasion. Alors que le premier volume est déjà sorti et que le deuxième, après une campagne réussie sur un site de financement participatif, est sur le point d’être imprimé, le coordinateur du projet Jean-Michel Ferragatti, nous parle de ce projet fait par et pour des fans.

Pourquoi selon vous les personnages de Centaur sont-ils ainsi tombés dans l’oubli ?

Jean-Michel Ferragatti : L’éditeur Centaur a arrêté sa ligne de comics à cause d’une mauvaise distribution de ses publications en 1942, une mauvaise distribution qui a sans doute abouti à des volumes relativement faibles et par conséquence d’exemplaires trop limités pour les collectionneurs. De plus, les lecteurs de comics n’ont réellement commencé à créer des collections à la fin des années 50. Ils n’avaient donc jamais vu les publications Centaur qui en conséquence étaient très peu recherchées tout en étant rares. Or les bouquinistes leur accordaient donc une côte assez chère pour peu de demande, donc le plus souvent ils restaient sans acheteur et leur contenu inconnu. Cela a changé avec la sortie en 1990 de l’ouvrage d’Ernst Gerber regroupant de nombreuses pochettes de comics, dont pas mal de Comics Centaur. Cela a réveillé la curiosité des collectionneurs mais c’est vraiment l’avènement d’internet qui a parachevé cette redécouverte. Reste que certains grands auteurs ne les avaient pas oublié, je pense notamment à Gil Kane, le créateur entre autres d’Iron Fist, qui avait introduit des éléments de la série Amazing Man, notamment le décor de la cité des Immortels K’un- Lun, directement inspiré du lieu de villégiature du ‘Conseil des Sept’ d’Amazing Man.

Page 11

Est-ce que l’une des raisons de ce relatif anonymat ne vient pas aussi du fait que les histoires que vous avez incluses dans le premier volume de Centaur Chronicles s’inscrivent au final plutôt dans une certaine tradition du serial US – avec ce que cela implique en terme de rythme, de personnages assez manichéens etc. – que du style ‘super-héros’ proprement dit ?

Jean-Michel Ferragatti : C’est vrai que les histoires de Centaur ont assez peu de continuité telle que l’apprécie le plus souvent les lecteurs de Comics. Pendant le premier Âge d’Or (en gros, entre 1938 et 1954-ndr) il n’y a eu aucun crossover dans les publications Centaur, c’est-à-dire qu’aucun personnage n’en a rencontré un autre, même s’il y avait malgré tout une continuité interne à certaines des séries. Il y a sans doute également un effet lié au fait qu’étant parmi les premiers super-héros publiés, ces personnages ne possédaient pas tous les codes devenus classiques, ce qui les rend un peu atypiques, même pour le lecteur de l’époque. Mais ce qui en contrepartie les rend à mes yeux au contraire passionnants maintenant !

Page 83

Il vous a fallu s’y reprendre à trois fois pour mettre vraiment en branle ce projet. Que s’est-il passé ?

Jean-Michel Ferragatti : La première a été un faux départ car nous devions lancer la série dans un titre dont l’artiste Reed Man possédait la licence (Spécial Strange). Malheureusement alors que la couverture du numéro avait déjà été faite, le propriétaire lui annonça qu’il lui retirait. Très déçu, Reed Man a alors abandonné le projet. La deuxième fois, grâce à John Favre qui était l’éditeur du projet initial, deux épisodes ont été publiés dans ses magazines avec l’artiste Fred Grivaud pour toute la partie artistique. Mais John a ensuite eu des soucis avec sa maison d’édition et la suite n’a jamais été publiée. Fred et moi, nous avons alors contacté des éditeurs nationaux mais bien que certains aient montré un certain intérêt, nous n’avons eu aucune proposition ferme et Fred a souhaité s’éloigner du projet. La troisième avec Marti et en autoédition fut la bonne !

Les auteurs impliqués ont-ils dû apprendre à s’adapter en quelque sorte au style Centaur ?

Jean-Michel Ferragatti : Le scénariste certainement… Il faut savoir que les créateurs des personnages Centaur travaillaient à la même époque sur les premiers personnages de ce qui deviendra Marvel Comics (la Torche Humain, Namor) avec lesquels ils ont en commun d’être des un peu atypiques. Donc, il fallait faire ressortir ce côté assez peu formaté et un peu brut. Marti a dû bien entendu s’approprier les personnages graphiquement mais pas spécialement en reprenant un style Centaur mais plus en étant respectueux des designs originaux tout en les mettant au goût du jour.

Page 8

Pourquoi être au final passé par une plateforme de financement participatif pour éditer ces deux premiers volumes ? Et quel était le profil des gens qui ont financé l’opération ?

Jean-Michel Ferragatti : On est passé par ce biais là car nous voulions avoir une ‘caisse de résonnance’ facile à mettre en place. La campagne nous a aussi permis de faire de la communication de manière simple et d’avoir une infrastructure de paiement très facile. Les contributeurs sont de trois types : d’abord les amis, relations personnelles et professionnelles des artistes. Puis les fans des communautés de comics sur internet. Et enfin, les curieux intrigués par le projet.

Est-ce dès le départ un projet censé s’étaler sur plusieurs volumes ou est-ce que la réalisation du premier vous a donné envie de retenter ensuite l’aventure ?

Jean-Michel Ferragatti : Oui, dès le départ le projet était prévu sur quatre volumes. Il y a La Renaissance, le deuxième sera Les Origines, le troisième L’Adversité et le dernier L’affrontement. Mais l’une des caractéristiques des comics est la périodicité. Donc, nous avons déjà des projets pour au minimum une autre histoire de deux volumes et quelques projets spéciaux, voire un ‘spin-off’ si le public est au rendez-vous car l’univers Centaur est tellement riche que quatre volumes ne suffiront pas à en faire le tour.

Propos recueillis par Olivier Badin, Octobre 2017

10 Oct

Équatoria : le nouveau voyage de Corto Maltese signé Juan DÍaz Canales et Rubén Pellejero

corto malteseVenise, Alexandrie, Zanzibar, Mombasa, Équatoria… cette nouvelle aventure de Corto Maltese nous embarque dans un voyage à travers le monde entre mythe et réalité…

Les amoureux du Corto de la première heure se souviennent – forcément – du mythique et très poétique Fable de Venise, album publié en 1981 et signé de la plume et du pinceau du maître, le grand Hugo Pratt.

C’est dans la Cité des Doges que nous retrouvons autourd’hui notre aventurier au long cours, à la recherche cette fois, non pas de la clavicule de Salomon, mais d’un autre trésor, un miroir magique qui aurait permis à un roi, dit-on, d’y observer n’importe quelle partie de son royaume. Corto Maltese n’oubliant pas de préciser à la belle Aïda, qui l’accompagne dans les rues de Venise et le questionne sur les raisons de sa présence ici, que personne n’a jamais vu ce roi et que personne ne sait précisément où se situe le fameux royaume. Et que bien évidemment, il allait tout faire pour le retrouver.

Bref, l’affaire ne s’annonce pas simple. Mais ce n’est jamais simple avec Corto. Ses aventures sont romantiques, poétiques, fantastiques, ésotériques, métaphysiques, énigmatiques, mythiques… mais jamais simples ! Et c’est ce qui fait finalement le charme de la série reprise il y a deux ans maintenant par le tandem Canales / Rubén, deux auteurs passionnés par l’univers prattien. Et ça se sent !

© Casterman / DÍaz Canales & Pellejero

© Casterman / DÍaz Canales & Pellejero

On peut imaginer toute la difficulté de reprendre une série aussi mythique. Le danger des comparaisons avec le maître, le souci de garder la ligne tout en apportant sa griffe, la lourde responsabilité de transmettre un univers aux générations suivantes… sont autant de pressions qui s’accordent guère avec la création.

Les puristes intégristes crient bien évidemment au scandale, les autres se réjouissent de retrouver ce personnage hors pair qui appartient aujourd’hui à l’immaginaire collectif, une légende, une icône, un dieu.

Bien sûr, ce n’est plus tout à fait la même chose, Il manque certainement un quelque chose de je ne sais quoi, un parfum, un goût, une odeur, une impression, une sensation, une subtilité… qui rendait peut-être notre marin libertaire plus humain qu’il ne l’était vraiment. Mais le trait de Pellejero est vraiment très agréable, Corto n’a pas changé d’une boucle d’oreille, enfin, le voyage, la découverte de cultures et de traditions différentes, la poésie… sont toujours à la base des aventures de Corto.

Corto serait-il devenu un héros de papier comme les autres ? « je ne vois aucun intérêt à devenir un héros de papier! »; lui font dire avec un trait d’humour Juan DÍaz Canales et Rubén Pellejero. « Pauvre Corto, comme si on pouvait choisir », répond Aïda !

Eric Guillaud

Équatoria, Corto Maltese, de Juan DÍaz Canales et Rubén Pellejero. Éditions Casterman. 18€

© Casterman / DÍaz Canales & Pellejero

© Casterman / DÍaz Canales & Pellejero

08 Oct

Après la guerre d’Algérie d’Alexandre Tikhomiroff fils, Gaétan Nocq raconte la Révolution d’octobre d’Alexandre Tikhomiroff père

couv_9782849532881_grande-1Il est des livres qui vous tombent un beau jour entre les mains par le plus grand des hasards – je pourrais même parler d’intervention divine si j’étais croyant – et vous révèlent un auteur de grand talent. Ce fût le cas en 2016 avec Soleil brûlant en Algérie, un témoignage historique à vocation documentaire sur la guerre d’Algérie signé Gaétan Nocq d’après le récit d’Alexandre Tikhomiroff. Deux noms que l’on retrouve aujourd’hui sur la couverture de cette nouveauté mais une histoire toute autre, celle du père d’Alexandre, une plongée au coeur de la Révolution d’Octobre. Juste de quoi confirmer tout le bien que je pense de l’auteur…

Dans une interview qui remonte à avril 2016, au moment d’évoquer ses projets, Gaétan Nocq nous parlait de deux bandes dessinées dans les cartons, la première scénarisée par un autre auteur, la deuxième, qui lui tenait peut-être plus à coeur, une adaptation de La Trêve de Primo Levi. Et c’est finalement Capitaine Tikhomiroff qui sort du chapeau, une très belle surprise de 240 pages réalisée en un temps record de moins d’un an. 

Retour en avril 2016, Soleil brûlant en Algérie, le tout premier album de Gaétan Nocq, raconte la guerre du jeune troufion Alexandre Thikhomiroff, dit Tiko. Le jeune homme, opposé à ce qu’on appelle à l’époque non pas une guerre mais des « événements » ou des « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord », se retrouve affecté au mess, à servir les hauts gradés. Un pis-aller qu’il accepte pour la simple « promesse d’un steak tendre, ajoutée à celle d’être loin des turbulences de la caserne et de ses astreintes morales… ». Mieux valait de toute façon être là qu’en première ligne!

© La Boîte à bulles / Nocq

© La Boîte à bulles / Nocq

Capitaine Tikhomiroff remonte le temps et raconte cette fois la Révolution d’Octobre à travers l’histoire du père de Tiko, lui aussi prénommé Alexandre. Comme son fils pendant la guerre d’Algérie, Thikomiroff père n’a rien d’un super-héros, sans peur et sans reproche. Il se fait lui-aussi plus spectateur qu’acteur, allant même jusqu’à passer des rangs de l’armée blanche à ceux de l’armée rouge et vice versa pour éviter d’être fusillé.

Et on le suit dans cette guerre civile, jusqu’à la défaite de l’armée blanche, acculée, retirée dans un port de Crimée, attendant une évacuation vers des terres d’asile. Pour Alexandre, ce sera la Turquie puis la Bulgarie et enfin la France. « Une autre histoire », dira plus tard Alexandre père à Alexandre fils dans ces quelques moments d’échange que les deux hommes purent avoir… Peut-être l’histoire d’un troisième album !

© La Boîte à bulles / Nocq

© La Boîte à bulles / Nocq

Autant Soleil brûlant en Algérie était traité en noir et blanc avec une luminosité tendant vers la surexposition, autant Capitaine Tikhomiroff a été pensé en couleurs avec l’idée « de faire monter la couleur en puissance, des gris chauds et froids à la couleur pure en fonction de la tension du récit », nous explique l’auteur.

Pour autant, l’un et l’autre nous rappellent La Guerre d’Alan d’Emmanuel Guilbert. Gaétan Nocq déclarait à ce propos en avril 2016 : « toute création est poreuse et se nourrit d’influence. La posture de la guerre racontée par la petite histoire humaine n’est pas nouvelle et Guibert fait partie des dessinateurs que j’apprécie.  Sa trilogie Le photographe m’a beaucoup touché par son récit (j’ai foulé ces montagnes de l’Hindù Kush) mais aussi par sa capacité à rebondir graphiquement sur les planches contact de Lefebvre. En fait, toute l’école de la BD de reportage apparue à la fin des années 90 m’intéresse car elle relance l’invention narrative dans la BD ».

Un album magnifique tant du point de vue scénographie que graphique, avec ce trait esquissé toujours aussi léger et fragile.

Eric Guillaud

Capitaine Tikhomiroff, de Gaétan Nocq. Éditions La Boîte à bulles. 28€

© La Boîte à bulles / Nocq

© La Boîte à bulles / Nocq

RSS