05 Mar

Lily a des nénés : un regard tendre et drôle sur le début de l’adolescence signé Geoff

Pour faire un bon film, expliquait Henri-Georges Clouzot, « il faut premièrement une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire ». En bande dessinée, c’est pareil avec en bonus un bon dessin. C’est le cas avec Lily a des nénés, première bande dessinée du réalisateur de films d’animations Geoff…

Attention talent ! Ce n’est pas la première bande dessinée à parler du passage délicat de l’enfance à l’adolescence mais Geoffroy Barbet-Massin, aka Geoff, le fait avec une telle modernité, une telle légèreté et un tel sens de l’humour, qu’on en oublierait presque tous les autres. Bon, j’exagère peut-être mais Lily a des nénés accroche résolument le lecteur dès la première page, dès la première case avec un très beau dessinréalisé au pastel à l’huile, avec des couleurs profondes, des dialogues et une voix off jubilatoires, et bien sûr un personnage, ou plus exactement des personnages littéralement à croquer.

@ Casterman / Geoff

Alors voilà, je m’appelle lily, j’ai dix ans, j’ai des seins et je suis fière…! Enfin, pas trop, mais j’me force

Voilà en une ligne la problématique posée. Lily est une gamine bien dans ses bottes, amoureuse du meilleur copain de son frère jumeau, Tituan. Tout va bien dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où ce fameux frangin découvre qu’elle a des nénés.

Euh… là… J’ai plus envie de prendre le bain avec toi… ! On dirait un zombie, et j’trouve ça un peu dégoûtant!

Tituan est sous le choc. ça devrait lui passer. Pour Lily, il va falloir assumer ce corps qui change et accepter le fait qu’elle n’est plus tout à fait une enfant.

@ Casterman / Geoff

« J’ai deux filles, de 7 ans et 9 ans… », explique l’auteur, « je les regarde et les écoute beaucoup. Un jour, quand ma fille aînée était au CP, je lui ai demandé comment elle voulait s’habiller. Elle m’a répondu qu’elle ne voulait plus mettre de jupes ou de robes. J’ai été profondément choqué qu’une fille de 6 ans puisse déjà dire : « Je ne veux pas montrer mon corps parce que je ne veux pas être embêtée ». Le personnage de Lily est né de cette colère, de ce besoin d’acceptation ».

Je deviens une femme… enfin, je débute

Née d’un appel d’offres de France Télévisions pour un épisode animé de 26 minutes sur le thème d’une héroïne contemporaine, Lily nous embarque avec bonheur dans le monde de l’enfance, brisant au passage quelques idées reçues sur les filles, le tout dans le décor fabuleux et légèrement revisité de Portsall, localité côtière faisant partie de la commune de Ploudalmézeau, située dans le nord-ouest du Finistère (merci Wiki!). « la ville existe… », précise l’auteur, « mais elle est un peu réinventée, imaginaire, idéale ».

@ Casterman / Geoff

Ici, c’est la Bretagne, il pleut 150 jours par an, il bruine 100 jours, et le reste du temps, il fait juste pas beau

Elle exagère un peu notre héroïne, même si elle garde une grande partie du temps son ciré jaune et son bonnet rouge, les planches de Geoff donnent une idée plutôt joyeuse et lumineuse de ce petit coin de paradis breton. Bref, une belle bande dessinée, pardon, une première belle bande dessinée signée Geoff. Un deuxième volet est annoncé pour fin 2019. Hâte !

Eric Guillaud

Lily a des nénés, de Geoff. Casterman. 14€ (en librairie le 6 mars)

03 Mar

Dans un rayon de soleil : une histoire d’amour lumineuse signée Tillie Walden

Du haut de ses 22 ans, Tillie Walden fait figure de jeune prodige de la BD américaine avec cinq livres à son actif et déjà un Eisner Award dans la poche. Après l’autobiographique Spinning, lui-aussi publié en France aux éditions Gallimard, la jeune artiste fait son retour de ce coté-ci de l’Atlantique avec Dans un rayon de soleil (On a Sunbeam), une histoire d’amour futuriste, 500 pages de délice graphique et narratif…

C’est un livre magnifique de plus de 500 pages que nous offrent ici les éditions Gallimard et bien évidemment son auteure, l’Américaine Tillie Walden, 500 pages de virtuosité graphique et narrative, au service d’une histoire d’amour fascinante dans un futur qu’on ne parvient pas à dater. Existe-il encore une vie sur Terre ? On n’en sait rien, quoiqu’il en soit, ici, toute l’action se déroule dans l’espace et surtout sans l’ombre d’un homme, d’un mec. Amateurs de héros mâles, hétérosexuels, blancs de plus 50 ans, passez donc votre chemin ! Il faut dire que l’auteure ne fait aucunement mystère de son homosexualité et de son souhait d’aborder le sujet aussi fréquemment que naturellement.

« Je ne vois pas vraiment comment faire un travail qui ne traite pas de la question queer… », déclare-t-elle dans une interview accordée au site comicsverse, « Être lesbienne est aussi fondamental pour moi que de porter des lunettes et d’avoir les cheveux blonds. Donc, l’incorporer à mes bandes dessinées m’a toujours semblé très simple et clair ».

Publié à l’origine sous la forme d’un webcomic, toujours disponible dans son intégralité et gratuitement mais en anglais ici-mêmeOn a Sunbeam, Dans Un rayon de soleil pour la traduction française, nous embarque donc dans l’espace pour une histoire d’amour entre deux jeunes filles, une histoire d’amour contrariée bien sûr par la distance qui les sépare. Mia et Grace s’étaient rencontrées au pensionnat. Mais leurs routes se sont un jour écartées, Mia travaille désormais dans un vaisseau spatial avec pour mission de restaurer des structures architecturales ou des œuvres d’art délabrées qui pullulent dans l’espace. Grace, elle, est retournée vivre avec sa famille dans L’Escalier, une des zones les plus mortelles et les plus isolées de l’espace.

L’amour perdu, c’est ce dont parle ce nouvel album de Tillie Walden. En une succession de flashbacks, l’auteure raconte le passé de Mia, sa rencontre avec Grace, leur amitié qui se transforme en amour, puis cette séparation, brutale, insupportable. Mais l’amour donne des ailes, c’est bien connu, et bientôt Mia décide de retrouver Grace, même si elle doit risquer sa vie pour cela.

L’histoire, à priori assez simple et intemporelle, se distingue par le graphisme bien sûr et l’atmosphère générale de l’album, avec des planches d’une grâce, d’une subtilité et d’une pureté exceptionnelles, une palette de couleurs idéale, un contexte futuriste et spatial inhabituel pour ce genre d’histoire et des références graphiques et scénaristiques à l’architecture, une des grandes sources d’inspiration de Tillie Walden. Un très bel univers, un vrai rayon de soleil !

Eric Guillaud

Dans un rayon de soleil, de Tillie Walden. Gallimard. 29€

@ Gallimard / Tillie Walden

01 Mar

L’arche de Néo : Stéphane Betbeder et Paul Frichet n’ont pas attendu le déluge pour aborder la condition animale

C’est l’un des grands sujets de société actuels et même un enjeu de société. La condition animale. Doit-on mettre un terme aux élevages intensifs, fermer les abattoirs industriels, arrêter purement et simplement de consommer de la viande et du poisson, considérer toutes les espèces sur un plan d’égalité ? Le Nantais Stéphane Betbeder et le Lyonnais Paul Frichet tentent de nous sensibiliser sur le sujet à travers une fable en bande dessinée à paraître aux éditions Glénat….

Stéphane Betbeder en compagnie d’un ancêtre de Néo

Il était une fois quatre animaux domestiques, une vache, Renata, une poule, Ferdinand, une brebis, Soizic, et un cochon nain, le fameux Néo du titre. Tous vivaient en harmonie ou presque dans une ferme tranquille située quelque part dans un bocage qui pourrait ressembler à celui de Notre-Dame-des-Landes, là où l’état souhaitait il y a encore peu construire un aéroport.

Un jour, des hommes armés jusqu’aux dents débarquent dans la campagne, expulsent les paysans et emmènent les animaux à l’abattoir. Renata, Soizic, Ferdinand et Néo parviennent à s’enfuir et se réfugier dans la forêt proche, parmi les animaux sauvages.

Par cette fable, Stéphane Betbeder et Paul Frichet souhaitent nous sensibiliser à la cause animale, nous interroger sur le rapport que nous entretenons, nous les humains, avec les autres espèces. Ici pas de déluge en vue, pas d’anthropomorphisme déplacé, pas de militantisme exacerbé non plus, nous assurent-ils, mais une volonté de montrer que les cochons, brebis, poules, vaches… sont des animaux comme les autres dotés d’une sensibilité, d’une intelligence.

Alors bien sûr, cette bande dessinée, vous ne la trouverez pas chez votre boucher, dixit l’éditeur, par contre vous la trouverez facilement chez votre libraire préféré dès le 6 mars. En attendant, nous avons cuisiné le scénariste Stéphane Betbeder pour en savoir un peu plus…

@ Glénat / Betbeder & Frichet

Comment vous est venue l’idée de cette histoire ?

Stéphane Betbeder. Je répondrai par le petit texte argumentaire que j’ai envoyé à l’éditeur qui explique combien ce sujet remonte à loin dans mon histoire perso et est le résultat d’un long processus mental.

« J’ai vu ma grand-mère tirer sur la peau d’un lapin pendu par les pattes pour lui ôter son manteau, ou rompre le cou d’un poulet avant le repas dominical. J’ai vu mon grand père pleurer dans l’étable quand une vache partait chez le boucher ou qu’un veau mourait. Au cours des ans, j’ai vu les montagnes de bidoche sous cellophane grandir dans les supermarchés. Écœuré par tout cet étalage, j’ai supprimé la viande de mon assiette, le poisson a suivi peu après. J’ai été surpris de l’émoi suscité par les images de torture animale filmées à la dérobée aux abattoirs de Mauléon. Je me disais qu’il y avait des combats plus importants, plus urgents, plus nobles. Peu après, j’ai été intrigué d’apprendre qu’un article avait été ajouté à la constitution, reconnaissant les animaux comme « êtres sensibles ». J’ai appris que les poules savaient compter jusqu’à cinq, qu’un rat était capable d’empathie en venant au secours d’un camarade en mauvaise posture, qu’un cochon pouvait littéralement mourir de peur dans une salle d’abattage. Mon végétarisme, qui n’était au départ qu’une lubie passagère, s’est alors transformé en choix éthique L’animal est un être sensible. Il souffre comme nous et il a, lui aussi, conscience de lui-même. L’écriture de l’Arche de Néo s’est nourrie de ce vécu, de ces réflexions, de ce choix ; j’y donne la parole aux animaux en essayant d’imaginer la manière qu’ils ont d’appréhender le monde que nous, humains, leur imposons« .

Vu l’état de la planète, diminuer drastiquement notre consommation de viande est un pas qui me semble nécessaire, responsable

Dans l’Arche de Noé, il est question de sauver l’espèce humaine ainsi que l’espèce animale du déluge. Ici, il est question de sauver avant tout l’espèce animale de son plus grand prédateur, l’homme. Quel est votre objectif, la sensibilisation à la condition animale ou la conversion au veganisme ?

Stéphane Betbeder. Loin de moi l’idée de faire du prosélytisme, et j’espère que ce n’est pas la sensation qu’on a à la lecture de notre album, sinon c’est foiré. C’est bien sûr plus proche de la sensibilisation à la condition animale et la volonté qu’on puisse imaginer sortir peu à peu de notre anthropocentrisme. Maintenant, vu l’état de la planète (dernier rapport du GIEC, tribune des 15 000 scientifiques publiée dans le Monde il y a près d’un an etc…) diminuer drastiquement notre consommation de viande est un pas qui me semble nécessaire, responsable.

Et si ça peut amener les gens à se poser des questions sur leur consommation de viande et à considérer les animaux comme des êtres vivants avant de les considérer comme des produits ou des « robots » au sens cartésien du terme, ça me va. Ne nous méprenons pas, jamais je ne me serai lancé dans cette histoire si je n’avais pas d’affection pour les personnages, leur parcours, leur sensibilité. L’Arche de Néo est une fable et comme toute fable ça interroge une question sociétale du moment, mais aussi et surtout : ça raconte.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

Dans les premières pages, il est fait allusion à l’antispecisme, c’est une philosophie que vous partagez ?

Stéphane Betbeder. Je considère qu’une œuvre militante fait toujours (ou alors je n’ai pas lu ou vu les bonnes œuvres) un mauvais bouquin ou un mauvais film. Je le répète, je n’ai pas fait un livre militant, j’ai raconté une histoire et il se trouve que celle-ci a pour thème l’une des questions essentielles pour notre avenir sur cette planète. je n’ai pas écrit cette BD dans le but de dénoncer ou de donner des leçons. Je garde toujours en tête ce que disait Orson Welles pour le ciné (que je paraphrase peut être mal, mais c’est le souvenir que j’en ai et qui m’a marqué) : « un bon film, c’est simple : c’est une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire ». C’est une recette que je garde toujours en tête quand je compose un scénario.

Certains voient dans l’antispecisme le mépris de l’homme. Qu’en pensez-vous ?

Stéphane Betbeder. Je pense aussitôt aux remarques des masculinistes qui voient dans le féminisme un mépris de l’homme. Ou des blancs qui voient dans les mouvements anti-racistes, un mépris des blancs. Réducteur et caricatural.

Pour revenir à l’antispécisme, je comprends cette réticence, même si je trouve que c’est un faux débat. Et je ne suis pas antispéciste. Peter Singer (je crois), chantre de l’antispécisme, disait qu’un animal en pleine santé avait plus de valeur à ses yeux qu’un enfant handicapé. je ne sais si c’est de la provoc ou s’il le pensait vraiment, mais ce genre d’argument me choque tout autant qu’une personne lambda omnivore. Ceci dit, ce qui me choque aujourd’hui c’est le mépris de l’animal. quand on pense que 60% des mammifères de la planète sont destinés à notre consommation alors qu’il ne reste que 4% de mammifères sauvages (les 36% restant sont les humains), il y a quand même quelque chose qui ne tourne pas rond.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

Dans la majorité des bandes dessinées animalières, les animaux anthropomorphisés le sont généralement par leur morphologie ou leur comportement. Ce n’est pas vraiment le cas ici sauf qu’ils parlent, se comprennent et sont sensibles aux événements qui se déroulent dans leur environnement. Ils vont même se rebeller contre l’abattoir. Quelles ont été vos influences pour cet album ?

Stéphane Betbeder. C’était une volonté de ne pas anthropomorphiser les animaux, je voulais être au plus près de ce que je les imagine être. Là, je dois rendre hommage au travail de Paul, le dessinateur. C’est son graphisme et sa sensibilité qui ont su leur donner vie et les rendre touchants, expressifs, et qui permettent de se projeter dans leur aventure. Sans son talent le pari aurait été perdu.

Concernant les influences, je me suis inspiré de mes lectures sur la condition animale. Référence très importante, les deux derniers bouquins de Frans de Waal un éthologue qui étudie les primates depuis plus de 30 ans. « Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?» et « dernière étreinte ». Et aussi bien sur, le livre WaterShip down, dont je parle dans les remerciements de mon album, un livre des années 70 édité en france en 2016 sur une bande de lapins qui fuient leur garenne pour en reconstruire une autre. Ce bouquin qui fut un immense succès dans les pays anglo-saxons m’a bouleversé. En BD, je pense à Blanco de Taniguchi qui m’a marqué quand j’étais plus jeune, NOU3 la BD SF qui suit 3 animaux robots armes de guerre expérimentales, et en littérature encore L’appel de la forêt de Jack London. Encore un bouquin d’adolescence qui m’a énormément touché.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

L’action se déroule dans une ZAD non identifiée. On pense bien évidemment à la ZAD de Notre Dame des Landes. C’est un combat que vous avez soutenu ? Vous vous y êtes déjà rendu ?

Stéphane Betbeder. Oui, j’y suis allé plusieurs fois. et j’y ai rencontré certains des habitants pour justement documenter L’Arche de Néo. Car le parcours physique qu’ils font est un vrai trajet, ils partent de la ZAD de NDDL pour aller à Châteaubriant où se trouve un abattoir. j’ai pris deux jours pour faire tout ce parcours et prendre des centaines de photos sur lesquelles Paul s’est appuyé pour dessiner les scènes. Dès le départ mon idée était claire : s’influençant du manga, je voulais des décors réalistes et des personnages archétypaux.

Oui, je soutiens ces initiatives comme les ZAD qui défendent une vision du monde qui prend en compte les problèmes auxquels nous commençons à être confrontés : accélération du changement climatique, hausse de températures, pénurie des ressources énergétiques. Je pense que ces initiatives encore marginales sont les « mauvaises herbes » qui augurent du monde de demain, quand le mode de vie et le confort que nous avons tous aujourd’hui ne sera concrètement plus possible.

@ Glénat / Betbeder & Frichet

À mort les vaches est le premier tome. Combien en prévoyez-vous ? Et qu’aborderont-ils comme thématique ?

Stéphane Betbeder. Il y en aura 6 pour une raison que je ne peux pas expliquer ici sans dévoiler le grand arc narratif du projet, mais je sais exactement où je vais et comment cette série se termine. 

Le prochain tome se nomme « remède de Cheval ». Néo et ses amis essaient de rejoindre Pig island, l’île aux cochons, et ils devront demander l’aide d’un cheval de race particulièrement égocentrique et imbuvable pour tenter de traverser l’atlantique. Ce tome aborde en filigrane le traitement des animaux dans les cirques et dans les concours équestres. Les prochains toucheront aussi des thématiques particulières liées au traitement des animaux et du rapport que nous entretenons avec eux.

C’est facile à vendre aux éditeurs ce genre de sujet ?

Stéphane Betbeder. Très. Je pense que Glénat y a même vu une aubaine. C’est un sujet dans l’air du temps qui a une résonnance chez beaucoup de gens, le thème et le traitement sont originaux et se démarquent de la production habituelle. Maintenant reste à voir si le pari qu’on a fait ensemble saura trouver son lectorat. En tous les cas, notre éditeur a joué le jeu, nous a soutenus tout au long de sa production jusqu’à sa commercialisation et je l’en remercie vivement.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 28 février 2019. 

À mort les vaches, L’arche de Néo (tome 1), de Betbeder et Frichet. Glénat. 14,95€ (sortie de l’album le 6 mars)

26 Fév

Une Maternité rouge : L’incroyable odyssée d’un jeune Malien et d’une statuette Dogon racontée par Christian Lax

De la brousse malienne à la pyramide du Louvre, des croyances ancestrales à l’actualité la plus brûlante, Christian Lax nous ouvre une nouvelle fenêtre sur le monde avec une forte dose d’humanisme et une élégance graphique qui en font l’un des auteurs phares du neuvième art…

L’auteur Christian Lax écrit des récits qui ont du sens, de ceux qui témoignent de notre monde et véhiculent des valeurs humanistes. On pense en écrivant ces lignes à Des maux pour le dire ou Pain d’alouette, mais son oeuvre entière est dictée par cette attention portée à l’homme. Et c’est encore le cas, peut-être plus que jamais, avec Une Maternité rouge, son nouvel album paru chez Futuropolis en janvier.

Au coeur du récit, une statuette, mais pas une quelconque statuette, une Maternité rouge vieille de plusieurs siècles figurant une femme enceinte. Alou, un jeune chasseur de miel malien l’a découverte après qu’une bande de djihadistes ait fait exploser un arbre sacré. La statuette cachée dans son tronc depuis des années refait surface. Alou la ramasse et court la présenter au sage du village qui l’attribue au maître de Tintam, dont une première Maternité se trouve déjà au Louvre, au Pavillon des Sessions.

Afin de la sauver de la folie destructrice des islamistes radicaux, le sage confie à Alou le soin de quitter le pays avec la Maternité, de rejoindre Paris et de la confier au Louvre. Commence alors pour le jeune garçon un périlleux voyage, celui d’un migrant qui risquera sa vie sur terre et sur mer pour sauver une statuette, la vie d’un homme pour la sauvegarde d’un petit bout du patrimoine humain, était-ce vraiment raisonnable ?

« Je voulais aborder le sujet très actuel des migrants… », explique Christian Lax, « La question de la survie d’êtres humains en danger est sans commune mesure avec tout autre problème ou épreuve à surmonter. Alou, le jeune Malien qui a découvert cette statuette du quatorzième siècle, et qui est chargé de l’emmener vers le musée du Louvre, a pleinement conscience que rien n’est plus précieux qu’une vie humaine. Prendre des risques pour mettre hors de portée de l’obscurantisme destructeur des islamistes un patrimoine artistique peut paraître dérisoire par rapport à celles et ceux qui se jettent sur les mêmes chemins mortifères pour sauver leur peau, et arracher leurs enfants à l’enfer. Mais préserver nos patrimoines culturels, sociaux, artistiques, c’est conserver les traces des générations précédentes. C’est entretenir la mémoire de nos origines, savoir d’où l’on vient et de qui l’on vient, autant de connaissances indispensables qui nous permettent d’envisager où l’on va ».

Après un accident qui l’a immobilisé de longs mois, Christian Lax fait donc son retour en librairie avec cet incroyable récit où se télescopent la fiction et la réalité, les croyances ancestrales du Mali et l’actualité européenne la plus brûlante, la beauté de l’art et la folie des hommes. Un graphisme au top, un scénario brillant, une histoire engagée, un regard humaniste, beaucoup de compassion et d’amour… Du Lax comme on aime!

Eric Guillaud

Une Maternité rouge, de Christian Lax. Futuropolis / Louvre Éditions. 22€

@ Futuropolis – Louvre Éditions / Lax

22 Fév

De Strangers in paradise à Motor girl : Terry Moore, l’homme qui aimait les femmes

Chantre du comics indépendant de l’autre côté de l’Atlantique, Terry Moore est surtout connu pour sa série Strangers in Paradise, véritable saga et équivalent BD de la série TV reine des années 2000, Desperate Housewives, à mi-chemin entre sitcom, polar et comédie romantique. Alors que sa série phare a été rééditée l’année dernière en trois gros volumes, le Texan faisait un détour par Paris avant d’aller au festival d’Angoulême pour parler un peu de Motor Girl, série dont les dix épisodes ont été réunies en un seul livre dans sa traduction française. On a donc parler de sa dernière création, de Strangers in Paradise bien sûr et des femmes en particulier, vu que de toutes les façons les trois sont étroitement liés…

© Chloé Vollmer Lo

Avec son regard presque enfantin et son rire cristallin, Terry Moore ne fait pas vraiment son âge. Tout comme il trahit difficilement ses origines texanes : délicat avec toujours cette petite étoile brillante dans le coin des yeux, l’artiste est presque déstabilisant de simplicité. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant : l’homme est déjà un monument de la BD américaine, et pas seulement parce qu’il est l’un des rares à avoir fait son trou hors des grands éditeurs établis. Du haut de ses plus de deux milles pages ( !) dans sa version française (et encore, la dernière suite en date n’a pas été encore traduite ici), « l’œuvre de ma vie » comme il le dit lui-même Strangers in Paradise est un véritable pavé autour duquel il a articulé toutes ses autres œuvres, de Echo à Rachel Rising et la petite dernière, bien que teintée de SF pas tout à fait sérieuse (mais peu de choses le sont avec lui), Motor Girl n’échappe pas à la règle.

Il semble que quoique tu fasses, tu seras toujours pour le public avant tout LE dessinateur de Strangers in Paradise. Est-ce que cela te va ?

Terry Moore. Oh oui, sans problèmes, Strangers in Paradise est un peu l’œuvre de ma vie, ma baleine blanche à moi et c’est si énorme que quoique je fasse, cela sera toujours quelque part dans le cadre. C’est un peu mon Moby Dick… (sourire)

Est-ce pour cette raison que dans tes autres séries, tu t’es amusé à établir des liens plus ou moins forts avec, justement, l’univers de Strangers in Paradise ?

T. Moore. Cette question risque de t’amener dans le trou de lapin, attention ! (il fait ainsi référence à ‘Alice au pays des merveilles’ et la porte supposée l’emmener dans un autre monde – ndr) Donc oui, toutes ces histoires se passent à la même époque et dans le même univers on va dire donc techniquement, ces différents personnages pourraient tout à fait se rencontrer et d’ailleurs, c’est ce qui se passe dans Strangers in Paradise XXV qui vient de sortir aux Etats-Unis et qui les unit donc toutes entre elles.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Est-ce que c’était prévu dès le départ ?

T. Moore. Non. Â la base, je n’avais en tête qu’une seule histoire, centrée exclusivement autour de l’histoire d’amour entre Katchoo et Francine, deux paumées. Après, j’ai tout de suite pensé que je pourrais en quelque sorte par exemple faire toute une série sur le quartier où elles vivaient, en dédiant une histoire par foyer de résidents. Mais petit-à-petit, la chose a débordé ce petit cadre et très vite, je me suis rendu compte que ma propre création m’avait un peu dépassé, devenant un monde à part entière que je ne cesse depuis de remplir.

L’un de tes traits de caractère est ce besoin que tu as de partir de situations ordinaires, une histoire d’amour entre deux personnes par exemple sur Strangers in Paradise, et d’y injecter à chaque fois des éléments complètement inattendus, comme le passé criminel de Katchoo ou ces petits hommes verts rigolos dans Motor Girl

T. Moore. J’adore l’idée de dépeindre des personnages ordinaires se retrouvant dans des situations extraordinaires. Regarde Spider-Man, c’est un peu la même chose, l’histoire d’un adolescent timide qui se fait un jour piqué par une araignée radioactive et qui devient un super-héros… J’avoue d’ailleurs que c’est la partie de la saga que je préfère ! Dès qu’il s’allie avec les Avengers et qu’ils essayent de sauver le monde, cela ne m’intéresse plus ! J’aime l’idée qu’une histoire te transporte ailleurs, tout en restant plus ou moins crédible. Et puis je n’oublie pas que je suis artiste de comics. Si Strangers in Paradise se résumait à une banale histoire d’amour, cela ressemblerait trop à un mauvais sitcom non ? Alors qu’en tant que dessinateur, je n’ai aucune limite de moyens, je peux dessiner ce que je veux pour rendre une histoire ordinaire extraordinaire.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Dans Motor Girl, le personnage central, Samantha, est accompagné par un gorille imaginaire qu’elle est la seule à voir et avoir des conversations avec. Difficile de ne penser à Calvin et à son tigre imaginaire Hobbes… 

T. Moore. (sourire) J’aimais bien l’idée d’avoir un mâle alpha dans l’histoire. Tout est parti de l’idée d’une série que j’avais eue il y a quelques années. J’avais prévu d’en être le personnage central et sur les croquis préparatoires, je m’étais représenté comme un type un peu gauche et maladroit. J’avais même commencé à dessiner une première histoire où je me retrouvais à inviter à diner mon voisin ultra-macho et viril que j’avais imaginé, justement, en gorille avec un costard trop petit pour lui. J’aimais bien cette idée et je l’ai donc recyclé pour Motor Girl en quelque sorte. Et puis en lui collant un gorille aux basques, j’étais ainsi sûr qu’il n’y avait aucun risque qu’elle soit draguée par qui que ce soit car soyons honnête, aucun homme ne peut lutter face à un gorille ! Je comprends le parallèle avec Calvin & Hobbes, en fait je pense que cette idée d’ami imaginaire est presque un genre en soit. J’adore aussi par exemple le film Harvey de 1950 où James Stewart a pour un ami un lapin imaginaire de deux mètres de haut… Donc Motor Girl est un peu ma contribution à ce mythe.

Sauf que tu es, limite, sadique avec le lecteur car sans en dévoiler trop, on comprend assez vite que ce gorille est en fait le symptôme d’un traumatisme profond qui tourmente l’héroïne. Donc d’un côté tu espères qu’elle va en sortir et de l’autre, tu sais que si c’est le cas, ce gorille auquel on finit par s’attacher disparaîtra de facto

T. Moore. Mais c’est exactement pour ça que cela m’intéressait. C’est le syndrome Roméo & Juliette tu sais, ah c’est beau, tu es amoureuse ah mais non, pas de ce garçon-là, surtout pas ! (sourire) Sur le plan dramaturgique, on peut faire plein de choses avec ce genre d’amour condamné d’avance. Si elle voit ce gorille, c’est parce que lors de sa dernière mission en Irak en tant que soldat, un petit garçon lui a confié son doudou gorille avant de mourir alors qu’elle essayait de le sauver. Donc cette peluche devenue un être à part entière à ses yeux représente la culpabilité avec elle est doit vivre depuis, mais dont elle sait qu’elle devra, un jour, se séparer.

Strangers in paradise @ Delcourt / Moore

Est-ce pour contrebalancer ce sous-texte assez dur que tu as rajouté les personnages de Vic et Larry, deux hommes de main gaffeurs et pas si méchants que ça ?

T. Moore. J’avais besoin de cet élément de burlesque pour retrouver un certain équilibre, sinon rien qu’avec cette thématique assez dure et ses références à la guerre en Irak et autres, Motor Girl aurait été trop noir. Et puis il y a toujours besoin d’un rayon d’espoir au bout du tunnel, sinon pourquoi continuer à vivre ? Après, c’est aussi comme ça que je fonctionne, je peux me retrouver à un enterrement et malgré tout y trouver l’inspiration pour un gag par exemple. Que veux-tu, je suis un peu bizarre… (sourire)

Tes personnages principaux sont tous des femmes. Est-ce parce qu’en tant qu’auteur, tu les trouves, disons, plus intéressantes ?

T. Moore. Oui. Mettons que toi et moi, nous nous retrouvions confrontés à un grave problème. En tant que homme, nous aurions alors, dans le meilleur des cas, trois options : taper dessus, le brûler ou tout simplement courir dans la direction opposée le plus vite possible… Alors qu’une femme aura, je ne sais pas, cinq ou six autres idées : lui parler, le comprendre, l’aider etc. C’est la nature humaine et c’est pour ça qu’en tant qu’auteur, les femmes sont beaucoup plus intéressantes, oui. 

Si tout ton univers est connecté comme tu le dis, est-ce que cela veut dire que nous allons retrouver à un moment Samantha ?

T. Moore. Oui, d’ailleurs lorsque la suite de Strangers in Paradise XXV sortira en France, tu comprendras ce que je veux dire. La fin de Motor Girl laisse volontairement plusieurs questions en suspens : qu’est-ce qui lui arrive ? Où est-elle partie ? Comment vieilli t’elle ? Le lecteur pourra trouver toutes les réponses à ses questions avec Strangers in Paradise XXV.

Est-ce que cette dernière série sera le point final de la saga ?

T. Moore. J’espère que non. D’ailleurs, même si je ne peux pas tout te dévoiler, disons queStrangers in Paradise XXV se termine sur une note, disons, assez salée et avec un gros, gros souci à résoudre. Donc il va bien falloir à un moment que je règle ça ! Après, j’ai soixante-quatre ans et j’ai beau un hyperactif, je ressens le besoin actuellement de lever un peu le pied. En tous cas, c’est ce que ma femme me dit (sourire) donc cela risque de prendre un certain temps. Mais cela arrivera.Strangers in Paradise est l’œuvre de ma vie donc tant que je respire, je compte bien la perpétuer. 

Des rumeurs parlent d’une adaptation ciné de Strangers in Paradise. Tu confirmes ?

T. Moore. Oui, même si je ne peux pas te dire grand-chose. Sauf que le casting est plus ou moins bouclé et le choix des actrices principales risquent d’en surprendre plus d’un ! Si tout se passe bien, cela devrait sortir l’année prochaine.

Propos recueillis par Olivier Badin à Paris le 23 Janvier

Motor Girl de Terry Moore, Delcourt, 19,99 euros

20 Fév

Craon. Rustine, le festival BD qui regonfle le moral

En tracteur ou à vélo, en auto ou à moto, le festival Rustine vous donne rendez-vous du 22 au 24 février à Craon en Mayenne pour une cinquième édition bourrée de créations et autres curiosités…

extrait de l’affiche

Et de cinq ! Tranquillement mais sûrement, le festival Rustine prend de la bouteille mais garde le cap d’un festival différent, alternatif, ouvert sur la bande dessinée mais aussi la musique, le tatouage, la sculpture, la photo ou encore la peinture.

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À bord de l’Aquarius : une BD documentaire signée Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso

Il faut avoir le coeur bien accroché et pas seulement parce que la mer est parfois très agitée. À bord de l’Aquarius, Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso ont assisté au sauvetage de centaines de migrants entassés sur des bateaux de pacotille, une bouée dans un océan de malheurs. Ils nous racontent cette expérience dans un album publié aux éditions Futuropolis…

Raconter l’inadmissible, l’horreur, le malheur des uns, l’indifférence des autres, et au milieu de tout ça, au milieu de l’océan, le courage d’une poignée d’hommes et de femmes réunis sous le pavillon de l’Aquarius avec pour mission de porter secours, c’est l’objet de cette bande dessinée publiée aux éditions Futuropolis et signée par deux Italiens : le journaliste Marco Rizzo et le dessinateur Lelio Bonaccorso.

Et bien sûr, on a beau connaître l’histoire, avoir déjà lu des papiers, vu des images, entendu des témoignages plus poignants les uns que les autres, À bord de l’Aquarius est un documentaire choc. Sur 130 pages, avec un dessin réaliste léger, il décrit le quotidien de l’équipage, 35 personnes en tout, l’organisation à bord du navire et surtout les sauvetages de ces migrants, hommes, femmes, et enfants, parfois en très mauvaise santé, parfois morts pendant la traversée, tous supportant les pires conditions avec l’espoir légitime d’une vie meilleure, loin de la guerre et de la misère.

Ils sont nigériens, syriens, ivoiriens, marocains, irakiens… l’album raconte aussi des tranches de vie basées sur les témoignages, la longue route avant la traversée, le viol des femmes, la cupidité sans limite des passeurs, ceux qu’on réduit à l’état d’esclave ou d’animal, et tous ceux bien sûr qu’on envoie sur des rafiots prêts à couler, un passeport pour la mort…

Dans cet océan de malheur, Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso étaient là pour observer et rapporter. Ce qu’ils ont fait et bien fait. Mais ils se sont aussi impliqués, participant ici à un sauvetage, aidant là aux tâches quotidiennes sur le navire. Une implication qui renforce le côté humain du témoignage sans pour autant affaiblir l’approche journalistique voulue par les auteurs.

Un livre courageux qui a été différemment apprécié dans une Italie en proie à un changement radical de politique, notamment migratoire. À ce propos , les auteurs déclarent : « nous avons subi des critiques et des insultes de la part des personnes qui n’ont même pas lu le livre ! Mais on s’y attendait. Nous avons également reçu énormément de compliments et d’éloges pour notre travail, et c’et extrêmement important pour nous, car ça signifie que nous avons fait du bon boulot ». Oui, un très bon boulot !

Eric Guillaud

À bord de l’Aquarius, de Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso. Futuropolis. 19€

@ Futuropolis / Rizzo & Bonaccorso

18 Fév

Deathfix, un polar dans l’univers impitoyable du football signé Nix et Benus

Ça sent le vestiaire, ça sent surtout le sapin ! Avec Deathfix, Nix et Benus nous embarquent pour le côté obscur de la planète football, là où il n’est plus question de la beauté du sport mais d’argent et de petits arrangements entre amis. On range les crampons et on sort les flingues, bienvenue au Moscou Sporting Club…

Quand l’important n’est plus de participer mais d’encaisser le pognon, ça donne Deathfix, un polar qui nous ouvre les portes du Moscou Sporting Club. Ici, comme ailleurs, les matchs se gagnent et se perdent non plus sur le terrain mais dans les bureaux de la présidence du club.

Au plus grand désarroi de l’entraîneur, Gus, venu spécialement de Hollande pour l’amour du football, le vrai, celui qui sent la sueur. Dans cette histoire, Gus est le personnage le plus honnête même si l’homme se retrouve au coeur même de la fraude organisée, avec d’un côté des mafieux chinois qui le harcèlent, de l’autre un président véreux qui menace de le virer s’il n’obtempère pas. Et d’expliquer : « Il y a deux façons de truquer un match. La première, c’est les propriétaires et les présidents des clubs qui s’arrangent entre eux (…) L’autre façon, c’est la mafia qui paye des joueurs et des entraîneurs pour gagner ou perdre des matchs« .

Traité dans un registre humoristique, Deathfix n’en dévoile pas moins avec lucidité l’envers du décor, ces petits arrangements et grandes arnaques qui salissent le monde du sport depuis toujours. Bien sûr, l’histoire se déroule à Moscou mais elle aurait très bien pu trouver corps plus près de nous où, très régulièrement, des affaires similaires font la Une de l’actualité.

Deathfix est la première adaptation au format papier d’un webtoon, un type de BD conçu pour les portables et qui rencontre un grand succès en Corée du Sud. Les éditions Dupuis qui espèrent surfer sur la vague et développer le genre sur le marché franco-belge viennennt de lancer leur propre plateforme de diffusion Webtoon Factory. Elle compte déjà une trentaine de titres.

Eric Guillaud

Deathfix, le polar qui sent le vestiaire, de Nix et Benus. Dupuis. 14,50€

@ Dupuis / Nix & Benus

16 Fév

War is boring, le témoignage d’un correspondant de guerre sur son addiction à l’adrénaline par David Axe et Matt Bors

Comment peut-on dire de la guerre qu’elle est ennuyeuse ? C’est à première vue aussi absurde que de la considérer comme passionnante ou amusante. La guerre pour la majorité des humains, c’est l’horreur absolue. Pour David Axe, c’est une drogue dure. War is boring raconte cette surprenante dépendance…

Etre accro à la guerre, voilà qui n’est pas banal. C’est pourtant ce qui arrive à l’Américain David Axe, correspondant de guerre notamment pour le Washington Times et Esquire. De l’Irak à la Somalie, en passant par l’Afghanistan ou encore le Timor oriental, David Axe a parcouru les endroits les plus dangereux de la planète et les conflits les plus meurtriers avec parfois, entre deux attaques, deux explosions ou deux attentats, de longues périodes d’ennui. Oui, vous avez bien lu, de l’ennui !

« Trois ans en Irak à essuyer des tirs de mortier, de roquette, des explosions à la bombe. Harcelé par tous les ennemis imaginables, du petit criminel aux miliciens, en passant par les kamikazes (…) Le danger ne manquait pas mais, à ma plus grande surprise, j’ai découvert qu’on s’ennuyait en Irak. J’ai passé des mois entiers à chercher une miette d’excitation ».

Et lorsqu’il rentre au bercail, c’est la même chose, en pire. Passée l’euphorie des retrouvailles avec sa petite amie ou sa famille, David Axe ne pense plus qu’à une chose : repartir. « Avais-je choisi la guerre ou m’avait elle choisi? », finit-il par s’interroger.

Ce roman graphique mis en images par le dessinateur de presse Matt Bors raconte les guerres du journaliste mais surtout cette incroyable dépendance au chaos, à la violence du monde.

Une véritable addiction à l’adrénaline bien connue dans le milieu aujourd’hui. Avant David Axe et ce roman graphique, un autre reporter de guerre, Chris Hedges en parlait dans son livre War is a force that gives us meaning où il résume ce mal en quelques mots : “l’adrénaline du combat provoque souvent une dépendance puissante et mortelle, car la guerre est une drogue”.

C’est peut-être difficile à comprendre pour nous simples mortels, mais ne restons pas nous-mêmes hypnotisés devant les images de violence diffusées sur nos écrans ? C’est peut-être là que commence cette addiction…

Eric Guillaud

War is boring, de David Axe et Matt Bos. Steinkis. 17€

@ Steinkis / Axe & Bors

12 Fév

Ce que font les gens normaux : une histoire de notre temps signée Hartley Lin

En publiant de ce côté-ci de l’Atlantique le roman graphique Young Frances du Canadien Hartley Lin, les éditions Dargaud ont opté pour un titre plus accrocheur mais du coup beaucoup plus énigmatique. L’histoire est pourtant simple, Hartley Lin raconte la vie normale d’une jeune femme normale qui subit sa vie plus qu’elle ne la choisit…

« Personne n’a jamais rêvé d’être une grande clerc ». Tout est dit dans cette rumination nocturne de Frances. Elle n’a jamais rêvé de ce métier, personne n’a jamais rêvé de ce métier. Pourtant, elle le fait avec dévouement et sérieux. Au point de se faire remarquer par le boss et de franchir les échelons à la vitesse d’un TGV en rase campagne pendant que ses collègues sont tout simplement relégués au placard ou mis à la porte.

Bien sûr, Frances n’est pas responsable du malheur des autres, mais l’est-elle pour autant de sa propre réussite professionnelle ? Pas si sûr. Frances a l’impression d’être une spectatrice de la vie des autres comme de sa vie. Elle ne sait même pas si elle doit accepter cette reconnaissance qui l’empêche de dormir et l’interroge. Voulait-elle vraiment de cette vie de bureau ? Trop normale, presque banale. Et de cette pression quotidienne ? Surtout quand elle pense à Vickie, son amie et colocataire qui, elle, a réussi à faire de sa vie un rêve, ou vice versa.

Il faut dire que Vickie est très différente. Joyeuse, fêtarde, impulsive, elle voulait faire du cinéma et finit par décrocher le rôle de sa vie. Direction Los Angeles, laissant Frances seule avec ses questions existentielles…

« Tu devrais être en train de faire du pop corn ou de ranger tes chaussures, enfin des trucs de gens normaux », lance la jeune actrice à Frances qui oublie de lâcher ses dossiers pour s’amuser.

Réaliste dans l’écriture comme dans le traitement graphique, Ce que font les gens normaux est une petite douceur dans un monde de brutes, un roman à la fois léger et profond sur la vie, ce que nous en faisons, ce que nous pourrions en faire. Mais pas question de donner des leçons ici, Hartley Lin raconte les doutes, les peurs, les angoisses des jeunes adultes face à un monde souvent hostile, avec beaucoup de finesse, de tendresse et d’empathie. Un très bel album qui ne peut laisser indifférent !

Eric Guillaud

Ce que font les gens normaux, de Hartley Lin. Dargaud. 18€

@ Dargaud / Hartley Lin

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