23 Jan

GrassKings : un polar sans concession signé Matt Kindt et Tyler Jenkins

Vous aimez les récits noirs qui plongent le lecteur dans le trou du cul du monde avec une brochette de dingues et de paumés en guise de héros ? Alors, vous allez être servis avec ce premier volet d’un triptyque signé Tyler Jenkins et Matt Kindt. GrassKings est un polar sans concession où l’on flingue sans sommation…

« En raison de l’augmentation du prix des munitions, il n’y aura pas de tir de sommation ». Ça a le mérite d’être clair. Mieux vaut ne rien avoir à faire à Grass Kingdom, il y a peu de chance que vous y soyez le bienvenu. Et c’est comme ça depuis la nuit des temps. Certains s’en souviennent encore, ou du moins s’en souviendraient s’ils n’étaient pas morts et plantés au fond du lac. « Ce n’est pas le genre d’endroit qu’on prend à la légère. Il y a un prix à payer pour avoir le droit de vivre de ce côté du rivage ».

Mais alors, me direz-vous, qui a le droit de vivre dans ce bled pourri au milieu de nulle part ? Des privilégiés ? Pas vraiment. Ici vit une petite communauté, un casting de dingues et de paumés, quelques squatters, un gus fada des avions de la première guerre mondiale, un ancien sniper de l’US Navy, peut-être même un tueur en série… et trois frangins dont le plus jeune, Robert, tente d’oublier la disparition de sa fille dans l’alcool, et le plus vieux, Archie, se prend pour LE flic du coin.

Et tout ce petit monde vit en – très relative – quiétude jusqu’au jour où débarque une jeune-femme qui s’avère être la compagne du shérif de Cargill, un patelin voisin. Et là, tout finit par dégénérer…

il a perdu soixante centimètres de colon, mais va savoir pourquoi, c’est toujours un trou du cul

Des dialogues percutants, un dessin taillé à la serpe, une atmosphère lourde, des personnages qui ne manquent pas de caractère et une réflexion entre les lignes et les traits sur la peur de perdre un enfant… Tyler Jenkins et Matt Kindt nous offrent l’un des plus beaux bouquins de ce début d’année. Et bonheur, suprême les tomes 2 et 3 seront respectivement publiés en mars et juin de cette année. Vous pouvez ranger les flingues !

Eric Guillaud 

Grasskings tome 1/3, de Matt Kindt et Tyler Jenkins. Futuropolis. 22€

22 Jan

Nymphéas noirs : cinq questions au scénariste Fred Duval

Sans pour autant abandonner la science-fiction et l’uchronie, genres qui lui ont permis de se faire un nom dans la bande dessinée, Fred Duval multiplie depuis quelques mois – avec bonheur – les nouvelles expériences. On se souvient des Porteurs d’eau sorti en mai chez Delcourt, le revoici avec Nymphéas noirs chez Dupuis, une adaptation du roman à succès de Michel Bussi. Pourquoi ? Comment ? Le scénariste de Carmen Mc Callum, Hauteville House, Travis, Jour J ou encore Renaissance nous dit tout ici et maintenant…

Fred Duval © Chloé Vollmer Lo

Pourquoi une adaptation du roman de Michel Bussi Nymphéas noirs ?

Fred Duval. L’idée est venue après une rencontre avec Michel Bussi il y a tout juste 4 ans. Nous vivons dans la même ville et il est venu au « déjeuner mensuel des auteurs BD de Rouen » pour nous rencontrer. Il avait envie de faire de la Bande Dessinée. Un éditeur de chez Dupuis était présent, ils ont discuté dans les semaines suivantes et je crois que les Nymphéas se sont imposés comme le premier roman à adapter en BD. À l’époque, je n’avais rien lu de Michel et quand il m’a été proposé d’adapter le roman, je m’y suis plongé et ai vraiment aimé l’ambiance, les personnages, le coup de théâtre également que j’ai tout de suite envisagé dans la perspective d’une adaptation visuelle en me disant : on va bien s’amuser !

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Comme l’écrit Michel Bussi en ouverture de la BD, les Nymphéas noirs étaient réputés inadaptables. Qu’est-ce qui fait que ça marche ici ?

Fred Duval. Je pense que le dessin de Didier était idéal pour réussir cette adaptation, il est à la fois impressionniste avec des flous d’arrière-plan magiques (et on avait besoin de pas mal de magie) et un traité des personnages assez réaliste pour que l’histoire soit perçue au premier degré et que les lecteurs s’identifient bien aux protagonistes.

Du coté de l’adaptation, ça m’a demandé deux grosses semaines de réflexion pour lister tous les pièges, toutes les séquences inadaptables visuellement et trouver les solutions, les alternatives. J’ai ainsi ajouté le personnage de Liliane, policière au commissariat de Vernon.

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La chronique de l’album ici

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Qu’est ce qui a été le plus compliqué finalement dans ce travail d’adaptation?

Fred Duval. Le plus difficile a été de garder, de retranscrire l’ambiance absolument incroyable du roman, Giverny est un personnage a part entière, et j’espère que la promenade que nous proposons Didier et moi sera aussi agréable que celle proposée par Michel dans son roman.

Je dois dire que mon premier lecteur a été Michel Bussi. Il s’est énormément impliqué dans la relecture, cela nous a permis de constater que nous prenions du plaisir à travailler ensemble, l’aventure va donc se poursuivre.

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Le dessin contribue grandement à la réussite de cette adaptation avec cette touche impressionniste. Est-ce toi qui a suggéré Didier Cassegrain pour le dessin ?

Fred Duval. Oui, nous cherchions depuis quelques mois quand je me suis dit que Didier était pour moi le dessinateur idéal, nous nous connaissons depuis longtemps, je l’ai appelé en me disant qu’il était probablement engagé sur plusieurs années, il s’est trouvé qu’il avait une disponibilité quelques mois plus tard. Il a lu le roman et accepté la collaboration.

La Normandie, la peinture impressionniste, Monet, Rouen, Giverny… On est à la fois très loin de tes séries SF ou steampunk et très proche de ton univers quotidien. C’est une étape importante dans ton travail de scénariste?

Fred Duval. C’est trop tôt pour le dire. La Normandie est dans pratiquement toutes mes séries, mais c’est vrai que j’ai essayé d’appliquer dans cette adaptation tout ce que j’ai appris en terme de découpage, de rythme ; le découpage, c’est vraiment la partie que je préfère dans mon travail de scénariste, enfin c’est la partie où je me sens le plus à l’aise en fait. Quant aux sujet polar contemporain, c’est vrai que c’est une étape, je vais pérenniser en adaptant deux autres romans de Michel Bussi dans les prochaines années.

Propos recueillis par Eric Guillaud le 20 janvier 2019. La chronique de l’album est à découvrir ici

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

Nymphéas noirs : un petit miracle graphique signé Didier Cassegrain et Fred Duval d’après le roman de Michel Bussi

On sait les dégâts que peut provoquer l’adaptation d’une bande dessinée au cinéma, c’est exactement la même chose pour l’adaptation d’un roman en bande dessinée même s’il arrive parfois des miracles. En voici un très beau…

Non, nous ne sommes pas à Lourdes mais en Normandie, plus précisément à Giverny où s’inscrit le récit de Michel Bussi, un polar tendance roman d’amour, ou l’inverse, sorti en 2011 aux Presses de la Cité et aujourd’hui adapté en bande dessinée par le duo Duval / Cassegrain chez Dupuis.

Est-ce leur appartenance commune à cette Normandie verdoyante, et parfois mystérieuse, ou leur amour identique pour le récit populaire de qualité, toujours est-il que Fred Duval parvient aujourd’hui, comme Michel Bussi hier, à embarquer les lecteurs et les tenir en haleine jusqu’au fameux coup de théâtre final qui rendait toute adaptation visuelle vouée à l’échec. Du moins, c’est ce qu’on pouvait penser jusqu’à ce jour, c’est ce que pensait aussi Michel Bussi.

« Mes Nymphéas noirs étaient réputés inadaptables en images… », explique l’écrivain en ouverture du livre, « Avec cette bande dessinée, c’est un rêve qui devient réalité ».

Plus qu’un miracle donc, une réalité ! Fred Duval, qui a travaillé sur cette adaptation en étroite collaboration avec l’écrivain, n’a jamais été du genre a s’effrayer devant les défis scénaristiques. Et adapter ce roman en était un, clairement.

« Ça m’a demandé deux grosses semaines de réflexion pour lister tous les pièges, toutes les séquences inadaptables visuellement et trouver les solutions, les alternatives, j’ai ainsi ajouté le personnage de Liliane, policière au commissariat de Vernon. Le plus difficile a été de garder, de retranscrire l’ambiance absolument incroyable du roman, Giverny est un personnage a part entière… ».

Mais pour le scénariste, le dessin est aussi important que l’écriture dans la réussite du livre.

« Je pense que le dessin de Didier était idéal pour réussir cette adaptation, il est à la fois impressionniste avec des flous d’arrière-plan magiques (et on avait besoin de pas mal de magie) et un traité des personnages assez réaliste pour que l’histoire soit bien perçue au premier degré et que les lecteurs s’identifient bien aux protagonistes ». 

Alors bien sûr, ceux qui ont lu le roman de Michel Bussi connaissent déjà l’histoire, celle d’un meurtre étrange autant qu’inexpliqué dans les bucoliques paysages de Monet, et le dénouement qui lève le voile sur le mystère dans une secousse sismique temporelle de forte magnitude.

Pas de surprise donc de ce côté-là, mais les plus curieux auront le plaisir de découvrir une adaptation plus que réussie, scénaristiquement bluffante et graphiquement sublime. En même temps, ils s’offriront une belle petite promenade au cœur de la Normandie et de l’impressionnisme.

Pour les autres, ceux qui n’ont jamais lu Michel Bussi et peut-être Fred Duval, voilà une belle et première occasion, à priori pas la dernière puisque Fred Duval envisage aujourd’hui l’adaptation de deux autres romans de Michel Bussi dans les prochaines années.

Eric Guillaud

Nymphéas noirs, de Duval, Cassegrain et Bussi. Dupuis. 28,95€ (sortie le 25 janvier)

L’interview in extenso de Fred Duval est disponible ici

@ Dupuis / Duval, Cassegrain & Bussi

18 Jan

Dracula contre Frankenstein : deux monuments de la littérature gothique vus par deux des plus grands maîtres de la BD d’horreur

Lorsque deux monstres de la BD fantastique rencontrent deux monstres dans le sens premier du terme, cela donne deux résultats… assez différents. Si le alors futur papa de Hellboy ne donne qu’un aperçu de son talent, le dessinateur star des célèbres pulps Eerie et Creepy, lui, s’en donne à cœur joie…

Pas tout à fait de la même génération (douze ans les séparent) Bernie Wrightson et Mike Mignola sont deux monuments de la bande dessinée d’horreur et fantastique, connus pour avoir donné naissance à deux créatures entrées au Panthéon du genre. Née en 1972 sous la plume de Wrightson, avec sa couleur verdâtre maladive, la Créature des Marais est d’ailleurs presque à l’opposé de Hellboy, la ‘chose’ grande gueule et soupe-au-lait sortie de l’imagination de Mignola vingt-deux ans plus tard. Mais les deux dessinateurs se sont aussi frottés à deux mythes de la littérature fantastique du XIXème siècle souvent associés, Frankenstein et Dracula. Sauf qu’ils ne l’ont pas fait au même niveau de carrière et pour les mêmes raisons, ce qui explique sûrement ce résultat inégal.

Autant le dire tout de suite, la réussite de cette xième adaptation de Dracula est avant tout une histoire de point de vue. Si vous êtes fans de Mignola et du roman de Bram Stoker, vous risquez d’être déçus. Déjà parce qu’on tient là une œuvre de ‘jeunesse’ du premier – elle date de 1992, alors qu’il n’avait que trente-deux ans et que son style n’était pas encore tout à fait figé. Et ensuite parce que c’est une commande qui est en fait une adaptation, et la nuance mérite d’être soulignée, du film de Francis Ford Coppola du même nom sorti la même année. Une adaptation d’ailleurs limite trop fidèle qui suivant pas-à-pas le script originel, jusqu’à la coiffure moumoutée de Gary Oldman en comte Dracul. Mais malgré ce corset parfois étouffant, ce choix d’un superbe noir et blanc au contraste très marquée souligne, déjà, son obsession pour le clair-obscur et les symboles religieux. Et cette nouvelle édition contient quelques précieux ‘bonus’, comme des croquis au crayon qui démontrent combien, déjà, Mignola avait très tôt une vision bien précise de ce qu’il voulait faire.

© Delcourt / Roy Thomas & Mike Mignola

Or si ce Dracula est une œuvre de jeunesse, Frankenstein – Le Monstre est Vivant est à l’inverse une œuvre testamentaire. D’ailleurs trop malade, Wrightson n’a pas pu la finir et à confier lui-même à Kelley Jones d’en achever le quatrième et dernier chapitre. Réalisé avec Steve Niles, le scénariste de 30 Jours de Nuit qui signe d’ailleurs aussi la préface, c’est la suite plus ou moins officieuse et (très) personnelle du Frankenstein de Mary Shelley dont Wrightson avait réalisé une adaptation saluée par tous en 1975 et considérée comme son chef d’œuvre absolu.

Wrightson a toujours été fasciné par les parias, ceux qui sont rejetés par une société qui ne veut pas d’eux car trop ‘différents’, quelque soit le sens pris par ce mot. Son Frankenstein n’est jamais vraiment effrayant ni brutal, mais perdu, mélancolique, apeuré et pourtant épris d’humanité. Il n’est pas le monstre qu’on le voudrait croire, ce sont les autres qui le sont, ces êtres humains parfois si propres sur eux et pourtant si cruels et psychotiques. Alors que le texte est écrit à la première personne, de nombreuses fois, la vision, dantesque, de l’auteur s’étale sur de pleines pages aux détails hallucinants de finesse. Très contemplative, la quête de sens de Frankenstein prend ici une tournure quasi-philosophique mais sans jamais se départir d’une beauté graphique à la fois tragique et grandiose. Seul le trait moins assuré  Kelley Jones terni quelque peu le tableau, même si grâce aux croquis de travail adjoints ici en bonus dont il s’est servi, on se rend compte que Wrightson avait une vision très précise de ce qu’il voulait faire. C’est ce qu’on appelle une sortie par la grande porte ! Reste plus à espérer qu’un jour, comme son compère Richard Corben, et même de façon posthume, ce dernier soit enfin reconnu par ses pairs comme l’un des grands dessinateurs de son époque…

Olivier Badin  

Dracula de Roy Thomas & Mike Mignola, Delcourt, 19,99€

Frankenstein – le Monstre est vivant de Steve Niles, Bernie Wrightson & Kelley Jones, Soleil, 19,99€

@ Soleil / Steve Niles, Bernie Wrightson & Kelley Jones

La maison d’édition Rouquemoute soufflera ses deux bougies au festival BD d’Angoulême

Lancer une maison d’édition aujourd’hui ne peut se faire sans la passion. C’est justement ce qui anime Maël Nonet depuis des années. En 2016, après avoir navigué dans la communication et le dessin de presse, il crée Rouquemoute, une maison d’édition qui préfère l’humour à la morosité. Rencontre…

Maël Nonet © éric guillaud

Ne vous imaginez pas un immeuble chic et central, Rouquemoute est installé à Rezé dans le quartier du 8 mai, un immeuble anodin, un espace de coworking au dernier étage, 80 mètres carrés à tout casser, quelques bureaux, des étagères et surtout beaucoup de cartons. L’édition nécessite un peu de place et permet très rarement de faire fortune.

La suite ici

13 Jan

Fêtes himalayennes, les derniers Kalash : une BD documentaire ethnographique sur une des plus petites minorités pakistanaises

 Fêtes himalayennes les derniers Kalash est une bande dessinée, c’est aussi une exposition visible depuis le mois d’octobre dernier au musée des Confluences à Lyon avec une commune ambition : faire découvrir le peuple kalash…

Vous n’en avez jamais entendu parler ? Rien de plus normal. Les Kalash ne sont plus que 3000 sur notre bonne vieille planète, tous concentrés dans trois étroites vallées de l’Himalaya, à la frontière pakistano-afghane. S’ils étaient encore 40 000 au milieu du siècle dernier, ils forment aujourd’hui l’une des plus petites minorités du Pakistan, soudés autour de leur propre langue et surtout de leur propre religion polythéiste. Selon le Centre d’Information Inter-peuples, leurs croyances auraient « très peu évolué depuis 2300 ans ».

Et si le musée des Confluences à Lyon ainsi que les auteurs de cette bande dessinée publiée à La Boîte à bulles s’y intéressent aujourd’hui, c’est bien que la culture et les traditions du peuple kalash sont menacées de disparition, doublement menacées même, à la fois par l’islamisation du Pakistan et l’influence du monde moderne.

Jean-Yves Loude, Viviane Lièvre, tous deux ethnologues, Hubert Maury, ethnologue et dessinateur, et Hervé Nègre, photographe, signent ce récit documentaire basé sur leurs voyages au pays des Kalash. À la façon du Photographe, un récit d‘Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre et Frédéric Lemercier publié dans les années 2000 chez Dupuis, Fêtes Himalayennes mêle plutôt habilement dessins et photographies pour raconter le quotidien de ce peuple et notamment les rites liés aux changements de saison. Un vrai voyage !

Eric Guillaud

Fêtes himalayennes les derniers Kalash, de Jean-Yves Loude, Hubert Maury et Hervé Nègre. La Boîte à bulles. 18€

L’exposition présentée au musée des Confluences à Lyon est visible jusqu’au 1er décembre 2019

© La Boîte à bulles / Loude, Lièvre, Nègre & Maury

09 Jan

L’Invasion des imbéciles ou la bêtise humaine pour les nuls

Si c’est en lâchant des flatulences au clair de lune que certains célèbres acteurs convoquaient les extra-terrestres, c’est en passant, l’arme à gauche que la centenaire Yvonne, elle, se retrouve face à des êtres venus d’un autre monde à qui elle va devoir faire un peu de pédagogie si elle veut sauver ses fesses…

Alors c’est vrai, ça pique un peu les yeux lorsqu’on commence par vouloir mettre dans la même phrase les mots ‘roman graphique’, ‘roman graphique’ et, euh, ‘extra-terrestres’. Mais c’est justement ce qui fait tout l’intérêt de ce beau petit livre signée Tiphaine Rivière, déjà remarquée en 2015 pour Carnets de Thèse. Car oui, c’est quoi la bêtise humaine ? Comment l’expliquer ? Et c’est quoi le rapport avec la Bretagne nom de Zeus ?

Véritable tatie Danielle, Yvonne attend presque avec impatience la mort de son lit d’hôpital, lassée depuis longtemps de ses contemporains. Sauf que lorsque le moment arrive enfin, elle se retrouve non pas face à un mec barbu en pagne posé sur un nuage mais bien face à des extra-terrestres ressemblant à des sortes de lemmings aux yeux exorbités qui lui réclament de prouver sa « contribution à l’humanité » si elle ne veut pas être annihilée. Dos au mur mais pas si gâteuse que ça, mamie improvise et se propose alors de les aider à se prémunir du pire virus sévissant sur Terre : la bêtise. Avec en guise de souris de laboratoire, le petit village breton où elle a vécu « 66 ans » et où elle « connaît tout le monde ». Incognito, elle se retrouve flanquée d’un binôme au nom tordu de 0*) :YU à qui, exemples à l’appui, elle tente d’explique l’inexplicable : comment réussit-on parfois à être aussi con ?

Du grand n’importe quoi ? Loin de là. Parce que malgré ce pitchimprobable, Rivière aborde son sujet avec humour et légèreté, ce qui ne l’empêche pas sur le plan graphique d’alterner saynètes intimes et planches quasi-psychédéliques. Certes, le propos frôle par moments trop le cours magistral – notamment lorsque Yvonne se met à citer le philosophe Gilles Deleuze comme d’autres parlent du temps qu’il fait – et perd à sa moment là un peu de son côté ludique. Mais, fait rare, on apprend aussi en s’amusant. Et la conclusion, qu’on vous laisse découvrir, se permet même un peu de sarcasme bienvenu. Surtout, on se dit qu’Yvonne, elle, était loin d’être une imbécile…

Olivier Badin

L’invasion des Imbéciles de Tiphaine Rivière, Seuil, 16,90€

© Seuil / Tiphaine Rivière

Das Feuer : Patrick Pécherot et Joe Pinelli adaptent le roman d’Henri Barbusse sur la première guerre mondiale

Vous doutez encore de l’horreur de la guerre ? Vous vous dites parfois qu’après tout ça pourrait remette le pays sur les rails ? Alors ce livre est fait pour vous rappeler que la guerre n’est pas une partie de jeu vidéo la Call of Duty…

« Ah ma pauv’dame, une bonne guerre qu’il leur faudrait ». On a tous entendu cette phrase un bon nombre de fois. À en croire ces gens de mauvaise augure, une bonne guerre serait salutaire, surtout en période de troubles intérieurs. Tiens, comme en ce moment en France.

Sauf que la guerre en France, on connait. On sait les ravages qu’elle a fait au siècle précédent. Deux guerres mondiales, des guerres en Corée, Indochine ou encore en Algérie. On se serait presque habitué.

Presque ! Parce qu’en fait on ne peut pas s’habituer à l’horreur. Ce n’est pas possible. On peut oublier, certes, mais on ne peut pas s’habituer.

Et même si on oublie, il y a les survivants, les historiens, les écrits et parfois les images qui peuvent témoigner. Comme ce texte d’Henri Barbusse, Le Feu, magnifiquement adapté aujourd’hui en BD par Patrick Pécherot et Joe Pinelli. Henri Barbusse a fait la guerre, en première ligne, de 1914 à 1916. Alors forcément, il sait de quoi il cause. Le Feu écrit dans la foulée de son engagement sur le front a reçu le Prix Goncourt 1916.

Bien sûr, même avec ce texte, les lecteurs du XXIe siècle peuvent avoir du mal à se représenter vraiment la chose, à imaginer ne serait-ce qu’un dixième de ce que ces millions d’hommes ont dû supporter mais Il suffit de regarder ces visages torturés, dessinés par Joe Pinelli au crayon (comme dans les carnets de croquis des poilus), pour s’en approcher un peu plus, je pense. On y lit la fatigue, le froid, la peur, la douleur et la mort. Car c’est ça la guerre, rien de romanesque, que du sang, de la boue et de la merde. Et des hommes « gardant juste assez d’énergie pour repousser la douceur qu’il y aurait à se laisser mourir ».

L’adaptation de Patrick Pécherot et Joe Pinelli s’appuie sur les deux derniers chapitres du livre, La Corvée et dans une moindre mesure L’Aube, une adaptation d’autant plus remarquable qu’ils ont choisi de transposer le récit dans le camp allemand, oui de l’autre côté des no man’s lands, dans les tranchées des « boches ». D’où le titre Das Feuer. Et ça marche. Forcément, puisque l’horreur est sans frontières !

Eric Guillaud

Das Feuer, de Patrick Pécherot et Joe Pinelli. Casterman. 22€

© Casterman / Pinelli & Pécherot

07 Jan

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême du 24 au 27 janvier : y aller ou pas ?

C’est tous les ans la même question qui revient. Est-ce que ça vaut la peine de braver le froid, la neige, la grippe et la gastro pour arpenter les allées du Festival International de la Bande Dessinée ? La réponse est oui bien sûr car le monde entier, celui du neuvième art en tout cas, s’y donnera une nouvelle fois rendez-vous avec un programme copieux. En attendant, cure de vitamines pour tout le monde…

© MaxPPP – Renaud Joubert

Rendez-vous incontournable, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême se déroulera du 24 au 27 janvier. Dédicaces, expos, concerts de dessins, rencontres, conférences, projections… le programme s’annonce une nouvelle fois gargantuesque. Préparez vos albums, on vous aide à défricher le terrain…

Le festival en chiffres

1500 auteurs et autrices, 870 journalistes français et étrangers, 23 pays représentés, 228 maisons d’édition francophones, 6600 professionnels, 24900 mètres carrés dédiés et près de 200 000 visiteurs attendus pour cette 46e édition… Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes, le FIBD envahit la ville, places et bâtiments publics, musées et salles d’expos. Même les commerces du centre ville se mettent aux couleurs de l’événement.

Le Grand Prix

L’Américain Richard Corben a été promu Grand Prix du Festival lors de la précédente édition. Honneur lui sera donc rendu notamment autour d’une exposition-rétrospective au Musée d’Angoulême visible du 24 janvier au 10 mars 2019 (Déconseillée aux moins de 16 ans).

La sélection officielle du Festival

45 albums ont été retenus dans la sélection officielle de cette nouvelle édition. Ils concourront pour les quatre prix de la sélection officielle, à savoir le Fauve d’Or – Prix du meilleur album, le Prix Spécial du Jury, le Prix de la Série et le Prix Révélation. Par ailleurs, 10 albums seront en compétition pour le Prix Jeunesse, huit albums pour le Prix du Patrimoine et 5 albums pour le Prix du Polar SNCF. La cérémonie des Fauves se déroulera le samedi 26 janvier au Théâtre d’Angoulême. Plus d’infos ici.

© Jim Aparo – DC Comics

Les expositions

Outre l’exposition consacrée au Grand prix Richard Corben, l’édition 2019 nous invitera à plonger dans l’univers de Batman qui atteint cette année l’âge canonique de 80 ans sans une ride et sans un faux pli au costume. L’exposition qui se veut immersive et ludique proposera de traverser tous les lieux cultes du super-héros (L’Alpha, médiathèque de Grand Angoulême).

Le maître de l’érotisme Milo Manara fête lui ses 50 ans de carrière. Le festival lui consacrera une exposition-rétrospective qui révélera l’extraordinaire variété de son oeuvre (Espace Franquin).

Une autre rétrospective sera consacrée au Japonais Taiyō Matsumoto (Amer Béton, Printemps bleu, Gogo Monster…) avec près de 200 œuvres originales présentées (Musée d’Angoulême).

Au menu également, des expositions consacrées à Bernadette Després et ses personnages Tom-Tom et Nana, à Tsutomu Nihei et ses mangas de science-fiction, à Rutu Modan, Jean Harambat, Jérémie Moreau…

© Richard Corben

Rencontres et masterclass

Avec 6600 professionnels présents parmi lesquels 1500 auteurs et autrices, il serait malheureux de ne pas en profiter pour les interroger et les écouter parler de leur métier, de leur passion, de leur art. Des rencontres internationales seront organisées pendant toute la durée du festival avec notamment Milo Manara (Le Déclic…), Terry Moore (Strangers in Paradise…), Kentaro Sato (Magical Girl of the End…) ou encore Christian Rossi (Le Cœur des Amazones…). Des rencontres mais aussi des masterclass avec Tsutomu Nihei (BLAME!…) et Taiyo Matsumoto (Gogo Monster...)

Concerts de dessins

Mettre le dessin en musique ou l’inverse, mettre la musique en images, c’est le challenge de cet événement organisé par le FIBD en partenariat cette année avec l’Orchestre de Paris et la Philharmonie de Paris. Une rencontre entre la musique classique et la bande dessinée autour de deux auteurs, Kim Jung Gi et Lorenzo Mattotti, et trois dates, les 24, 25 et 26 janvier au Théâtre d’Angoulême.

Musique classique mais aussi jazz avec le concert dessiné associant cette fois le FIBD et le festival Jazz à Vienne. Cette année, la scène du théâtre d’Angoulême proposera une rencontre entre les artistes Chassol et Brecht Evens le 25 janvier. 

© Taiyō Matsumoto / Shogakukan

Et tout le reste…

Le festival, c’est aussi, bien évidemment, l’occasion de rencontrer ses auteurs préférés en dédicaces, de découvrir la richesse du neuvième art à travers toute une série d’animations et d’arpenter une ville qui depuis 46 ans accueille l’un des rendez-vous phares du neuvième art, parmi les plus importants au monde…

Eric Guillaud

Plus d’infos sur le festival ici

Virus : Sylvain Ricard et Rica imaginent le pire dans un thriller haletant

Et si la grippe espagnole, Ebola ou le sida étaient peu de chose au regard des virus qui nous attendent demain. Pour ce premier volet de ce qui pourrait être un triptyque, Sylvain Ricard et Rica imaginent un virus ultra-dangereux échappé d’un laboratoire. De quoi nous filer des sueurs froides pour l’éternité…

Temps d’incubation quasi-nul, fièvre élevée, convulsions, spasmes, désordres cardiaques, éruptions cutanées, coma… ce virus-là pourrait faire plus de morts que la grippe espagnole, Ebola et le sida réunis s’il parvenait à s’échapper du laboratoire où il a été imaginé pour des usages peu avouables.

Et bien sûr, ce qui devait arriver arrive. Un technicien du fameux laboratoire se retrouve contaminé juste avant d’embarquer pour une croisière à bord du Babylon of Seas. Résultat des courses : plusieurs milliers de personnes confinées sur le bateau et des autorités désarmées face à une menace d’une ampleur sans précédent…

Un récit de pure fiction ? Pas totalement. Si le scénario de Virus est effectivement né de l’imagination fertile de Sylvain Ricard, associée à la très belle mise en images de Rica, le danger des virus bidouillés par les scientifiques est lui bien réel comme le rappelle le très instructif dossier documentaire accompagnant l’album et réalisé par les auteurs eux-mêmes. Les nombreux incidents et accidents qui ont émaillé la recherche dans la manipulation génétique n’ont pas calmé les ardeurs. Trump a même autorisé il y a un an la reprise des recherches sur les virus mortels, une décision soi-disant motivée par la prévention de pandémies.

Prévu en trois ou quatre volumes, Virus peut nous coller des sueurs froides mais l’intention de Sylvain Ricard, qui fût un temps ingénieur biologiste moléculaire, est plutôt de provoquer une prise de conscience. Dans une interview accordée au site toutenbd.com, l’auteur explique : « Je n’anticipe pas de catastrophe de ce genre, mais on a vu que les agents biologiques et chimiques peuvent avoir un intérêt pour des groupes terroristes, lors de conflits armés inter ou intra-nations, et au vu de l’évolution que prennent les législations quant à l’expérimentation sur ces agents pathogènes et les formidables avancées de la biologie et de ses possibilités, que nous ne sommes pas à l’abri ».

Très belle entrée en matière que ce premier volet paru sous la direction éditoriale du Nantais Fred Blanchard (un autre gage de qualité!), on attend maintenant la suite annoncée pour le second semestre 2019.

Eric Guillaud

Incubation, Virus (tome 1), de Ricard et Rica. Delcourt. 18,95€ (en librairie le 9 janvier)

 

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