06 Juil
08 Juin
80ᵉ anniversaire du massacre d’Oradour-sur-Glane : une BD pour se souvenir !
Tous ceux qui ont visité Oradour-sur-Glane vous le diront : impossible d’en revenir intact ! Au milieu des ruines de ce bourg limousin, règne depuis précisément 80 ans un silence comme nulle part ailleurs, un silence lourd de larmes et de sang. Retour sur un acte de barbarie figé pour l’éternité…
Nous sommes le 10 juin 1944. Le débarquement des Alliés en Normandie a surpris les Allemands par son lieu et son ampleur, celui en Provence se prépare.
Appelée à rejoindre le nouveau front ouvert par les Alliés, la division Waffen SS Das Reich remonte vers la Normandie en semant l’horreur sur son passage, à Tulle tout d’abord, où 99 hommes furent pendus, puis à Oradour-sur-Glane.
Dans ce bourg relié par le tramway à Limoges, jusqu’ici à bonne distance des violences de la guerre, 643 morts, des hommes, des femmes et des enfants, meurent sous les balles ou dans les brasiers allumés par les Allemands, faisant d’Oradour-sur-Glane un village martyr dont les ruines sont aujourd’hui visitées par 300 000 personnes chaque année.
C’est cette histoire que raconte Oradour, L’Innocence assassinée, une bande dessinée de Jean-François Miniac pour le scénario, Bruno Marivain pour le dessin et Cerise pour les couleurs. Par la volonté et avec l’aide du dernier rescapé, Robert Hébras, malheureusement décédé le 11 février 2023, les auteurs reconstituent ici le déroulé de cette terrible journée. Avec une ambition forte et aujourd’hui plus que nécessaire : la transmission de la mémoire aux jeunes générations.
Réticente jusqu’ici à utiliser la bande dessinée comme médium de transmission, l’Association nationale des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane a finalement accepté et accompagné ce projet qui a obtenu la labellisation « 80 ans de la Libération », un gage de sérieux.
Et de fait, l’album Oradour, L’Innocence assassinée a été réalisé avec une grande rigueur documentaire dans le déroulement des faits, une grande pudeur dans la représentation de l’horreur et un grand respect pour toutes les victimes de ce qui reste comme le plus grand massacre de civils perpétré par les nazis.
Côté graphisme, Bruno Marivain, qui a déjà signé plusieurs ouvrages sur cette sombre période (Normandie Juin 44, Julia von Kleist…) signe ici une belle mise en images, réaliste, sobre et bougrement efficace. Un dossier historique d’une dizaine de pages réunissant photos et documents accompagne judicieusement le récit.
Eric Guillaud
Oradour, L’Innocence assassinée, de Miniac, Marivain et Cerise. Editions Anspach. 20€
03 Juin
INTERVIEW. « Je suis hanté par les mêmes obsessions depuis bien longtemps », rencontre avec Fabien Vehlmann, un scénariste BD qui met le monde en fiction
Spirou et Fantasio, Le Dernier Atlas, Seuls, Green Manor… son imaginaire n’a semble-t-il aucune limite, sa volonté de gratter la surface des choses non plus, le scénariste nantais Fabien Vehlmann revient avec trois albums d’un coup, l’occasion d’échanger avec lui sur son approche de l’écriture, ce qui l’inspire ou l’obsède, ses projets…
Nous l’avons rencontré en 2014 pour la 54ᵉ aventure de Spirou et Fantasio, en 2019 pour Le Dernier Atlas, en 2020 pour Supergroom. Bien sûr, sa biographie ne s’arrête pas là. Loin de là. Il est également le scénariste de la série à succès Seuls, portée au cinéma par David Moreau, de Paco les mains rouges, de Samedi et Dimanche, du Marquis d’Anaon, de Green Manor, de L’Herbier sauvage et de tant d’autres.
Une bonne soixantaine de livres au total dans des genres très différents. Et pas mal de récompenses, notamment le prestigieux Prix René-Gosciny 2020 qu’il partage avec Gwen de Bonneval pour Le Dernier Atlas. Bref, de quoi donner le tournis. Comment passe-t-on d’un univers à l’autre sans y laisser quelques neurones ? C’est la première question que nous lui avons posée…
31 Mai
Eerie Et Creepy présentent Alex Toth : tapis rouge pour un maître de la BD d’horreur des années 70
Après Richard Corben et Bernie Wrightson, le dessinateur américain Alex Toth a droit, à son tour, à une rétrospective de toutes ses histoires réalisées pour la crème de la crème des magazines d’horreur des années 60 et 70.
Vous connaissez sûrement son trait mais peut-être pas son nom. Comme cela a été très bien dit par le créateur de Métal Hurlant et des Humanoïdes Associés lui-même Jean-Pierre Dionnet, Alex Toth était « le dessinateur préféré des autres dessinateurs ». Dixit la biographie assez conséquente que l’on peut retrouver dans la présente édition en appendice, il avait également ses humeurs et a fait pas mal d’aller-retour entre plusieurs maisons d’édition, mais aussi entre la bande dessinée et la télévision. Une grande gueule comme on dit. Mais aussi un grand artiste, spécialiste reconnu d’un noir et blanc stylisé et dauphin quasi-officiel du grand Milton Caniff, le créateur de Terry Et Les Pirates et Steve Canyon.
Or justement, même si Toth s’est essayé dans sa carrière à pas mal de styles différents (même le dessin animé pour enfant avec Le Fantôme De L’Espace !), c’est peut-être dans le registre horreur et fantastique que son trait tout en nuance, où l’ombre a autant d’importance la lumière, qu’il a fait briller le mieux. Les deux magazines phares de l’écurie Warren Publishings Eerie et Creepy étaient à ce propos taillés sur mesure pour lui : là, aux côtés d’illustres collègues comme Frank Frazetta, Richard Corben ou Ken Kelly, il a pu laisser parler son goût pour le macabre et les ambiances gothiques à la Edgar Allan Poe.
L’intégralité des vingt-et-un histoires réalisées pour le compte de ces deux mythiques revues, et publiées entre 1965 et 1982, est pour la première fois compilées en français ici. Si celles scénarisées par LA star de Creepy et Eerie Archie Goodwin restent assez classiques (mais réussies) dans leur construction, d’autres sont de véritables œuvres d’art, notamment dans leur découpage reflétant la claustrophobie des personnages (Pris Au Piège ! digne d’un très bon épisode de La Quatrième Dimension) ou cette subtile façon de suggérer l’immutable plutôt que de le montrer. Surtout que Toth aime les détails, ces regards effrayés qui en disent long ou ces ombres portées menaçantes…
Quant la plus longue histoire du lot, la mini-saga du Hachoir, c’est un véritable script détaillé de slasher (type de film d’horreur prédéfini où un tueur sans pitié accumule les victimes, à la Vendredi 13) mais dans un cadre victorien où, derrière le raffinement et la fortune, se cache la pire des perversités.
Olivier Badin
Eerie Et Creepy Présentent Alex Toth. Delerium. 25€
27 Mai
La baie des Cochons : une nouvelle aventure explosive de Spirou et Fantasio
Entre la série mère, les hors-séries, et maintenant la série classique, il y a de quoi s’y perdre mais on ne va pas bouder notre plaisir de retrouver les légendaires héros des éditions Dupuis dans une nouvelle aventure qui nous entraîne cette fois-ci à Cuba…
Alors que nous attendons toujours la suite de La Mort de Spirou, cinquante-sixième album de la série mère signé Olivier Schwartz, Benjamin Abitan et Sophie Guerrive, c’est un deuxième album de la série classique qui sort en ce mois de mai 2024. La baie des Cochons, tel est son nom, se déroule dans le Cuba du tout début des années 60, Fidel Castro s’apprête à prononcer son fameux discours historique au siège des Nations Unies et les États-Unis, un peu plus tard, à débarquer dans la baie des Cochons.
Voilà pour le contexte historique ! Côté fiction, Elric au dessin et au scénario, Clément Lemoine et Michaël Baril au scénario, imaginent une pure comédie autour de Castro, du Che Guevara et de nos intrépides Spirou, Fantasio et Seccotine, envoyés pour les deux premiers couvrir le discours à l’ONU tandis que la dernière est chargée de réaliser un reportage sur la Révolution à La Havane. Bien évidemment, rien ne se passera comme prévu, les agents de la CIA, les révolutionnaires et contre-révolutionnaires s’invitant à la fête dans un joyeux désordre bourré d’action et d’humour.
Deux autres titres sont d’ores et déjà annoncés dans cette collection dite classique, Zorgrad avec le même trio d’auteurs et Le Trésor de San Inferno avec Tarrin et un certain Lewis Trondheim.
Eric Guillaud
La baie des Cochons, Les aventures de Spirou et Fantasio, de Baril, Lemoine et Elric. Dupuis. 12,95€
25 Mai
Les Tribulations de Félix Mogo : un désir d’ailleurs signé Christian Cailleaux
Auteur-voyageur, Christian Cailleaux appartient au paysage comme dirait Bernard Lavilliers. Un jour ici, un jour là, à découvrir d’autres cultures, d’autres peuples, chaque retour au pays étant l’occasion de publier une aventure bien évidemment inspirée par ses périples. Comme ce recueil, Les Tribulations de Félix Mogo, qui réunit quatre récits épuisés depuis longtemps…
Publiés initialement aux éditions Treize Étrange entre 1998 et 2007, Harmattan le vent des fous, Le Café du voyageur, Le Troisième thé et Tchaï Masala sont réunis ici dans un format légèrement supérieur à l’original et sous pavillon Glénat, Treize Étrange n’étant plus qu’une collection de l’éditeur. Un beau petit livre de plus de 600 pages à la couverture de couleur vert amande qui nous permet de replonger dans l’univers de Christian Cailleaux, un dessin proche de la ligne claire, épuré, élégant, et des histoires qui nous emmènent en voyage vers des horizons lointains.
Fou de littérature et voyageur infatigable, Christian Cailleaux a toujours aimé aller à contre-sens de l’histoire, proposer des récits ambitieux, très littéraires, qui se déroulent avec une certaine lenteur et économie de mots, le tout avec une seule volonté affichée : raconter le monde.
L’Afrique, les Indes, l’exotisme, l’aventure, le mystère, l’amour, le voyage… Christian Cailleaux explore le monde et ses sentiments depuis une trentaine d’années maintenant. Il a récemment dessiné Le Flèche ardente, une suite au Rayon U d’Edgar P. Jacobs, signée Jean Van Hamme pour le scénario.
Eric Guillaud
Les Tribulations de Félix Mogo, de Cailleaux. Glénat. 35€
22 Mai
Ma vie de rêves : une autobiographie de Fournier à croquer à pleines dents !
Signe de l’importance du bonhomme dans le monde du neuvième art, Ma Vie de rêves est le deuxième album consacré à sa vie. Le premier, Dans l’atelier de Fournier, avait été écrit par Nicoby et Joub et revenait principalement sur sa carrière d’auteur BD, le second est signé par Fournier lui-même et revient sur toute une vie en dix-huit souvenirs…
Jean-Claude Fournier. Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la bande dessinée et à son histoire connaissent le personnage, un sacré personnage qui a commencé sa carrière avec Bizu, lui aussi un sacré personnage, un poète sonneur de biniou logeant dans la forêt de Brocéliande.
Mais c’est surtout avec sa reprise de la série Spirou et Fantasio entre 1970 et 1980, qu’il s’est fait connaître du grand public. Neuf albums en tout qui, sans révolutionner le genre, ont amené une belle touche de poésie et de magie aux aventures du duo longtemps emmenées par André Franquin, le maître à tous.
Un Franquin qui apparaît bien évidemment dans les souvenirs réunis ici, tout comme Spirou et Fantasio, Morris, Tillieux, Will, Kris… et tant d’autres. C’est souvent drôle, parfois un peu amer, notamment lorsqu’il aborde la fin de l’aventure Spirou, toujours très instructif sur le parcours de cet auteur pas comme les autres.
Au-delà des dix-huit souvenirs, Ma Vie de rêves propose un cahier d’archives, une trentaine de pages réunissant illustrations, planches ou encore projets de couverture. Une petite douceur pour les amoureux du bonhomme !
Eric Guillaud
Ma Vie de rêves, de Fournier. Daniel Maghen. 26€
20 Mai
RENCONTRE. « Ronds rouges ! », quand la fiction croise la réalité, une BD de Bruno Bazile
Elle est considérée comme la plus grosse opération marketing que la France ait connue, la nuit des ronds rouges est au centre de cette nouvelle aventure en bande dessinée signée par le Nantais Bruno Bazile. Une histoire qui ne manque pas de carburant ! Rencontre…
Nous sommes en 1967. Bien avant le choc pétrolier. La France vit alors ses 30 glorieuses et l’industrie pétrolière florissante s’organise pour répondre aux enjeux de la seconde moitié du XXe siècle. À coups d’achats et de fusions, des géants voient le jour. C’est le cas de l’UGD qui concentre les marques Avia, Caltex, ButaFrance, Lacq et quelques autres. Mais face à Shell et Esso, l’UGD doit réunir toutes ces entités sous une seule appellation. Ce sera Elf !
Pour marquer les esprits, le groupe organise une opération marketing hors norme. Elle commence par une campagne d’affichage avec des slogans énigmatiques affublés d’un énorme rond rouge et se termine par la fameuse « nuit des ronds rouges » qui voit 1250 stations-service rebaptisées et repeintes aux couleurs d’Elf.
17 Mai
La Querelle des arbres : une fiction de Renaud Farace et Amaya Alsumard au cœur de l’Indochine française
Au départ, La Querelle des arbres n’était qu’un mini récit sélectionné en 2005 au Concours Jeunes Talents du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Il est aujourd’hui un beau et gros roman graphique de plus de 200 pages publié aux éditions Casterman. Un récit romanesque à dimension politique et écologique…
Settimo Orsù a un corps de bûcheron. Il l’est ! Ou du moins l’était-il dans sa Corse natale, avant la Grande Guerre. Changement de décor et d’ambiance, l’homme a troqué le bord de la Méditerranée pour les rives du Mékong. Avec pour mission d’encadrer des coolies (travailleurs agricoles locaux) sur une exploitation forestière, la Plantation de la Souche. Nous sommes en 1920, l’Indochine est française. Et les colons, les longs nez comme on les appelle ici, ont tout loisir d’exploiter les ressources du pays avec la bénédiction « forcée » du peuple autochtone réduit à l’état de quasi-esclavage.
Un job tranquille ? Pas vraiment. À son arrivée, Settimo est accueilli par des policiers qui vont rapidement le mettre au parfum et tenté de le mettre dans leur poche. Car un des coolies, qui se fait appeler « Corbeau de cendre », multiplie les articles diffamatoires contre la nation française dans une feuille de chou distribuée sous le manteau. L’Indochine est française, oui, mais pas pour le bonheur de tous !
En ayant pris soin d’éviter tout manichéisme et de diluer leur documentation dans le quotidien, Renaud Farace et Amaya Alsumard nous offrent une belle fiction au cœur de l’Indochine coloniale, avec une ambiance « juste » comme ils disent, mais sans prétention aucune de faire de La Querelle des arbres une bande dessinée historique.
Son titre, d’ailleurs, suffit à lui-seul à nous en donner le ton général. Si l’histoire permet effectivement de mettre en exergue le colonialisme dans toute sa splendeur avec la violence, le mépris ou dans le meilleur des cas l’indifférence des colons envers la population locale, et ce même si certains comme la patronne Alexandra de la Souche affiche une certaine bienveillance, il permet aussi de nous raconter une aventure au souffle romanesque, l’émancipation d’un peuple sur fond de légendes.
Une belle brochette de personnages, des décors bien évidemment somptueux, une histoire dense, mais rondement menée, un dessin de caractère et des couleurs au service de l’histoire… La Querelle des arbres pourrait mettre tout le monde d’accord !
Eric Guillaud
La Querelle des arbres, de Renaud Farace et Amaya Alsumard. Casterman. 30€
14 Mai
Octopolis : à la recherche du père et de la mer
Après Les Grands cerfs, le grand bleu version Gaétan Nocq, un voyage à la recherche de soi-même mais aussi à la rencontre de ce monde sous-marin que l’homme, aveuglé par la richesse, s’évertue à détruire petit à petit…
Octopolis est un objet hybride, à la fois roman graphique et outil pédagogique. C’est surtout l’œuvre d’un artiste complet, à la fois dessinateur, peintre et carnettiste, fasciné par la nature et ses mystères.
Mais ce qui ressort avant tout de cet Octopolis est ce bleu profond, présent à toutes les pages, parfois dénuées de tout texte, comme pour suggérer les silences des abysses et de la faune sous-marine que découvre son héroïne, et nous avec.
Personne solitaire et mutique, Mona est rappelée à Paris suite à la disparition de son père, avec lequel elle a pourtant rompu tout contact depuis la mort de sa mère sept ans avant. Chercheur-paléontologue, il travaillait sur un essai intitulé Octopolis qu’elle retrouve sur le disque dur de son ordinateur, à propos d’un lieu unique au monde, refuge des poulpes sur lesquels il a fait des recherches toute sa vie.
Au fur et à mesure de ses rencontres – une chercheuse du muséum d’histoire naturelle de Paris, un moniteur de plongée mutique, le tenant d’une galerie d’art océanien à Paris – elle essaye de démêler cette pelote de laine qui finit par l’emmener au bout du monde, jusque dans un atoll perdu de l’océan Pacifique.
Tout est très symbolique ici : Mona doit d’abord essayer de retrouver son père au milieu d’une ville de deux millions d’habitants. Sans succès. Au final, ce n’est qu’en s’enfonçant sous la mer, loin de ses semblables puis en s’exilant à l’autre bout de la Terre sur un minuscule lopin de terre inhabité, qu’elle finit par trouver en partie ce qu’elle recherche. Quant aux méchants de l’histoire si l’on peut dire, on ne voit jamais vraiment leurs visages, seulement les gigantesques machines qu’ils ont lancées pour assouvir leur avidité sans fin, au mépris de la faune sous-marine.
Sorte de thriller écologique, Octopolis est avant tout un conte graphique, réalisé à la plume et au pinceau. Le récit principal de la quête de cette jeune femme alterne avec des reportages sur la faune sous-marine, pleins de poésie. En résulte un objet hybride, à la dramaturgie certes imparfaite (la conclusion hâtive, par exemple, laisse sur notre faim) mais à la beauté évanescente, sans de réel équivalent dans la production actuelle.
Olivier Badin
Octopolis de Gaétan Nocq. Daniel Maghen. 30€