19 Mar

FIBD. Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions 2022 : Le Grand vide de Léa Murawiec

Après Saison des roses de Chloé Wary en 2020 et Anaïs Nin de Léonie Bischoff en 2021, le Fauve d’Angoulême – Prix du Public France Télévisions troisième du nom revient une nouvelle fois cette année à une autrice, Léa Murawiec, pour Le Grand vide paru aux éditions 2024, un premier album unanimement salué par les membres du jury pour sa singularité graphique et scénaristique. Une œuvre vertigineuse qui annonce le retour de la grande aventure au rayon BD !

On sait combien la vie tient parfois à un fil, dans cet album elle tiendrait plutôt à une pensée. Manel Naher est une jeune femme ordinaire, un peu trop peut-être, qui passe son temps à dénicher des récits d’aventure dans une vieille librairie pour s’évader du monde dans lequel elle vit, une espèce de mégalopole où chacun doit se battre contre l’anonymat en affichant son nom telle une publicité.

Plongée dans ses livres, Manel se fait oublier de tous, de quoi disparaître à jamais.

© 2024 / Murawiec

Car oui, dans le monde dystopique que nous dépeint Léa Murawiek, si personne ne pense à vous, alors vous n’avez plus de présence et vous mourez. C’est aussi simple que cela. Manel va l’apprendre à ses dépens. En pleine rue, une crise cardiaque, direction l’hôpital.

« Votre présence était quasiment nulle, votre cœur ne l’a pas supporté »

Pour les médecins, les choses sont claires. Seul un traitement intensif peut lui permettre de s’en sortir, d’autant qu’un homonyme, chanteuse très célèbre dont le tube Mon nom sur toutes les lèvres fait un carton, accapare les pensées de toutes et tous.

Et ce traitement intensif ? Boites de nuit, réunions de famille, déjeuners d’affaires… bref des sorties, des rencontres, de quoi faire du lien social… et retrouver un peu de présence, d’existence aux yeux des autres et donc d’espérance de vie.

Mais Manel ne rêve que d’une chose : rejoindre le grand vide, un espace où la popularité ne décide pas de votre vie ou de votre mort.

© 2024 / Murawiec

Paru en aout dernier, Le Grand vide a fait sensation dans le milieu du neuvième art et au-delà par la singularité et la force qui se dégagent du scénario, par la formidable élasticité du trait et le dynamisme des planches.

Passée par l’école Estienne à Paris puis l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, Léa Murawiek écrit cette première bande dessinée au cours d’une résidence de deux ans à la Cité de la Bande dessinée.

Elle y met toutes ses influences, le manga bien sûr, mais aussi la bande dessinée européenne expérimentale et alternative d’où elle est issue.

© 2024 / Murawiec

À l’heure où les bandes dessinées documentaires, reportages, biographiques, autobiographiques, scientifiques, pédagogiques… ont colonisé – parfois un peu trop – les rayons de nos librairies préférées, Léa Murawiek fait souffler un vent nouveau où l’aventure retrouve ses lettres de noblesse sans pour autant oublier de jeter un oeil critique sur notre société.

Module

https://www.youtube.com/watch?v=FmI-pSO0po4&feature=youtu.be

« Ce que j’aime dans les fictions dystopiques… », explique Léa, « c’est qu’elles partent d’un constat sur le monde réel pour créer tout un univers parallèle à partir de ce détail ». 

De fait, Le Grand vide interroge, nous interroge, sur l’hyper-concentration urbaine, l’anonymat qui y règne, le regard des autres, la solitude et la popularité comme seul signe d’existence, autant de sujets importants en ces temps de pandémie, de confinement, de distanciation.

Aucun doute, en l’espace d’un livre, Léa Murawiek s’est fait un sacré nom dans le neuvième art et nous ne sommes pas près de l’oublier…

Eric Guillaud

Le Grand vide, de Léa Murawiek. Éditions 2024. 25€

Les membres du jury du Prix du Public France Télévisions

14 Mar

Dix BD qu’il faut avoir impérativement lues avant le festival d’Angoulême

Plus que quelques jours, quelques heures, avant la ruée des amoureux du neuvième art vers Angoulême pour la 49e édition du festival. Histoire de se mettre en condition, voici une sélection de dix albums essentiels, dix coups de cœur, dont on vous recommande chaudement la lecture…

Des dizaines de milliers de visiteurs, auteurs, éditeurs ou passionnés, sont attendus à Angoulême pour le Festival international de la bande dessinée à partir de ce jeudi 17 mars, après une édition 2021 annulée en raison de la pandémie et une édition 2022 reportée.

Autant dire que l’impatience est grande de tous les côtés. Que vous y alliez ou pas, nous vous avons concocté une sélection de dix ouvrages qui reflète parfaitement la richesse de ce neuvième art. Autant de pistes pour découvrir d’autres albums, d’autres histoires, parmi les milliers de titres publiés cette année.

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11 Mar

INTERVIEW. La Vie de ma mort : une nouvelle BD de l’Angevin Fortu pour les bons vivants et les autres

Un bon brossage des dents, un coup de peigne et voilà nos amis les zombies fin prêts pour de nouvelles aventures croquées par l’auteur saumurois Fortu. De quoi retrouver le sourire, même dans un monde de brutes épaisses.

© Delcourt / Fortu

Nous l’avons découvert en 2016 avec l’album Saudade, recueil d’histoires courtes inspirées de sa vie, retrouvé en 2020 alors qu’il croquait le confinement sur Instagram, il est de retour avec un petit format paru aux éditions Delcourt délicieusement baptisé La Vie de ma mort. L’auteur y décrit le quotidien d’une famille de morts-vivants, un père, une mère et deux ados, prête à tout pour s’intégrer dans la société des vivants, même si les vieux réflexes reprennent vite le dessus. Des histoires courtes d’une ou deux pages à mourir de rire. Un bon bol de sang frais et Fortu nous dit tout ici et maintenant…

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10 Mar

Saint Exupéry Le Dernier vol et autres récits : Pratt pour toujours !

C’est à chaque fois le même bonheur que de se replonger dans l’univers d’Hugo Pratt. Et pas seulement dans les traces du grand Corto Maltese. Saint-Exupéry Le Dernier vol, Dans un ciel lointain ou encore Morgan sont autant de pièces maîtresses d’une œuvre et d’une vie marquées par le voyage et l’aventure. Ce nouveau recueil de plus de 300 pages réunit cinq récits écrits dans les dernières années de son existence…

Extrait de la couverture de l’album Saint-Exupéry Le Denier vol et autres récits @ Casterman / Pratt

On ne s’en lasse pas ! Et comment le pourrait-on ? Hugo Pratt est l’un des géants du neuvième art, un artiste qui a goûté à l’aventure et à la poésie de la vie pour en retenir et restituer l’essentiel dans ses albums.

Bien sûr, il y a eu Corto Maltese, douze albums incontournables parus entre 1967 et 1991. Mais l’œuvre d’Hugo Pratt ne s’arrête pas à ce personnage et à cette série. L’As de pique, Junglemen, Sergent Kirk, Ticonderoga, Ernie Pike, Ann de la Jungle, Capitaine Cormorant, Billy James, Jesuit Joe ou encore Fanfulla explorent d’autres terres, d’autres horizons, d’autres époques et notamment la seconde guerre mondiale qu’il a vécu enfant et qui l’a profondément marqué.

C’est avec celle-ci qu’il partage les dernières années de sa vie, à travers divers récits publiés ici et là à commencer par Saint-Exupéry Le Dernier vol repris ici en compagnie de quatre autres histoires : Un Pâle soleil printanier, Baldwin 622, Dans un ciel lointain et surtout le merveilleux Morgan qui est sa dernière création.

Dans les airs, sur les océans ou sur la terre ferme, ces récits nous racontent des histoires de guerre en en montrant parfois toute l’absurdité, parfois l’héroïsme des protagonistes, quelque soit leur drapeau. Des histoires de guerre, des histoires d’amitié aussi plus fortes que les idéologies, plus fortes que la mort. Un très beau livre complété par un texte d’Umberto Eco daté de 1995, une postface de Gregory Alegi, journaliste et spécialiste d’histoire militaire, et plusieurs aquarelles du maître.

Eric Guillaud

Saint-Exupéry, Le Dernier vol et autres récits, de Pratt. Casterman. 35€ (en librairie le 16 mars)

© Casterman / Pratt

09 Mar

Alger – Retour et Appelés d’Algérie : deux albums Marabulles autour d’un traumatisme collectif

À l’approche du soixantième anniversaire des accords d’Évian, le 18 mars prochain, les éditions Marabulles proposent deux albums autour de la guerre d’Algérie, deux albums qui racontent des destins d’hommes, pied noir pour l’un, appelé pour l’autre, blessés dans leur chair dans les deux cas…


Si la parole s’est aujourd’hui considérablement libérée, longtemps la guerre d’Algérie a été occultée de notre mémoire collective. À l’époque d’ailleurs, et on pourrait faire un parallèle aujourd’hui avec la communication russe autour de la guerre en Ukraine, on ne parlait pas de guerre mais d’événements ou d’opérations de maintien de l’ordre. N’empêche que des hommes se sont battus sur la terre d’Algérie, nombre d’entre eux y sont morts, ont été blessés physiquement ou traumatisés par les violences, les attentats, les tortures, les massacres…

Les deux albums parus en ce mois de mars aux éditions Marabulles, à la veille du soixantième anniversaire des accords d’Évian qui marquaient la fin d’un conflit de huit ans, reviennent sur le traumatisme collectif qu’il a engendré plusieurs décennies durant.

Appelés d’Algérie © Marabulles / Meralli & Deloupy

Avec deux histoires d’hommes, deux destins personnels plongés dans la grande histoire du monde, d’un côté celui d’un appelé avec Appelés d’Algérie, un personnage fictif imaginé par Swann Meralli au scénario et Deloupy au dessin, une BD qui s’inscrit comme la suite d’Algériennes (1954 – 1962), illustration pour sa part de destins de femmes pendant la guerre. De l’autre, le destin d’un pied noir avec Alger – Retour, un pied-noir qui a dû tout quitter à l’indépendance pour rejoindre la métropole. En se promettant bien de ne jamais y retourner.

Les deux albums mettent en scène deux générations, ceux qui ont vécu la guerre et ont enfoui les souvenirs sous d’épaisses couches de silence. Et ceux plus jeunes qui sont aujourd’hui à la recherche de réponses sur cette époque. Deux histoires qui nous parlent de l’histoire, de notre histoire, de transmission et de devoir de mémoire. Poignants, instructifs et forcément indispensables !

Eric Guillaud

Alger-Retour, de Fred Neidhardt, 16,90€ / Appelés d’Algérie (1954 – 1962), de Meralli et Deloupy. 17,95€

Alger – Retour © Marabulles / Neidhardt

04 Mar

Hellfest : Bientôt en chair, en os et en papier

Et si le site du Hellfest devenait un mini-golf géant ? Non, pas de panique, il ne s’agit pas là du dernier projet de la mairie de Clisson mais du scénario complètement déjanté d’un album de bande dessinée à paraître début juin dans toutes les bonnes librairies.

D’un côté le Hellfest, célèbre festival de metal de Clisson qui devrait revenir en juin après deux années d’annulation pour cause de pandémie. De l’autre, la maison d’édition nantaise Rouquemoute. Au centre Hellmoute, une nouvelle collection de BD autour du festival qui verra le jour début juin avec un premier album baptisé Hellfest Metal Vortex et signé Jorge Bernstein, Fabrice Hodecent et Pixel Vengeur.

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Chronique BD. Shadow Life d’Hiromi Goto et Ann Xu ou la chronique d’une vieillesse presque ordinaire

Certaines couvertures suffisent à nous convaincre de l’importance du récit qui la suit, c’est le cas ici avec Shadow Life paru en janvier aux éditions Ankama et signé par une Japonaise et une Américaine, un album extraordinaire d’humanité qui nous raconte l’histoire d’une vieille femme asiatique confrontée à la vie et à la mort avec pour seule arme un aspirateur…

Je ne vous ferai pas le coup de l’écrire en caractères japonais mais Shadow Life est un chīsana hōseki, autrement dit un petit bijou, un petit bijou de sensibilité autant qu’une déclaration d’amour à nos ainés, les vieux. Oui les vieux et les vieilles comme Kumiko, 76 ans, qui malgré son souffle court et ses fuites urinaires a gardé une indépendance d’esprit intacte. C’est même devenu une obsession pour elle au point, un jour, de faire le tri dans ses souvenirs, d’en envoyer une bonne partie à la poubelle et de fuir sa maison de retraite pour emménager seule quelque part dans un appartement dont elle refuse de donner l’adresse à ses filles.

Ses filles sont bien évidemment folles d’inquiétude. Une attaque cardiaque, un malaise, une chute, sont si vite arrivés. Mais qu’importe, la vieille dame veut être libre de choisir sa vie. Elle parvient à se débrouiller seule jusqu’au jour où une tâche sombre apparaît sur son épaule et où l’ombre de la mort se met à planer au dessus d’elle. Un bon coup d’aspirateur devrait suffire à s’en débarrasser pense-t-elle. Mais on ne se débarrasse par de la mort aussi facilement…

© Ankama / Ann Xu & Hiromi Goto

S’il est vrai que depuis quelques temps, le troisième âge trouve de l’intérêt aux yeux des auteurs de BD, il est longtemps resté dans l’ombre des héros, occupant des rôles très secondaires.

Les Vieux fourneaux chez Dargaud, Le Plongeon chez Grand Angle, Ne m’oublie pas au Lombard ou encore Les Seignors chez Bamboo Éditions pour ne citer qu’eux changent la donne et la perception que nous pouvons avoir à la fois des personnes âgées et des héros de papier, parfois avec humour, plus souvent avec sérieux.

© Ankama / Ann Xu & Hiromi Goto

Avec Shadow Life, la scénariste japonaise Hiromi Goto a voulu nous parler de la vieillesse et de tout ce qui l’accompagne, la solitude, le fardeau des souvenirs, la maladie, la mort… mais Hiromi Goto aborde également, et c’est peut-être là le point fort de cet album, l’amour et la bisexualité. Car avant de se marier et d’avoir des enfants, Kumiko était amoureuse d’une femme avec qui elle vécut. Shadow Life raconte aussi cette histoire et les retrouvailles avec cet amour de jeunesse au crépuscule de sa vie.

© Ankama / Ann Xu & Hiromi Goto

Pour Hiromi Goto, qui a écrit de nombreuses histoires sur des femmes âgées asiatiques, il s’agissait ici de dépasser les clichés comme elle l’explique en postface :

« La représentation des femmes âgées en tant que figure captivante, héroïque, forte et complexe n’est pas chose courante dans la pop culture. Les médias mainstream les représentent souvent de manière clichée, contribuant à l’âgisme de notre société. J’ai vu plein de films sur des vieux bonshommes bougons, mais très peu sur des vieilles femmes. Pourriez-vous citer un film nord-américain grand public mettant en scène une héroïne âgée et queer, noire ou autochtone ? J’évoque ici le cinéma, car c’est la forme la plus visuelle qui soit. Et pour beaucoup d’entre nous, voir c’est croire ».

© Ankama / Ann Xu & Hiromi Goto

Si le scénario date d’une dizaine d’années, l’album a été finalisé pendant le confinement à un moment de souffrance générale et plus particulièrement pour la population âgée, donnant à l’album une intensité singulière.

« En ces temps incertains… », écrit Hiromi Goto, « nous avons besoin de lire des histoires qui nous font du bien. Qui mènent notre esprit et notre âme vers une sorte de sanctuaire. Qui nous transportent et nous offrent une parenthèse de joie, d’espoir, d’excitation et de réconfort. J’espère que Shadow Life sera l’une d’entre elles ».

Aucun doute, Shadow Life remplit parfaitement cette mission. L’album fait du bien, d’abord par son scénario à la fois beau et sensible, par son traitement réaliste avec des touches fantastiques, par son dessin fluide et élégant et enfin par ses personnages pour le moins attachants, notamment Kumiko avec sa bouille d’amour, une grand-mère comme on aimerait tous en avoir. Au fil des pages, on apprend à la découvrir, à comprendre sa façon de voir la vie et de combattre la mort… Un régal !

Éric Guillaud

Shadow life, d’Hiromi Goto et Ann Xu. Ankama. 22,90€

25 Fév

Chronique BD. Le Batman de Darwyn Cooke

Le 2 Mars prochain sort The Batman, nouvelle adaptation cinématographique du héros crée en 1939 par Bob Kane et Bill Finger. Un film pour lequel le réalisateur Matt Reeves n’a pas caché avoir été très influencé par le travail de Darwyn Cooke, dessinateur dont plusieurs œuvres clefs sont aujourd’hui opportunément réédités en français.

Le personnage de BATMAN a beau avoir été adapté de multiples fois à la télévision ou cinéma, chacune de ces transpositions a réussi à imprimer un peu sa marque bien spécifique, preuve de l’élasticité mais aussi de la profondeur du mythe. Depuis 1989, le héros de Gotham a d’ailleurs eu droit à huit films sur le grand écran, dont le fameux The Dark Knight réalisé en 2008 par Christopher Nolan, plus un spin-off très réussi sous la forme de joker, énorme succès critique et commercial en 2019 porté par la prestation habitée de Joachim Phoenix.

Réalisateur du plutôt malin Cloverfield en 2006, c’est au tour du réalisateur Matt Reeves de prendre cette fois-ci en main la saga, avec cette fois Robert Pattinson – oui, l’ex-héros de la sage pour ados Twilight qui a bien réussi depuis sa reconversion dans le cinéma ‘sérieux’ – dans le rôle de Bruce Wayne (ce qui ne pourra jamais être pire que les prestations de Val Kilmer ou Ben Affleck, même si c’est un autre débat). Or Reeves s’est révélé être un sérieux Batmanophile, admettant ouvertement avoir été influencé par l’univers graphique de certaines épisodes bien précis de la série.

Batman Ego © Urban Comics/DC Black Label – Darwyn Cooke

Même s’il cite sans trop surprise Frank Miller, dont le Dark Knigth Returns en 1986 avait à lui tout seul complètement refondé le mythe, il rend aussi hommage au travail de Darwyn Cooke, dessinateur encore trop méconnu en France, hélas décédé en 2016 à 53 ans et dont certains travaux clefs ressortent donc à l’occasion de la sortie du film.

Répartis sur plusieurs volumes, le meilleur du lot est sûrement Ego, du nom de la toute première histoire réalisée par Cooke autour du chevalier noir en 2000 et qui pose les bases du ‘style’ Cooke. Le plus intéressant chez lui est qu’il a d’abord commencé comme storyboarder sur la série animée Batman, d’où ce trait très dessin animé justement et faussement enfantin. Oui faussement car ce canadien a aussi travaillé avec Frank Miller justement, auprès duquel il a acquis un goût pour des personnages noirs et des héros qui ne le sont jamais complètement, cachant souvent une fracture.

C’est d’ailleurs le thème de cette première histoire où, après avoir assisté impuissant au suicide d’un associé du Joker, Bruce Wayne se retrouve à dialoguer en quelque sorte avec son alter-ego Batman (représenté ici par une espèce de forme inquiétante et carnassière) sur ses véritables motivations. Un dialogue intérieur toujours à deux doigts de la folie et où le dessinateur n’hésite pas à maltraiter son héros, appuyé par un fin trait crayonné, malgré tout à l’ancienne malgré ses rondeurs cartoonesques.

Catwoman Le Dernier braquage © Urban Comics/DC Black Label – Darwyn Cooke

Sur Catwoman – Le Dernier Braquage, Cooke se concentre exclusivement sur le personnage de Catwoman et s’amuse à la mettre en scène dans une aventure dénuée de tout super méchants ou super pouvoirs mais baignant au contraire dans une ambiance de film noir à l’ancienne, bourrée de faux-semblants et découpée comme un bon vieux roman de Dashiell Hamett. Plus sensuel, plus léger aussi, ça marche tout aussi bien, surtout que ce fan d’architecture des années 40 et 50 (cela se voit) a un petit côté rétro parfait pour le job.

Même s’il est trop tôt pour vraiment mesurer quel impact il a eu sur un film que nous n’avons pas encore vu, une belle occasion de (re)découvrir combien Batman a et continue d’inspirer des artistes aux talents très divers au milieu desquels Darwyn Cooke méritait largement sa place.

Olivier Badin

 Ego & Le Dernier Braquage de Darwyn Cooke. Urban Comics/DC Black Label. 16 & 23€

Batman Ego © Urban Comics/DC Black Label – Darwyn Cooke

22 Fév

Un Ennemi du peuple : une bande dessinée de Javi Rey adaptée de la pièce d’Henrik Ibsen

Et si notre régime démocratique n’était pas moins tyrannique qu’un régime autoritaire ? En d’autres termes, la majorité a-t-elle toujours raison ? Ce sont les questions auxquelles nous amènent à réfléchir Un Ennemi du peuple à travers l’histoire d’un lanceur d’alerte qui se retrouve seul contre tous dans un petit paradis thermal rongé par la corruption des hommes politiques et la manipulation de l’opinion publique…

Extrait de la couverture de l’album « Un Ennemi du peuple » de Javi Rey

Bienvenue à La Baleine heureuse, un paradis thermal au milieu de l’océan où passer des vacances de rêve. C’est ce que promet la brochure et le fait est que l’accueil des habitants est plutôt royal pour tous les touristes qui débarquent des paquebots. Des habitants avenants, un village pittoresque, des eaux thermales aux vertus thérapeutiques incroyables… Bref, un paradis, effectivement !

Sauf que… oui il y a toujours un « sauf que » ou un « mais » dans les plus belles histoires, sauf que le docteur du coin, Tomas Stockmann, reconnaissable à ses grosses lunettes et à sa fine moustache, a de sérieux doutes quant à la qualité des eaux qu’il fait discrètement analyser. Et effectivement, les résultats ne sont pas bons du tout, l’eau est contaminée par des microorganismes toxiques et des centaines, des milliers, de touristes et curistes se baignent dans ces eaux chaque jour. Un véritable scandale sanitaire prêt à exploser !

© Dupuis / Rey

Sauf que… oui il y a parfois plusieurs « sauf que » ou « mais » dans le meilleur des mondes, le fameux docteur n’est autre que le frère du maire et grand instigateur de ce paradis thermal, que celui-ci ne veut rien entendre… et reçoit bien évidemment le soutien des politiques, des financiers et de la population qui préfère continuer à profiter des bienfaits de cette eau tombée du ciel ou presque sans se poser de questions embarrassantes… De quoi faire du docteur le vilain petit canard de la communauté, un ennemi parfait, l’ennemi du peuple !

Jouée pour la première fois en 1883, il y a pratiquement 140 ans, la pièce du dramaturge norvégien Henrik Ibsen porte ici, avec cette très belle adaptation en bande dessinée de Javi Rey, un écho à nos préoccupations actuelles. Bien sûr, on ne parlait pas de lanceurs d’alerte à l’époque mais, on le sait, le monde a toujours été divisé en deux catégories, ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas. Dans ce récit, le docteur Stockmann n’a aucun pouvoir, le peuple non plus malgré une apparente démocratie.

© Dupuis / Rey

Pessimiste sur la nature humaine, ce récit illustre à merveille le mécanisme infernal dont usent les corrompus de ce monde pour discréditer leurs adversaires et manipuler la masse laborieuse.

Noire dans le fond, l’adaptation de Javi Rey est lumineuse dans la forme, offrant une esthétique selon l’auteur lui-même plus proche de l’âge d’or d’Hollywood, du rêve américain, que de la Norvège du XIXe siècle, avec un trait simplifié hérité de la ligne claire, des couleurs vives, une mise en scène qui est tout le contraire d’une histoire confinée, à huis-clos, comme peuvent l’être les pièces de théâtre.

© Dupuis / Rey

Sans connaître la pièce d’Henrik ibsen, un petit tour sur internet vous permettra de constater que l’adaptation de Javi Rey est assez proche de la pièce, même si bien évidemment l’auteur a souhaité moderniser l’ensemble par une autre approche esthétique on l’a vu, par un découpage plus rythmé, des décors extérieurs…

Un album incontournable de ce début d’année qui nous amène à réfléchir sur notre société, notre démocratie, notre liberté. Et ce n’est jamais inutile !

Eric Guillaud

Un ennemi du peuple, de Javi Rey d’après la pièce d’Henrik Ibsen. Dupuis. 23€

20 Fév

Don Bosco ami des jeunes : un chef d’œuvre de la bande dessinée franco-belge signé Jijé réédité dans sa version initiale

Loin de moi l’idée de faire ici du prosélytisme mais Don Bosco Ami des jeunes est une pièce maîtresse de la bande dessinée franco-belge, un album mythique signé par l’un des piliers de l’école de Marcinelle, un géant du dessin réaliste, Jijé. Cette nouvelle édition propose de (re)découvrir la première version de cette biographie en fac similé. Essentie! !

Quand on pense Jijé ou Joseph Gillain de son vrai nom, on pense immédiatement Jerry Spring, Tanguy et Laverdure, Jean Valhardi et bien entendu Spirou dont il reprit les aventures à Rob-Vel pendant l’occupation allemande.

Mais Jijé, issu d’une famille catholique, est aussi l’auteur de plusieurs biographies chrétiennes telles que Emmanuel, Blanc Casque, Bernadette, Charles de Foucauld et Don Bosco, un prêtre italien qui voua sa vie à l’éducation des enfants défavorisés, un chef d’œuvre du genre.

Dans le dossier qui accompagne cette réédition, on apprend que Don Bosco était une commande de l’éditeur pour « renforcer le moral (et la moralité) de ses jeunes lecteurs ». Nous sommes alors en pleine guerre. Pour réaliser cette biographie, Jijé changea de style graphique, optant pour le trait réaliste qu’on lui connut dès lors, grandement influencé par la gravure, trait qui ne fut pas étranger au succès de l’album, le premier best-seller des éditions Dupuis imprimé à plus de 150 000 exemplaires et ce malgré les restrictions de papier.

Comme Hergé qui après guerre redessina avec ses collaborateurs les premiers Tintin, Jijé redessina complètement Don Bosco en 1949 avec l’idée d’en proposer « une mouture plus moderne et dynamique ».

Cet album propose la version de 1941, un bel album au format à l’italienne, avec dos toilé marron et fourreau. Une pièce incontournable pour tous les amoureux de Jijé et accessoirement de Don Bosco.

Eric Guillaud

Don Bosco ami des jeunes, de Jijé. Dupuis. 36€

© Dupuis / Jijé

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