Oksun ne rêve que d’une chose : aller à l’école. Comme son petit frère. Mais la jeune Coréenne n’ira jamais. Pire encore, à 16 ans, elle sera vendue par ses parents à une famille de restaurateurs comme bonne à tout faire. C’est le début d’une descente aux enfers qui la conduira jusqu’en Chine où elle deviendra une « femme de réconfort » pour les soldats japonais…
Si le terme « femmes de réconfort » est encore aujourd’hui d’usage au sein de certaines organisations gouvernementales et associations sud-coréennes, « esclaves sexuelles » serait pourtant plus adapté à la situation et le plus répandu sur le plan international. L’auteure Keum Suk Gendry-Kim utilise quant à elle une très jolie métaphore pour les désigner, les mauvaises herbes, car, comme l’explique en postface l’historienne Sun Myungsuk, « tout comme elles, elles se redressent après que le vent les a fait plier ou malgré le fait qu’on les a piétinées ».
200 000. Elles furent environ 200 000 femmes, des Coréennes bien sûr, mais aussi des Taïwanaises, des Indonésiennes…, à s’être retrouvées esclaves sexuelles de l’armée japonaise dans les années 30 et 40, pendant la guerre sino-japonaise. Oksun Lee est l’une d’entre elles, une « mauvaise herbe » parmi tant d’autres.
Son histoire commence dans les années 30 du côté de Busan. Très jeune, Oksun aide ses parents. Son frère a la chance d’aller à l’école, elle, elle n’ira pas. La misère impose des choix ! Comme celui de la vendre un peu plus tard à un couple de restaurateurs, avec la promesse qu’elle aura à manger et peut-être même accédera à son rêve: l’école. Mais là non plus elle n’ira pas. Elle servira tout simplement de bonne à tout faire avant d’être à nouveau vendue pour travailler dans un bistrot. Mais durant l’été 1942, Oksun est enlevée et emmenée en Chine pour devenir une esclave sexuelle de l’armée japonaise.
Avec beaucoup de pudeur, les scènes violentes sont intelligemment suggérées, Keum Suk Gendry-Kim raconte les années d’horreur vécues par Oksun Lee. La mauvaise herbe s’est pliée, a été piétinée, mais a survécu et témoigne aujourd’hui de son tragique parcours. Et l’intérêt du livre de Keum Suk Gendry-Kim est de ne pas s’arrêter à cette période d’esclavage. Le témoignage d’Oksun va bien au-delà, relatant sa vie après, son mariage, et surtout son retour en Corée du Sud plus de 60 ans après, espérant retrouver ses proches et enfin le bonheur. Ce ne sera pas vraiment le cas ! Un récit très fort, parfois très noir mais aussi, parfois, éclairé à le lueur de l’espoir.
Eric Guillaud
Les Mauvaises herbes, de Keum Suk Gendry-Kim. Delcourt. 29,95€