05 Avr

Ceux qui brûlent de Nicolas Dehghani : un dangereux psychopathe, deux flics à la ramasse, trois bonnes raisons de savourer ce polar

Transfuge de l’animation et de l’illustration, Nicolas Dehghani signe sa première bande dessinée chez Sarbacane. Un savoureux polar de près de 200 pages qui nous embarque à New York dans le sillage de deux flics que leur hiérarchie aurait préféré mettre au placard…

La journée commence mal, très mal, pour Alex. Son collègue de flic Pouilloux vient de lui envoyer un SMS pour lui rappeler qu’ils font désormais équipe. Et ça fait pas mal rire au bureau…

« Ha Ha !  Vous allez cartonner tous les deux ! On dirait que t’as enfin trouvé l’homme de ta vie! »

Il faut dire qu’entre notre Alex, en burn out total depuis qu’elle a eu un accident avec un scooter parce qu’elle lisait son – mauvais – horoscope du jour en conduisant, et Pouilloux qui n’a jamais été une flèche, les criminels de tous poils peuvent avoir l’esprit tranquille. Enfin, c’est ce qu’on pouvait imaginer.

Mais à deux c’est mieux ! Et nos deux larrons envoyés sur une sordide affaire d’attaque à l’acide vont tout faire pour démasquer le cinglé quitte à franchir quelque peu les lignes de la légalité. Cette affaire, espèrent-ils, doit leur permettre de retrouver un peu de crédibilité auprès de leurs collègues… ou de la perdre à jamais.

Formé au cinéma d’animation à l’école des Gobelins, illustrateur pour L’Obs, Les Echos ou encore XXI, Nicolas Dehghani signe ici un premier album enthousiasmant avec un trait singulier, des dialogues percutants, des personnages un brin décalés et une atmosphère générale qui oscille entre l’humour et le thriller. Un beau livre au dos toilé forcément noir.

Eric Guillaud

Ceux qui brûlent, de Nicolas Dehghani. Sarbacane. 24,50€ (en librairie le 7 avril)

© Sarbacane – Dehghani

03 Avr

Lisa et Mohamed : retour sur la tragédie des harkis avec Julien Frey et Mayalen Goust

Presque 60 ans après la guerre d’Algérie, le sujet des harkis est toujours aussi sensible pour ne pas dire tabou des deux côtés de la Méditerranée. Abandonnés de tous, beaucoup de ces supplétifs de l’armée française ont rejoint la France à l’indépendance pour tenter de vivre ou plus exactement de survivre. Sans billet de retour ! Cet album raconte l’histoire de Mohamed, l’un de ces nombreux harkis que l’histoire aurait voulu oublier…

Mohamed vit seul dans son appartement avec ses souvenirs et ses rancoeurs. Depuis quelques temps, il ne range plus rien, ne sort plus. Son fils ne parvient plus à le raisonner. Il décide de sous-louer une chambre de cet appartement aujourd’hui trop rand à Lisa, une jeune étudiante justement à la recherche d’un logement.

« Mon père n’a pas besoin d’une infirmière. Il faudrait juste être là, dîner avec lui de temps en temps. Et me prévenir en cas de… problème »

Lisa accepte. Entre les deux, on ne peut pas dire que c’est l’amour fou au début. C’est même plutôt glacial. Jusqu’à ce que Lisa découvre, à la faveur d’enregistrements retrouvés dans sa chambre, le passé du vieil homme. Un harki.

« Pourquoi vous avez choisi de vous battre pour la France ? »

La question est directe mais elle a le mérite de briser la glace. Mohamed qui gardait le silence depuis de trop nombreuses années finit par raconter son histoire à Lisa, sa jeunesse au village, les premières confrontations avec les atrocités de la guerre, l’impôt révolutionnaire exigé par le FLN, son entrée dans une Harka, une unité de supplétifs, ses années en France, le déracinement, la douleur, la haine des autres, ceux qui ont choisi le « bon camp » et l’amour pour sa femme décédée, pour ses cousins qui ont suivi un autre chemin.

« J’ai travaillé pour les Français, je me suis pas battu pour la France. C’est différent. »

© Futuropolis / Frey & Goust

Après L’œil du STO qui nous plongeait dans le Paris occupé de la deuxième guerre mondiale, Julien Frey aborde ici une autre période sombre de notre histoire, la guerre d’Algérie, et ce drame des harkis, rejetés par les Algériens, méprisés par les Français. Avec beaucoup d’humanité dans le propos et de délicatesse dans le trait, cet album nous offre un de ces témoignages essentiels pour la mémoire collective avec une rencontre, entre deux générations, deux êtres qui n’ont pas grand chose en commun et apprennent à se connaître, à s’apprécier, à s’accepter. Des personnages attachants, un récit touchant !

Eric Guillaud

Lisa et Mohamed, de Julien Frey et Mayalen Goust. Futuropolis. 20€ (en librairie le 7 avril)

01 Avr

La fortune des Winczlav de Berthet et Van Hamme: il y a du Largo dans l’air !

Et pas que dans l’air ! En décrochant de ThorgalXIII ou encore de la série Largo Winch, on pouvait légitimement penser que le scénariste Jean Van Hamme allait s’occuper à savourer une retraite largement méritée. C’était mal connaître le bonhomme. Le revoici avec le premier volet de La fortune des Winczlav, un prequel qui lui permet de revenir sur les origines du héros milliardaire…

S’il avait à prouver qu’il est toujours dans le coup, alors il l’a fait avec ce nouvel album paru aux éditions Dupuis. Mais bon, franchement, Jean Van Hamme n’a plus grand chose à prouver à qui que soit. Son nom a fait plusieurs fois le tour de la planète BD avec de sérieux best-sellers, Largo Winch en tête, mais aussi XIII, Thorgal, Wayne Shelton, Lady S, Les Maîtres de l’Orge ou encore SOS Bonheur. 

Et s’il s’est retiré de ses principales séries, confiant au passage ses personnages de papier à d’autres scénaristes, c’est pour se libérer du temps. Pour la pêche ? Non, du temps pour lancer des projets qui lui tiennent particulièrement à coeur. Comme celui-ci. Tout est dans le titre, La fortune des Winczlav, et sur le sticker rouge stipulant « Aux origines de l’empire Largo Winch ».

© Dupuis / Van Hamme & Berthet

Mais ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas là d’une nouvelle aventure de notre milliardaire en blue jeans. D’ailleurs vous ne l’apercevrez pas dans les 56 pages de l’album. Ou seulement, à en croire les auteurs, à la toute fin des trois volets prévus, un Largo âgé de deux ans. Vous n’apercevrez pas non plus, à une ou deux exceptions près, les autres personnages de la série. Pour ce projet, Jean Van Hamme a développé une toute petite partie du premier roman de Largo Winch paru dans les années 70, quelque part entre les pages 12 et 18 a-t-il confié au magazine dBD dans une interview que je vous conseille vivement (dBD avril 2021).

Tout commence au Monténégro en 1848. le jeune médecin Vanko Winczlav doit fuir son pays après avoir soutenu une insurrection paysanne contre la tyrannie du prince-évêque. Direction l’Amérique où il se marie et trouve un job d’infirmier avant de se retrouver en prison pour exercice illégal de la médecine, son diplôme n’étant pas reconnu de l’autre côté de l’Atlantique.

Parler de Largo sans Largo, on aurait pu imaginer l’exercice un peu casse-gueule. Mais non, car au scénariste Jean Van Hamme est venu s’associer un autre grand nom de la bande dessinée, Berthet et son trait clair et réaliste qui nous laisse toujours sans voix.

Résultat : un album loin de faire pale figure dans nos bibliothèques, à ranger aux côtés de la série aux 12 millions d’exemplaires vendus et dont Giacometti et Francq poursuivent brillamment les aventures. À suivre…

Eric Guillaud

Vanko 1848, La Fortune des Winczlav tome 1/3, de Van Hamme et Berthet. Dupuis. 15,95€

© Dupuis / Van Hamme & Berthet

29 Mar

Undiscovered Country, une vision cauchemardesque de la patrie de l’Oncle Sam post-pandémie

Ils sont juste quelques-uns comme ça, à pouvoir déclencher un projet d’envergure sur leur seul nom. Oui, bien qu’âgé de ‘seulement’ 44 ans, Scott Snyder fait partie de ces scénaristes qui comptent comme on dit : American Vampire, The Swamp Thing ou encore Batman… Cet américain, capable à chaque fois d’imprimer sa patte sans pour autant dénaturer son sujet, s’attaque cette fois-ci au récit post-apocalyptique avec le premier tome d’une série qui s’annonce épique.

Le dernier bébé de Snyder Undiscovered Country est ce que l’on pourrait appeler un blockbuster qui ne se cache pas. Avec son aspect choral, ses quatre autres tomes déjà annoncés et surtout son histoire épique dont on ne fait que deviner les multiples embranchements à la fin de ce premier volume, on n’est même pas étonné d’apprendre que les droits pour le cinéma en ont déjà été vendus, tant ce récit apocalyptique multiplie les superlatifs. Après, ce qui frappe peut-être le plus ici, c’est son caractère involontairement… Prophétique, comme un reflet ultra-pessimiste de ce que notre monde post-COVID pourrait devenir.

Dans un monde ravagé par un mystérieux virus ultra-virulent mortel à 80% du nom d’azur et réduit à deux blocs (l’Europe fusionnée à l’Afrique face à l’Asie), les Etats-Unis sont devenus une forteresse inviolable. Une sorte de prison à ciel ouvert fermée au reste du monde depuis trente ans et dont on ne sait plus rien. Mais lorsqu’un message envoyé de l’intérieur promet un antidote au mal qui terrasse notre planète, un groupe hétéroclite de sept personnages (une journaliste, un docteur, un militaire etc.) aux motivations diverses y est envoyé. Mais ce qu’ils découvrent une fois l’impressionnante enceinte qui jusqu’à maintenant protégeait le continent des regards extérieurs ne correspond pas du tout à ce qu’ils attendaient…

Bien que les références sont multiples et presque toutes cinématographiques (La Planète des Singes, Mad Max, New York 1997 etc.), Snyder et ses compères, dont le coscénariste Charles Soule et le dessinateur Giuseppe Camuncoli, réussissent pourtant à imposer leur vision, bien aidés il est vrai par le travail très pop et vivifiant sur les couleurs. Connu pour être assez bavard, quitte à en faire un peu trop, Snyder fait bien attention à poser son monde ici, faisant bien attention à donner à chaque personnage un background et une raison de vivre propre. Une mise en bouche parfois un peu indigeste mais nécessaire, tant l’univers est riche. Et puis clairement, cela permet de rendre le chemin plus clair pour les (nombreuses) suites à venir. Surtout que le décor est, lui, assez ébouriffant, un pays-continent constellé de ruines et désormais peuplé par des créatures fantasmagoriques. En filigrane, on devine aussi assez facilement un second niveau de lecture, plus politique lui, sur la place de minorités, le repli identitaire ou encore ce qui fait une nation.

Assez touffu, trop parfois, partagé entre blockbuster qui s’assume et œuvre plus personnelle et politique, ce premier volume porte en tous cas de nombreuses promesses, quitte à provoquer une petite frustration que seule la sortie de sa suite pourra calmer. 

Olivier Badin

Undiscovered Country de Scott Snyder, Charles Soule & Giuseppe Camuncoli. Delcourt. 17,50€

27 Mar

Lorraine Coeur d’Acier de Vincent Bailly et Tristan Thil: les ondes au service de la lutte ouvrière

Dans les pas d’un Baru, qui signe d’ailleurs une postface dessinée au livre, Vincent Bailly et Tristan Thil rendent hommage au peuple lorrain en racontant à travers l’histoire d’une radio pirate l’une des dernières grandes luttes ouvrières…

Ce n’est pas la fête chez Camille. Comme dans tous les foyers de Longwy. Et il y a de quoi. Nous sommes en 1979, le plan Davignon qui prétend assurer la restructuration industrielle du secteur sidérurgique prévoit 22 0000 suppressions d’emplois. Certains parlent d’un plan de sauvetage, les ouvriers parlent d’un démantèlement en règle.

Une chose est certaine, tout ça ne sent pas très bon. Alors chez Camille comme ailleurs, il y a de la tension dans l’air. Son père, immigré polonais, sidérurgiste et délégué CGT, a d’ailleurs transformé la maison en QG syndical. Chacun s’organise, manifs, blocages, séquestrations… la lutte risque d’être longue et rude.

© Futuropolis / Bailly & Thil

A 18 ans, Camille aurait pu se sentir extérieur à tout ça, lui qui aspire à une autre vie que celle offerte par l’usine, mais il s’implique dans le mouvement, comme photographe. Et puis il y a cette radio pirate lancée par la CGT avec deux journalistes professionnels, Marcel Trillat et Jacques Dupont. Une radio pirate comme il en a existé quelques-unes dans les années 70. Celle-ci s’appelle Lorraine Coeur d’acier et a un objectif : libérer la parole des ouvriers et au-delà celle de toute une population.

© Futuropolis / Bailly & Thil

Pendant pratiquement deux ans, Lorraine Coeur d’Acier accompagne la lutte, couvre les manifs, provoque le débat, accueille des personnalités telles que Georges Marchais, Daniel Cohn-Bendit, Alain Krivine ou Françoise Giroud, réunit des hommes, mais aussi des femmes bien décidées à faire entendre leur voix dans ce monde ouvrier très masculin. Et ce au nez et à la barbe de l’état qui tenta à plusieurs reprises de brouiller les ondes. À cette époque, faut-il le rappeler, la radio comme la télévision sont encore sous monopole et tutelle de l’état.

L’une des dernières grandes luttes ouvrières d’un côté, l’une des premières radios libres de l’autre, Vincent Bailly et Tristan Thil illustrent avec brio le passage d’un monde à l’autre avec un graphisme brut, sans artifice, des planches qui laissent transparaître la violence de la situation. Une très belle fiction au coeur de l’histoire sociale de notre pays.

Eric Guillaud

Lorraine Coeur d’Acier, de Vincent Bailly et Tristan Thil. Futuropolis. 17€ (disponible en librairie le 7 avril)

19 Mar

L’histoire du dernier homme de Fukushima racontée par Fabien Grolleau et Ewen Blain

Il y a des images qui nous marquent à vie, celles de la catastrophe de Fukushima en font partie. Mais derrière ces images aussi fortes soient-elles, il y a des hommes et des femmes, des vies bouelversées. Les ex-Nantais Fabien Grolleau et Ewen Blain nous racontent ici celle de Naoto…

Les cerisiers étaient en fleurs, la campagne était belle, rien ne pouvait laisser présager ce qui allait se passer ce 11 mars 2011 sur la côte nord-est du Japon et notamment à Fukushima.

La suite ici

15 Mar

Brève de bulles. Je suis rousse, et alors…

Les plus vieux d’entre nous se souviendront certainement de cette publicité pour une marque de bière, des blondes partout dans un pub et soudain une brune qui débarque et affiche sa différence avec fierté. De quoi bousculer les certitudes…

Non non, je n’ai pas bu une pinte de trop, tout ça pour vous dire que l’album de la Bretonne Charlotte Mevel agit un peu de la même façon, remettant en cause les croyances les plus anciennes et les plus infondées, les plus stupides aussi, sur la rousseur dans un récit introspectif – Charlotte est elle-même rousse – mais aussi poétique, humoristique et historique. 112 pages pour enfin assumer la rousseur… ou l’envier ! EG

La Rousseur… pointée du doigt, de Charlotte Mevel. Delcourt. 14,50€

14 Mar

Les trésors de Marvel ou comment exploiter au mieux son trésor de guerre ?

Comme DC COMICS avec sa dernière série en date BATMAN ARKHAM, on sent bien que cela turbine sévère du côté des cellules grises de la maison MARVEL pour faire vivre leurs archives à coups de collections au concept plus ou moins légitimes. Là, pour Les Trésors de Marvel, l’idée est de réunir tous les deux mois dans un petit volume de 160 pages vendu à prix très abordable des histoires disparates dont le point commun est leur année de parution.

Sauf que le tout tient presque de la gageure, tant l’univers MARVEL est varié. Au point qu’il est difficile – voire impossible – dans certains cas de choisir une poignée d’épisodes capables de le représenter de façon juste à un instant t. Après, le choix de ce premier tome est intéressant car l’année 1982 est justement une année charnière, celle où la Maison des Idées telle qu’on l’a toujours surnommée était clairement en déclin, plus si courtisée qu’avant car emprisonnée dans des schémas scénaristiques un peu vieillot qui n’avaient pas vraiment changé depuis le milieu des années 60.

Justement, tout l’intérêt du présent volume est de faire la liaison entre l’ancien et le nouveau. Soit sept histoires tirées soit de séries qui étaient alors toujours coincées dans une certaine rengaine du ‘super-méchant-arrive-détruit-tout-New-York-super-héros-arrive-et-arrête-super-méchant-après-une-bataille-épique’, soit animées d’une envie d’entrer dans l’âge adulte tout en foutant un sacré coup de pied dans la fourmilière. Et ici, le leader révolutionnaire qui allait mettre le feu a un nom : Frank Miller.

© Marvel/Panini Comics

Oui, certains l’ont peut-être oublié mais le futur créateur de Sin City et de Batman : Dark Night a fait ses armes chez MARVEL. Lorsqu’il reprend Daredevil en 1979, c’est alors quasiment un inconnu  à qui on confit un titre en perte de vitesse. Il en fera la matrice de toute son œuvre à venir, ultra-réaliste et violente, presque plus sur le plan psychologique que graphique, tout en développant son sens du cadrage, urbain et moderne à la fois. L’épisode choisi ici (Dernière Carte) est l’une des clefs de voûte de son œuvre : devenu aussi scénariste, en plus de tuer l’un de ses personnages, il se permet de tout centrer ici sur le tueur-à-gages psychotique Bullseye, reléguant le super-héros aveugle au second plan. Le résultat est d’une noirceur absolue et reste, encore aujourd’hui, un chef d’œuvre qui tranche nettement avec les autres productions de l’époque, comme le prouvent malgré eux les deux épisodes de Spider-Man choisis pour œuvre ce volume, terriblement prévisibles en comparaison.

© Marvel/Panini Comics

Même s’il est un chouia moins radical dans ses choix artistiques (c’est Chris Claremont, le taulier des X-Men alors, qui se charge du scénario ici), ce n’est pas pour rien non plus qu’on retrouve Miller aussi à la manœuvre derrière le premier épisode de Wolverine, également inclus ici. Et attendez, ce n’est pas fini avec aussi au générique Alex Ross pour la couverture et, entre autres, le canadien John Byrne, alors sur le point d’entamer un run historique à la tête des Quatre Fantastiques. Ça c’est du casting !

Après, difficile de savoir quel type de lecteur est ciblé ici. Le fan pur et dur possède sûrement déjà la majorité de son contenu alors que le novice, lui, hésitera peut-être à se plonger ainsi dans des histoires isolées de leurs séries respectives. Mais bon, à ce prix-là et rien que pour Dernière Carte si vous ne l’avez jamais lu, c’est plus que tentant…

Olivier Badin 

Les Trésors de Marvel – Volume 1 : 1982, collectif. Marvel/Panini Comics. 7 €

Partir un jour : une aventure intérieure et presque autobiographique de Manu Boisteau

Emprunté à une chanson des 2Be3, fameux boys band français des années 90, Partir un jour raconte la crise existentielle d’un quadra parisien qui va larguer son boulot et négliger sa dulcinée pour entrer en littérature comme d’autres entreraient en religion… sans retour !

Rien de neuf sous le soleil vous allez me dire ? Ah mais si, justement, la différence se joue toujours dans la manière de raconter. Et même si les histoires de quadras en crise de milieu de vie voulant tout plaquer pour écrire un bouquin de leur non-vie sont légion dans la bande dessinée comme au cinéma ou en littérature, Manu Boisteau fait mouche avec cet album qui commencera par réjouir tous les écolos du monde avec sa couverture 100% recyclé.

Mais on s’arrête là avec les considérations écologiques, Partir un jour ne traite pas du réchauffement climatique, pas plus de la sauvegarde de la biodiversité, non, Manu Boisteau y traite de l’intime, des doutes existentiels, d’un homme qui pourrait être lui, qui est forcément lui quelque part, un quadra lambda parisien middle class « qui vient de renoncer à 15 ans d’ancienneté sur un coup de tête pour apporter son inestimable contribution aux lettres françaises ». Dit comme ça, on pourrait prendre le personnage principal de ce récit pour un homme sûr de lui mais c’est tout le contraire. D’ailleurs, il ne parvient pas à écrire un mot de son livre. Et sa démission, le départ de sa dulcinée, ses visites hebdomadaires chez le psy, son coup de foudre pour une éditrice n’y changent rien. Les mots ne viennent pas.

© Casterman / Boisteau

Et pour écrire quoi de toute façon ? De ce côté-là, notre personnage en a une idée très précise et en même temps assez modeste : « le parcours initiatique d’un apprenti écrivain dépressif (…) à travers un atlas émotionnel onirique et anxiogène (…) mais attention sans pathos ! Constructif, optimiste ! Et surtout pas chiant… Drôle ! ». Bref, le livre que tout le monde attend !

Une chose est sûre, l’album de Manu Boisteau n’a absolument rien de chiant. « Mon ambition… », souligne l’auteur, « ‘était avant tout d’en faire un récit drôle. L’humour est le moyen d’expression avec lequel je suis le plus à l’aise. Rien de plus déprimant qu’un sujet grave traité avec gravité. J’avais envie de faire rire, mais je voulais aussi transmettre une expérience vécue et, pourquoi pas, aider les lecteurs dont le parcours entrerait en résonance avec le mien ».

© Casterman / Boisteau

Plus qu’une autobiographie, Partir un jour est une autofiction, un récit « imprégné » de ce que l’auteur a vécu et en même temps complètement romancé, un récit qui nous embarque donc dans une longue introspection, une aventure intérieure confrontée à la dure réalité de la vie, le tout avec un dessin beaucoup plus rond, plus doux, que dans les albums précédents de l’auteur et des planches dénuées de cases. Forcément, ça cause, beaucoup, ça doute, énormément, et ça nous interroge, à la folie, sur la vie, notre vie, les priorités, l’amour, l’argent, le sexe, la liberté… Universel !

Eric Guillaud

Partir un jour, de Manu Boisteau. Casterman. 21€ (en librairie le 24 mars) 

13 Mar

Envie de prendre le large ? Une sélection de BD SF pour rêver… ou pas !

Monter dans la première navette, changer de planète, fuir cette fichue pandémie, combien sommes-nous à en rêver ? Mais l’ailleurs n’est pas toujours meilleur, la preuve…

On commence avec une nouvelle série réalisée par les auteurs de Centaurus, un nouveau cycle plus exactement baptisé Europa du nom de la lune glacée de Jupiter. Là-bas, une mission scientifique est venue se poser pour étudier son sol et surtout son sous-sol qui abriterait un océan interne (véridique!) dans lequel la science place de grands  espoirs. Mais cette mission ne répond plus. Un silence radio inquiétant, d’autant qu’une première mission avait été victime d’un terrible accident. Une nouvelle expédition est organisée en urgence avec pour pilote de navette la jeune et réputée peu sociable Suzanne Saint-Loup et pour commandant Paul Douglas, alcoolique assumé. Un bon scénario, un dessin réaliste efficace, des personnages aux caractères trempés, du mystère à toutes les pages… Que du bon ! (Europa, de Léo, Rodolphe et Janjetov. Delcourt. 12€)

Blade Runner est de retour, version 2019, une séquelle « officielle » au film de Ridley Scott, lui-même adapté du roman de Philip K. Dick Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? avec notamment aux manettes Michael Green qui a été co-scénariste sur le film Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. L’action se situe toujours à Los Angeles mais le fameux chasseur de réplicants Rick Deckard (joué par Harrison Ford) a laissé place à Aahna Ashina, Ash pour les intimes, l’une des premières Blade Runners… Dystopique à souhait ! (Blade Runner 2019, tome 2, de Green, Johnson et Guinaldo. Delcourt. 15,50€)

Colonisation nous embarque dans un futur où l’homme a dû quitter la Terre surpeuplée pour coloniser d’autres planètes. Un exode de masse à bord d’une multitude de vaisseaux spatiaux dont certains se sont perdus dans l’immensité de l’espace et sont sujets à des pillages. Retrouver ces vaisseaux, c’est précisément la mission de Milla Aygon et de son équipe, une mission dangereuse qui les entraîne dans des recoins inhospitaliers de l’univers. Dans ce cinquième volet, l’escouade de Milla rejoint la mystérieuse unité Shadow chargée d’enquêter sur un éventuel complot interne, des membres de l’Agence seraient complices des Atils dans l’échec des colonisations. Un scénario captivant, une mise en images époustouflante, toute en finesse et dynamisme, une très bonne série !  (Sédition, Colonisation tome 5, de Filippi et Cucca. Glénat.13,90€)

Suite et fin de la série Terence Trolley avec ce deuxième album paru en janvier. On y retrouve bien évidemment notre héros-titre toujours en guerre contre le laboratoire Panaklay qui a développé un programme ultra-secret testant sur des enfants cobayes les futures mutations génétiques liées au réchauffement climatique. Et justement, deux de ces cobayes aux super pouvoirs, un garçon capable de s’introduire dans la pensée des autres et une fille capable de contrôler la végétation, ont été récupérés par Terence qui fait tout pour les protéger. Mais le laboratoire n’a pas dit son dernier mot… Scénario et dessin dynamiques. (Terence Trolley, Tome 2, de Sege Le Tendre et Patrick Boutin Gagné. Drakoo. 14,50€)

Inutile de présenter Didier Tarquin. Le dessinateur de l’une des séries phares de l’heroic fantasy en BD, Lanfeust de Troy revient en auteur complet cette fois sur une aventure de SF dont le premier volet est sorti au début de l’année 2019 et le dernier en janvier 2021. Trois tomes en deux ans, un affaire rondement menée et au bout du compte une très belle série. U.C.C. Dolores, c’est son nom, a tout du western intergalactique et peut-être déjà tout d’un classique du genre. « Quand on parle de western en bande dessinée… », explique l’auteur, « il y a une oeuvre qui vient immédiatement à l’esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J’avais envie de retrouver ça, de faire quelques chose de très classique – de néo-classique, disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c’était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part ».  Inutile de vous dire que le résultat est graphiquement sublime. Quand à l’histoire, celle d’une orpheline élevée dans un couvent qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un croiseur de guerre baptisé U.C.C. Dolores, on ne peut être que conquis. (U.C.C. Dolores, tome 3, de Didier Tarquin et Lyse Tarquin. Glénat. 14,95€)

Ce qui saute aux yeux de prime abord, ce sont les couleurs, des aplats aux tons pastel au milieu d’une nature luxuriante, bienvenue sur la planète Alta ! C’est là que Geoffroy Monde déroule son histoire, celle d’un peuple confronté à la colère de la nature, une colère qui prend les traits de cyclopes géants. À chaque fois, c’est le même scénario, les cyclopes attaquent, les humains répliquent, les tuent, mais ils sont systématiquement ressuscités par les Augures parce qu’ils feraient partie intégrante de l’équilibre écologique de la planète. Et les attaques sont de plus en plus violentes et dévastatrices… Après toute une série de récits humoristiques, le Lyonnais Geoffroy Monde se frotte à la science-fiction avec bonheur, mettant en place un univers surprenant et passionnant. Les planches sont magnifiques, la palette de couleurs est subtile, le scénario, habile, et même audacieux… et la question écologique omniprésente mais jamais plombante. Une très belle série qui s’achève avec ce troisième tome de 88 pages… (Poussière tome 3, de Geoffroy Monde. Delcourt. 17,95€)

On termine avec le troisième et dernier volet de l’excellente série On Mars publiée par le non moins excellent éditeur Daniel Maghen. On vous avait déjà dit ici tout le bien qu’on en pensait à l’occasion de la sortie du premier volet, la suite est du même très bon niveau, un scénario simple et carré accessible à tous, un graphisme de toute beauté et une histoire qui nous embarque sur la planète Mars où les hommes ont décidé de jeter leur dévolu après avoir bien rincer la Terre. Et pour ce faire, pour créer les cités dômes qui doivent accueillir les colons, la main d’oeuvre est toute trouvée : les repris de justice. Mais bien sûr, tout ne se passe pas comme prévu, les prisonniers se révoltent, un espèce de gourou profite du tumulte ambiant pour enrôler à tour de bras dans sa secte, les services de sécurité martiens sont sans pitié… La planète Mars survivra-t-elle à cette folie des hommes ? Réponse dans cet album.  (On Mars, tome 3, de Grun et Runberg. Daniel Maghen. 16€)

Eric Guillaud