01 Avr

Le Convoi, une histoire de la guerre d’Espagne signée Torrents et Lapière

Montpellier, un jour de novembre 1975. Angelita reçoit un appel de son beau père. Sa mère a fait une crise cardiaque et est hospitalisée à Barcelone. Alors que tout le monde la croyait en Auvergne ! Pourquoi Barcelone, elle qui s’était jurée de ne plus mettre les pieds en Espagne tant que Franco serait vivant. Mystère. Angelita est une fille de réfugiés espagnols arrivée en France en 1939. Sa mère et elle ont depuis refait leur vie, son père est mort en déportation, du moins le pensait-elle jusqu’à ce jour…

Inspiré par des faits réels dont certains auraient touché la famille du dessinateur Eduard Torrents, Le Convoi nous plonge au coeur des années noires, depuis la guerre civile espagnole jusqu’à la Seconde guerre mondiale en passant par ce qu’on appelle la « retirada », l’exode de 500 000 républicains espagnols vers le territoire français à compter de décembre 1938, des réfugiés entassés dans des camps souvent improvisés avant pour certains d’être déportés dans les camps de concentration nazis. Dans ce contexte fort et douloureux, Eduard Torrents et Denis Lapière développent une très belle histoire de famille en deux volumes. EGuillaud

Le Convoi (2 tomes), de Torrents et Lapière. Editions Dupuis. 15,50 euros le volume

27 Mar

75 ans de Spirou : la fête continue avec la parution de l’album de Nicoby et Joub, « Dans l’atelier de Fournier »

L’année groom se poursuit ! Après la publication de la 53e aventure de Spirou et Fantasio, du premier volet de La Véritable histoire de Spirou et de Spirou par Rob-Vel, voici Dans l’atelier de Fournier, un album qui explore le parcours artistique de Jean-Claude Fournier. Mais qui est ce Jean-Claude Fournier ne manqueront pas de s’interroger les plus jeunes d’entre-vous ? Un Breton ! Et surtout l’un des 22 auteurs ayant travaillé sur les aventures de Spirou et Fantasio. Dans l’ordre chronologique, Jean-Claude Fournier arrive juste après Franquin et avant Nic et Broca. Nous sommes dans les années 70, l’auteur apporte sa griffe à la série avec des récits teintés d’écologie, de fantastique et de poésie… A cette époque, son personnage de L’Ankou devient même l’emblème de la lutte contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff. Mais Jean-Claude Fournier, c’est aussi Bizu, Les Crannibales et plus récemment Les Chevaux du vent.

Réalisé sous la forme d’une rencontre en bande dessinée, Dans l’atelier de Fournier dresse le portrait de cet homme avec beaucoup d’humour et quantité de documents à l’appui, des documents d’archives souvent inédits, des planches, des croquis, intégrés dans le récit lui-même ou réunis en fin d’album. Aux manettes, les deux Bretons Joub (Geronimo, Max et Zoé…) et Nicoby (20 ans ferme, Excursion coréenne…) ont visiblement pris un plaisir immense à réaliser ce travail qui mine de rien nous permet de redécouvrir un auteur talentueux et humain passé par des hauts et des bas, la gloire et la déprime, mais qui a su se renouveler et nous surprendre encore récemment. Et dire que le grand Franquin lui avait déconseillé de reprendre les aventures de Spirou et Fantasio… Passionnant ! EGuillaud

Dans l’atelier de Fournier, de Joub et Nicoby. Editions Dupuis. 24 euros

26 Mar

Interview des auteurs de la BD documentaire « Plogoff » parue chez Delcourt : Delphine Le Lay et Alexis Horellou

Plogoff, c’est l’histoire d’un projet de centrale nucléaire, c’est aussi et surtout l’histoire d’un combat acharné mené par une belle poignée d’irréductibles gaulois contre le rouleau compresseur de l’Etat. Une histoire qui finit bien pour les irréductibles, un peu moins pour les pro-nucléaires. Une histoire qui nous en rappelle une autre, beaucoup plus proche de nous dans l’espace géographique et l’espace temps : le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Les auteurs, Delphine Le Lay et Alexis Horellou, aujourd’hui installés dans le petit village de Niafles en Mayenne, ont accepté de répondre à nos questions…

La suite ici…

24 Mar

Après-guerre, le nouveau récit de Warnauts et Raives au Lombard

1947, un petit village des Ardennes belges. La guerre a beau être terminée depuis deux ans maintenant, la vie quotidienne de chacun est encore profondément marquée par celle-ci. Le marché noir est un sport national, la débrouille une obligation, les ruines dans les grandes villes d’Europe une réalité, les tensions est-ouest une nouvelle donne. C’est dans ce contexte que Thomas, jeune bourlingueur, apprend que sa compagne, son amour, l’Espagnole Assunta, est enfermée dans un camp russe, de l’autre côté de ce que Winston Churchill appelle dès 1946 le rideau de fer. Dès lors, Thomas n’aura de cesse de tout mettre en oeuvre pour l’exfiltrer…

Après Les Temps nouveaux qui débutait à la fin des années 30 avec l’explosion du Rexisme (mouvement d’extrême droite belge), Warnauts et Raives poursuivent leur récit avec un nouveau diptyque qui nous plonge cette fois dans le contexte de l’après-guerre et du début de la guerre froide. On retrouve bien évidemment les personnages principaux, le frère rexiste de Thomas en moins, tué dans un guet-apens. Car c’est ça aussi la touche Warnauts-Raives : partir d’un contexte historique fort pour raconter les petites histoires du commun des mortels, des morceaux de vie, de survie, d’amour, de passion et de déchirements. Graphiquement, comme toujours,  le trait réaliste et les couleurs directes, fruits d’un travail à quatre mains, font immédiatement sensation. Une chronique subtile et documentée.  EGuillaud

Après-guerre, de Warnauts et Raives. Editions Le Lombard. 14,99 euros

20 Mar

Death Mountains, de Daniel Brecht et Christophe Bec chez Casterman : un épisode tragique de la conquête de l’Ouest

C’est l’un des épisodes les plus tragiques et les plus macabres de la conquête de l’Ouest que nous racontent Daniel Brecht et Christophe Bec dans ce dytique intitulé Death Mountains. Un épisode que tous les Américains connaissent encore aujourd’hui sous le nom de la Donner party, l’expédition Donner. A l’origine, il y a ce rêve pour nombre d’Américains à l’époque de rejoindre les rivages du pacifique. Le rêve américain dans toute sa splendeur. La Californie. Le cauchemar aussi ! Nous sommes en juin 1846 du côté de Fort Laramie. Les pluies du printemps ont transformé la terre en un  immense bourbier dans lequel s’enfoncent les roues des chariots. Malgré tout, malgré la pluie, malgré le danger, les dangers, un groupe de 87 personnes décide de partir à la conquête de l’Ouest. Des centaines de miles à parcourir sur des chemins incertains, trois chaînes montagneuses et des déserts à traverser… l’expédition tente un raccourci et l’histoire tourne à la tragédie !

Pour raconter cette expédition, les auteurs ont opté pour un flash back et eu recours à une narratrice, Mary Graves dite Mary la cannibale. « Mary est un personnage très romanesque… », explique le scénariste Christophe Bec, « Elle était moderne pour l’époque, c’était même une féministe avant l’heure. Raconter mon histoire au travers de son témoignage, un peu comme Arthur Penn l’avait fait dans le film Little Big Man s’est imposé ». Un récit complet en deux tomes, simultanément publiés, aussi effrayant que captivant ! A noter la magnifique et efficace mise en images de Daniel Brecht qui signe ici son premier album. EGuillaud

Death Mountains, de Daniel Brecht et Christophe Bec. Editions Casterman. 12,95 euros le volume


17 Mar

« Au Vent mauvais », un album de Rascal et Thierry Murat aux éditions Futuropolis

Des fringues sans âge sur le dos, un sac Tati pour tout bagage, Abel Mérian ressemble à tous ces taulards qui sortent de prison et doivent reprendre le cours de la vie. A la différence près qu’Abel Mérian ne va pas rester longtemps dans ce costume de sans abri. Un petit pécule l’attend bien planqué au fond d’une vielle usine désaffectée. Sauf que pendant son emprisonnement, le quartier est passé entre les mains de quelques promoteurs immobiliers peu regardants sur les trésors enfouis. L’usine désaffectée est devenue un centre d’art contemporain. Plus de magot… mais un téléphone portable trouvé sur le sol. Celui d’une jeune femme, une Italienne. Abel Mérian décide de lui ramener en mains propres…

Aucun doute, il y a du Verlaine dans cet album et pas seulement dans le titre. Dès la première page, Au Vent mauvais nous enveloppe de sa douce mélancolie. Rascal, auteur remarqué dans le livre jeunesse, développe sur plus de 100 pages un road comics psychologique autour d’un personnage à la fois désabusé et bien décidé à entamer une nouvelle vie. Peu de textes, essentiellement une voix off, une mise en images de Thierry Murat minimaliste, des couleurs ternes, trois ou quatre cases par planche et un dénouement inattendu… Au Vent mauvais est une petite merveille qui se lit et se relit sans fin. Comme un poème ! EGuillaud

Au Vent mauvais, de Rascal et Thierry Murat. Editions Futuropolis. 18 euros

Bizu et La Patrouille des Castors, deux nouvelles intégrales chez Dupuis

Un personnage de petite taille coiffé d’un chapeau orange évoluant dans un monde féérique avec un champignon comme animal de compagnie : voici Bizu messieurs et mesdames. Bizu est né en 1967 dans les pages de Spirou. L’imagination n’est pas encore au pouvoir ni dans la rue mais Jean-Claude Fournier devance l’appel en créant ici un univers merveilleux fortement imprégné de sa Bretagne natale chérie. Même s’il est né par accident à Paris ! Il n’a que 24 ans au moment de la publication des premières planches. C’est un succès ! Et moins d’un an plus tard, les éditions Dupuis lui confient les aventures de Spirou et Fantasio que Franquin ne souhaite plus animer. Un travail énorme pour le jeune auteur breton qui continuera malgré tout à dessiner Bizu dans sa forêt de Brocéliande, pardon Frotéliande. Ce premier volume de l’Intégrale Bizu réunit tous les récits publiés dans le journal Spirou entre 1967 et 1986. En route pour la fantaisie…

Beaucoup moins fantaisiste, le quatrième volet de l’intégrale consacrée aux aventures de la célèbre Patrouille des Castors nous ramène à la dure réalité. Imaginés en 1954 par Jean-Michel Charlier et Mitacq, nos jeunes amis scouts sont confrontés dans le diptyque La Couronne cachée et Le Chaudron du diable, publié en 1964 et 1965, et réuni dans ce volume, aux lourdes menaces que font peser les pays de l’Est sur le monde occidental. C’est la guerre froide et nombre de scénarios à l’époque sont imprégnés de cette actualité géopolitique lourde. Les deux autres récits présentés dans l’intégrale, encore un ditpyque, nous entraînent en Iran pour une intrigue autour du fabuleux trésor du shah d’Iran. On est loin de la forêt de Brocéliande et de ses lutins… EGuillaud

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Dans le détail :

Bizu, L’Intégrale (tome 1), de Jean-Claude Fournier. Editions Dupuis. 24 euros
La Patrouille des Castors, L’Intégrale (tome 4), de Mitacq et Charlier. Editions Dupuis. 28 euros

14 Mar

« Plogoff », une BD historico-documentaire de Delphine Le lay et Alexis Horellou chez Delcourt

Plogoff. Bien sûr, tous ceux qui connaissent un tant soit peu la Bretagne ont entendu parler de ce village. Un peu plus de 1300 habitants, une économie orientée vers la biscuiterie, la pêche, le tourisme… et une affaire, c’est comme ça qu’on l’appelle, qui va imprimer l’inconscient collectif pour de longues années. Cette affaire, c’est le projet de construction dans le milieu des années 70 d’une centrale nucléaire. C’est aussi et surtout la mobilisation populaire inédite qui se met parallèlement en place pour combattre ce projet pendant des mois, des années, jusqu’à l’élection de François Mitterrand en 1981 et son abandon définitif.

De cette période, il reste bien évidemment nombre d’histoires, de souvenirs, de témoignages, tous plus forts les uns que les autres, mais aussi un film tourné dans le feu de l’action par Nicole et Félix Le Garrec. Son titre : Plogoff, des pierres contre les fusils. 30 ans qu’ils voyagent à travers l’hexagone avec ce film. Et puis, un beau jour, un jeune couple d’auteurs débarque chez eux avec le projet de raconter l’histoire de cette mobilisation, en BD cette fois.

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L’interview des auteurs à lire ici

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Rencontres des différents acteurs, recueil de témoignages, recherche et accumulation d’une abondante documentation… Delphine Le Lay et Alexis Horellou, les auteurs, plongent corps et âme dans le passé de ce village de résistants gaulois. A l’arrivée, l’album tout simplement appelé Plogoff se présente comme une immersion dans la vie quotidienne de la population, une vie quotidienne bien évidemment rythmée par les manifestations, les confrontations parfois violentes avec les CRS, les barricades, les opérations coup de poing, les rondes de nuit des forces de l’ordre… Il ne manquait plus que le couvre feu pour se croire dans un pays en guerre !

D’une approche plus militante que journalistique ou historique, Plogoff est malgré tout un album remarquable. Remarquable par sa construction narrative, la mise en scène des combats, son graphisme réaliste minimaliste, son atmosphère intimiste et surtout cette entrée en résonance avec une autre affaire, plus proche de nous cette fois, le projet d’aéroport à Notre Dame des Landes et le combat mené par ses opposants notamment sur la Zad. Passionnant ! EGuillaud

Plogoff, de Delphine Le Lay et Alexis Horellou. Editions Delcourt. 14,95 euros

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05 Mar

Douce pincée de lèvres en ce matin d’été, un très beau livre signé Laurent Bonneau chez Dargaud

Comme tous les matins, Max se lève, fait son lit, sort le chat et prend son petit déjeuner. Oui comme tous les matins. A la différence prêt que sa petite amie vient de le quitter. Max est maintenant seul face à son bol de café, même si elle est toujours présente, omniprésente, dans sa pensée. Un peu plus tard, Max enfourche son vélo, direction la salle de sport. Max est entraîneur de tennis de table et prépare ses ados à une compétition très importante quelque part en Chine. Pas le moment de flancher ! Il doit faire avec, faire le deuil de la petite amie et en même temps donner le meilleur de lui-même dans son travail. Et pour dépasser ce moment difficile, Max fait confiance aux philosophies orientales, notamment au Yi…

Voici un album qui porte bien son nom. Douce pincée de lèvres en ce matin d’été est le récit subtil, délicat, poétique d’une rupture amoureuse. Laurent Bonneau dont on a déjà pu mesurer le talent graphique dans le thriller Metropolitan, également paru chez Dargaud, met en place ici un style graphique très particulier, minimaliste mais sans homogénéité, un graphisme qui colle malgré tout à l’atmosphère intimiste du récit. Douce pincée de lèvres en ce matin d’été n’est pas une histoire d’amour qui finit mal mais plus surement une histoire de rupture qui finit bien. Un travail et un auteur singuliers à découvrir au plus vite ! EGuillaud

Douce pincée de lèvres en ce matin d’été, de Laurent Bonneau. Editions Dargaud. 16,45 euros

04 Mar

9 ans après « Le Processus », Marc-Antoine Mathieu publie « Le Décalage », une nouvelle aventure de Julius Corentin Acquefacques

Imaginer un récit sans héros n’est déjà pas chose aisée. Mais imaginer un récit sans héros et sans histoire, alors là… Enfin, quand je dis sans héros et sans histoire, c’est un peu exagéré. Simplement, notre bon Julius Corentin Acquefacques qui a encore rêvé trop fort se réveille et constate que l’histoire a démarré… sans lui. Les personnages secondaires font ce qu’ils peuvent pour assurer un fond d’action mais Julius ne peut intervenir dans le récit. Il y a comme un décalage, un glissement spatio-temporel. Tandis que certains évoquent une entourloupe existentialiste, d’autres se gargarisent de l’absence d’aventure : « Parler pour en rien dire ne nous avance à rien. Improvisons ! ». Et c’est parti pour une avancée dans le rien, dans l’infiniment rien, jusqu’au moment où les protagonistes parviennent à recaler l’histoire…

Si Marc-Antoine Mathieu n’existait pas, il faudrait de toute urgence l’inventer ! Chacun de ses albums est un régal d’expérimentations narratives, une exploration sans fin des possibilités offertes par le médium. Vingt-trois ans après L’Origine, le premier volet de cette série (souvenez-vous de la case en moins), et neuf ans après Le Processus, voici donc Le Décalage. Et ce sixième opus nous réserve bien des surprises à commencer par une couverture purement et simplement remplacée par une planche du récit, la septième pour être précis. Et ne croyez pas à une astuce de l’éditeur pour faire des économies sur le nombre de pages, bien au contraire. Le décalage est à la fois virtuel, dans le récit, et bien réel, sur l’album. Mais shut ! Comme toujours, Marc-Antoine Mathieu joue sur l’effet de surprise et nous n’allons pas gâcher votre plaisir en dévoilant plus que nécessaire. Le Décalage nous plonge corps et âme dans le fantastique et l’absurde, un univers qui ne cache pas ses références à l’oeuvre de Winsor McKay, de Francis Masse ou même d’un Raymond Devos ! EGuillaud

Le Décalage, Julius Corentin Acquefacques (tome 6), de Marc-Antoine Mathieu. Editions Delcourt. 14,30 euros