C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode détente et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…
240 meurtres par an. C’est énorme, à peine croyable, et c’est pourtant bien la réalité de Baltimore, ville du nord-est des États-Unis située dans l’État du Maryland. 240 meurtres par an et une brigade criminelle sur les dents. En 1988, David Simon, reporter au Baltimore Sun, décide de partager le quotidien de cette brigade pendant un an. Il en tire un livre, A year on the killing Streets, qui a servi de base à la série télévisée Homicide et largement contribué à une autre série culte, The Wire, diffusée sur HBO.
L’auteur français Philippe Squarzoni, connu et reconnu pour ses albums politiques, tels que Garduno en temps de paix, Zapata en temps de guerre, Dol ou encore Saison brune, a choisi d’adapter ce livre en bande dessinée, en conservant les choix narratifs de David Simon qui s’est évertué à effacer le travail du journaliste et donner la parole aux inspecteurs de la brigade.
« Je voyais les pages de bande dessinée apparaître à mesure que je lisais… », explique Philippe Squarzoni, « Je sentais quel type de narration il faudrait développer. Dans Homicide, David Simon a fait le choix de ne pas se mettre en scène, mais plutôt de privilégier la voix collective des détectives de la brigade (…) Et la perspective de faire un album sans recours à la première personne, la nécessité de renouveler mon approche de la BD documentaire, était une raison supplémentaire pour adapter ce livre ».
© Delcourt / Squarzoni
Le résultat est là. Homicide, contrairement aux BD documentaires habituelles qui prennent le lecteur à témoin, nous place en immersion totale au sein de la brigade. On a parfois l’impression d’être dans une fiction mais la description du quotidien des détectives nous ramène très vite à une réalité brute et banale, le manque de moyens, les bâtiments mal ventilés, bourrés d’amiante, les sonneries de téléphones qui font un bruit de ferraille, les cadavres qui s’ajoutent aux cadavres, empêchant tout travail de fond, rien de très glamour, de très sexy, de très hollywoodien.
« Je crois…« , confie David Simon, « que personne ne s’intéresse à comment David Simon voit la vie d’un inspecteur de la crim’. Ce que les gens veulent savoir, c’est comment cet inspecteur pense, ou même comment il perçoit et exprime ce qu’il vit ».
Son avis sur l’adaptation de Philippe Squarzoni ? « Mon seul sujet d’interrogation portait sur le fait qu’il était absolument nécessaire que le roman graphique soit l’exacte mise en image des faits, car bien évidemment, on allait parler de vrais inspecteurs, de vraies victimes et de vrais événements. On allait utiliser leurs noms, leurs identités, sans maquiller quoi que ce soit. Et il a su me rassurer à ce sujet ».
Page après page, l’adaptation de Philippe Squarzoni nous interpelle, nous surprend, nous effraie sur l’état de la société, de la justice et de la police américaine. Un ouvrage absolument passionnant, beaucoup moins âpre que ses précédents, au graphisme, au découpage, aux dialogues tout à fait exemplaires. À dévorer d’urgence…
Eric Guillaud
Homicide, de David Simon et Philippe Squarzoni. Editions Delcourt. 16,50 €
© Delcourt / Squarzoni